Sourds, nous le sommes devenus. A partir de quand ?
Dans les tumultes devenus nos chambres et nos pensées, nous l’avons oublié.
Je ne fais pas exception. Cependant, quelques fois, pour des raisons particulières, nos cellules s’ouvrent. Nous parvenons à prendre des issues où les limites permutent et où nous échappons à nos (ab)surdités derrière lesquelles nous vivons camouflés la plupart du temps.
La musique fait partie des substituts de notre mémoire. Le film Sinners de Ryan Coogler sorti récemment nous apprend que la musique est capable de déchirer le voile qui sépare les morts des vivants, qu’elle peut guérir mais qu’elle peut aussi attirer le diable.
Dans Sinners, le Blues est à l’honneur. Cette musique, comme d’autres, sort du ventre. Il s’agit d’un chant braqué au garrot comme le flamenco entendu à travers Rocio Marquez ce 8 avril dernier.
Ce 8 avril dernier, plutôt que damné, j’ai eu l’impression de faire partie des privilégiés à assister à ce concert sous le chapiteau du théâtre Zingaro lors du festival Fragile. J’avais raté Rocio Marquez l’année dernière lors de ses prestations avec Bronquio pour leur album Tercer Cielo. Je ne voulais pas recommencer pour la sortie de son nouvel album Himno Vertical.
Ils sont là, tout en bois, immobiles. Ils flottent à plusieurs mètres au dessus de nous, esprits ou vaisseaux prêts à charger pour ces voyages que nous avions imaginés. Mais nous les avons abandonnés ou oubliés. Par le corps et la peur. Par facilité, aussi.
Ils ne descendront pas. C’est à nous de percevoir l’éclat qui leur reste et, pour eux et par eux, de faire le nécessaire avant de renaître en poussière.
Je ne devrais pas avoir à le dire mais le théâtre Zingaro est un endroit étrange. C’est le contraire d’un supermarché du divertissement. Même s’il s’est adapté à l’économie et à notre environnement commerçant. Mappemonde du Temps, il nous promet ou nous propose encore notre possible affranchissement. Pourvu que l’on soit aussi proche de notre état de conscience que l’on peut l’être de la sortie d’une bouche de métro.
Autrement, nous repartirons titubant en continuant à nous éclabousser de nos défaites et de nos blessures comme nous sommes venus. Mais au moins, nous aurons essayé, ici aussi, de nous libérer en mettant un pas devant l’autre. Ce sera déjà mieux que rien.
Pour quelques jours ou quelques heures encore, le festival Fragile se déroute au théâtre Zingaro. Plusieurs artistes y sont déjà passés.
J’ai raté Mayra Andrade ainsi que Molécule. Rodolphe Burger, Mehdi Haddab et Sofiane Saïdi, que j’ai déjà « vus », ont fait partie de la liste. Aucune de ces têtes d’affiche, à ce que je sache, ne fait de publicité pour une marque de voiture électrique ou de slip hybride.
Aucune d’entre elle n’occupe une activité rémunérée d’influenceur ou d’influenceuse sur les réseaux sociaux. Ces musiciennes, musiciens, chanteuses et chanteurs existent et se produisent sans bling-bling, sans rattrapage visuel, et, pour l’instant, sans intelligence artificielle.
Celles et ceux qui tendent encore l’oreille ou cherchent un peu ont entendu parler d’elles ou d’eux. Pour les autres, c’est l’ignorance. Car ce n’est pas du Rap et c’est peut-être, tout simplement, aussi, une musique « de » vieux et « pour » les vieux.
Car je suis vieux, c’est évident. Et, comme beaucoup de vieux, je fais mon maximum pour l’ignorer et pour ne pas me faire repérer. J’ai un très bon maquillage. Cependant, comme tous les vieux, je laisse derrière moi un faisceau d’indices qui me ressemblent et me signalent : « Tu vois là-bas, c’est un vieux ».
Je dois me faire une raison et continuer d’apprendre à me raccorder aux autres tant que cela est possible.
Ce n’est pas facile.
C’est beaucoup plus facile de se faire livrer à domicile d’un simple clic, de suivre la file devant soi mais aussi de s’énivrer d’algorithmes sans file d’attente. Cela m’est encore arrivé récemment. J’ai à nouveau pris une bonne cuite d’algorithmes jusqu’à trois heures du matin. Ensuite, je me suis vomi. Je me suis senti minable de m’être laissé aller une nouvelle fois malgré tout ce que je savais et connaissais déjà de l’expérience.
On se dit que l’on va passer juste quelques minutes à regarder pour se distraire un peu. On se convainc que l’on a la maitrise du Temps et qu’on l’a bien mérité : Le Temps.
On a encore la capacité de regarder l’heure qu’il est. Puis, on voit que l’heure passe mais on se rassure. On n’a toujours pas compris que le Temps n’appartenait à personne. Mais ce n’est pas très grave. On « a » du Temps. On se sent bien comme on est. Devant nous passent les images et les « contenus » sans dérangement désagréable ni rupture dans une parfaite, propre – et artificielle- continuité. Ce qui est tellement différent de ce que l’on vit d’ordinaire ou survient toujours une moisissure et une contrariété quelconque mais toujours viscérale.
Bien-sûr, si l’on faisait le ratio entre le nombre d’heures passées à regarder ces images et ce que l’on en a retenu, on s’apercevrait que l’on a perdu « notre » Temps. Mais dans ces moments-là, on est très loin d’être fort en calcul mental. Car on est alors beaucoup plus proche d’être d’un « bon » cul mental relié à nos besoins d’état régressif et végétatif. Et tout cela grâce à notre petit écran que nous pouvons transporter partout où nous allons et où nous le décidons.
Mais pour aller au théâtre Zingaro, cela ne marcherait pas. Car pour s’y rendre, il faut rester sobre, être encore capable de regarder autre chose que son écran. Etre volontaire pour employer « son » temps autrement. Et se déplacer.
Afin d’y voir Rocio Marquez ce 8 avril, je me suis déplacé. Environ trois quarts d’heure de trajet par les transports en commun. De banlieue à banlieue en passant par Paris. Du Val d’Oise à la Seine Saint Denis.
En convenant au préalable avec ma fille qu’elle resterait à la maison faire ses devoirs le temps que sa mère rentre du travail une à deux heures plus tard. J’aurais vraiment voulu emmener ma fille mais elle avait ses « devoirs » pour l’école le lendemain. Pour elle, cette soirée aurait fini tardivement.
J’ai vraiment bien fait de partir plus tôt. Au théâtre Zingaro, on commence à l’heure. J’ai eu le temps de m’installer, de retrouver cette disposition des tables et des places faite de telle manière à ce que l’on se sente à l’aise ici mais, aussi, à ce que l’on puisse saluer et converser avec les autres personnes venues comme nous assister au même spectacle.
C’est seulement la deuxième fois que je viens au théâtre Zingaro malgré ce que j’en avais entendu pendant des années. C’est sans doute mieux que rien.
L’ article sur le concert de Rocio Marquez ce 8 avril au théâtre Zingaro est pour bientôt.
Un texte est une peau dont on se débarrasse. Et certaines sont plus tenaces que d’autres.
Le 31 mars 2025 aura été cette journée où a eu lieu à l’hôpital Georges Pompidou, à Paris, la quatrième journée scientifique de la CUMP (cellule d’urgence médico psychologique destinée à s’occuper des victimes de situation sanitaire exceptionnelle et potentiellement psycho-traumatisante) à laquelle je suis allé assister. J’y ai aussi pris des photos. Un peu plus de cent cinquante professionnels de la Santé ( psychologues, infirmières et infirmiers, psychiatres, autres…) étaient présents.
C’est aussi lors de cette journée que nous avons appris que la meneuse du Rassemblement National (ex Front National), Marine Le Pen, a été condamnée, elle et certains des membres de son parti politique, pour détournements répétés, pendant plusieurs années ( douze), de fonds publics à hauteur de quatre millions d’euros.
Cet argent a été employé pour des emplois fictifs.
Marine Le Pen a décidé de faire appel car cette condamnation, si elle s’appliquait, la rendrait inéligible lors des prochaines élections Présidentielles de 2027.
Elle et ses partisans « menacent » de son innocence. Ils affirment aussi que le résultat de ce jugement est « politique » et mensonger et qu’il signifie que la démocratie en France est en danger car elle et ils estiment que c’est elle, la victime du « système ».
Marine Le Pen a entre autres déclaré qu’elle ne se laisserait pas faire et a précisé : » Je suis combattive ».
Les juges qui, eux, ont démontré sa culpabilité sont désormais -pour certains d’entre eux dont une femme- sous protection policière. Car ils sont « coupables » de l’avoir déclarée » coupable », elle, Marine Le Pen, et plusieurs membres et proches de son parti politique.
Cette « pression » ou cette façon qu’ont Marine Le Pen et ses partisans – sincères ou intéressés- de vouloir faire plier et diriger, de façon brutale et autoritaire, le monde et les autres à leur volonté, en cherchant à intimider ou à détruire, font un peu penser au moins au style du Président américain Donald Trump lorsqu’il avait perdu- et contesté- le résultat des précédentes élections américaines et alors que réélu récemment, il veut aujourd’hui régenter, distribuer et imposer des taxes au monde entier. Comme si le monde était une pièce montée dont il serait le pâtissier et le commerçant et qu’il entendrait la découper- et la vendre- comme il l’entendrait en fonction des personnes qu’il aurait décidé d’inviter (en leur faisant payer l’accès à son salon ou à son jardin) à son anniversaire.
Mais ce 31 mars 2025, il y a aussi eu heureusement des événements plus réconfortants et plus démocratiques :
il y a aussi eu le concert du groupe Lagon Nwar au Café de la Danse, du côté de Bastille, dans un des arrondissements très prisés et festifs de Paris.
Le Café de la danse est une belle salle de concert intimiste, très agréable, de cinq cents places assises, où la scène est proche et la musique est réelle, ouverte et sans menaces. C’est en y retournant que je me suis rappelé y être allé une première fois une vingtaine d’années plus tôt afin d’aller y voir Susheela Raman dont on entend moins parler aujourd’hui. Et le groupe LagonNwar est sans doute inconnu pour beaucoup de personnes.
J’ai commencé à écouter Ann’ O’Aro à partir de son premier album ( voir l’article Ann O’Aro ). Et l’année dernière, pour la première fois, je l’avais vue en concert. J’étais arrivé en retard. Le concert m’avait beaucoup plu. Mais je n’avais pu prendre de photos dans les meilleures conditions.
Je suis allé au concert de Lagon Nwar sans avoir écouté leur album. Les critiques à son sujet étaient bonnes mais de toute façon, j’étais confiant. Et curieux.
Le groupe Lagon Nwar est le rassemblement de plusieurs artistes déjà rodés par d’autres projets. La jeune spectatrice d’à peine vingt ans apparemment venue seule de province, groupie du saxophoniste, qui était assise à ma droite, m’a ainsi appris que celui-ci jouait avec Clara Ysé que je connais pour l’instant uniquement de nom.
Elle m’a d’ailleurs fortement recommandé d’aller voir Clara Ysé à l’Olympia en m’informant qu’il ne restait plus beaucoup de places pour son concert.
Le saxophoniste de Lagon Nwar s’appelle Quentin Biardeau et durant la prestation, il s’est aussi occupé des synthétiseurs. Il est aussi celui qui, dès le début, nous a amusé avec son humour :
« On va vous jouer tous les morceaux de l’album et ensuite vous allez l’acheter ».
A la batterie, au chant et au Koundé, il y avait Marcel Balboné du Burkina Faso dont l’allure avec ses lunettes noires au début du concert faisait penser à une sorte de Stevie Wonder.
Puis, il y avait Valentin Ceccaldi comme bassiste. Aucun(e) guitariste n’était prévu et ce « fantôme » ne nous a pas manqué durant le concert puisque dès le début, le groupe Lagon Nwar nous a possédé. Si les critiques de leur album, que j’ai donc acheté après leur concert et me suis fait dédicacé par Ann’ O’Aro, sont très bonnes, leur concert a été, selon moi, bien meilleur.
Okali, fait de la chanteuse Gaëlle Minali d’origine camerounaise et de Florent Sorin pour les instruments, nous ayant donné une performance simple et toute autant mémorable.
Si la voix et la présence de Gaëlle Minali ont pu toucher aussi par sa puissance et son élégance, l’accompagnement musical de Florent Sorin a aussi su faire mouche. Alors qu’il est très difficile d’assurer une première partie et que, pour ma part, je ne m’attendais pas à être aussi agréablement surpris par Okali. Et, comme je l’ai ensuite dit à Florent Sorin passé près de nous, j’aurais facilement « pris » pour quinze à trente minutes de musique supplémentaire du groupe Okali. Lequel est ensuite resté pour assister comme nous au concert de Lagon Nwar.
Concernant Ann’O’Aro dont la présence s’impose même lorsqu’elle sort du « chant », je me suis demandé comment une telle captation sonore pouvait par moments sortir d’un si petit corps.
25 euros la place pour voir Okali puis Lagon Nwar en me trouvant au premier rang, place non numérotée, à moins de dix mètres de la scène, en plein Paris ce 31 mars.
J’aime me rappeler ce genre de chiffres et d’heur-eux-montant. Cela a pour moi une fonction et une affection incantatoire. Et me rappelle qu’il n’est pas nécessaire d’aller se tire-bouchonner pendant des heures à l’entrée d’une grande salle de concert. Tout cela afin de venir scruter et ausculter sur grand écran, au milieu des aéropages multipliés d’autres buffles comme moi, une artiste ou un artiste dont la place de concert aura coûté le triple ou le quadruple ou davantage. Même si l’on sera content, malgré tout, d’être allé « voir » cet/cette artiste ( voir l’article Rosalia au festival LOLLAPALOOZA 2023).
Certaines fois, la surpopulation présente à certains concerts et festivals peut nous exposer au triple pontage. Surtout si l’on rajoute que ces festivités peuvent nous priver d’apporter un peu d’eau pour de prétendues raisons de sécurité mais aussi exiger une assez bonne condition physique voire peut-être un peu de matériel d’alpinisme ou de randonnée- mais toujours un moyen de paiement infaillible- car elles peuvent aller se nicher à des endroits modérément pratiques d’accès où la pluie et la boue parfois nous apportent en plus leur souffle et leurs secondes peaux.
Rien de cela ce 31 mars dans la salle de concert couverte du Café de la Danse. Une ambiance détendue. Un public qui aurait pu être familial (j’ai aperçu un petit au début du concert qui n’avait pas plus de dix ans) et Ann’ O’Aro, comme lors du précédent concert l’année dernière, a invité à la danse. Que ce soit lorsque Ann’ O’Aro ou Marcel Balboné qui chantent – ensemble ou séparément-dans leur langue natale ou en Français, le public a suivi.
Il y a même eu un spectateur, qui, le temps d’un morceau, s’est fait le premier danseur de tous, parmi nous qui étions assis, au point que l’on a pu croire que cela avait été prévu par le groupe.
D’autres spectateurs sont arrivés plus tard pour danser. Certains avec Ann’ O’Aro, artère et vigile mobile du groupe.
Cette fois, j’ai réussi à desserrer le frein à main car j’ai plus de mal qu’avant à me laisser faire. Je suis parvenu à déposer mon appareil photo et à quitter mon siège. Je m’en serais voulu d’avoir manqué une fois de plus cette occasion. De seulement continuer d’endurer et d’entretenir cette expérience quotidienne et exclusive du spectateur.
Un concert où les artistes sont proches, jouent (très) bien, mieux que sur leur album, et où de l’imprévu, en plus, reste possible, est un très bon concert. Un concert que l’on pourrait regretter d’avoir raté.
Mais bientôt, je vous parlerai un peu du concert de Rocio Marquèz- autre voix tenace et persistante- que je suis depuis allé voir et écouter, enfin, au théâtre Zingaro, alors que je l’avais ratée l’année dernière lorsqu’elle était passée en concert ailleurs avec Bronquio.
Jorja Smith en concert cet été et les détournements de fonds publics de Marine Le Pen
Tout à l’heure, à la Fnac, j’ai eu de la chance. Il y avait peu de monde à faire la queue à la billetterie. Il était environ 15h. Un jeudi.
Mais il n’y avait plus de place pour Jorja Smith avec la billetterie de la Fnac. Epuisé. Sold out.
Dans le train pour Argenteuil, sur mon téléphone portable, j’ai quand même regardé sur la billetterie du festival. Apparemment, il était encore possible d’acheter des places.
J’ai voulu me mettre dans les meilleures conditions pour aller voir ce concert. J’ai commencé à regarder la place la plus chère qui nous permet de « chiller », d’avoir un espace réservé, aéré, et d’être bien placé sur « le côté droit de la scène » sans avoir besoin de venir très longtemps à l’avance. 149 euros la place. Ou, plutôt, 149 euros pour le billet de ce samedi 23 aout dans ces conditions.
J’ai hésité.
Ce qui m’a fait hésiter, c’est la ribambelle de questionnaires qu’il faut désormais remplir chaque fois que l’on veut acheter certains billets pour des spectacles sur internet. Notre nom, notre adresse, notre date de naissance, notre genre sexuel, notre position préférée, la taille de nos pieds, la date de nos dernières règles, notre couleur détestée, si l’on veut une assurance annulation/remboursement (15 euros, ici).
Au moment de payer, il y avait toujours quelque chose qui coinçait. Ça devait se sentir que je ne me livrais pas sincèrement.
Puis, j’ai réussi à passer à l’étape suivante. Là où l’on commençait à me demander les coordonnées de ma carte bancaire. A ce moment-là, j’étais dans le train. Je me suis dit que je n’allais pas faire ça dans le train. Si j’avais pu payer par paypal, j’aurais peut-être pris la place. 149 euros.
Lorsque je suis arrivé à Argenteuil, quelques minutes plus tard, je me suis dit que l’année dernière, j’avais très bien pu tolérer de « rater » le concert de Lana Del Rey à l’ouverture du festival Rock en Seine. Je pouvais très bien recommencer pour Jorja Smith cette année. 149 euros.
Pour l’instant, je les ai, ces 149 euros. Sauf que je suis déjà juste dans mes comptes ce mois-ci. Et nous sommes le 3. Je suis encore créditeur. Mais il va me falloir faire attention. Ma superbe voiture électronique actuellement clouée sur place – des paramètres électroniques de sécurité plus sophistiqués que moi et que je ne sais pas désactiver estiment que je n’ai pas le droit de m’en servir et elle reste stationnée dans le noir sur la place de parking que jeloue– me coûte 272 euros de crédit tous les mois. Et, en plus, je paie une assurance spéciale de 55 euros mensuels dessus.
Je me suis dit que je pouvais utiliser ces 149 euros mieux. Et autrement.
Si j’avais le fric, si je n’avais pas besoin de faire des acrobaties comptables pour donner ces 149 euros, j’aurais pris ce billet pour voir Jorja Smith entre-autres dans les meilleures conditions possibles. Mais je me suis dit qu’il fallait soit être aisé financièrement, soit renoncer à ses vacances, être nourri, logé, donc vivre encore chez ses parents ou être désespéré pour accepter de donner 149 euros «pour » Jorja Smith.
Mais mes parents sont repartis vivre en Guadeloupe pour leur retraite il y a plusieurs années. Et je suis marié et père de famille. Il est donc nécessaire que je m’assume financièrement ne serait-ce que pour donner- un peu- le change.
Et j’ose encore croire que ma vie vaudra encore quelque chose même si je ne « vois » pas Jorja Smith sur scène ce 23 aout 2025. D’ailleurs, c’est elle qui fera tout son possible pour venir me voir. Elle se déplacera sans aucun doute jusqu’à mon domicile après sa prestation. Elle prendra un train de la ligne J depuis la gare St Lazare. Elle se sera renseignée auparavant ou je la guiderai par sms. Et si elle a un empêchement, elle se sentira tenue de me passer un coup de fil. Impossible pour elle de repartir comme ça. Trop douloureux. Car je suis irrésistible.
Et puis, un peu de « logique » : ce lundi 31 mars, il y a trois jours, pour voir deux très bons concerts au Café de la Danse, près de Bastille, d’abord celui du groupe Okali puis du groupe Lagon Nwar avec entre-autres la chanteuse, musicienne et poétesse Ann’ O’Aro, il m’a suffi de payer 25 euros. J’étais dans une très bonne salle de concert, intimiste, assis au premier rang à moins de dix mètres de la scène. Et, j’ai pu prendre toutes les photos que je voulais sans être bousculé. 500 personnes maximum, assises et bien disciplinées au Café de la danse, contre les milliers de spectatrices et spectateurs debout au festival Rock en Seine en Aout dans quelques mois.
Et, ce 8 avril, dans quelques jours, cette fois ce sera sous le chapiteau du Théâtre Zingaro, que j’irai enfin voir la chanteuse Rocio Marquez en concert. Je l’avais ratée l’année dernière en concert lorsqu’elle était passée avec Bronquio.
Je « sais » que le concert de Rocio Marquez sera exceptionnel. Pour ce concert, j’ai pris le tarif le plus cher, me mettant au plus près de la « scène, avec personne devant moi. Une place assise et numérotée. Pour cela, j’ai payé…39 euros.
Rien qu’avec ces deux concerts, je n’atteins toujours pas la barre des 149 euros minimum que me coûterait celui de Jorja Smith et des autres artistes présents ce jour-là à Rock en Seine. Et je sais que j’ai des courses alimentaires à faire, peut-être demain, sur le marché d’Argenteuil.
Malgré mes plus de trente années- la retraite se rapproche- d’expérience en tant qu’infirmier psychiatrique qui me valent un salaire supérieur à celui de mes collègues plus jeunes (infirmiers mais aussi psychologues) et malgré le fait que mon pouvoir d’achat reste « dopé » par le fait que ma compagne et moi mettons en commun nos salaires pour nos dépenses, je n’ai pas le droit à l’erreur en matière de gestion. Mais, comme beaucoup de personnes, j’en fais un certain nombre. Jusqu’à ce que cela ne soit plus possible.
Marine Le Pen, elle, mais aussi un certain nombre de ses électrices et électeurs- dont désormais un certain nombre de soignants- voient ça autrement. Pour eux, les détournements de fonds publics répétés pendant plusieurs années par Marine Le Pen et plusieurs de ses relations et proches de son parti sont inventés par « le système » ou sont des informations dérisoires. Des manoeuvres destinées à éviter les « vrais » sujets.
Plus de 4 millions d’euros de fonds publics ont été détournés. C’est une des conclusions apportées par le tribunal correctionnel récemment.
Mais selon Marine Le Pen et ses « partisans », cela serait des mensonges ou une Kabbale contre elle car elle est si proche du but : devenir Présidente de la République.
Pour elle et son camp, « le système a sorti ( ou employé) la bombe nucléaire » contre eux.
Pourtant, je pense que jusqu’à maintenant, Marine Le Pen avait beaucoup flirté avec la justice et s’en était toujours très bien tirée jusque là. Elle a dû se croire définitivement immunisée contre ses lois.
Je pense aussi que Marine Le Pen aime le fric. Et qu’elle en a déjà pas mal. Or, les électrices et les électeurs qui votent pour elle ont tendance à le minimiser. Entre- autres parce qu’ils sont en colère et ont reporté sur elle beaucoup de leurs espoirs.
Je pense que bien des électrices et des électeurs en manque de pouvoir d’achat et de reconnaissance sociale ou autre croient que Marine Le Pen est comme eux et vit comme eux. Ou pour eux.
Non, elle n’est pas comme eux. Tout à l’heure, j’ai repensé à ces images que j’avais pu voir de Marine Le Pen il y a quelques années alors qu’elle passait ses vacances en Thaïlande. J’avais trouvé paradoxal que cette personne et cette figure politique frontale qui ne voit que par la France pour les Français parte passer des vacances en Thaïlande, dans un pays étranger et d’étrangers. Au lieu de les passer en France.
Aujourd’hui, j’aurais tendance à croire qu’elle y était sûrement en vacances comme le colon peut être en vacances dans un pays étranger. En infantilisant les autochtones, en les résumant à leurs apparences, en feignant de les trouver sympathiques dès l’instant où ils restent à leur place contrairement à ce qui se passe dans le film Parasites.
Je crois qu’elle était venue chercher en Thaïlande du tourisme récréatif et superficiel ambiance club med et lambada. Même si la lambada est sûrement peu prisée en Thaïlande.
J’ai beaucoup de mal à l’imaginer allant véritablement à la rencontre des autres. Je la vois plutôt comme la vacancière restant dans sa bulle de champagne avec des gens comme elle et pensant comme elle, se faisant bronzer dans un transat ou participant à des safaris et à des sauteries pour touristes préservés.
Je ne la vois pas partant faire du trek à pied, faisant du stop, lavant ses chaussettes et ses culottes à la main ou allant se recueillir dans un quelconque monastère qu’elle aurait atteint à la sueur de son front après avoir gravi 10 000 marches afin d’y pratiquer l’introspection. A moins d’y avoir été menée et éventée par des porteurs- étrangers- tout le trajet durant.
Enfin, je doute que ses vacances en Thaïlande aient été les mêmes que celles que puissent s’offrir un bon nombre de ses électrices et ses électeurs.
Je ne peux imaginer Marine Le Pen que dans des hôtels de luxe ou du personnel se plie au doigt et à l’œil devant toutes ses volontés pendant qu’elle maintient ses doigts de pied en éventail et qu’une ou deux manucures étrangères s’en occupent avec application.
Cependant, je ne crois pas particulièrement que les jeunes et moins jeunes qui iront piétiner à Rock en Seine cette année votent plus que d’autres pour Marine Le Pen ou Eric Zemmour ou Marion Maréchal ou Bruno Retailleau ou Eric Ciotti. Par contre, je crois qu’à ma place ( elle et moi avons un ou deux ans d’écart), Marine Le Pen aurait payé cette place de 149 euros pour aller voir Jorja Smith ou se la serait faite offrir. D’ailleurs, le festival se déroule dans la ville de St Cloud. Ce n’est pas très loin de sa maison et de sa cellule familiale. Elle s’y rendra peut-être tandis que moi, soit je resterai à Argenteuil ce jour-là, soit je serai au travail finalement afin de pouvoir continuer de payer mes charges et mes crédits. Et je ne crois pas un moment, et ne le souhaite pas, qu’elle viendra me voir ou me passera le moindre coup de fil.
I readily accept that other parents may be “ better” than I am with their children.
My work day ended at midnight yesterday. I was back home and became a father again this morning. I did my best.
This morning, when my daughter saw me standing up, she walked towards me, smiling, and said:
“ I Just wanted to give you a kiss” or “ I wanted to hold you in my arms”.
My daughter came to hug me and fell on me. When this kind of moment comes, many parents like me are pleased. They tell themselves that they have been good parents since the birth of their children. They think everything is fine. They may also consider that it is really worth being parents. Despite the work and all the commitments that this may involve.
How many true joys do we live in one existence ? How many joys, at first superb, turn out to be false, derisory, disappointing, deleterious or funereal ?
The attachment of a child is hardly questionable. It is always or often “right”, massive, without calculation, immediate and at the same time very surprising. But also temporary.
Because we are not always available. We are not always well-inspired and well-disposed as parents. As parents and individuals officially “responsible”, “mature” and “ conscious”, we have a number of injunctions and dead ends in our heads. Injunctions and dead ends that we as parents must “ inculcate”.
Injunctions and dead ends that we as parents must also know how to preserve them from.
Preserving them.
To “ make” children, we stop using condoms and any other contraceptive means. And once our children are sown, taken from the “void”, born, present and exposed, we as parents must also know how to preserve them.
We must know how to prevent them.
This morning, I did everything to be as receptive as possible when my daughter was telling me of her good mood and her very good disposition towards me. We were the first day of the weekend, on Saturday. The time of week when she is not at school and even though she has her homework, she will be able to relax and spend time with her parents. Since this weekend, I do not work.
So I listened and looked at my daughter. I also had to do some storage reminders. The two packets of paper tissues and the two sheets I had seen near her school bag were not to remain on the floor.
But it all went well. My daughter went to her swimming class with her mother. And I, “ the match by the fire”, I didn’t get angry. I started my breakfast trying to estimate the time at my fingertips so that I could take some time to write or perhaps go to the market next door.
I did not tell my daughter and my partner about my work day the day before. I tell them little about my work. I usually choose to distinguish between the two worlds. Professional and personal. The mental and emotional. Even if the two atmospheres certainly permeate me. I separate them or do my best to separate them when I am in either. It’s about finding ways out.
But this morning, I was thinking about this almost 15-year old who came out of football training last night and got stabbed in the shoulder to have his mobile phone stolen.
Aorta ruptured. Three cardiac arrests. I heard the news last night while at work. It happened between 8 p.m and 9 p.m.
Despite the mysterious pulmonary embolism I had in late 2023, cardiac arrest is not my field. But I work in a kind of open space where you can see and hear almost in real time the situations announced and the means deployed to deal with them. And then, before I went into psychiatry in 1992, I had first been a trained nurse for somatic care.
The young man was attacked in a good or very good district of Paris. This information was publicized a few hours later.
Almost 15 years old, stabbed for a mobile phone. Both attackers were reportedly arrested.
I imagine two boys slightly older than the victim. I would say:
No more than 20 years old and having already assaulted other people or having a criminal record.
I thought that you really had to live day by day, and again, to hope to get through life by stealing mobile phones until you were ready to kill, pardon, to attack with a knife, for that.
We are really in the immediate result by breaking into, at all costs. For a mobile phone, one is ready to put in shreds younger by stabbing.
The victim’s life is ruined. That of the parents ( who were present at the hospital where their son was) is ruined. The lives of relatives and witnesses may also be ruined. For a mobile phone that will now remain unconnected, offline and in evidence.
Perhaps some people – now rather old at least- still remember the Nokia advertising when the mobile phone was first marketed to the general public in the 1990s. It said :
“Connecting People…”.
The anger of parents and relatives will prevent them from seeing that the life of the aggressors is probably as messed up or was already.
Last night, I tried to imagine what my father’s attitude would be in front of these two attackers. I thought maybe I’d go visit one of the two men regularly in the parlor, in prison, after the conviction. Let’s say once a month. To look at him, to listen to him. To inflict the true sentence on him. To humanize or re-humanize him. To talk about my daughter. Show him two or three pictures of her. One of her, small, against me, and a recent before her death after being stabbed for a mobile phone.
On the street, unless you’re in a settling of scores where you see the other as an enemy or an official rival who takes that status, I think the aggressors most often go after strangers. People they have never seen and will never see again in principle because they live in very different areas and rhythms even opposed and they cross each other by “ opportunism” of for predatory purposes ( here for aggression). Which is very practical to “forget” or trivialize the event since we do not see again or more, “ in principle”, the victim. So we have less to confront with the violence of what we did. We can be all the more convinced that this is part of the past or that the victim has not suffered too much or that she/he will recover from it since we do not have to witness her/his agony.
But I’m probably going too far. The parents and relatives of the young person will be angry and will stay there, for some, for years, so as not to get depressed.
How do you get over that as a parent ? While everything was going well or better where it was going as usual, in an instant, because he was on this street rather than another one, their son got stabbed in the middle of Paris.
No parent can prepare for that. Nor can you keep your child in the same place all the time. So being a parent is a gamble. Nothing is definitively assured despite encouraging promises and all the parental work committed from the beginning. After several years, all this suddenly explodes in your face and throughout your body like a pressure cooker. And, in front of you, there are the aggressors or perpetrators ( people you had never seen, never met before) when they are arrested and tried, who force you to brutally take knowledge of this :
You must trade the oppressive disappearance of a loved one, educated and chosen ( your child) for the imposed and incongruous presence of these strangers. Individuals you have never invoked nor chosen and on whom you will have to rely through their story. A story that you will have to endure and discover during their trial when there is one.
J’admets très facilement que d’autres parents puissent être «meilleurs » que moi avec leurs enfants.
Après ma journée de travail terminée hier soir à minuit, je suis redevenu un père ce matin. J’ai fait comme j’ai pu.
Lorsque ce matin, ma fille m’a vu debout, elle s’est engagée vers moi, souriante, en me disant :
« Justement, je voulais te faire un bisou » ou « Je voulais te prendre dans mes bras ».
Ma fille est venue me faire un câlin en se plaquant contre moi. Lorsque ce genre de moment arrive, beaucoup de parents, comme moi, sont plutôt contents ou satisfaits. Ils se disent que tout ce qu’ils ont fait et font depuis la naissance de leurs enfants a porté ou porte.
Ils se disent qu’ils sont des « bons » parents et que tout va bien. Ils peuvent aussi se dire qu’être parent, cela vaut vraiment le coup. Malgré le travail et tous les engagements que cela peut impliquer.
Combien de joies véritables vivons-nous dans une existence ? Combien de joies, en prime abord, superbes, s’avèrent-elles ensuite factices, dérisoires, décevantes, délétères ou funèbres ?
L’attachement d’un enfant, c’est difficilement contestable. C’est toujours ou souvent « juste », massif, sans calcul, spontané, immédiat et en même temps très surprenant.
Mais également passager.
Car nous ne sommes pas toujours disponibles. Nous ne sommes pas toujours bien inspirés et bien disposés en tant que parents.
En tant que parents et individus officiellement « responsables », «mûrs » et « conscients », nous avons un certain nombre d’injonctions et d’impasses dans la tête dont, en principe, l’enfant est encore délivré ou désintéressé. Des injonctions et des impasses qu’en tant que parents nous devons leur « inculquer » mais à des dosages et des fréquences supportables. Des injonctions et des impasses dont nous devons aussi, en tant que parents, savoir les préserver.
Les préserver.
On cesse d’utiliser un préservatif et tout moyen contraceptif pour faire des enfants et, une fois, qu’ils sont semés, prélevés du néant, nés, présents et exposés, il nous faut aussi, en tant que parents, savoir les préserver.
Savoir les prévenir.
Ce matin, j’ai tout fait pour être aussi réceptif que possible lorsque ma fille me faisait part de sa bonne humeur et de ses très bonnes dispositions à mon égard. Nous étions le premier jour du week-end, le samedi. La période de la semaine où elle n’a pas école et où, même si elle a ses devoirs scolaires à faire, elle va pouvoir aussi se relâcher et passer du temps avec ses parents. Puisque ce week-end, je ne travaille pas.
Je l’ai donc regardée et écoutée. J’ai aussi dû faire quelques rappels de rangement. Les deux paquets de mouchoirs en papier et les deux feuilles que j’avais aperçus près de son sac d’école ne devaient pas rester par terre dans le salon.
Mais tout s’est bien passé. Ma fille est partie détendue à son cours de piscine avec sa mère et , moi, « l’allumette près du feu », je ne me suis pas fâché.
j’ai commencé à prendre mon petit déjeuner en essayant d’évaluer le temps à ma portée afin de prendre le temps d’écrire ou, peut-être, d’aller sur le marché à côté de chez nous.
Je n’ai pas parlé à ma fille ni à ma compagne de ma journée de travail de la veille. Je leur parle assez peu de mon travail. J’opte généralement pour bien distinguer les deux univers. Le professionnel et le personnel. Le mental et l’émotionnel.
Même si les deux atmosphères m’imprègnent bien sûr, je les disjoins ou fais de mon mieux afin de les séparer lorsque je me trouve dans l’une ou l’autre. Il s’agit de savoir se ménager des issues.
Mais ce matin encore, je repensais à ce jeune de presque 15 ans, qui, hier soir, sortait de son entraînement de football et qui s’est fait planter à l’épaule pour se faire voler son téléphone portable. Rupture de l’aorte. Trois arrêts cardiaques.
J’ai entendu la « nouvelle » hier soir, alors que j’étais au travail. C’est arrivé entre 20 heures et 21 heures.
Malgré la mystérieuse embolie pulmonaire ( Le mystère du Covid : Covid et embolie pulmonaire ) que j’ai faite fin 2023, Les arrêts cardiaques ne sont pas mon domaine. Mais je travaille dans une sorte d’Open Space où l’on assiste et entend presque en temps réel les situations annoncées et les moyens déployés pour y faire face. Et puis, avant d’opter pour la psychiatrie à partir de 1992, j’avais d’abord été un infirmier formé pour les soins somatiques.
Le jeune s’est fait agresser non « loin » du lieu de travail de ses parents qui ont une situation sociale plutôt élevée. Dans un bon voire un très bon arrondissement de Paris.
Vers 23h30, hier soir, je suis allé voir le collègue médecin chef urgentiste le plus expérimenté pour lui demander des « nouvelles». Celui-ci m’a confirmé que le pronostic vital était mauvais voire très mauvais.
Presque 15 ans, planté à coups de couteau pour un téléphone portable.
Les deux agresseurs auraient été arrêtés. J’imagine deux garçons à peine plus âgés que la victime. Je dirais : pas plus de 20 ans et ayant déjà agressé d’autres personnes ou ayant déjà un casier judiciaire.
Je me suis dit qu’il fallait vraiment vivre au jour le jour, et encore, pour espérer s’en sortir dans la vie en volant des téléphones portables jusqu’à être prêt à tuer, pardon, à agresser à coups de couteau, pour cela. On est vraiment dans le résultat immédiat par effraction, coûte que coûte. Pour un téléphone portable, on est prêt à mettre en charpie un plus jeune à coups de couteau.
La vie de la victime est bousillée. Celle des parents (qui étaient présents hier soir à l’hôpital où se trouvait leur fils) est bousillée. Celle des proches et ou de certains témoins est peut-être aussi bousillée. Pour un téléphone portable qui restera désormais sans réseau, hors connexion, et à l’état de pièce à conviction.
La colère des parents et des proches les empêchera de voir que la vie des agresseurs est sans doute aussi bousillée ou qu’elle l’était déjà auparavant.
Cette nuit, j’ai un peu essayé d’imaginer quelle serait mon attitude de père devant ces deux agresseurs. Je me suis dit que j’irais peut-être visiter l’un des deux régulièrement au parloir, en prison, après la condamnation. Disons, une fois par mois. Pour le regarder, l’écouter. Pour lui infliger sans doute la vraie sentence. Pour l’humaniser ou le ré-humaniser.
Pour lui parler de ma fille. Lui montrer deux ou trois photos d’elle. Une d’elle, petite, contre moi et une récente avant sa mort après avoir reçu des coups de couteau. Pour un téléphone portable.
Dans la rue, à moins d’être dans un règlement de comptes où l’on voit l’autre comme un ennemi officiel qui accepte ou qui endosse ce statut, je crois que les agresseurs s’en prennent le plus souvent à des inconnus. Des personnes qu’ils n’ont jamais vues et qu’ils ne reverront en principe jamais puisqu’ils vivent dans des aires et des rythmes très différents voire opposés et qu’ils se croisent soit par « opportunisme » ou à des buts de prédation (ici, pour l’agression). Ce qui est bien pratique pour « oublier » ou banaliser ensuite l’événement puisque l’on ne revoit pas ou plus, « en principe », la victime. On a donc moins à se confronter à la violence de ce que l’on a fait. On peut d’autant plus se convaincre que cela fait partie du passé ou que la victime n’a pas trop souffert ou qu’elle s’en remettra puisque l’on n’a pas à assister à son agonie.
Mais je vais sans doute beaucoup trop loin. Les parents et les proches du jeune seront dans la colère et y resteront, pour certains, pendant des années, afin de ne pas déprimer.
Comment peut-on se relever de ça en tant que parents ? Alors que tout allait bien ou mieux où se déroulait comme d’habitude, en un instant, parce qu’il était dans cette rue-là plutôt que dans une autre, leur fils s’est fait poignarder en plein Paris.
Aucun parent ne peut se préparer à ça. Et on ne peut pas non plus couver son enfant en permanence. Etre parent reste donc un pari. Rien n’est définitivement assuré malgré des promesses encourageantes et tout le travail parental engagé depuis le début. Après plusieurs années, tout cela vous explose subitement en plein visage ainsi que dans tout le corps telle une cocotte- minute. Et face à vous, il y a les agresseurs ou les auteurs de l’acte (des gens que vous n’aviez jamais vus, jamais rencontrés) lorsqu’ils sont arrêtés et jugés, qui vous obligent à prendre violemment conscience de ça :
Il vous faut troquer la disparition brutale d’un être cher, éduqué et choisi (votre enfant) contre la présence imposée de ces inconnus que vous n’avez pas choisis, sur lesquels vous allez devoir en quelque sorte vous appuyer, et qu’il vous faut découvrir, écouter et regarder lors de leur procès lorsqu’il y en a un.
Soixante photos du Japon Juillet 2024/ Sixty shots of Japan July 2024
Inosaki, Himeji, Tokyo, Kyoto, Hiroshima, Kurashiki….
Quelques mois après mon second séjour au Japon, je retourne sur les talons de ces photos que j’y ai prises durant ces trois semaines. Ni détresse ni nostalgie dans ces instants qui m’inspirent ce « retour ».
Il faut bien quelques semaines, quelques mois voire quelques années pour pouvoir mieux regarder certains moments. Et celles et ceux qui savent prendre leur temps comme leur pouls le comprendront certainement. Pour les autres, cela viendra peut-être plus tard. J’ai déjà publié au moins deux articles sur mon blog sur ce séjour que je dois cette fois-ci au Masters Tour proposé et organisé depuis plusieurs années par Léo Tamaki. Mais cette fois, c’est peut-être le moment de faire autrement la synthèse de ce que j’ai vécu lors de ce séjour au Japon.
En 1999, lors de mon premier voyage au Japon, les réseaux sociaux n’existaient pas et les téléphones portables que nous avions ne permettaient pas de naviguer sur internet, de filmer ou de prendre des photos. Et je n’avais pas de blog. Il me reste les photos papier de ce séjour ainsi que divers objets, impressions et souvenirs que j’en avais rapportés. Mais je n’avais rien écrit ni publié.
Aujourd’hui, c’est différent. Nous pouvons presque quotidiennement faire savoir à d’autres personnes quel grand génie nous sommes et la chance qu’elles ont toutes de nous connaître, jour après jour. Même s’il est parfois nécessaire de savoir le leur rappeler régulièrement :
Les meilleures réussites comme les pires initiatives peuvent désormais se diffuser vingt quatre heures sur vingt quatre sur les réseaux sociaux et sur le net en un tour de piste. Certaines de ces dernières sont tenaces et répétitives tandis que les premières peuvent rapidement se faire avaler par cette obligation et cette obsession de la nouveauté et d’originalité censées définir la valeur de notre personnalité et de notre vie.
Il n’existe pas de sérum définitif à ce sébum narcissique. On peut s’assagir et être lucide quelques temps puis recommencer à gesticuler dans le courant environnant. Car cela signifie aussi que l’on est une personne « normale » jusqu’à un certain point : que l’on ressemble à une majorité.
Lorsque l’on décide de se rendre au Japon pour quelques semaines en partant de la France, on « sait » que l’on multiplie les probabilités pour s’extraire de ce que l’on connaît et peut-être de ce que l’on est habituellement en France ou en occident.
La langue et les codes sociaux sont différents, les croyances aussi sans doute.
L’Anglais d’Oxford ou d’ailleurs y reste assez peu parlé et l’Espagnol ou le Créole n’y seront d’aucune aide. On y est quelque peu dépouillé. Mais pas toujours de ce que l’on croit. Car il se peut que l’on se fasse dépouiller, comme lors de tout véritable voyage et de toute véritable rencontre, d’une partie de nos insuffisantes connaissances sur le monde sur celles et ceux qui nous entourent et, bien-sûr, sur nous-mêmes.
J’ai été étonné après mon retour du Japon qu’il me soit demandé par plusieurs personnes si j’y avais bien mangé. J’ai eu l’impression que c’était la première fois, après un de mes voyages, que l’on avait autant besoin de s’assurer que l’on y mangeait bien.
Je peux répondre à nouveau que j’ai très facilement trouvé de quoi me satisfaire d’un point de vue alimentaire sur le territoire nippon. Et que je n’ai pas eu à errer dans des bas fonds interlopes afin de trouver des dealers mafieux à même de me revendre au marché noir des denrées alimentaires typiquement françaises que je puisse serrer dans mes bras avant de les confier à mon estomac.
Cet été, j’ai bien remarqué sur place que le Japon était en effet devenu une destination plus touristique qu’en 1999. Lors de mon premier voyage, les touristes étaient « clairsemés » et j’en avais peu rencontré. Cette année, il était plus fréquent d’en croiser. Et à la gare de Kyoto, j’ai même eu la surprise de tomber sur une famille de compatriotes guadeloupéens qui se promenait dans les galeries commerçantes.
Il faut néanmoins préciser que cette année, notre séjour s’est déroulé en pleine période touristique, lors du mois de juillet alors qu’en 1999, j’étais venu en septembre.
J’ai aussi trouvé qu’il y avait nettement plus de ressortissants chinois, qu’ils soient simples touristes ou habitants. Cela m’a marqué compte-tenu des différends culturels et politiques qui peuvent exister ou ont pu exister entre la Chine et le Japon.
Le Japon est un pays riche et ambitieux tant historiquement, culturellement qu’économiquement. Appelé « Le pays du Soleil Levant », il est peut-être aussi le pays des contraires ordonnés.
Aussi, soixante photos dans un diaporama afin de laisser le meilleur aperçu possible de ce séjour au Japon, c’est assez peu. Mais je crois que l’on dit qu’une image vaut autant que dix mille mots. Il est possible que je me sois trompé sur le chiffre exact. Je sais par contre qu’au départ, ce diaporama devait contenir cent photos. J’aimais bien le chiffre cent. Peut-être parce-qu’il est proche en sonorité du mot « sang ».
Sauf que, sur les plus de 8000 photos prises là-bas, je me suis retrouvé avec 176 photos. Cela faisait beaucoup trop. Trop de sang. J’ai donc coupé. Surtout qu’aujourd’hui, il faut savoir livrer du concentré. Je ferai peut-être un autre diaporama après celui-là.
Comme musique, je voulais d’abord mettre du Dub. Pendant environ deux jours, j’ai écouté plusieurs titres de Brain Damage et de Manutention. J’ai été beaucoup tenté de réutiliser un des titres de Brain Damage dont je ne me lasse pas.
Finalement, ce matin, je me suis rappelé de Rosalia que j’étais allé voir en concert en été 2023 à l’hippodrome de Longchamp avant de partir ensuite travailler de nuit.
Le titre La Combi Versace m’a rapidement convaincu. On s’attend peu, je crois, à retrouver apposée une telle musique et la langue espagnole « sur » des photos relatives au Japon. On est le plus souvent tenté, en tant qu’occidental admiratif, de l’accoler à une musique solennelle ou qui inspire certaines attitudes de respect ou supposées zen.
J’ai bien évidemment du respect pour le Japon et je suis sensible à la recherche du zen. Mais je crois que ce titre de Rosalia sert très bien ce diaporama car il a parmi ses avantages le fait, je crois, de représenter l’avenir, d’être entraînant et plein de vie. Il est aussi composé et interprété par une femme qui a ses idées et qui s’exprime dans une autre langue que l’incontournable langue anglaise de beaucoup de nos titres préférés. Et le décès récent de Quincy Jones est là pour nous le remémorer.
Je cite feu Quincy Jones. Mais il ne manquera pas de personnes pour se rappeler de lui ou pour écouter sa musique qui, d’une façon ou d’une autre, est une mémoire, sa mémoire. Par contre, en écoutant de la musique ce matin afin d’en choisir une pour ce diaporama, j’ai pensé à toutes ces personnes qui n’ont plus ou qui n’ont pas la possibilité de connaître ce plaisir qui est simplement d’écouter de la musique qu’elles aiment et de se laisser entraîner par elle et qui partiront sans laisser de mémoire. Car elles vivent dans une trop grande pauvreté ou dans une trop grande violence.
C’est une très grande liberté et un grand privilège que de pouvoir écouter de la musique, « sa » musique, lorsqu’on le souhaite comme de pouvoir l’emporter avec soi dans son téléphone portable, sur son ordinateur ou dans un baladeur numérique. De se mettre où l’on veut et de l’écouter voire de la faire écouter et de la vivre avec d’autres.
Je ne suis pas certain que l’on s’en rappelle toujours. Ce diaporama est aussi là pour m’aider à m’en rappeler. Car j’ai besoin de m’en rappeler.
I was about to forget about Massive Attack at Rock en Seine Festival in August 2024. I was there. I took those pictures and videos. Je m’en rappelle ce soir avant que le vide ne m’entraîne à nouveau et avant mon coucher.
Massive Attack, groupe créé à Bristol à la fin des années 1980… (en 1988). Cela fait plusieurs fois que je la lis. Mais j’ai du mal à assimiler cette information.
1988, c’est sept années après la mort de Bob Marley. Trois ans avant le décès de Miles Davis et de Serge Gainsbourg. Quatre années et une année après les albums Purple Rain et Sign o’ the Times de Prince ; six années et une année après les albums Thriller et Bad de Michaël Jackson ; une année après l’album Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me de The Cure ; quatre années après l’album An ba Chen’n la de Kassav’ ; six années après l’album The Message de Grandmaster Flash….
Pour moi, la musique de Massive Attack a fait partie des miracles des années 90 et 2000 avec, pour apothéose, leur troisième album Mezzanine ( sorti en 1998) dont le titre Dissolved Girl comptera parmi les titres du film Matrix réalisé par les ex-frères Wachowski qui connaîtra un succès mondial et qui est depuis devenu une référence pour bien des cinéphiles.
Mezzanine fut pour moi un miracle ambivalent, évident et captivant. Car aussi vénéneux, angoissant, aliénant et potentiellement mortel que potentiellement salvateur.
C’est surgir au bord du gouffre, nous prévenir de sa proximité et de son imminence. Et nous convaincre de rester écouter. Nous suggérer qu’il y a, parmi les éclairs, encore un espoir…
Si l’aura et la force du groupe se sont effilochées après Mezzanine, Massive Attack, par la suite, a néanmoins adressé d’autres titres qui ont du poids.
Je pense principalement à ceux de l’album Heligoland (sorti en 2010).
Lors de ce concert de Massive Attack en aout, j’ai été étonné par le jeune âge des spectateurs autour de moi. Normal :
Je fais désormais partie des vieux et ce sera encore plus vrai dans quelques minutes, date de mon anniversaire. Et celles et ceux que j’ai vus, assez près de la scène avec moi, avaient dans leur grande majorité à peu près l’âge que j’avais lorsque j’écoutais Massive Attack dans les années 90 : La trentaine ou un peu moins.
Ce qui signifie quand même que la plupart d’entre eux étaient à peine nés lors des premiers albums de Massive Attack ( Blue Lines, le premier album, est sorti en 1991).
A nouveau, comme pour d’autres artistes, cet exemple rappelle que, malgré les « changements » d’époque, une certaine attraction et identification demeurent. Comme chaque fois que l’oeuvre d’un(e ) artiste ou d’une personnalité « parle » au plus grand nombre.
Il est des oeuvres que le Temps camisole, d’autres qu’il libère.
Massive Attack est sans doute bien moins connu et bien moins écouté aujourd’hui qu’il y a trente ans mais il est bien des artistes qui aimeraient signifier au moins autant qu’eux au point de pouvoir encore se produire sur la grande scène d’un festival de « Rock » très suivi.
Ecrire peut ressembler à de la loterie ou à un exercice de télépathie ratée. Tant de pensées et tant d’énergie engagée et un mauvais choix peut tout gâcher alors que cela commençait bien et que notre temps- et aussi l’attention des autres- reste compté. Et limité.
C’est peut-être aussi parce-que je refuse encore- un peu -d’être dompté par cette addiction aux images qui a propulsé ses comptoirs dans nos vies et nous vide de notre intériorité en nous maintenant à l’arrêt que j’ai recommencé récemment à retourner voir des films au cinéma (à raison de deux films d’affilée au minimum) et que je me remets ce soir à écrire.
Je vais au cinéma comme d’autres prient, voyagent, partent en pélérinage ou vont à la messe.
Je me suis aussi rappelé que le cinéma pouvait me donner une éducation et m’apporter un certain répit.
J’aime encore le fait de me mouvoir et d’aller chercher corporellement dans l’espace un Savoir, une expérience, une rencontre, un moment.
Je crois que l’expérience d’un film peut avoir des effets bénéfiques sur mon existence.
A condition de bien choisir ses films.
Je sais aussi que cette façon de voir est attardée et qu’elle provient aussi de mon âge, de mon époque et de mon tempérament. Car, désormais, on peut aussi préférer tout faire depuis chez soi par la dématérialisation et le virtuel qui offrent des avantages pratiques conséquents.
J’aime aussi regarder des films de divertissement ou dits grand public.
Mais vu que mon temps est compté, je dois avoir des priorités. J’ai donc rapidement écarté des films tels que Alien : Romulus de Fede Alvarez ou Deadpool & Wolverine réalisé par Shawn Levy sortis respectivement le 14 aout et le 24 juillet en salles. Deux films qu’il est encore possible de voir en version originale au moins dans le complexe cinéma parisien que je fréquente depuis plus d’une vingtaine d’années.
Au lieu d’aller crier dans l’espace et de retourner voir Wolverine s’énerver et Deadpool faire le mariole, je suis allé chercher des films qui font partie de la constellation dite du « cinéma d’auteur».
Il y a des films d’auteurs qui marchent bien et qui « rencontrent » leur public massivement, au grand jour, et non dans une back room. Il en est d’autres qui sont peu vus car ignorés par le public ou rapidement retirés des salles de cinéma, mal distribués. Il y a ceux qui passent inaperçus au cinéma, que l’on va voir dans une salle pratiquement vide, et qui, plus tard, voire assez rapidement, deviennent cultes comme Requiem for a dream (2000)de Darren Aronofski ou Under the Skin ( 2013) de Jonathan Glazer. Il y a des réalisateurs reconnus de leur vivant et qui sont étonnamment oubliés après leur décès comme Krzystof Kieslowski. Et d’autres, peut-être trop fous pour que les gens normaux aient pu entendre parler d’une oeuvre telle que LaComédie de Dieu (1995) de Joao César Monteiro.
Il y a quelques films, aussi, qui, bien que faisant encore partie du cinéma d’auteur rassemblent les spectateurs car celle ou celui qui les délivre a, avec ses oeuvres cinématographiques précédentes, rempli de manière répétée au moins ces trois ou quatre conditions :
Remporté des prix dans des festivals prestigieux; été estimé(e) et soutenu par les média et les critiques de cinéma; rencontré un succès public et commercial ; révélé des oeuvres, des histoires personnelles, des actrices ou des acteurs.
Tel Emilia Pérez, le dernier film du réalisateur Jacques Audiard, sorti le 21 aout 2024, et qui a fait partie des films d’auteurs que j’ai vus (et aimé) récemment.
Et puis, il y a les films comme Ni Chaînes ni Maitres de Simon Moutaïrou sorti le 18 septembre 2024 et que je suis allé voir ce 20 septembre au matin.
La semaine dernière, je me suis étonné de ne pas citer Ni Chaînes ni Maitres lors d’une discussion avec quelques collègues à propos des films que j’avais vus récemment. Je les avais tous cités. J’avais même recommandé La Partition de Matthias Glasner qui est un film « dramatique allemand » de près de trois heures sorti le 4 septembre et qui est loin d’être léger moralement.
Mais aucune allusion spontanée de ma part concernant Ni Chaines ni Maitres à mes collègues.
Il m’a bien fallu environ deux bonnes minutes pour m’en rappeler et le rajouter, du bout des lèvres, parmi la liste des films que j’avais vus ces derniers jours. Et lorsque j’ai parlé du film, j’en ai parlé avec ménagement :
J’appréhendais de gêner ou de déranger. Je ne voulais pas gêner ou déranger mes collègues (majoritairement blancs) avec ce sujet. Je me suis presque comporté comme une personne qui confessait une faute morale. Avoir vu un film. Ce film-là.
J’avais pourtant aimé le film.
Je crois que ce malaise que j’ai ressenti devant mes collègues raconte le sujet du film. Ou, plutôt, la façon dont son sujet est abordé ou reste abordé en France :
Tant que l’on parle d’esclavage ou de racisme anti-noir dans des grosses productions américaines, tout va bien. Cela se passe aux Etats-Unis. En France, tout cela est « digéré » ou plutôt mis dans le placard avec tout le nécessaire disponible pour l’employé de ménage ( souvent une personne noire ou arabe).
Alors qu’aux Etats-Unis, qu’est-ce-que la condition des Noirs a été ou reste dégueulasse ! Black Lives Matter. Rodney King. Martin Luther King. I Have a Dream. Spike Lee. Angela Davis. Toni Morrisson. Colson Whitehead. James Baldwin. Amistad, La Couleur Pourpre, Le Majordome, Django Unchained, Get out…..
Grand soulagement cependant. Car même si en septembre 2018, en France, lors d’une émission télévisée et bien médiatisée, un personnage médiatique comme Eric Zemmour avait pu s’autoriser à donner son avis sur le prénom de la chroniqueuse Hapsatou Sy (comme à l’époque de l’esclavage) tous les débordements liés à l’esclavage et au racisme anti noir se déroulent bien sûr aux States, aux Etats Unis, où ça peut être très dur pour « Les Blacks ».
A la rigueur, un réalisateur britannique ( un homme noir bien-sûr) comme Steve McQueen va parler de l’esclavage dans un film comme Twelve years a slave (réalisé en 2013) qui comptera plusieurs vedettes internationales ( Chiwetel Ejiofor, Brad Pitt, Michael Fassbender, Paul Dano, Benedict Cumberbatch….).
Mais en France, pour l’instant, aucun film notable ou sérieux sur l’esclavage avec Jean Gabin, Yves Montand, Lino Ventura, Jean-Paul Belmondo, Alain Delon, Gérard Depardieu, Romain Duris, Pierre Niney, Pio Marmaï, François Civil, Romy Schneider, Brigitte Bardot, Vanessa Paradis, Jeanne Moreau, Catherine Deneuve, Isabelle Adjani, Maïwenn, Adèle Exarchopoulos, Alice Isaaz, Noémie Merlant, Audrey Fleurot, Audrey Tautou….
Il faut éventuellement attendre que deux humoristes ( noirs) plutôt connus comme Thomas N’gijol et Fabrice Eboué en parlent dans Case Départ en 2011 pour que l’on puisse dire qu’un film français (humoristique) qui évoque l’esclavage a eu un certain succès public. Auparavant, je crois que seul Rue Cases Nègres réalisé par Euzhan Palcy en 1983 avait pu aborder le sujet et avoir aussi un certain « succès ». Et le film d’Euzhan Palcy (inspiré du livre de Joseph Zobel) est le contraire d’une comédie.
L’ esclavage fait donc partie des sujets tabous en France en 2024 et j’ai été le propre témoin de ma dissociation à ce sujet. Car en présence de personnes noires, j’aurais sans aucun doute beaucoup plus facilement cité Ni Chaînes ni Maitres parmi les films que je suis allé voir récemment. Et qui m’ont plu. Comme Les Barbaresde Julie Delpy, A son image de Thierry de Peretti, Le Procès du chiende Laetitia Dosch.
Ni Chaînes ni Maîtres a par ailleurs dans ses avantages, le fait, pour la première fois dans une production française sur le thème de l’esclavage et du marronnage, de proposer des acteurs français et blancs de première main :
Camille Cottin et Benoît Magimel. Lesquels ont des rôles décisifs. Il faut aussi rajouter Marc Barbé qui fait une apparition marquante voire Félix Lefebvre, présent dans le Suprêmes d’Audrey Estrougo (consacré au groupe de Rap NTM).
J’ai été « initié » à l’histoire de l’esclavage par mon père, en banlieue parisienne, alors que j’étais à l’école primaire et que j’écoutais- entre-autres- les mêmes variétés françaises que mes copains et copines de classe de Claude François à Michel Sardou en passant par Alain Souchon ( J’ai dix ans) Dave (Vanina), Sheila, Joe Dassin, Ringo, Julien Clerc, Johnny Halliday, Mireille Mathieu ou Dalida ( Paroles paroles)…
Et alors que je regardais et découvrais fidèlement, émerveillé, Goldorak, San Ku Kaï mais aussi Les Mystères de l’Ouest, L’homme qui valait trois milliards ou David Vincent et les envahisseurs, Chapeau melon et bottes de cuir…La petite maison dans la prairie…Cosmos 1999, l’émission Temps X des Frères Bogdanoff.
Donc, quarante ans plus tard, un film de plus sur l’esclavage ne me faisait pas peur. Sauf que je peux en avoir assez de faire «bouffer » de l’esclavage à ma mémoire. Je ne cours pas après les films qui traitent (ce jeu de mot était trop irrésistible) de l’esclavage. Mais Ni Chaînes ni Maitres m’a rapidement donné « envie ». Cela vient peut-être du fait que le film a d’abord été très bien écrit par Simon Moutaïrou qui a d’abord été scénariste (L’Assaut,Goliath, Boîte noire) avant de devenir réalisateur. Avant de faire son film, Simon Moutaïrou a pris le temps de rencontrer des historiennes mais aussi de lire Le Marronnage à l’Isle de France, rêve ou riposte de l’esclave ? d’Amédée Nagapen, un ecclésiastique catholique et historien mauricien décédé en 2012 (sources Wikipédia et le Bondyblog.fr ).
D’après mes recherches, l’ouvrage de Nagapen est aujourd’hui indisponible. Pour l’instant, de son travail, il nous reste donc…Ni Chaînes ni Maitres de Simon Moutaïrou.
Dès le début, le film nous entraîne. Ensuite, avec très peu de gestes, et en quelques images, Benoit Magimel en Eugène Larcenet nous laisse entrevoir ce que pouvait être l’état d’esprit paternaliste d’un esclavagiste sur sa plantation. Sans grossièreté ni caricature.
Deux figures féminines (on peut en ajouter une troisième d’allure mystique) dominent le film. En la personne de Mati (l’actrice Thiandoum Anna Diakhere) la fille du héros (Massamba, l’acteur Ibrahima Mbaye) et de Madame la Victoire, la chasseuse de nègres, interprétée par Camille Cottin. Soit deux autres atouts supplémentaires du film.
J’ai aussi beaucoup aimé l’apport de la langue. Ici, beaucoup le Wolof. J’ai aussi aimé que le film nous montre ce que pouvait encore être la culture ( Wolof et autres) d’origine de ces femmes et de ces hommes avant qu’ils ne soient complètement « assimilés», francisés ou écrabouillés comme la canne à sucre qu’ils récoltent. Ni Chaînes ni Maitres se déroule en 1759 en « Isle de France » ( l’ancien nom de l’île Maurice).
Le film rappelle aussi l’addiction très ancienne de l’Humanité à la violence. Et les histoires qui en découlent où des cultures et des minorités ont eu ou ont contre elles le désavantage de l’infériorité au moins militaire, les conduisant, lorsqu’il leur est impossible de se défendre ou de résister, soit à disparaître soit à être envahies ou colonisées.
Dans la salle, parmi les spectateurs, il y avait nettement plus de personnes noires que lorsque j’étais allé voir La Partition de Matthias Glasner. Le public était aussi plus jeune. La vingtaine ou la trentaine « contre » un public de quasi retraités ou de retraités pour La Partition.
Après la projection de Ni Chaînes ni Maitres, quelques personnes sont restées assises. J’ai perçu une certaine émotion que j’ai aussi ressentie. Mais je n’en n’ai rien dit.
Il peut rappeler des mauvais souvenirs. Il semble séparer les mondes d’hier dont nous somme les fruits que l’on fuit et ceux d’aujourd’hui que l’on préfère. Comme s’il était possible de creuser une tranchée entre les deux et d’y entrer.
Le « Maitre » peut rappeler l’instituteur de l’école primaire ou celui dont dépend l’esclave.
Personne n’aime véritablement se rappeler certains moments humiliants et publics de son histoire.
Mais le « Maitre » est aussi celle ou celui qui peut et sait guider et réparer. En particulier vers la vie et l’optimisme. Y compris dans le secret.
Il existe des Maitres dans beaucoup de domaines dans toutes les cultures à tous les âges de l’évolution et dans toutes les classes sociales. Mais, la plupart du temps, nous ne le percevons pas.
Par ailleurs, le terme de « Maitre » est anachronique tout autant que futuriste.
Et les Arts Martiaux véhiculent cette outrance ou cette ambivalence.
Avec Léo Tamaki, au Butokuden, Kyoto, Masters Tour, Juillet 2024.
Car on peut trouver anachronique voire stupide que des gens, en 2024 et plus tard, puissent encore continuer de choisir de porter kimono, hakama, d’autres éléments vestimentaires mais aussi adopter certaines attitudes. Et, tout cela, afin de transpirer et suivre des rituels et des traditions d’un ancien temps mais aussi d’une culture qui n’est pas forcément la leur. Alors qu’il suffit de faire un régime alimentaire, de subir une intervention chirurgicale, de prendre un coach ou de faire du fitness ou du cross-fit pour perdre du poids et pouvoir se mettre en maillot de bain en été au bord de la plage en étant fier de son allure.
Toute époque a ses intégrismes et ses artifices aussi séduisants soient-ils. Et, si mon attachement à certaines valeurs dites traditionnelles me rapproche des Arts Martiaux, j’ai aussi appris que les traditions, à elles seules, ne sont pas des sanctuaires idylliques. Il faut des personnes, des femmes, des hommes et aussi des enfants qui sachent les interpréter et les perpétuer de manière vivante et optimiste.
Au Masters Tour de juillet 2024, nous avons eu le privilège de rencontrer plusieurs Maitres d’Arts Martiaux. Mon précédent article, Japon Juillet 2024 : Le Retour , fut long à écrire et à lire. Celui-ci est entre trois à six fois plus court.
Hormis Hino Akira Sensei approché lors d’un stage organisé par Léo Tamaki au cercle Tissier à Vincennes fin 2022, je découvrais les autres Sensei. Des Maitres et des personnes que Léo Tamaki, et quelques autres, avaient régulièrement rencontré depuis au moins une quinzaine d’années !
Ces hommes, ces Maitres, ont consacré leurs vies aux Arts Martiaux à un point difficilement concevable. Comme l’on porterait des métaux à une température particulièrement élevée, ils se sont forgés. Sans se rompre. Il faut le rappeler car nous sommes nombreux à avoir eu des projets ou des aspirations auxquelles nous avons dû partiellement ou totalement renoncer.
La première leçon du Maitre, c’est peut-être d’être une incarnation, devant nous, de cette forme d’accomplissement- et d’engagement- que très peu d’entre nous atteindrons. Parce que notre histoire est différente. Et aussi parce qu’avant lui, nous avons eu d’autres Maitres et retenu d’eux certains enseignements plutôt que d’autres.
Je ne pourrai pas parler d’une technique exposée et démontrée par un de ces Maitres. J’en suis incapable.
« Les Maitres sont les Maitres. Au mieux, je suis un centimètre » est une réflexion que j’ai écrite lors de ce Masters Tour de juillet 2024 alors que nous nous trouvions au Japon.
Cette différence lexicale est l’équivalent d’une décimale pour décrire à quel point, même si je parle d’êtres humains comme moi, il y a quand même une brèche saisissante entre eux et moi. Et que mes propos sont condamnés à rester rudimentaires pour les évoquer.
Pourquoi le faire, alors ?
Pour témoigner et pour contribuer à rajouter un peu de mémoire. Parce-que les êtres humains ont besoin d’histoires et de mémoire même s’il leur arrive aussi de les craindre et de les rejeter.
Je vais parler ici des Maitres qui m’ont le plus… « parlé ».
Avec Hatsuo Royama Sensei, Kyoto, Masters Tour, juillet 2024. Celui-ci vient de m’administrer une bonne claque sur le ventre par surprise.
Hatsuo Royama Sensei, 76 ans, Karate Kyokushinkan, est le premier Maitre que nous ayons rencontré. Malgré sa bonne humeur et son enthousiasme, notre première rencontre avec lui et ses disciples m’avait laissé insatisfait. Nous étions une bonne centaine (ou davantage) sur le tatami. Au lieu de nous dire comme il l’a fait à la fin « Vous êtes nombreux à avoir une mauvaise garde », j’aurais préféré que lui ou un de ses disciples passe et nous le démontre en nous « corrigeant ».
J’ai été bien plus favorablement marqué quelques jours plus tard par le kata qu’il nous a délivré au butokuden lors de la célébration des dix ans de l’école Kishinkai Aïkido.
Hatsuo Royama Sensei, seul, face à notre assistance, a plongé dans un kata respiratoire où chacun de ses mouvements était soutenu par le marteau de son diaphragme. C’était la première fois que j’assistais à une telle expressivité martiale. Et sa démonstration attestait aussi de sa santé vigoureuse.
Une santé avec laquelle j’allais faire un peu plus connaissance ensuite ou, après qu’il ait accepté de prendre la pose avec moi pour la photo, il allait me surprendre en m’administrant une magistrale tape sur l’abdomen soit un peu l’équivalent d’une leçon particulière qui allait m’influencer, jusqu’à me mettre sur la défensive, lorsque j’allais me trouver lors d’une autre séance face à Minoru Akuzawa Sensei, Aunkai, pour une démonstration.
Takeshi Kawabe Sensei, 80 ans, Daitoryu Aikijujutsu.
Commençons par dire que Takeshi Kawabe Sensei ne fait pas son âge. Si Hatsuo Royama Sensei mesure près d’1m80, Takeshi Kawabe Sensei doit à peine dépasser 1m60. Avec son air de petit gars tranquille joueur de pétanque, il peut au mieux faire penser à l’inspecteur Columbo ou à un personnage d’un film de Johnnie To dont les méninges sont bien plus affûtés que les gestes.
Takeshi Kawabe Sensei est sans doute un homme très intelligent et aussi farceur (lors du repas collectif que nous avons fait, je crois qu’il s’est bien amusé de moi en me disant – en Japonais- que j’avais un très bon Japonais).
Mais c’est évidemment un redoutable pratiquant.
Ses saisies et ses clés sont promptes et donnent l’impression d’être la destinée de celui qui l’attaque. Il me reste des souvenirs de ce moment où Issei Tamaki a joué le rôle de Uke :
Issei y a mis tout son entrain pour, à chaque fois, le même résultat. Se faire retourner.
Takeshi Kawabe Sensei a réagi comme s’il l’attendait. Comme si tous les modes d’attaques humainement possibles étaient connus de son registre. On aurait dit l’agent Smith face à Néo à la fin du premier Matrix des ex frères Wachowski.
Le résultat était tellement évident que la conclusion aurait été vraisemblablement la même avec un autre Uke. En outre, Takeshi Kawabe Sensei prenait tout cela de manière ludique. Si on peut voir Hatsuo Royama Sensei comme une force de la nature, Takeshi Kawabe Sensei évoque plutôt celui qui a su transcender sa nature.
Hino Akira Sensei, 76 ans, Hino Budo, est également un petit gabarit. Sans forcer, il vous fait tomber. Vous vous croyiez enracinés et bien ancrés dans le sol ? Vous vous mentez à vous-mêmes. Vous ne l’êtes pas. Ou jamais suffisamment face à lui.
Plus il vous montre le mouvement, plus il vous convainc que c’est facile et plus vous avez du mal à le reproduire. Par moments, j’ai du mal à savoir si sa science tient de l’hypnose, du conditionnement ou de ces quelques degrés ou centimètres (millimètres ?) que l’on néglige d’ordinaire et qui font toute la différence entre le déséquilibre et la chute.
Sa pratique peut être très difficile pour celle ou celui qui s’est toujours reposé sur l’explosivité musculaire, l’excitation et l’agitation. Avec lui, on transpire de la tête à essayer de comprendre un concept qui n’existe pas. Il faut ressentir et c’est difficile.
En revoyant a posteriori quelques images que j’avais pu filmer lors de l’intervention de Hino Akira Sensei, j’ai pu m’apercevoir que d’autres participants du Masters Tour connaissaient aussi quelques difficultés pour mettre en pratique ce qu’il nous avait montré. Cela m’a un peu déculpabilisé.
Minoru Akuzawa Sensei, Aunkai, est à à l’image de Takeshi Kawabe Sensei et de Hino Akira Sensei. Avec son 1m65, il a la silhouette passe partout de celui que l’on oublie. Pourtant, en tant que Maitre d’Arts Martiaux, l’Aunkai qu’il a créé et qu’il enseigne peut être vu comme un croisement entre les enseignements de Hatsuo Royama Sensei et ceux de Hino Akira Sensei.
Minoru Akuzawa Sensei est capable des explosions et des percussions du premier et de la délicatesse du second tout en n’étant ni l’un ni l’autre.
Mon premier camarade de chambre lors de ce Masters Tour avait « goûté » à trois low kick de Minoru Akuzawa Sensei. Il les ressentait encore plusieurs jours plus tard.
Ma première « confrontation » physique avec Minoru Akuzawa Sensei avait eu lieu un peu plus tôt dans le car qui nous avait transporté de Kyoto à Kinosaki.
Cette « confrontation » fut principalement une bousculade. J’avais sans doute pris un peu trop de temps pour avancer dans le car et Minoru Akuzawa Sensei m’était rentré dedans en montant derrière moi. Impatience ? Distraction ? Je n’ai pas su.
Par contre, moi qui suis plus grand que lui dix bons centimètres et sans doute plus lourd que lui de dix kilos, j’avais été surpris de me sentir si facilement déplacé physiquement par un si « petit » homme.
Si tous les autres Maitres que nous avons rencontrés avaient des disciples ou des assistants japonais, Minoru Akuzawa Sensei s’est un peu distingué en laissant un de ses élèves occidentaux (un homme robuste d’un bon mètre quatre vingt dix vraisemblablement d’origine américaine ) diriger l’échauffement.
A la fin de la séance qu’il a dirigé dans un gymnase, Minoru Akuzawa Sensei nous a dit qu’il apprenait à connaitre les gens au travers du contact physique qu’il avait en pratiquant avec eux. Et qu’il avait senti chez ceux d’entre nous qu’il avait eus comme partenaires une « véritable ouverture pour les Arts Martiaux ».
Avec Minoru Akuzawa Sensei, Masters Tour, Japon, Juillet 2024.
Il a ensuite accepté d’être pris en photo avec celles et ceux qui le souhaitaient. En voyant plus tard les photos où nous sommes assis côte à côte, lui et moi, j’ai été très étonné de découvrir que Minoru Akuzawa Sensei avait posé son bras autour de mon épaule. Je n’avais absolument rien senti au moment de la photo. Au contraire de ce que j’avais ressenti au moment de la photo avec Royama Hatsuo Sensei avant que celui-ci ne me fasse la farce qui consiste à me « claquer » l’abdomen.
En dépit de ses airs de Johnny Depp, Takahiro Yamamoto Sensei n’est pas acteur de cinéma. C’est un homme résolument dévoué à sa pratique martiale. Et, si j’ai eu beaucoup de mal à me faire à ses enseignements, très proches par moments de ceux de Hino Akira Sensei, pour moi à la limite de l’ésotérisme, j’ai été touché par son engagement, sa simplicité, sa prévenance envers ses assistants et son message de paix résumé par sa phrase :
Son humilité mais aussi sa candeur et son enthousiasme se sont encore plus épanouis lorsqu’après son intervention, il est devenu un élève parmi nous, lors du cours dirigé par Hino Akira Sensei. J’ai trouvé son attitude remarquable.
Je sais que l’intervention de Yoshinori Kono Sensei au Butokuden a beaucoup déconcerté. On pourrait la comparer à du Free Jazz, à la musique de Weather Report, à de l’association d’idées ou à de l’improvisation ininterrompue.
Il est libre, Yoshinori Kono Sensei, il y en a même qui disent qu’ils l’ont vu voler….
Il fallait voir la plupart des participants qui suivaient Yoshinori Kono Sensei dans ses déambulations tant mentales que physiques au sein du Butokuden. Tels des Sancho Panza suivant leur Don Quichotte. Par moments, je me suis demandé si Yoshinori Kono Sensei s’en amusait.
Avant notre départ pour le Japon, Léo Tamaki nous avait présenté les Maitres que nous allions rencontrer. Concernant Yoshinori Kono Sensei, il nous avait écrit qu’il était un peu le « chercheur fou » des Arts Martiaux.
Le jour de son intervention, j’étais trop épuisé physiquement pour participer. Mais en temps ordinaire, je sais que je ne m’en serais pas mieux sorti que les autres participantes et participants du Masters Tour.
Lors du dîner que nous avons ensuite pris tous ensemble dans un restaurant à quelques minutes du Butokuden, il s’est trouvé que la table où j’ai été placé était voisine de celle de Yoshinori Kono Sensei. Celui-ci était derrière moi.
Très vite, j’ai été fasciné et happé par cet homme. Vêtu d’une tenue traditionnelle, à moitié assis sur sa chaise, une sorte de cartable en cuir souple posé derrière lui entre la chaise et son dos, Yoshinori Kono Sensei était en permanence occupé à réfléchir et à polir « ses » Arts Martiaux.
A telle manière de tenir un couteau. A telle façon de placer ses doigts. Et, il le partageait avec celui qui se trouvait à côté de lui. Et à toute personne volontaire et disponible dans les alentours immédiats. Il a ainsi entrepris Julien Coup, assis à sa droite. Puis, d’autres participants du Masters Tour.
Je le regardais, captivé.
Yoshinori Kono Sensei nous a fait l’extrême politesse d’être avec nous corporellement pour ce dîner. Il s’est plié à cette fonction sociale par amabilité. Mais il avait d’autres priorités. Le dîner, le spectacle, être filmé ou pris en photo, tout cela était pour lui secondaire depuis fort longtemps. Sans doute depuis des années.
La seule vérité comptable pour lui, c’était celle des Arts Martiaux. Yoshinori Kono Sensei est celui qui m’a le plus donné envie d’apprendre le Japonais. Je me suis dit que j’aurais aimé connaître suffisamment le Japonais pour l’écouter, pour l’interroger.
Et lorsque le dîner et tout le cérémonial social furent terminés, Yoshinori Kono Sensei est spontanément retourné au lieu et à la pratique auxquels il appartient :
Je trouve cette photo de lui, après notre dîner, extraordinaire. Pendant cette heure et demi environ où Yoshinori Kono Sensei était « avec nous », il n’a attendu que ça, ce moment où il pourrait retourner pratiquer. Seul. Tout le monde aurait tout aussi bien pu rouler sous la table, où la soirée se transformer en orgie gigantesque, je crois qu’il aurait adopté exactement la même attitude.
Autant de Maitres, autant d’attitudes et je « parle » uniquement de cinq ou six d’entre eux que j’ai à peine aperçus.