Catherine Breillat, aussi insupportable que remarquable
Il y a trois ans, la citer dans mon article sur le film ADN de Maïwenn qui allait sortir en 2020 a sans doute contribué à me faire rayer de la liste des journalistes pouvant la rencontrer ou voir ses prochains films en projection de presse. ( ADN-un film de Maïwenn au cinema le 28 octobre 2020 )
Cela a sans doute beaucoup déplu à l’attaché de presse qui s’occupe de ses films.
Comparer Maïwenn à Catherine Breillat ?!
Pour qui je me prenais ?!
Pourtant, j’avais aimé ADN de Maïwenn comme ses films précédents et, cela, depuis son tout premier : Pardonnez-moi (2006).
Mais je n’avais pas encore tout à fait compris, alors, à quel point Catherine Breillat peut exaspérer les autres (elle dit elle-même qu’elle est souvent « détestée ») mais aussi comme on peut s’empresser de s’éloigner d’elle comme d’une personne qu’il faudrait de toute urgence rebouter. Elle pourrait faire penser un petit peu au boxeur Muhammad Ali, Breillat, lorsque celui-ci fanfaronnait et que ses adversaires ou ses détracteurs se disaient entre eux :
« Il faudrait lui faire fermer sa gueule une bonne fois pour toutes ! Oui, mais qui peut le faire ? ».
Si la maladie de Parkinson finit par assagir Muhammad Ali, un AVC et une hémiplégie avaient entrepris de faire à peu près pareil pour Breillat :
« Ma mère m’a coupé horizontalement et l’hémiplégie, verticalement » raconte Breillat dans ce livre d’entretiens avec Murielle Joudet, sorti récemment ( Je ne crois qu’en moi) peu après son dernier film L’été Dernier ( au cinéma depuis le 13 septembre 2023). Un film peut-être éclipsé par la présence sur les écrans de Anatomie d’une chute (Palme d’or à Cannes) dernière réalisation de Justine Triet qui rencontre un bon succès en salles depuis sa sortie le 23 aout 2023 (plus d’un million de spectateurs). Un film que j’ai vu à un jour près après ou avant celui du dernier Breillat et dont même le titre peut aussi l’évoquer.
Avant que, ces deux ou trois derniers mois, je ne réentende parler de Breillat, réalisatrice, la dernière fois que je l’avais évoquée, un peu amusé, et en avais entendu parler, c’était vers 2010 ou 2011. Je venais d’assister à un débat lors du festival Chéries, chéris au forum des halles.
Peut-être à propos du thème « Qu’est-ce qu’être Queer ? ». Je ne connaissais pas le terme. Je me demandais de quoi il s’agissait.
Aujourd’hui, j’en sais à peine beaucoup plus mais, ce soir-là, j’avais entendu et appris que le réalisateur Jacques Demy était homosexuel. Cela semblait un fait établi mais aussi une sorte de prix ou de trophée acquis à la cause LGBT. C’était donc important, lors de cette soirée, de dire que Jacques Demy, le réalisateur et modèle admiré et reconnu par la critique et le monde du cinéma, était homosexuel.
C’était l’équivalent de James Brown chantant des années plus tôt:
« Say it loud, I’m Black and proud ! ». Là, on était dans « Say it loud, I’m gay and proud ! ».
Je comprenais la logique. Même si j’étais un peu étonné par ce besoin de dire.
A ce jour, je n’ai vu aucun des films de Demy même si je connais bien sûr de nom au moins Les Parapluies de Cherbourg. « On » nous en parle tellement ainsi que des sœurs Deneuve si magnifiques…
Je le regarderai sans doute un jour mais je trouve que les critiques idolâtrent beaucoup Demy ce qui me donne beaucoup envie de m’en éloigner. Et puis, je n’ai pas encore perçu, pour moi, la nécessité primordiale de voir ses films.
Lors de ce débat très sérieux ( je ne me rappelle pas qu’il y ait eu beaucoup d’humour lors des interventions) j’avais aussi entendu un participant estimer que le cinéma de François Ozon ( dont j’ai vu et aimé plusieurs de ses premiers films) était « queer ».
Assis en haut de cette salle amphithéâtre plutôt remplie dans mon souvenir, j’entendais et découvrais ce soir-là des avis et des visions qui m’étaient étrangers.
A la fin de ce débat, alors qu’un de ses animateurs en était à remonter les marches afin de sortir de la salle, je lui avais dit, un peu provocateur et amusé, alors qu’il s’avançait devant moi :
« Il y a une personne dont vous avez oublié de parler : Catherine Breillat… ».
Celui-ci m’avait alors regardé, et, comme on annonce un décret, m’avait rapidement et très sérieusement répondu :
« Catherine Breillat ? Elle s’est faite escroquer, je crois ! ». Puis, aussitôt, il était parti, me plantant-là avec des restes me permettant de comprendre que Catherine Breillat était définitivement sur la touche. Que l’on n’entendrait plus parler d’elle. Que sa bouche avait été clôturée pour de bon.
J’avais alors à peine entendu parler du fait qu’elle s’était en effet bien faite (dé)plumer par Christophe Rocancourt- le « bien connu» arnaqueur des stars- alors qu’elle était encore quelque peu convalescente d’une hémiplégie contractée à la suite d’un AVC.
Comme je suis un demi-tiède et une personne foncièrement peu curieuse, je n’avais pas beaucoup poussé mes recherches pour chercher à en savoir plus. Catherine Breillat n’était pas une de mes proches. Et, je n’avais pas encore forcément compris, alors, comme ce qu’elle était ou pouvait raconter m’importait beaucoup plus que le fait de voir Les Parapluies de Cherbourg (1963) de Jacques Demy.
Il nous faut parfois des années pour nous apercevoir que telle personne ou telle œuvre a une importance très particulière pour nous. L’une des premières fois où je me rappelle avoir eue cette impression, ce fut après la dissolution du groupe….NTM.
Tant que le groupe NTM de Kool Shen et de Joey Starr était en activité, je les écoutais et les regardais plus ou moins de loin. Je m’accrochais plutôt à leurs frasques que je réprouvais moralement. Je promettais alors à Joey Starr une existence courte et un épilogue existentiel douloureux, honteux et brutal en raison de ses excès. Je ne lui donnais pas plus de quarante années de vie.
Je préférais MC Solaar à NTM. Je l’avais vu en concert au Zénith une fois. MC Solaar était tellement plus classe, plus respectable. Il n’avait pas ces tics de langage ou gestuels auxquels, schématiquement, on identifiait et auxquels on identifie encore les personnes de la banlieue. Je venais aussi de la banlieue et je n’avais pas les attitudes et les propos de Joey Starr et Kool Shen. Je n’aspirais pas à leur ressembler ou à ce que l’on me confonde avec eux. Eux, c’étaient des mauvais garçons. Ils étaient violents, ils étaient agressifs, ils parlaient mal, se comportaient mal. Avec eux, tout pouvait partir en vrille à n’importe quel moment. Or, moi, j’avais plutôt l’esprit gazon de jardin britannique. Tout devait être impeccable et carré au centimètre près comme sur le stade de Wimbledon. Il ne devait pas y avoir de trous ou de bouteilles vides de bière, de rhum ou de vodka par terre. Kool Shen et Joey Starr, c’était sûr que si vous les invitiez chez vous, qu’en repartant, ils vous laissaient plein de mégots partout y compris dans les yaourts et les pots de confiture. En plus, votre logement était délabré et, à coup sûr, ils (ou leurs copains ) vous auraient tabassés entretemps pour vous remercier de les avoir invités ou parce qu’il n y avait pas assez de filles et que la musique ne leur avait pas plu.
Je n’aurais pas pris le risque de passer une soirée avec Kool Shen et Joey Starr. Alors qu’avec MC Solaar, j’aurais pu l’envisager. Nous aurions bu du thé, discuté de la banlieue et parlé philosophie….
Même si le voir en concert m’avait….déçu. Mais pendant des années, j’ai eu du mal à faire mon coming out et à reconnaître que son concert m’avait laissé frustré. Cela voulait bien dire quelque chose même si, sur scène, et bien entouré ( Soon MC, Les Démocrates D…) MC Solaar ne s’était pas ménagé.
Les NTM, eux, j’avais eu peur d’aller les voir en concert. Pour leur public. Seul à vouloir m’y rendre, je n’avais pas envie de me faire agresser en plein concert par une bande. Si on m’avait obligé à y aller, peut-être que je serais resté très prudemment proche de la première issue de secours. Et, si on m’y avait mal regardé, peut-être que je me serais gelé instantanément sur place. Je n’aurais peut-être pas pu écouter grand chose. J’aurais peut-être passé la plus grande partie de mon temps, durant le concert, à observer et à surveiller autour de moi si quelqu’un me voulait du mal. Et, à la fin, je serais peut-être parti en courant. En sprintant pendant au moins cinq cents mètres. Jusqu’à ce que je me sente en sécurité en quelque part.
Donc, à la place de NTM, j’étais allé voir, toujours seul, le premier concert de Me’Shell Ndégeocello à l’Elysée Montmartre, je crois, après son premier album : Plantation Lullabies. Une ambiance beaucoup plus safe. Sur scène, Me’Shell nous avait fait un festival. Chant, claviers, basse, présence, avec ses petites lunettes rondes et son allure longiligne/androgyne, elle avait tenu son groupe et nous avait servi de la vie. A aucun moment, je ne m’étais senti menacé. ( Me’Shell Ndégeocello au festival Jazz à la Villette ce 1er septembre 2023 )
Pour essayer de me racheter de ma lâcheté concernant NTM, j’étais allé voir I Am à l’Olympia. Ils y avaient fêté leur million d’albums vendus mais aussi entonné leur Je chante le Mia. Un des meilleurs concerts auxquels j’ai assistés tant pour les artistes que pour l’ambiance dans la salle. Mais aussi pour avoir la vie sauve peut-être.
C’était dans les années 90. Alors que maintenant, écouter du RAP, aller à un concert de Rap, c’est tout à fait mainstream. Vous allez rencontrer des personnes de bonne famille, d’un (très) bon milieu social, très bonnes études, blanc cachemire, vous dire qu’elle sont allées voir tel artiste de Rap ou les entendre employer des formules telles que « Je m’en bats les couilles » comme si c’était normal.
C’est à peu près au milieu des années 2000, après avoir appris la dissolution du groupe NTM, après quatre albums, que j’avais commencé à comprendre que plusieurs de leurs titres avaient à voir avec mon histoire. Tant qu’ils faisaient partie du décor sonore ou médiatique et semblaient permanents, je ne leur prêtais pas une attention particulière ou alors, plutôt pour réprouver ou craindre leurs manières et leurs façons de faire.
Leurs apparences me dérangeaient. Ce n’était pas comme ça qu’il fallait faire. Pour tout dire, à l’époque, je trouvais même Joey Starr très moche alors qu’aujourd’hui, lorsque je revois des images de lui à cette époque, je le trouve beau gosse. C’est étonnant, hein ?
Lorsque Kool Shen et Joey Starr ont finalement disparu du décor sonore et médiatique en tant que NTM, je me suis aperçu qu’il me manquait quelque chose. Et, avec Breillat, il y a sûrement eu le même phénomène et la même prise de conscience.
Assez ironiquement, l’histoire ou l’avenir, m’a donné en quelque sorte raison.
Puisque, par la suite, Joey Starr a commencé à faire du cinéma ( il m’a tout de suite convaincu en tant qu’acteur) et a rencontré Maïwenn au moins pour faire le film Polisse (2011) qui avait marqué le festival de Cannes, une année où j’y avais été comme journaliste de cinéma.
J’y avais alors croisé une journaliste (pour Le Parisien, je crois) d’une bonne quarantaine d’années toute fière de me répondre qu’elle allait interviewer Joey Starr !
L’attaché de presse qui s’occupait du film Polisse de Maïwenn étant fâché avec le média cinéma (le mensuel papier Brazil) pour lequel j’écrivais, j’avais, moi, été privé « de » Joey Starr comme l’on est privé de dessert. Et, j’étais parti interviewer Valérie Donzelli pour La Guerre est déclarée, film qu’elle avait co-réalisé avec Jérémie Elkaïm, également présent en tant qu’acteur dans Polisse.
De son côté, Kool Shen, lui, l’autre moitié de NTM, a fini par incarner Christophe Rocancourt au cinéma dans la fiction que Breillat a tirée de sa rencontre avec celui-ci d’après son ouvrage Abus de faiblesse dont j’ai terminé la lecture hier soir.
Joey Starr/ Maïwenn, Kool Shen/ Catherine Breillat, il sera difficile de me convaincre que l’une et l’autre n’ont absolument rien en commun.
Par ailleurs, que ce soit chez l’une ou chez l’autre, on peut trouver, dans leur cinéma, plutôt que du Jacques Demy, du Pialat, du Jean Yanne ou même…du Jean-Pierre Mocky. Je sais qu’en écrivant ça, je leur attribue des références « masculines » mais ce n’est pas une insulte. D’autant que, dans une certaine mesure, malgré leur machisme et leurs outrances, ces trois artistes masculins ont sans doute, aussi, eu des traits féministes….et féminins. Si l’on se rappelle, aussi, leur insolence, leur attachement à leur indépendance ou leur mépris pour certaines convenances, on doit bien parvenir à déboucher à nouveau sur des artistes tels que Catherine Breillat, Maïwenn… NTM ou d’autres.
J’avais donc vu juste, à la fin de ce débat sur la question « Queer », en mentionnant Catherine Breillat. Et, j’avais aussi vu juste, dans mon article sur le film de Maïwenn qui venait de sortir, de la citer Breillat à nouveau. Sauf que je l’avais fait intuitivement comme je le fais, aussi, de l’usage de certains mots ou de certaines tournures de phrases sans être toujours capable, sur le moment, de l’expliquer ou de le théoriser.
Aujourd’hui, ce 1er novembre 2023, jour de la Toussaint, s’il me plait bien sûr de parler de Catherine Breillat parce-que c’est le jour de la Toussaint, bien que je ne sache pas très bien dans les détails à quoi cela correspond à part pour réciter que c’est « le jour de la fête des morts », je peux un peu plus expliquer ce qui me tient chez Breillat.
D’abord, il est difficile de se débarrasser de Catherine Breillat. Elle est toujours quelque part en train de mijoter une recette ou une action qui nous sera servi à table à un moment ou à un autre, qu’on le décide ou non.
Lorsque j’ai commencé à essayer de me rappeler par quel film je l’ai découverte la première fois, je me suis trompé. J’avais oublié le titre. J’ai essayé Parfait Amour (1996), Romance ( 1999). Ça ne collait pas. L’histoire dont je me rappelais, avec l’acteur Patrick Chesnay, ne figurait dans aucune distribution des films de Breillat que je regardais. L’histoire d’une femme, mariée, qui ne parvenait pas à faire le deuil de son histoire d’amour avec son amant. Deuil difficile que son mari, Patrick Chesnais, encaissait stoïquement avec cette patte qui lui est spécifique, Mi-droopy, mi-Pierre Richard.
A la fin du film, la femme, qui passait par tous les états, finissait par se jeter dans une rivière depuis un gros rocher la surplombant d’une bonne dizaine de mètres. Puis, elle réapparaissait, bien vivante, à la surface. Pour moi, c’était du Breillat.
Hé bien, c’était du Brigitte Rouän qui jouait d’ailleurs le rôle principal ! Mais lorsque l’on regarde le titre du film, réalisé en 1996, on aurait pu dire que c’était du Breillat :
Post-coïtum, animal triste.
Dans son film Romance, on retrouve de ça. Mais on retrouve, aussi, la même colère et la même violence que peut mettre Maïwenn dans son Pardonnez-moi . Sauf que dans Romance, Breillat s’en « prend » à l’Amour, au couple amoureux. C’est son sujet. Tandis que Maïwenn ( mais je n’ai pas vu Mon Roi, réalisé en 2015 ) s’attaque plus à la famille. Même si j’ai relevé que dans Je ne crois qu’en moi, le livre d’entretiens livré par Murielle Joudet, s’il est régulièrement fait allusion à sa mère, avec laquelle elle a noué des relations très difficiles, et à sa sœur, son père n’est jamais mentionné une seule fois. Au point que j’ai cru que celui-ci était décédé lorsqu’elle était très jeune alors que dans les faits, il semble que non.
Sur la table de chevet de Breillat mais aussi à l’intérieur de ses chevilles,, il doit sans doute y avoir en permanence une sorte de plan qui, toujours, la ramène, vers ça. Le couple, l’Amour.
Et, elle bétonne, la Breillat. On peut dire, on a le droit de dire, qu’elle tringle sec et dur, à même la croupe, le sujet du couple et de l’Amour, Breillat.
C’est sans détour.
S’il est interdit d’en parler ou d’y aller, c’est que c’est pour elle. Et, elle y va, Breillat. Maïwenn, pour moi, n’est pas très différente. Elle, aussi, recherche le saut d’obstacles.
A côté de ça, on comprendra que L’Anatomie d’une chute de Justine Triet, même s’il m’a plu (il m’a même été recommandé par mon thérapeute) m’a moins touché que L’été dernier de Catherine Breillat.
Dans L’été dernier, sorti donc il y a presque deux mois ( le 13 septembre), j’ai retrouvé tout Breillat. Ses excès, sa franchise « Oui, c’est vrai que c’est beau, l’Amour conjugal même si on s’emmerde » ( Breillat, dans le dernier livre d’entretiens sorti récemment intitulé Je ne crois qu’en moi).
Son humour.
Il peut m’arriver d’être mal à l’aise devant des images de Breillat. Mais je ne peux pas dire que c’est faux. Breillat montre ce qui peut arriver ou ce qui arrive. Elle ne nous montre pas ce qui doit ou devrait arriver.
J’ai parlé de Pialat, Jean Yanne, Mocky pour Breillat. Mais j’ai aussi pensé à Rohmer dont le cinéma me plait moins. Pialat, c’est quand même celui qui a réalisé, avec Marlène Jobert et Jean-Yanne :
Nous ne vieillirons pas ensemble.
Ça a quand même plus d’abattage que ce que peuvent se susurrer, avec un glaçon dans la bouche, les protagonistes des films de Rohmer que j’ai envie de voir se faire décapiter dans un film de zombies. Alors que dans les films de Pialat, Breillat ou Maïwenn, leurs personnages s’occupent du service après vente des aimables réglements de comptes.
J’ai oublié de dire que Breillat me fait penser, aussi, à Cioran :
« L’homme va disparaître. C’est ce que j’ai dit un jour. Depuis, j’ai changé d’avis : Il doit disparaître ».
J’en profite pour me rappeler de la première fois que j’avais entendue la voix de Catherine Breillat. Une très belle voix, fort agréable. Dans son livre d’entretiens, Breillat dit qu’elle a été une très belle femme, avec une poitrine affolante, mais elle parle seulement de son physique et non de sa voix, pour moi, très séduisante. Je m’attendais davantage à une voix de crécelle vus ses films.
Or, lorsque j’ai entendu la voix de Breillat pour la première fois, c’était pour l’entendre dire :
« Les acteurs qui ne se donnent pas, moi, je les déteste ! ».
Dans Abus de faiblesse, qu’elle a écrit avec l’aide de Jean-François Kervéan, elle affirme :
« En tant que réalisatrice, je suis la propriétaire des corps ».
On peut reprocher à Breillat ses méandres bourgeois, sa mauvaise foi, son égocentrisme, sa négligence envers celles et ceux qu’elle est censée protéger et non exposer.
Il demeure que , sans employer les termes désormais très à la mode tels que « déconstruire », « empowerment », « transgresser », sans s’affirmer être une personne « rock and roll » et sans être une influenceuse pourvue de millions de followers, Breillat est, pense et fait ce que d’autres ne font qu’annoncer, fantasmer ou répéter.
Breillat, toute entière, n’en fait qu’à sa tête. Elle le fait comme quelqu’un d’insupportable peut le faire mais aussi comme un Joao César Monteiro que j’ai été étonné qu’elle cite et dont La Comédie de Dieu (1995) m’avait…époustouflé. Pour aimer ce film, il faut au moins aimer les gentils fous, la fantaisie, l’insolence, mais aussi le plaisir et l’érotisme.
C’est comme cela que je m’explique que Breillat puisse être l’amie de la réalisatrice Claire Denis (je l’ai appris en lisant Abus de faiblesse). Mais c’est aussi comme ça que je m’explique l’apparition dans L’été dernier de l’avocat- aux extrêmes limites de la loi et des bonnes convenances- Karim Achoui.
Karim Achoui, en plus d’être cet avocat doué, roué et charismatique très fortement soupçonné de baigner dans le grand banditisme, serait ou a été un des « amis » de Christophe Rocancourt d’après ce qu’en dit Breillat également dans Abus de faiblesse, paru en 2009. Karim Achoui est celui qui a « écrit » en 2008 Un avocat à abattre d’après la tentative d’assassinat dont il a été victime en 2007. On peut le voir, à l’image de Rocancourt, mais aussi de Breillat, comme quelqu’un qui joue ou a souvent joué sa vie- et ses réussites- à la roulette :
Achoui, avec son savoir faire avec la loi et son métier d’avocat ; Rocancourt avec son habilité à habiter ses mensonges et à y faire entrer et participer – en toute confiance, jusqu’à les amener à un état avancé de dépendance- ses victimes ; Breillat, avec son œuvre cinématographique et littéraire dans lesquelles elle transpose sa conscience et son intimité.
Breillat aurait été capable de suivre le tueur en série Guy Georges dans une chambre d’hôtel, de lui faire payer la chambre, de lui faire une scène, sans coucher avec lui, de l’étudier et de lui parler toute la nuit de telle façon, qu’à la fin, soulagé d’être délivré d’elle, Guy Georges aurait pu s’exclamer : « Elle m’a pris la tête ! ».
Pour ces quelques raisons autant que pour ces déraisons, je n’ai pas fini de voir ou revoir, mais aussi de lire ou d’entendre les propos et les œuvres de Madame Catherine Breillat, aussi insupportable que remarquable. J’aimerais bien, si elle le peut, si elle le veut, que Catherine Breillat fasse quelque chose avec « l’autre » Catherine, celle qui reste des Parapluies de Cherbourg de Demy. Mais c’est peut-être déjà trop tard ou cela l’a peut-être toujours été. Après tout, Léa Drucker dans L’été dernier, c’est un peu Catherine Deneuve ou Isabelle Huppert, plus jeunes.
Franck Unimon, ce mercredi 1er novembre 2023.