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La fĂȘte de l’Huma

 

                                             La FĂȘte de l’Huma

 

 

 

« La FĂȘte de l’Huma Â». Festival de musique aussi connu pour sa proximitĂ© avec le Parti communiste français que pour ses tĂȘtes d’affiche et le prix de son billet d’entrĂ©e dĂ©fiant, en rĂ©gion parisienne, Ă  peu prĂšs toute concurrence. A titre de comparaison, la derniĂšre Ă©dition 2019 ( 23, 24 et 25 aout) du festival Rock En Seine au parc de St Cloud, dans les Hauts de Seine, l’un des plus gros festivals Rock de France,  mettait son pass un jour Ă  49 euros l’entrĂ©e- tarif rĂ©duit– ( le plein tarif Ă©tant Ă  69 euros). Pour pouvoir bĂ©nĂ©ficier de ce tarif rĂ©duit, il fallait avoir moins de 18 ans; avoir moins de 25 ans Ă  condition de rĂ©sider dans la ville de St Cloud; ou ĂȘtre demandeur d’emploi, ĂȘtre allocataire du RSA ou avoir un statut d’handicapĂ©.

Le pass trois jours de Rock en seine plein tarif coĂ»tait cette annĂ©e la gentille somme de 159 euros. Il est bien-sĂ»r un certain nombre de festivaliers qui ont moins de 25 ans. Mais il est aussi trĂšs courant qu’un certain nombre de festivaliers soit plus ĂągĂ© et habitent hors de St Cloud se retrouvant ainsi d’office Ă©ligibles au plein tarif pratiquĂ© par Rock en Seine. 

 

De son cĂŽtĂ©, la fĂȘte de l’Huma, elle, propose uniquement un pass trois jours plein tarif  pour un “petit” peu moins cher qu’Ă  Rock en Seine :

40 ou 45 euros.

 

Cette annĂ©e, au festival Rock en Seine, je serais bien allĂ© voir The Cure et Jorja Smith. A Rock en Seine, j’ai dĂ©jĂ  « vu Â» Björk, le dernier concert des Rita Mitsouko, Emilie Simon, The Jesus and the Mary Chain. C’était en 2007.

Cette annĂ©e, j’ai refusĂ© d’aller Ă  Rock en Seine. J’ai l’impression que le prix- dĂ©jĂ  assez Ă©levĂ©- des pass de Rock en Seine a beaucoup augmentĂ© depuis la crĂ©ation du festival en 2003. Cela a peut-ĂȘtre un rapport avec le nom du nouveau propriĂ©taire du festival :

 

« Par Les Echos

Publié le 30/03/17 à 09h39

Banquier passionnĂ© de rock, Matthieu Pigasse s’offre le festival parisien Rock en Seine. Ce rachat, via son holding personnel LNEI (Les nouvelles Ă©ditions indĂ©pendantes), vient renforcer les investissements culturels de ce boulimique de production indĂ©pendante, qui dĂ©tient depuis 2009 plusieurs mĂ©dias (Radio Nova, Les Inrocks…). Le patron de la banque Lazard en France est aussi copropriĂ©taire du Monde depuis 2010, avec le patron de Free, Xavier Niel, et le mĂ©cĂšne Pierre BergĂ©. Il vient d’ailleurs de racheter avec le mĂȘme Xavier Niel le groupe de tĂ©lĂ© AB Â».

 

 

Il serait trĂšs surprenant d’apprendre que Matthieu Pigasse, « banquier passionnĂ© de rock Â», rachĂšte la fĂȘte de l’Huma. Mais je m’avance peut-ĂȘtre un peu trop dans un monde oĂč l’on tient absolument Ă  nous faire rentrer dans la tĂȘte  que tout s’achĂšte.

 

J’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© d’apprendre que la premiĂšre Ă©dition de la fĂȘte de l’Huma date de 1930. C’était dans la ville de Bezons, pas trĂšs loin d’Argenteuil.(Par la bouche )

Je suis allĂ© Ă  la fĂȘte de l’Huma, au parc Georges Valbon Ă  la Courneuve en Seine St Denis, pour la premiĂšre fois, en 2014. Pour Massive Attack. Au passage, j’avais revu Alpha Blondy en concert avec plaisir. Qu’est-ce que j’ai ratĂ© comme grands concerts auparavant Ă  la fĂȘte de l’Huma ! Il vaut mieux que je m’abstienne de regarder.

 

 

Cette annĂ©e, Kassav’( Un Moon France en Concert  mais aussi Kassav’) m’a donnĂ© envie de retourner pour la seconde fois Ă  la fĂȘte de l’Huma, les 13, 14 et 15 septembre. Kassav’ et Aya Nakamura, Youssou Ndour, Miossec.

Je n’ai jamais vu Aya Nakamura en concert mais j’aime plusieurs titres de son dernier album. Et j’avais beaucoup aimĂ© et Ă©tĂ© trĂšs Ă©tonnĂ© par l’énergie d’un concert de Miossec vu Ă  la salle des fĂȘtes de Taverny il y’a plus de quinze ans. Je suis aussi curieux de voir Soprano, Les NĂ©gresses vertes, Paul Kalkbrenner.

J’espĂšre que sur scĂšne, Youssou Ndour a bien vieilli car il est pour moi une institution. Pour moi, Youssou Ndour, c’est un artiste de scĂšne et l’ambassadeur du Mbalax bien plus que de « son Â» tube Seven seconds avec Neneh Cherry -qui m’avait ennuyĂ©- ou de sa reprise des titres de Bob Marley que j’avais trouvĂ©es ratĂ©es en studio.  Pour l’instant, en studio, je lui prĂ©fĂšre ce que l’artiste Tiken Jah Fakoly a fait des titres de Bob Marley.

 

Je suis rĂ©servĂ© envers Eddy de Pretto Ă©galement prĂ©sent Ă  la fĂȘte de l’Huma. Il a une grosse cote en ce moment et tant mieux pour lui. Mais, pour l’instant, je demande Ă  voir.

 

Le parti communiste français- et le journal l’HumanitĂ© qui le soutient- ressemble au choix Ă  un parti politique pathĂ©tique qui essaie de rĂ©sister alors qu’il continue de s’effriter ou Ă  un parti nostalgique de certaines dictatures bolchĂ©viques et staliniennes. Et, son ascendant indirect, Poutine, est trĂšs loin de s’évertuer Ă  nous sĂ©duire.

 

 

 

En me rendant Ă  cette derniĂšre vente de soutien avant la fĂȘte de l’Huma de cette annĂ©e, j’ai nĂ©anmoins Ă©tĂ© touchĂ© par ces militants prĂ©sents. A peine une centaine. Patrick le Hyaric, l’homme au micro, je prĂ©sume, faisait pourtant le mĂȘme effet qu’un animateur de supermarchĂ©. Une absence fatale de charisme rĂ©compensĂ©e par l’indiffĂ©rence exemplaire des passants dans cet endroit de Paris, aux Halles, pourtant plus que central et frĂ©quentĂ©.

 

 

Patrick le Hyaric, en dĂ©pit des sujets sensĂ©s qu’il abordait, que j’ai Ă  peine Ă©coutĂ©s, symbolisait cet isolement qui nous berce dĂ©sormais et dont profitent banquiers, entrepreneurs et hommes politiques dont la principale ambition est de continuer de se « goinfrer Â» tandis que nos vies et notre planĂšte se vident et que nous devenons de plus en plus sourds et intolĂ©rants Ă  la raison.

En venant, j’ignorais que le simple fait d’aller acheter Ă  prix rĂ©duit mes billets pour la fĂȘte de l’Huma  (28 euros la place contre 40 ou 45 euros sur place lors de la fĂȘte de l’Huma) Ă  cette manifestation de soutien pourrait me donner envie de tomber communiste.

 

 

L’homme qui m’a vendu les bons de soutien- qui deviendront billets nominatifs- m’a dit ĂȘtre sourd. Il avait une bonne soixantaine d’annĂ©es. Mais il m’a Ă©coutĂ©- et compris- bien mieux que bon nombre d’entendants.

 

 

Les militants prĂ©sents Ă©taient plus de sa gĂ©nĂ©ration que de la mienne mĂȘme s’il s’est trouvĂ© quelques personnes prĂ©sentes qui ont fait un peu baisser la moyenne d’ñge.

 

 

 

 

« Mon Â» vendeur m’a expliquĂ© avec pĂ©dagogie comment m’y prendre pour rĂ©cupĂ©rer mes billets d’entrĂ©e aprĂšs ĂȘtre allĂ© sur internet. J’ai trouvĂ© le service aprĂšs vente du journal l’HumanitĂ© trĂšs bon. Lui, allait rester lĂ  jusqu’à 19h30 (c’était bientĂŽt l’heure). Mais  les « copains Â» allaient peut-ĂȘtre rester encore. J’ai Ă  peine pu concevoir les combats et les voyages connus par ces visages militants. Mais il devait y en avoir des centaines et ce, depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations :

Je « sais Â» que des militants du parti communiste se rendant Ă  la fĂȘte de l’Huma en famille avec leurs enfants en bas Ăąge. Et qu’ils assistent ou participent aux nombreux dĂ©bats qui ont lieu lors du festival.

Dans le prospectus distribué lors de cette vente de soutien, on peut lire par exemple :

 

” La fĂȘte de l’HumanitĂ© s’est construite autour du partage, des idĂ©es et des rencontres offrant chaque annĂ©e dĂ©bats et Ă©changes autour des problĂ©matiques d’aujourd’hui et de demain.

Dans un monde oĂč l’individualisme domine, la FĂȘte s’engage Ă  remettre l’Humain au centre des prĂ©occupations : solidaritĂ©, justice, progrĂšs social…Des gilets jaunes aux hĂŽpitaux français au bord du burn-out, en passant par les zones d’ombres entourant la morte de Steve, autant de sujets d’actualitĂ© venant nourrir les multiples discussions ayant lieu aux quatre coins de la FĂȘte.

Dans le monde aussi, les choses ne tournent pas rond. D’un BrĂ©sil gouvernĂ© par un leader d’extrĂȘme droite, au formidable soulĂšvement populaire algĂ©rien, sans oublier les milliers de personnes s’Ă©chouant encore aux portes de l’Europe…

L’urgence de se rĂ©unir est d’autant plus forte que certains sujets impliquent un changement immĂ©diat des mentalitĂ©s. Alors, agissons !

L’environnement et le climat seront au coeur de cette 84Ăšme Ă©dition avec l’organisation, le vendredi 13 septembre, d’une grande marche pour le climat, initiĂ©e et poursuivie toute cette annĂ©e par les mouvements lycĂ©ens. Il n’est plus possible de rester seul chez soi. Faites bouger les choses, venez Ă  la FĂȘte de l’HumanitĂ© !”

 

 

Plus que de la dĂ©solation et de la solitude, j’ai senti chez ces personnes prĂ©sentes hier- pour celles et ceux qui sont du parti communiste-une loyautĂ© que l’on pourra juger aveugle et idiote compte tenu de la place et de la rĂ©ussite du parti communiste dans les sondages comme dans la sociĂ©tĂ© française et politique rĂ©cente mais que j’ai trouvĂ©e honorable. Et plus rassurante que toutes ces mauvaises nouvelles et toutes ces dĂ©faites en France et ailleurs qui sont devenues la norme.

 

En m’éloignant, je me suis dit qu’à la place de Patrick le Hyaric, il y’a dix ou quinze ans, un Emmanuel Macron, actuellement prĂ©sident de la rĂ©publique française, aurait pu tout aussi bien parler dans le mĂȘme micro devant des passants tout autant indiffĂ©rents.

Cela arrivera peut-ĂȘtre un jour. Lorsque le pouvoir de l’argent et des armes aura Ă©tĂ© dĂ©sactivĂ© et Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© irresponsable. Et que pour vibrer et se sentir vivant, il suffira par exemple de se rendre Ă  un festival de musique ou d’y participer en tant qu’artiste ou organisateur.

 

Franck Unimon, ce vendredi 30 aout 2019.

 

 

 

 

 

 

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Argenteuil

Par la bouche

Par la bouche

 

 

 

«  Vous ĂȘtes sĂ©nĂ©galaise ? »

  • Oui. Et malienne, aussi.

 

Deux noires africaines en boubou traditionnel viennent de me rejoindre devant le stand de cette femme traiteur. L’une est noire de peau, l’autre, plus ĂągĂ©e, a la peau claire.  Je me dis que leur prĂ©sence m’assure de la qualitĂ© du Thiep’. Avant mĂȘme que l’une d’entre elles ne fasse subir un contrĂŽle d’identitĂ© Ă  la vendeuse.

Il y’a principalement des femmes qui attendent d’ĂȘtre servies maintenant. Il est bientĂŽt midi. Lorsque je suis venu quelques minutes plus tĂŽt, un homme noir, peut-ĂȘtre un compatriote antillais, passait commande.

 

Alors qu’il fait chaud aujourd’hui, vers 11h, j’ai eu l’idĂ©e d’aller faire des courses sur le marchĂ© d’Argenteuil. Ma derniĂšre venue ici date de plusieurs mois. Nous avons diminuĂ© notre consommation de viande et de poissons. Nous avons aussi diversifiĂ© nos lieux d’achats alimentaires.

 

Le volailler « chez » qui j’achĂšte habituellement est en vacances. Son long stand est vide. Comme sont vides d’autres stands. Nous sommes encore au mois d’aoĂ»t.

Je me suis rabattu sur une boucherie hallal oĂč j’ai repĂ©rĂ© des poulets fermiers. J’évite leurs poulets hallal tout blancs qui me semblent sortis de la machine Ă  laver. Dix ans plus tĂŽt, j’avais dĂ©jĂ  achetĂ© du poulet hallal dans un autre commerce de la ville. J’en ai gardĂ© le souvenir d’un poulet au goĂ»t fade.

Les poulets hallal de cette boucherie ont manifestement leur succĂšs auprĂšs d’une clientĂšle sans doute musulmane. Et puis, ces poulets  sont moins chers. 3,99 euros le kilo. A cĂŽtĂ© de moi, un  homme en prend deux ou trois.

 

La boucherie hallal  du marchĂ© oĂč j’aime habituellement acheter de temps Ă  autre de la bavette d’aloyau et des cĂŽtes d’agneau est bien lĂ . Mais il n’y’a plus de bavette ni de cĂŽtes d’agneau. Ces viandes font partie de leurs piĂšces de choix et, gĂ©nĂ©ralement, Ă  cette heure-ci, en fin de matinĂ©e, il n’y’en n’a plus. MĂȘme au mois d’aoĂ»t. Reste du bƓuf et quelques piĂšces de gigot d’agneau. Il n’y’a plus grand monde devant leur Ă©talage. Ils sont plusieurs vendeurs dĂ©sormais inactifs comme Ă©chouĂ©s et attendant la prochaine vague qui ne viendra plus et ils le savent. C’est la dĂ©prime.

Je me fais confirmer qu’il n’y’a plus ce que je cherche. MalgrĂ© la suggestion du vendeur, je dĂ©cline poliment. Je regarde Ă  peine les quelques morceaux de viande exposĂ©s. Et je repars avec mon sac isotherme dans lequel j’ai mis trois pains de glace et ma bouteille d’eau.

 

 

La femme traiteur africaine ne prend pas la carte bancaire. Je ne la connaissais pas. Et quelques minutes plus tÎt, je suis  venu sans espÚces :

J’ai perdu le rĂ©flexe d’en prendre un peu au distributeur prĂšs de chez moi avant de venir sur le marchĂ©. Souvent, les jours « du marchĂ© d’Argenteuil », sur le boulevard HĂ©loĂŻse, surtout les dimanches, les gens font la queue devant les distributeurs les plus proches du centre-ville, rue Gabriel PĂ©ri. La rue qui permet l’entrĂ©e dans Argenteuil depuis le pont d’Argenteuil et qui mĂšne pratiquement en ligne droite Ă  la mairie et Ă  la mĂ©diathĂšque tout au bout deux cents ou trois mĂštres plus loin. Le lieu Ă©colo-responsable Smile ( Il fait beau) qui a ouvert le mois dernier se trouve alors tout proche.

Les gens peuvent venir d’assez loin, en voiture, en bus ainsi que par le train pour aller Ă  ce marchĂ©.

 

 

Sur le marchĂ© d’Argenteuil, La femme traiteur prend les tickets restaurants et les espĂšces. Je n’ai ni l’un ni l’autre. Alors, sous le soleil, je dois repartir jusqu’au distributeur le plus proche. J’ai de la chance. Les distributeurs sont libres. L’effet mois d’aout peut-ĂȘtre plus que celui de la chaleur, je pense. D’ailleurs, je repense maintenant Ă  l’agence HSBC- qui n’avait pas de distributeurs extĂ©rieurs- qui a fermĂ© ses portes il y’a Ă  peu prĂšs un an maintenant. Un indice sans doute de la « pauvreté » Ă©conomique de cette ville et de sa population. D’une partie de sa population. Car il y’a des gens plutĂŽt aisĂ©s Ă  Argenteuil. Mais ils sont gĂ©nĂ©ralement discrets et sans doute entre eux. MĂȘme si on en croise trĂšs certainement sur le marchĂ© d’Argenteuil par exemple ou Ă  la ferme du Spahi, autre « institution » argenteuillaise en matiĂšre de commerce de bouche Ă  prix attractif. Ou au LIDL :

Une des fois oĂč je suis allĂ© au LIDL de Sannois,  à la limite d’Argenteuil, une Porsche Cayenne est arrivĂ©e sur le parking.

Des commerces comme le marchĂ© d’Argenteuil, la ferme du Spahi ou Lidl sont des commerces qui peuvent faciliter les moindres dĂ©penses. Mais il faut pouvoir s’y rendre. En voiture, en transports, Ă  vĂ©lo ou Ă  pied. Et le souhaiter. La facilitĂ© Ă©tant d’aller faire ses achats dans le supermarchĂ© le plus proche, ce dont Argenteuil est particuliĂšrement bien pourvu. Avec les Kebabs dans le centre-ville.

 

 

7 euros pour une barquette de Thiep’ au poisson et 6,50 euros pour une barquette de Thiep’ au poulet. Vu que nous sommes deux adultes et un enfant, par prudence et aussi par curiositĂ©, je prends deux barquettes de Thiep’ au poisson et une au poulet. Jusqu’à l’annĂ©e derniĂšre, je croyais que le Thiep Ă©tait uniquement au poisson. J’ai Ă©tĂ© initiĂ© au Thiep’ et aux pastels il y’a bientĂŽt trente ans par une amie, BĂ©a, mariĂ©e Ă  un Cap-Verdien. Les pastels, ici, n’ont rien Ă  voir avec le dessin ou avec  la peinture. Ou alors il s’agit des couleurs du plaisir alimentaire qui se forme dans la bouche avec ce plat qui peut faire un peu penser extĂ©rieurement Ă  la Brick des Arabes.

 

 

Sur le marchĂ©, la femme traiteur a rempli consciencieusement les barquettes individuelles. J’accepte aussitĂŽt avec gourmandise le piment qu’elle me propose. MĂȘme si nous en avons dĂ©jĂ  du bon Ă  la maison. Oui, c’est elle qui le fait.

 

A la maison, j’apprendrai qu’une barquette «  individuelle » aurait pleinement suffi  pour deux adultes.

Le Thiep’ est bon. Sauf pour notre fille qui le trouvera trop Ă©picĂ© alors qu’elle a dĂ©jĂ  mangĂ© du boudin antillais. Et qui trouvera la couleur du plat « bizarre ». Elle ne reconnaĂźtra pas le riz.

Sa mĂšre et moi nous dĂ©lecterons du plat avec l’assurance de celle et de celui qui savent. Peut-ĂȘtre notre fille le regrettera t’elle dans quelques annĂ©es. Mais nous sommes tous passĂ©s par lĂ .

 

 

Sur le marchĂ©, je suis allĂ© saluer C
.le doyen des commerçants sur le marchĂ©. Il vend des fruits. Je trouve qu’il a maigri mais ne lui en dis rien. Il a dĂ» perdre une bonne dizaine de kilos.

L’annĂ©e derniĂšre ou plutĂŽt il y’a deux ans, je lui avais dit que j’aimerais bien qu’il me parle du marchĂ© d’Argenteuil tel qu’il l’a connu depuis cinquante ans. Il  m’en avait un peu parlĂ©, avait acceptĂ© en prĂ©cisant :

 

« Je ne fais pas de politique ! ». Et puis, j’ai laissĂ© passer le temps.  Tout Ă  l’heure, je lui ai reparlĂ© de ça. Il m’avait sans doute oubliĂ©. En cinquante ans, sur un marchĂ©, on voit tellement de monde. Mais il a de nouveau acceptĂ© de me raconter en me disant de venir plutĂŽt un vendredi. Car «  le dimanche, il y’a trop de monde ». Il sera lĂ  Ă  partir de 7h le matin. C
. doit avoir entre 70 et 80 ans.

 

 

Il est une trĂšs bonne boucherie dans la rue Paul Vaillant Couturier en dehors du marchĂ© d’Argenteuil. TrĂšs bonne et assez chĂšre. J’y suis dĂ©jĂ  allĂ© plusieurs fois. Une de ses particularitĂ©s est d’avoir une clientĂšle exclusivement « blanche» chaque fois que j’y suis allĂ© ou suis passĂ© devant. Cette boucherie semble ĂȘtre faite d’un autre monde. C’est comme passer une frontiĂšre. Pourtant, ce monde fait bien partie d’Argenteuil. Et j’y ai toujours Ă©tĂ© bien servi avec un Ă©vident professionnalisme.

La boucherie est encore ouverte ce dimanche quand je rentre du marchĂ©. J’y entre pour y acheter un autre poulet. Sur ma lancĂ©e, je demande au petit boucher qui me sert quand cette boucherie a-t’elle Ă©tĂ© ouverte. Il ne sait pas mais ça fait longtemps ! Arrive le patron oĂč celui que j’ai toujours considĂ©rĂ© comme tel. Il est assez grand, bien plus grand que moi. MĂȘme question :

« Les murs datent de 1890
. ». Il m’explique qu’avant, les fourrages avec les poulets se trouvaient derriĂšre la boucherie. Et, avec son corps, il m’indique l’endroit.

Je suis époustouflé. 1890 !

Il m’apprend que la boucherie est le plus ancien commerce du centre-ville. Qu’il a vu le « changement » Ă  Argenteuil. Je comprends qu’il est maussade Ă  ce sujet et que cela est trĂšs sensible.

Il accepte de me rĂ©pondre que cela fait trente ans qu’il est dans cette boucherie et que cela fait onze ans qu’il en est le patron. Cela ne se voit pas sur mon visage lorsqu’il me dit ça mais je devine que lui et moi  sommes sans doute du mĂȘme Ăąge. En 1989, j’avais 21 ans.  On peut trĂšs bien ĂȘtre apprenti-boucher-charcutier avant ses 20 ans. Je m’abstiens de m’épancher sur ces sujets devant lui.

 

Je lui dis que j’aimerais bien qu’il me raconte. Tout en sortant de la boutique, il me rĂ©pond : « On me l’a dĂ©jĂ  demandé  ». Et puis, je ne le revois plus. Je repasserai peut-ĂȘtre. Mais je n’insisterai pas forcĂ©ment pour en savoir plus sur les raisons de son amertume. C’est une affaire privĂ©e. Or, je n’ai pas envie de l’embarrasser avec mon article. Moi, la seule boucherie que je possĂšde Ă  ce jour, la seule volaille que je connaisse Ă  peu prĂšs, c’est celle de mes phrases. Et cette boucherie ne me fait pas vivre. Alors que lui, il doit sa vie Ă  cette boucherie.

 

 

Franck Unimon, dimanche 25 aout 2019.

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Argenteuil Ecologie

Il fait beau

 

Il fait beau

 

Il fait beau. Nous revenons de la mĂ©diathĂšque. Nous avons aussi pu emprunter la premiĂšre saison des sĂ©ries P’tit Quinquin de Bruno Dumont et de The Handmaid’s Tale (La Servante Ecarlate ) crĂ©Ă©Ă© par Bruce Miller comme quelques dvds pour enfants.

 

 

« Excusez-moi
. ». Un monsieur d’une soixantaine d’annĂ©es nous croise.

« Je voudrais aller au Val d’Argenteuil ». Mais nous sommes Ă  Argenteuil centre ville.

OĂč veut-il aller ? Il ne sait pas. Dans une des poches extĂ©rieures de son gilet, plusieurs stylos. Mais aucun plan de signalisation pour le guider.

A-t’il une adresse ? Non. Je lui rĂ©pĂšte qu’il y’a aussi une gare au Val d’Argenteuil. Il m’explique qu’il a pris le bus pour arriver ici.

A-t’il un numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone oĂč appeler ? Non plus. « J’ai appelĂ© tout Ă  l’heure mais il n’y’avait personne ». Il n’a pas de tĂ©lĂ©phone sur lui.

« Je peux aller au Val d’Argenteuil Ă  pied
 ». Je lui rĂ©ponds que ça va faire loin. Il me remercie, me salue, et me dit qu’il va continuer plus loin un peu au petit bonheur la chance.

 

 

 

 

Une semaine plus tÎt, il faisait aussi beau lorsque je suis allé découvrir ce nouveau lieu à Argenteuil centre-ville, derriÚre la médiathÚque  Aragon et Elsa Triolet :

Smile.

 

 

 

Son ouverture Ă©tait annoncĂ©e par un grand panneau au dessus du toit. Elle a Ă©tĂ© rĂ©cemment saluĂ©e dans la presse. Anciennement, une grande salle de Fitness se trouvait lĂ . Cela n’a pas marchĂ©. Auparavant, Ă  Argenteuil, il y’avait un petit magasin La Vie Claire prĂšs du commissariat municipal. Il avait fermĂ© Ă  mon arrivĂ©e Ă  Argenteuil en 2007 ou peu de temps aprĂšs celle-ci. Quelques personnes qui l’ont connu m’ont racontĂ© qu’on n’y trouvait pas de fruits. Et qu’il Ă©tait vraiment petit. En 2007, dans les commerces, la tendance bio Ă©tait moins dĂ©veloppĂ©e qu’aujourd’hui ou des enseignes certifiĂ©es bio sont de plus en plus visibles (Biocoop, La Vie Claire, Les Nouveaux Robinsons, Naturalia, Bio C Bon pour les principales).

Et en 2007, mĂȘme les supermarchĂ©s et les hypermarchĂ©s « traditionnels » n’avaient pas encore dĂ©diĂ© une partie de leurs rayons Ă  ce nouveau marchĂ© comme aujourd’hui. Ce petit magasin La Vie Claire Ă©tait donc trop en avance pour son Ă©poque dans Argenteuil, la ville aux plus de cent mille habitants, qui semble souvent captive- ou fautive- d’une hĂ©rĂ©ditĂ© mal rĂ©putĂ©e.

 

 

 

 

Mais douze ans ont passĂ©, mĂȘme Ă  Argenteuil, et Smile , ce lieu Ă©co-responsable, ouvert mi-juillet vient dĂ©sormais combler un manque prĂ©sent Ă  Argenteuil comme  ailleurs.

 

 

La caissiĂšre prĂ©sente au magasin ce jour-lĂ  m’explique qu’ils sont plusieurs Ă  s’ĂȘtre associĂ©s pour ouvrir cet endroit. Ils en avaient assez d’aller chercher ailleurs ce dont ils avaient besoin. Il est vrai qu’à ma connaissance, la premiĂšre grande surface Bio la plus proche, NaturĂ©o, ouverte il y’a deux ans environ, se trouve Ă  Cormeilles en Parisis, dans cette zone qui touche le Val d’Argenteuil et Sartrouville.

 

 

 

Smile ressemble à cet endroit que ses concepteurs auraient voulu avoir en tant qu’usagers.

 

 

Pour se rendre Ă  NaturĂ©o,  grande surface domiciliĂ©e Ă  Cormeilles en Parisis, il faut gĂ©nĂ©ralement ĂȘtre vĂ©hiculĂ©. Le lieu est assez Ă©loignĂ© de la gare du Val d’Argenteuil. On peut bien-sĂ»r s’y rendre Ă  vĂ©lo (en vingt Ă  trente minutes Ă  peu prĂšs) depuis Argenteuil centre ville Ă  condition de souhaiter un peu parfaire sa condition physique. Le magasin Smile, lui, est dans le centre ville d’Argenteuil, au 55 de la rue Antonin-Georges Belin. Dans le prolongement du bureau principal de la Banque postale qui a fermĂ© cet Ă©tĂ© et a Ă©tĂ© remplacĂ© pour partie par le nouveau bureau qui a ouvert dans le centre commercial Quai de Seine. Tandis que le second bureau de la Banque Postale, plus petit, non loin de lĂ , sera celui oĂč ont auront lieu les rendez-vous avec les conseillers.

Depuis la gare d’Argenteuil centre-ville, Smile est accessible Ă  pied en quinze minutes. Autrement, un certain nombre de bus depuis la gare s’arrĂȘte soit devant la mairie et la mĂ©diathĂšque Ă  cinq minutes Ă  pied de Smile. Tandis que d’autres s’arrĂȘtent encore un peu plus prĂšs ( Ă  une centaine de mĂštres) de Smile. N’oublions pas que les transports en commun (bus et train) font partie des points forts d’Argenteuil.

 

 

Il y’a assez peu de monde lorsque je viens dĂ©couvrir le “sourire”. Mais je m’y sens aussitĂŽt trĂšs bien. Plusieurs commerces ont tentĂ© leur chance Ă  Argenteuil ces dix derniĂšres annĂ©es dans le centre-ville. Certains ont pĂ©riclitĂ© aprĂšs deux ou trois annĂ©es. D’autres ont aussitĂŽt marchĂ©. J’ai l’intuition que Smile fera partie de ces derniers. D’autant que l’idĂ©e a Ă©tĂ© trĂšs bien pensĂ©e par les vingt associĂ©s qui habitent majoritairement Ă  Argenteuil.

En plus du magasin de produits en vrac, Smile offre un cafĂ©-cantine, un espace de travail partagĂ© et une restauration. Et ça sent trĂšs bon lors de mon passage pendant qu’une bonne musique d’ambiance dĂ©core la piĂšce en la prĂ©sence, Ă  un moment donnĂ©, de feu KassĂ© Mady DiabatĂ©.

 

 

Labels Bio, ZĂ©ro dĂ©chet, production locale (dans une distance comprise entre 50 et 200 kms d’Argenteuil) et commerce Ă©quitable sont deux des « critĂšres minimum » retenus pour « chaque produit ».

Des Ă©vĂ©nements sont prĂ©vus : « Fabrication de produits naturels et Ă©conomiques pour la maison et le corps ; Recycler, rĂ©parer et transformer ses objets du quotidien ; Culture : dĂ©bats, concerts, projections, jeux, expositions artistiques
 ; SolidaritĂ© : Gratiferia, Disco-Soupe, bourses aux graines, aux livres, aux jouets
. ».

 

D’autres initiatives Ă©cologiques et bio existaient dĂ©jĂ  Ă  Argenteuil sous la forme d’une AMAP prĂšs du conservatoire une fois par semaine, d’un marchand de primeurs bio, du marchĂ© de la Colonie et de certains Ă©vĂ©nements qui s’y dĂ©roulent comme d’une vente de lĂ©gumes (et de fruits ?) bio les mardis aprĂšs-midis Ă  la gare d’Argenteuil centre par exemple. Mais avec Smile, pour la premiĂšre fois, un lieu Ă©cologique et bio « pĂ©renne » s’ouvre Ă  Argenteuil :

Du lundi au samedi de 9h30 Ă  19h30 pour le magasin. (09 88 02 26 79)

Du lundi au mercredi de 8h00 Ă  22H30, du jeudi au samedi de 8h00 Ă  minuit et le dimanche de 11h Ă  23H00 pour le cafĂ© cantine et l’espace de travail partagĂ©. (09 88 02 26 87).

 

 

En discutant avec les deux personnes qui tiennent la restauration ce jour-lĂ , j’apprends que Smile va prochainement chercher de nouveaux associĂ©s afin de rĂ©unir une somme avoisinant les 30 000 euros, je crois, afin de concrĂ©tiser davantage le projet.

L’un des deux restaurateurs est particuliùrement confiant :

Ouvert mi-juillet, Smile marche dĂ©jĂ  plutĂŽt bien en plein mois d’aoĂ»t alors que les gens sont en vacances. Ce mĂȘme restaurateur est persuadĂ© que les autres enseignes bio type Naturallia, Vie Claire et autres s’inspireront ensuite de leur modĂšle. Je ne peux pas et ne souhaite pas le contredire :

S’il se trouve assez peu de monde lors de ma dĂ©couverte des lieux, je confirme avoir croisĂ© quelques personnes, comme moi-mĂȘme, qui, de toute Ă©vidence, Ă©taient dĂ©jĂ  en quĂȘte d’un endroit pareil. Et l’espace couvert plutĂŽt consĂ©quent et agrĂ©able que Smile peut mettre Ă  disposition de ses usagers et futurs habituĂ©s est un de ses autres atouts indĂ©niables.

 

 

Smile a une adresse mail : contact@smile.company, a visiblement un site , smile.company et est Ă©galement sur FB et Twitter : facebook.com/SmileCompanyFr/ et @SmileCompany1.

Cet article est la suite de Argenteuil.

 

Il fait beau.

 

Franck Unimon, samedi 24 aout 2019.

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Argenteuil

Argenteuil

 

 

Argenteuil a mauvaise rĂ©putation. J’en discutais encore il y’a quelques jours avec un commerçant arrivĂ© trois ans avant moi ( en 2007) dans cette ville. Nous en Ă©tions arrivĂ©s au mĂȘme constat. MalgrĂ© ses atouts, Argenteuil continue de pĂątir de son image Ă  perdre haleine. L’Ă©volution du prix de l’immobilier est un des critĂšres qui permet de s’en rendre compte. LĂ  oĂč des villes environnantes telles que Colombes ou AsniĂšres, situĂ©es de l’autre cĂŽtĂ© du pont et de la Seine dans le sacro-saint dĂ©partement du 92, ont vu leur prix au mĂštre carrĂ© augmenter ces dix derniĂšres annĂ©es. A Argenteuil, ce serait plutĂŽt Ă©tĂ© l’inverse. Tandis que le prix du mĂštre carrĂ© Ă  Paris et des villes proches, qui “stagne” ou baisserait continue de se transformer en torche Ă  mĂȘme de brĂ»ler des budgets qui, il y’a environ vingt ans, auraient pu permettre, dans l’ancien, l’acquisition d’un logement  dĂ©cent. Moyennant bien-sĂ»r un emprunt bancaire rĂ©parti sur plusieurs annĂ©es.

Les raisons de cette mauvaise cote argenteuillaise reposent évidemment sur quelques faits bien concrets. Un quart de la population argenteuillaise est déclarée pauvre. Argenteuil est mal notée sur le thÚme de la sécurité : en dessous de la moyenne.

 

 

Ville Ă©tendue, Ă©galement pourvue de quartiers pavillonnaires, calmes et agrĂ©ables, Argenteuil est une ville de contrastes et de paradoxes. Au contraire par exemple d’une ville comme Cergy-Pontoise, ancienne ville nouvelle oĂč j’avais vĂ©cu une vingtaine d’annĂ©es auparavant, Argenteuil compte au sein de sa population, un certain nombre des personnes qui y vit depuis deux ou trois gĂ©nĂ©rations. Pour dire cela autrement :

Argenteuil me donne beaucoup moins l’impression d’ĂȘtre une ville dortoir comme cela avait pu ou peut-ĂȘtre le cas certaines fois Ă  Cergy-Pontoise. Ce qui donne Ă  Argenteuil une certaine personnalitĂ© dont une ville comme Cergy-Pontoise avait pu quelque peu ĂȘtre dĂ©pourvue me semble-t’il. MalgrĂ© ses rĂ©ussites architecturales et culturelles diverses. Je ne prĂ©tends pas Ă  l’exactitude en Ă©crivant ça :

Car si Cergy-Pontoise avait pour moi Ă©tĂ© une certaine  expĂ©rience de l’exil (j’avais 17 ans lorsque nous avions quittĂ© Nanterre, ma ville natale, pour Cergy-Pontoise), Argenteuil a Ă©tĂ© ma ville de choix en 2007.

 

Cette derniĂšre information- le choix- a peut-ĂȘtre son importance pour mieux comprendre la persistance de certains journalistes Ă  livrer toujours le mĂȘme portrait – pĂ©joratif- d’Argenteuil.  Ce n’est peut-ĂȘtre pas leur choix de vĂ©ritablement s’intĂ©resser Ă  cette ville lorsqu’ils s’y rendent. Ce qui pourrait expliquer le contenu de leur article qui serait peut-ĂȘtre, finalement, malgrĂ© leur bonne volontĂ©, une sorte de commande comme on le fait d’une commande sur un site oĂč l’on a ses habitudes. Et, je l’Ă©cris ici avec, on le devine, une certaine perplexitĂ© douĂ©e d’amertume, car l’absence de nuance et de perspective de certains articles sur Argenteuil m’a plus d’une fois Ă©tonnĂ©. Tant, je le rĂ©pĂšte, Argenteuil, en dĂ©pit de ses travers, a des atouts Ă©vidents et ceux-ci sont loin d’ĂȘtre occultes ou confidentiels.

 

Certaines personnes se souviendront sans doute du courrier que j’avais adressĂ© à TĂ©lĂ©rama il y’a bientĂŽt deux ans suite Ă  l’article d’une de ses journalistes. A l’Ă©poque, je n’avais pas de blog. j’ai crĂ©Ă© mon blog, balistiqueduquotidien.com en octobre de l’annĂ©e derniĂšre pour bien d’autres buts que de parler de cet article de TĂ©lĂ©rama : pour parler cinĂ©ma, culture et de divers sujets. Par extension, il  me semblait donc que je me devais un peu de crĂ©er une rubrique consacrĂ©e Ă  Argenteuil.  PlutĂŽt que de continuer de subir ce qui peut ĂȘtre prĂ©fĂ©rentiellement Ă©crit ou dit sur Argenteuil.  C’est aujourd’hui. Et cette rubrique dĂ©butera symboliquement par ce courrier que j’avais adressĂ© à TĂ©lĂ©rama en 2017. Un courrier restĂ© sans rĂ©ponse hormis la rĂ©ponse de bonne rĂ©ception protocolaire.

 

Cette rubrique Argenteuil n’est pas une rubrique Clash versus TĂ©lĂ©rama comme bon nombre de contemporains aiment s’en dĂ©lecter entre un passage aux toilettes et la pause dĂ©jeuner afin de pimenter leur vie. Je n’ai rien de particulier contre TĂ©lĂ©rama. Il se trouve seulement que je suis abonnĂ© Ă  cet hebdomadaire depuis plus de vingt ans et continue de m’instruire en lisant un certain nombre de ses articles avec plaisir. D’autres de ses articles, comme celui sur Argenteuil, sont selon moi insuffisamment qualifiĂ©s pour avoir valeur de lĂ©gitimitĂ© complĂšte. C’est tout. Et ce sera tout me concernant une fois cet article publiĂ© sur mon Blog.

Voici donc mon courrier adressĂ© à TĂ©lĂ©rama en 2017. J’Ă©crirai ensuite d’autres articles, Ă  un rythme indĂ©terminĂ©, dans lesquels je donnerai ma vision d’Argenteuil. Mais je le rappelle  :

J’admets les travers d’Argenteuil y compris ceux que je ne vois pas et ne connais pas ou oublie du fait de l’accoutumance quotidienne. Seulement, Ă  voir exclusivement les travers d’une ville, on finit par croire que celle-ci ressemble exclusivement Ă  ses travers. Ce qui dĂ©note d’une certaine absence de nuance et aussi d’un grand manque de perspective et d’optimisme. Se souvient-on aujourd’hui qu’il y’a trente ou quarante ans, le quartier de la Bastille,  à Paris, Ă©tait un quartier mal frĂ©quentĂ© ? Comment l’ai-je su ? Par une ancienne partenaire de jeu au thĂ©Ăątre qui habite dans ce quartier et que j’ai eu l’occasion de rencontrer il y’a une vingtaine d’annĂ©es.  Et, en Ă©tant un peu mĂ©galo, aurait-on imaginĂ© il y’a vingt ans que la ville de Bordeaux serait aussi cotĂ©e qu’elle l’est aujourd’hui ?!

J’aurais donc aimĂ© que les journalistes, lorsqu’ils font le portrait d’une ville, Argenteuil ou une autre, soient capables de se rappeler de ce genre de fait historique et sociologique. Le monde Ă©volue aussi. Je crois.

 

 

“Votre article ĂȘtre une fille Ă  Argenteuil (TĂ©lĂ©rama 3504 du 08/03/17 p32 Ă  35.

Ce lundi 20 mars 2017 Ă  Argenteuil,

 

Madame, Mademoiselle, Monsieur,

 

Depuis une bonne vingtaine d’annĂ©es, chaque semaine, je lis TĂ©lĂ©rama. Bien qu’attachĂ© Ă  TĂ©lĂ©rama, il m’arrive d’ĂȘtre en dĂ©saccord avec certains de vos articles. En lisant par exemple certaines de vos critiques cinĂ©ma. Il me semble par moments que certains de vos journalistes ne savent pas parler d’un film, ou sont embarrassĂ©s Ă  le faire mĂȘme s’ils l’apprĂ©cient, lorsque celui-ci leur rĂ©vĂšle une rĂ©alitĂ© ou un monde qui reste Ă©tranger Ă  leur univers comme Ă  leur panthĂ©on personnel. Je repense par exemple de temps Ă  autre au ton employĂ©- qui se voulait sans doute drĂŽle et « cool »- par un de vos journalistes pour sa critique du film L’Esquive, de Kechiche. Soit, dĂ©jĂ , un film qui expose une certaine rĂ©alitĂ© dans une citĂ© et dans une banlieue plutĂŽt proche de Paris et, j’ai l’impression, trĂšs Ă©trangĂšre au monde dans lequel vit ce journaliste qui avait critiquĂ© L’Esquive pour TĂ©lĂ©rama. D’oĂč son ton maladroit (bien que bienveillant et encourageant).

Mais il faut accepter, aussi, le regard des autres sur une Ɠuvre. Car cela nous permet d’entrevoir d’autres perspectives. Et puis, personne n’est parfait.

Mais votre article intitulĂ© ĂȘtre une fille Ă  Argenteuil, paru le 8 mars 2017, m’a mis en colĂšre. Et, selon moi, pour des raisons plus pragmatiques et dĂ©montrables que pour de simples raisons esthĂ©tiques ou une banale histoire de points de vue divergents ou d’expĂ©riences et de formations de vies diffĂ©rentes.

J’habite Ă  Argenteuil depuis dix ans et, Ă©videmment, il m’est impossible de connaĂźtre Argenteuil et tous ses habitants comme ma lampe de poche. Cependant, votre article a tout de mĂȘme des faiblesses ou des lacunes aussi flagrantes que contrariantes. Parce qu’il me semble qu’un travail journalistique un peu plus consciencieux aurait facilement permis d’éviter ces lacunes :

Le titre et l’angle de vue ( ou d’attaque) de l’article ĂȘtre une fille Ă  Argenteuil au dĂ©part est original et coĂŻncide trĂšs bien avec la journĂ©e de la femme, le 8 mars. TrĂšs bien. Je n’ai pas beaucoup de critique Ă  faire quant au portrait qui est fait de cette jeune femme, AgnĂšs, et de ses copines et de son quotidien Ă  Argenteuil et dans son lycĂ©e.

La journaliste s’étrangle quant au fait qu’un garçon puisse dire Ă  une fille « Je veux te gĂ©rer
 » ? Je peux comprendre son embarras. Ce genre de phrasĂ©ologie m’aurait aussi intriguĂ©. Mais je suis bien plus inquiet pour une certaine jeunesse « en rĂ©sidence » dans une certaine consommation- de plus en plus prĂ©coce- d’alcool ou de cannabis. Et, ce flĂ©au touche aussi des jeunes de milieux plus aisĂ©s dans d’autres villes. Je suis aussi bien plus inquiet devant ces jeunes qui semblent trouver bien plus d’attrait Ă  chasser des PokĂ©mon go qu’à s’engager politiquement (ne serait-ce qu’en votant) ou dans une association culturelle ou sportive. Mais, bon, tout cela est affaire de sensibilitĂ© et, ici, je veux bien admettre que je me laisse aller facilement Ă  la critique. Peut-ĂȘtre parce-que je suis un lecteur rĂ©gulier de TĂ©lĂ©rama et que je me modĂšle sur l’exemple de certains de vos articles
.

Mais rĂ©sumer Argenteuil « la plus grosse ville d’ïle-de-France » Ă  la dalle d’Argenteuil et au Val D’Argenteuil ? C’est dĂ©jĂ  une premiĂšre erreur de cet article. NĂ©anmoins, parlons de la dalle d’Argenteuil et du Val d’Argenteuil.

Oui, Argenteuil « subit une paupĂ©risation grandissante ». Mais pas partout. RĂ©cemment (le 10 mars 2017 pour ĂȘtre prĂ©cis), un agent immobilier d’Argenteuil m’apprenait que des personnes viennent y acheter des maisons pour venir s’y installer. Car le prix des maisons y est plus abordable qu’à d’autres endroits. Croyez-vous que ces personnes soient en Ă©tat de paupĂ©risation ? Croyez-vous que ces personnes aient beaucoup Ă  voir, d’un point de vue salarial et professionnel, avec les Argenteuillais aux revenus et aux situations sociales plus modestes ? Par ailleurs, certaines villes proches de Paris peu courues dans le passĂ© sont aujourd’hui particuliĂšrement recherchĂ©es:

rappelez-vous Montreuil, Pantin, voire de plus en plus Aubervilliers ou encore St Denis et mĂȘme la Courneuve
.est-il donc difficile Ă  ce point de concevoir que dans un avenir plus ou moins proche, Argenteuil, ou certains quartiers d’Argenteuil, puisse ĂȘtre touchĂ©e par un regain d’attractivitĂ© Ă  peu prĂšs similaire ?

Trùs proche de la dalle d’Argenteuil se trouvent les Cîteaux d’Argenteuil :

Il s’agit en fait d’un des quartiers les plus aisĂ©s d’Argenteuil. Je puis vous garantir que lorsque l’on se trouve devant certains pavillons des CĂŽteaux avec vue dĂ©gagĂ©e sur Paris et la DĂ©fense, que l’on est trĂšs trĂšs loin, alors, de la « paupĂ©risation grandissante » mentionnĂ©e dans votre article. Je veux bien croire que la jeune AgnĂšs ignore cet univers pavillonnaire des CĂŽteaux car il est Ă©tranger Ă  sa perception du monde au moins Ă  Argenteuil. Mais est-ce une raison pour que la journaliste en charge de cet article soit aussi ignorante Ă  ce sujet ?

Page 34, sur une photo, la jeune AgnĂšs se rend sans doute Ă  son lycĂ©e situĂ© non loin de lĂ . Pourtant, dans son dos, Ă  deux ou trois minutes de lĂ , Ă  pied, se trouve une mĂ©diathĂšque. Pour m’y ĂȘtre rendu plusieurs fois, je puis vous assurer que le personnel qui s’y trouve entreprend des actions citoyennes souvent en partenariat avec la mĂ©diathĂšque du centre-ville. Et que cette mĂ©diathĂšque du Val d’Argenteuil (la mĂ©diathĂšque Robert Desnos) se trouve bien prĂšs de la dalle karcherisĂ©e mĂ©diatiquement ( gratuitement ?) par le prĂ©cĂ©dent prĂ©sident de la RĂ©publique et ,malheureusement, Ă  nouveau karchĂ©risĂ©e par votre article. Car votre article manque de nuance mais aussi d’informations pourtant faciles Ă  obtenir.

Non loin de lĂ  oĂč se trouve la jeune AgnĂšs sur la photo page 34, toujours prĂšs de la dalle, se trouve une annexe du conservatoire d’Argenteuil. Savez-vous que des personnes habitant Ă  Enghien, Courbevoie (donc des villes plutĂŽt « riches » et a priori dispensĂ©es d’une « paupĂ©risation grandissante ») et mĂȘme Paris viennent jusqu’à Argenteuil pour bĂ©nĂ©ficier des enseignements qui sont dispensĂ©s au conservatoire d’Argenteuil ? Comment expliquer que ce genre d’information soit absent de votre article ? Faire le portrait de la jeune AgnĂšs et de son quotidien justifie-t’il que l’on puisse passer sous silence ou ignorer ce genre d’information et que l’on puisse se satisfaire d’une vision aussi parcellaire- toujours la mĂȘme- d’Argenteuil dans un article de trois pages ?

Je poursuis. Toujours Ă  propos de la dalle d’Argenteuil, puisque votre article a eu visiblement pour destinĂ©e de camper uniquement Ă  la dalle d’Argenteuil pour parler d’Argenteuil :

A environ dix Ă  quinze minutes Ă  pied de lĂ  oĂč se trouve la jeune AgnĂšs sur la photo, toujours page 34, se trouve l’hĂŽpital d’Argenteuil. Un hĂŽpital, en soi, cela est plutĂŽt un horizon dĂ©primant. Mieux vaut se rendre dans une salle de cinĂ©ma ou Ă  un concert qu’à l’hĂŽpital. C’est vrai. Mais un hĂŽpital est une offre de soins et ça, personne, riche ou pauvre, jeune ou vieux, femme ou homme, peu malade ou trĂšs malade, ne peut s’en passer.

Sans doute Ă  l’image de la ville, l’hĂŽpital d’Argenteuil a ses insuffisances et ses paradoxes. Mais il a aussi ses atouts : il dispose par exemple d’une maternitĂ© de niveau 3. Ce qui signifie qu’il peut accueillir et s’occuper dĂšs la naissance d’enfants prĂ©maturĂ©s. Bien des hĂŽpitaux et bien des cliniques (y compris dans des villes plus riches qu’Argenteuil) n’ont pas cette compĂ©tence. Est-il vraiment facultatif de souligner cette information lorsque l’on fait un portrait d’Argenteuil qui plus est alors que la jeune AgnĂšs envisage de devenir infirmiĂšre ? Est-ce une information si difficile que ça Ă  obtenir ? Ou est-ce une information futile ? Cocher la bonne rĂ©ponse.

Mais d’un point de vue cinĂ©matographique, l’hĂŽpital d’Argenteuil est aussi un lieu de tournage :

Par exemple, certaines scĂšnes de la sĂ©rie policiĂšre et judiciaire Engrenages y ont Ă©tĂ© tournĂ©es. Si je ne me trompe, mĂȘme TĂ©lĂ©rama a beaucoup d’estime pour cette sĂ©rie. Rien n’est mentionnĂ© Ă  ce sujet dans votre article. Et, je m’en tiens lĂ . Car Argenteuil a encore d’autres atouts ( Le Figuier Blanc, la Cave DimiĂšre, la librairie Presse Papier, son grand marchĂ© Bd HĂ©loĂŻse ainsi que ses autres marchĂ©s, Les cinglĂ©s du cinĂ©ma, ses associations culturelles et sportives etc
.).

Lesquels atouts, étonnamment, je me répÚte, sont ignorés ou occultés par votre article. Comme celui-ci :

Par train direct, Argenteuil centre ville (cela est suggĂ©rĂ© dans votre article dans la phrase « Elle s’est trouvĂ© un eldorado un peu plus loin avec la galerie marchande CĂŽtĂ© Seine » ) est Ă  11 minutes de Paris St-Lazare.

Comme vous le savez, la gare de Paris St-Lazare est la plus importante d’üle-de-France (300 000 voyageurs par jour) devant la gare du nord, la gare de lyon etc


Depuis la gare du Val d’Argenteuil (oĂč se trouve la dalle car Argenteuil a deux gares : une Ă  Argenteuil centre-ville et une au Val D’Argenteuil. Et, il semblerait que le tramway pourrait arriver Ă  Argenteuil d’ici une dizaine d’annĂ©es
.) Argenteuil est Ă  17 minutes de la gare de Paris St-Lazare.

Ce sont des atouts. Ils sont pourtant invisibles dans votre article. Ou peut-ĂȘtre sont-ils mentionnĂ©s en minuscule si bien que l’usage d’un microscope est impĂ©ratif afin de les dĂ©busquer ?

Votre article de trois pages se voulait sans doute bienveillant, critique mais aussi impartial (c’est ce que j’ai encore envie de croire) mais aprĂšs sa lecture, Argenteuil, une nouvelle fois, reste Ă  quai avec pour seul horizon…un karcher.

On saute de joie”.

 

Franck Unimon

 

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Cinéma

Le Gangster, le flic et l’assassin

 

 

Le Gangster, le flic et l’assassin, film du rĂ©alisateur Kim Jee-Woon (en salles depuis ce 14 aout 2019)

 

Wallace Marsellus n’est pas mort. (Voir Pulp Fiction rĂ©alisĂ© en 1994 par Quentin Tarantino, Palme d’or Ă  Cannes). AprĂšs avoir dĂ©posĂ© le bilan de sa petite entreprise de massage de pieds et avoir Ă©chouĂ© Ă  se reconvertir en secouriste spĂ©cialisĂ© dans les massages cardiaques (le massage est chez lui une obsession aussi flagrante que le postillon) Wallace a fait un passage dans le cabinet Volte-Face du chirurgien John Woo et il est ressorti CorĂ©en du nom de Jang Dong-Su (l’acteur Ma Dong-Seok).

Toute personne qui a essayĂ© de lui marcher sur les pieds ou s’est moquĂ©e de son accent de « chinois marrant » s’est retrouvĂ©e avec les poumons tumĂ©fiĂ©s. Alors, les gens ont commencĂ© Ă  se mĂ©fier et l’ont laissĂ© s’installer. C’est comme ça que Jang Dong-Su a mis la main sur des machines Ă  sous trafiquĂ©es et d’autres marchĂ©s Ă  propos desquels je prĂ©fĂšre me taire au risque de me retrouver dĂ©branchĂ© de mes tubes. Car, oui, je vous Ă©cris aujourd’hui non depuis la plage oĂč je me fais bronzer mais depuis l’ülot de ma chambre de rĂ©animation oĂč les seuls rayons que je perçois sont ceux des radios que l’on dĂ©pose rĂ©guliĂšrement sur ma peau afin de surveiller la bonne rĂ©duction des dizaines de mĂštres de fractures dont Maitre Jang Dong-Su m’a fait l’honneur de me gratifier. Pour Maitre Jang Dong-Su, les coups ont une enveloppe quasi-mystique :

Ils se doivent « d’avoir un but et une Ă©motion ».

 

Malheureusement, le flic Jung Tae-Seok (l’acteur Kim Moo-Yul) se comporte tel un moustique en rut autour des affaires de Maitre Jang Dong-Su. Notre Maitre a beau activer sa moustiquaire prĂ©fĂ©rĂ©e, le patron corrompu et incompĂ©tent du petit Jung Tae-Seok. Mais Jung Tae-Seok est Ă  la pensĂ©e de Jung ce qu’un ver de terre est au fruit. Alors Jung Tae-Seok, peut ĂȘtre aussi maso qu’il recherche son pĂšre Ă  travers de consĂ©cutives mandales, continue d’harceler notre Maitre et de lui dĂ©blatĂ©rer dessus avec ses petites mandibules faites de dents au lait de coco.

 

Pendant ce temps, un mec blafard ( l’acteur Kim Sung-Kyu), sorte de croisement bĂątard originel entre Michael Jackson, Le Ninja et un garçon qui aurait toujours Ă©tĂ© allergique au soleil et au cheval, se balade en voiture et percute d’autres automobilistes façon Crash de David Cronenberg. C’est sa mĂ©thode de drague. Fuck les rĂ©seaux sociaux et les sites de rencontre en ligne ! Mais tout ça pour faire partir en sushis celui qui a eu le malheur de descendre de sa caisse pour vĂ©rifier le niveau de la tĂŽle et s’assurer que l’argus continuera de suivre.

Jusque lĂ , Le Gangster, le flic et l’assassin est un film trĂšs bateau jusque dans sa planification millimĂ©trĂ©e depuis les premiĂšres images Ă  hauteur d’hĂ©lico. Et puis, le tueur en sĂ©rie (J’espĂšre que vous avez suivi autre chose que le pelvis de MichaĂ«l Jackson depuis les derniĂšres lignes) essaie de se faire Notre Maitre Jang Dong-Su. VoilĂ  qui est original. Sauf que ça lui a rappelĂ© de trĂšs mauvais souvenirs Ă  Wallace Marsellus. Pardon, Ă  Maitre Jang Dong-Su. Et tout cela alors qu’il est dĂ©jĂ  sous pression pour cause de grande rĂ©sistance d’un autre Mafieux de ses connaissances qui refuse les plats avariĂ©s qu’il voudrait lui faire passer pour du Nem de la plus haute fĂ©licitĂ©.

 

La suite est malheureusement moins rutilante. On s’habitue vite aux tourments rĂ©pĂ©titifs des autres surtout lorsque l’on regarde ailleurs. En revanche, “Le” Jung Tae-Seok reste pĂ©nible. Heureusement que Maitre Jang Dong-Su et « Sushi Man » sauvent la mise. Mais l’infirmiĂšre vient d’entrer dans ma chambre et voilĂ  que, dĂ©jĂ , je sens mes lĂšvres Ă©clore dans la Tamise.

 

Franck Unimon, ce jeudi 22 aout 2019.

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Puissants Fonds/ Livres

La Peur a changé de camp 2Úme partie

 

 

 

La peur a changé de camp, un livre de Frédéric Ploquin paru en 2018.

 

« Ceux qui disent qu’ils n’ont pas peur sont des menteurs » a affirmĂ© l’ancien boxeur français, Fabrice BĂ©nichou, ancien champion du monde. Ces propos sont dans le documentaire Noble Art rĂ©alisĂ© en 2004 par Pascal Deux.

La vie de Fabrice Bénichou a aussi été faite de faillites personnelles et économiques tranchées par des dépressions, des tentatives de suicides, des hospitalisations, des addictions et par une interpellation par les forces de police.

Le film corĂ©en Le Gangster, le flic et l’assassin du rĂ©alisateur Kim Jee-Woon, en salles depuis ce 14 aout, nous montre trois mĂąles dominants, un Mafieux, un flic intrĂ©pide et un tueur en sĂ©rie dont la sĂ©crĂ©tion toute personnelle de testostĂ©rone et d’adrĂ©naline transforme diabĂšte, coma, blessures Ă  l’arme blanche, fractures, hĂ©morragies, fatigue, stress, empathie et peur en eau minĂ©rale facile Ă  avaler et Ă  Ă©liminer ensuite par les voies naturelles.

Dans Le Canard EnchaĂźnĂ© de ce mercredi 21 aout 2019, en premiĂšre page, on peut lire l’article Des chirurgiens dissĂšquent le LBD, qui relate la gravitĂ© des blessures causĂ©es par l’usage des balles de dĂ©fense (LBD) par les policiers :

« Fractures graves » ; « Les mĂȘmes blessures que l’on retrouve chez des individus qui se font frapper Ă  coups de batte de base-ball » ; « L’impact est si fort qu’il est comparable au coup de poing d’un boxeur professionnel ».

Des manifestants participant au mouvement des gilets jaunes ont été blessés par ces balles de défense.

L’auteur de l’article, S. Chalandon, grand reporter, Ă©crivain, a entre-autres rĂ©alisĂ© des reportages dans des zones de « conflit » en Irlande du Nord ainsi qu’au Liban. Il est citĂ© dans le livre Sans Blessures apparentes ( Sans Blessures Apparentes ) ainsi que dans le documentaire du mĂȘme nom du grand reporter Jean-Paul Mari oĂč celui-ci parle du stress post-traumatique longtemps cachĂ© parmi les grands reporters. Parce-que parler de sa douleur morale et de ses cauchemars en revenant d’un reportage oĂč l’on avait Ă©tĂ© le tĂ©moin de scĂšnes de guerre, ça faisait « chochotte » :

On passait pour une faible ou un faible.

Dans son livre hautement détaillé La peur a changé de camp, Frédéric Ploquin, également grand reporter, parle de la peur qui, désormais, et de plus en plus, menotte les femmes et les hommes policiers à leur fonction. En particulier dans les zones fortement urbanisées.

En lisant La peur a changĂ© de camp, j’ai trĂšs vite perçu le trĂšs grand professionnalisme de FrĂ©dĂ©ric Ploquin. Professionnalisme que j’avais dĂ©ja un peu dĂ©couvert Ă  la faveur d’articles lus Ă  propos de certains de ses documentaires sur le grand banditisme. Le but de mon article est d’essayer- en assez peu de pages- de me montrer Ă  peu prĂšs aussi nuancĂ© et complet qu’a pu l’ĂȘtre son ouvrage. Tout en le rendant un peu personnel. Ce qui m’a amenĂ© Ă  parler de l’ancien champion de boxe Fabrice BĂ©nichou, du film corĂ©en Le Gangster, le flic et l’assassin, de l’article de Le Canard EnchaĂźnĂ© sur lequel je suis tombĂ© et, oĂč, cette fois-ci, S. Chalandon parle du sujet prĂ©occupant de l’usage des balles de dĂ©fense.

L’article de S.Ch, cette fois-ci, confirme ce que nous savons et ce que FrĂ©dĂ©ric Ploquin aborde Ă©galement dans son livre :

La police a mauvaise presse. Et les mĂ©dias dĂ©noncent rĂ©guliĂšrement des exemples de bavures policiĂšres ou des manquements de la police aux droits Ă©lĂ©mentaires des citoyens : le respect, l’attention Ă  autrui
.

S. Chalandon est aussi un trĂšs grand professionnel. J’aime la plupart de ses articles dans Le Canard EnchainĂ©. Mon but n’est donc ni de nier la gravitĂ© du contenu de son article et encore moins d’organiser dans ma tĂȘte ou ailleurs un combat de boxe foireux entre son article de quelques lignes et les plus de trois cents pages reprĂ©sentatives de plusieurs mois d’enquĂȘte de l’ouvrage de FrĂ©dĂ©ric Ploquin.

L’article de S. Chalandon rĂ©sume oĂč nous en sommes de plus en plus en France, en tant que citoyens , avec la police, chaque fois que nous manifestons ou exprimons notre mĂ©contentement envers un gouvernement ou  une hiĂ©rarchie dans la rue et en nombre.

Le livre de Ploquin plonge , lui,  directement dans la société française et dans son évolution ainsi que dans celle du monde politique depuis environ ces trente derniÚres années.

Si l’on dĂ©tourne la phrase de l’ancien boxeur Fabrice BĂ©nichou, on peut affirmer que la peur n’a pas de camp. Tout le monde a peur Ă  un moment ou Ă  un autre dans sa vie personnelle ou professionnelle. Et les personnes qui vont affirmer le contraire mentent ou se mentent Ă  elles-mĂȘmes. MĂȘme si cela dure quelques secondes. Dire que l’on n’a jamais peur, c’est comme dire que l’on est immortel. Tout le monde va mourir un jour. Ce qui nous diffĂ©rencie les uns des autres, c’est ce moment oĂč la peur va nous saisir. Et notre façon de rĂ©agir Ă  son influence voire Ă  son « charisme ». Nous pouvons ĂȘtre paralysĂ©s et subir. Ou, au contraire, ĂȘtre « catapultĂ©s » par notre adrĂ©naline, nos rĂ©flexes, notre instinct de survie ou notre sens du devoir. Osciller entre le statut de victime, de survivant, de hĂ©ros
ou d’agresseur.

La police est enfermĂ©e dans l’image et le tiroir de l’agresseur. Ploquin fait remonter des faits qui accrĂ©ditent cette vision de la police.

Et ça commence dĂ©ja entre policiers. Si aujourd’hui, environ un quart des effectifs policiers est de sexe fĂ©minin, la misogynie et la suspicion, au sein de la police, quant aux compĂ©tences rĂ©elles, sur le terrain, des femmes policiers sont encore actives. Mais dans un mĂ©tier oĂč la force physique et frontale revient comme un Ă©lĂ©ment indispensable, cela peut aussi , dans certaines situations, se comprendre.

D’autres fois, la femme flic peut ĂȘtre perçue par ses collĂšgues masculins comme un expĂ©dient sexuel. Il lui faut donc aussi savoir se faire respecter de ses collĂšgues « Ne perds pas ton temps ! » comme en tĂ©moigne une des femmes flics.

Etre Arabe et musulman peut ĂȘtre un atout quand on est flic et que l’on veut se faire passer pour un consommateur et infiltrer un trafic de drogue car les clichĂ©s persistent aussi du cĂŽtĂ© des dĂ©linquants :

Car Etre Arabe et flic, « ça ne matche pas » ( ça ne colle pas). Encore faut-il que les collĂšgues flics (blancs) avec lesquels on travaille pour la mĂȘme maison ( la police) et pour les mĂȘmes raisons ( la Loi, la Justice)  sachent s’y retrouver entre les dĂ©linquants noirs et arabes, une minoritĂ©. Et tous les autres noirs et arabes, citoyens honnĂȘtes et paisibles, la majoritĂ©.

« Encore des Arabes ! » a conclu un des policiers blancs en s’adressant Ă  une de ses collĂšgues policiĂšres, d’origine arabe, aprĂšs les attentats de Mohammed Merah. Comme si celui-ci Ă©tait son frĂšre ou son cousin.

« Qu’est-ce qu’il y’a comme Bougnoules ! » dit un autre policier dans la voiture de fonction alors que lui et ses collĂšgues flics circulent, Ă  l’affĂ»t. Sauf que l’équipe dans le vĂ©hicule est constituĂ©e de deux flics blancs, d’un flic antillais et d’un flic arabe. Lequel flic antillais, quelques minutes plus tĂŽt, a aussi eu droit Ă  une nouvelle ration de pop-corn raciste le concernant en observant la faune alentour. Ces rĂ©actions racistes de certains flics, devenues instinctives, sont tellement caricaturales qu’en les lisant j’ai eu envie de rire. Comme j’avais pu d’abord rire devant le film Dupont Lajoie (1974) d’Yves Boisset en dĂ©couvrant ce que pouvait ĂȘtre une parole raciste dĂ©complexĂ©e (« Ce sont des Arabes, ils nous envahissent ! »). Le meurtre qui arrive rend ensuite le film beaucoup moins drĂŽle. Et, si j’Ă©tais flic,  j’aurais sĂ»rement peu rigolĂ© si, jour aprĂšs jour, patrouille aprĂšs patrouille, j’avais entendu tel collĂšgue policier         ( peu importe sa couleur de peau, son sexe, ses croyances religieuses ou ses origines sociales et culturelles ou son grade ) vider sa bile en matiĂšre d’anthropologie raciste sur les Noirs, les Antillais et les Africains et m’infliger quasi-quotidiennement ce qu’il faut bien voir comme du harcĂšlement.

Ce mĂȘme « harcĂšlement » sans doute mais sous une autre forme dont, sur la voie publique, ensuite, certaines personnes -dĂ©linquantes ou innocentes- s’estiment victimes.

Et je n’ai pas du tout rigolĂ© en voyant le film Un Français (2014) rĂ©alisĂ© par DiastĂšme.

Quarante ans sĂ©parent ces deux trĂšs bons films. Et chacun parle du racisme en France d’une façon diffĂ©rente. Dans le film de Boisset, on est plutĂŽt dans le racisme beauf de l’aprĂšs guerre d’Indochine et d’AlgĂ©rie. Dans le souvenir transi et palpitant de la « Grandeur » (splendeur ?) coloniale de la France. Dans le film de Diasteme, le racisme, sĂ»rement pour partie l’hĂ©ritier du prĂ©cĂ©dent, s’est structurĂ© sous la forme d’une milice qui peut ĂȘtre autonome et vaporiser la peur et le ressentiment dans les quartiers immigrĂ©s apparus depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Dans le film de Diasteme, le racisme se politise, devient agile, et peut agir en toute lĂ©galitĂ© donc en toute impunitĂ©. Ploquin ne va pas jusqu’à aborder ces sujets de cette maniĂšre tant son enquĂȘte est vaste et a nĂ©cessitĂ©- dĂ©jĂ - beaucoup de rencontres et de travail sur le terrain. Aussi, ce matin, en relisant mon article, c’est moi qui complĂšte avec cette petite touche cinĂ©matographique. Un film comme Les MisĂ©rables de Ladjy Ly , primĂ© Ă  Cannes cette annĂ©e et bientĂŽt en salles, apportera sans aucun doute, aprĂšs et avant d’autres films,  un autre regard complĂ©mentaire et documentĂ©  sur un certain type de rapports entre la police et certains quartiers de banlieue. Et Ă  travers eux, sur certains aspects de la sociĂ©tĂ© française d’aujourd’hui. Ou l’inverse.

 

Concernant l’électorat d’extrĂȘme droite dans la police, dans La Peur a changĂ© de camp, il y’a plusieurs versions. Des flics sont pro-extrĂȘme droite. Ce qu’ils voient et vivent de maniĂšre rĂ©pĂ©tĂ©e dans certains quartiers oĂč les rapports de force sont devenus la norme les acculturent Ă  leurs idĂ©es racistes de dĂ©part ou d’arrivĂ©e. Et pour eux, le « vivre ensemble » est une supercherie compte-tenu de leurs expĂ©riences dans les quartiers sensibles oĂč ils interviennent. D’autant qu’en dehors des heures de travail, on reste plutĂŽt entre flics. Ou en famille plutĂŽt tranquillement chez soi. A essayer de se remettre de la violence du mĂ©tier. Car malgrĂ© la carapace que l’on se crĂ©e, peu Ă  peu, certaines expĂ©riences traumatiques et impossibles Ă  raconter Ă  son supĂ©rieur, au “quidam” voire Ă  sa famille ou Ă  son conjoint ou Ă  sa conjointe, s’incrustent dans les pensĂ©es et les rĂȘves ( des cauchemars).  Voir ou revoir Mel Gibson ou Sylvester Stallone en traumatisĂ©s de guerre dans les films L’Arme Fatale ou Rambo ou des films ou des sĂ©ries policiĂšres rĂ©centes telles True DĂ©tective, ça peut encore ĂȘtre trĂšs tĂ©lĂ©gĂ©nique et donner du plaisir au spectateur. A vivre,  d’un point de vue fantasmatique et physique, c’est une toute autre expĂ©rience. Et elle peut ĂȘtre trĂšs dĂ©sagrĂ©able jusqu’Ă  l’insupportable.

Selon La Peur a changĂ© de camp, d’autres policiers ont votĂ© pour l’ExtrĂȘme-Droite par dĂ©pit et colĂšre.

Ps :  j’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© d’apprendre que de plus en plus d’infirmiĂšres et d’infirmiers votaient pour l’ExtrĂȘme droite. Si j’accepte l’idĂ©e que l’on peut, malheureusement, ĂȘtre infirmiĂšre ou infirmier et ĂȘtre raciste ( l’Allemagne nazie nous a bien tristement “enseignĂ©” que l’on pouvait ĂȘtre mĂ©decin et nazi ), je crois aussi Ă  la possibilitĂ© d’un vote de colĂšre, de dĂ©ception et de mĂ©contentement qui peut s’exprimer en votant pour l’ExtrĂȘme Droite.

Et, l’ExtrĂȘme droite serait le seul parti politique qui soutient officiellement la police et saurait vĂ©ritablement en quoi consiste, aujourd’hui, le travail d’un flic en France. Les discours de Marine Le Pen concernant la police seraient Ă©crits par un flic au vu de la bonne connaissance du sujet et des problĂšmes bien des fois rencontrĂ©s sur le terrain par les femmes et les hommes policiers.

Il est nĂ©anmoins un certain nombre de flics antifascistes. Mais qui obĂ©issent aux ordres. Pourtant dans la police, il y’a pire qu’ĂȘtre Arabe, Noir, femme et musulman :

Etre flic et homo. Ça a du mal Ă  passer. Donc, si la police, dans la diversitĂ© de ses rangs, se fait aussi le reflet de la sociĂ©tĂ© française, l’intĂ©gration et les promotions s’obtiennent beaucoup plus difficilement pour certaines et certains. Et il faut aussi se taire sur son homosexualitĂ© et savoir la cacher quand on est flic.

 

 

Parmi les autres causes de dĂ©sagrĂ©ments internes Ă  la profession policiĂšre, Il y’a aussi… les vols entre collĂšgues dans le vestiaire des flics. Argent, VTT, parfum
.

Il est aussi quelques flics ripoux : on informe ses copains cambrioleurs que certaines maisons seront vides de leurs propriĂ©taires durant les vacances. On vole les codes d’accĂšs Ă  certains fichiers sensibles concernant un trafic de drogue.

Il y’a des flics rugueux. Et Ă  une Ă©poque, il pouvait ĂȘtre courant de donner une baffe « thĂ©rapeutique » Ă  quelqu’un qui se rebiffait et parlait mal alors qu’on l’interpelait. Ou parce qu’il s’était abstenu de signaler qu’il portait sur lui une lame ou des stupĂ©fiants lors d’un contrĂŽle.

Il y’a des bavures policiùres.

 

Au total, « Sur les vingt trois mille policiers que comptent Paris et la petite couronne, une centaine passe ainsi chaque annĂ©e au conseil de discipline, dont un tiers pour des faits de corruption ou de consommation de stupĂ©fiants (pour dĂ©tecter la « mauvaise graine », l’administration a dĂ©veloppĂ© ces derniĂšres annĂ©es des tests inopinĂ©s dans les Ă©coles) les autres pour conduite en Ă©tat d’ivresse ou violences conjugales. Les vrais bandits restent heureusement assez rares dans la police mais ces cas isolĂ©s font d’autant plus mal que les mĂ©dias , fans de ripoux, ces personnages souvent rocambolesques qui fascinent tant ils osent tout, leur font une publicitĂ© inversement proportionnelle Ă  celle qui entoure les petits vols au quotidien ».

 

Il est aussi des fois oĂč des policiers interviennent suite Ă  un appel et tombent dans un guet-apens prĂ©parĂ©. Il est d’autres fois oĂč ils se retrouvent en infĂ©rioritĂ© numĂ©rique en terrain hostile alors qu’ils font leur travail : Poursuivre jusqu’à chez lui un dĂ©linquant qui a arrachĂ© une tablette numĂ©rique Ă  son propriĂ©taire aprĂšs l’avoir tabassĂ©. Et se retrouver, Ă  trois ou quatre flics dans l’appartement de l’auteur de l’agression. Alors que de l’autre cĂŽtĂ© de la porte, un « gros noir » se prĂ©sente et dit :

« Ouvre-moi la porte, j’habite ici ! » DerriĂšre cet habitant qui veut “simplement” s’en retourner dans son logis, dans l’immeuble, « trente lutins, torse nu » attendent.

 

Au sein de la police, s’il y’a un problĂšme, il vaut mieux fermer sa gueule afin d’ĂȘtre bien vu. Et, si possible, rĂ©gler ça proprement et discrĂštement. Ou digĂ©rer le tout. Le fait de devoir justifier pratiquement chaque action. Le temps allongĂ© pour s’acquitter de la paperasse. Les contrariĂ©tĂ©s variĂ©es, personnelles et professionnelles, ainsi que les contradictions :

Si la gendarmerie, la rivale, a un type de commandement unifié, la police, elle, compte plusieurs directions et plusieurs services et presque autant de motifs de défiance et de concurrence.

Pourtant, il faut bien qu’à un moment ou Ă  un autre, les flics parlent et se parlent entre eux. Ils ont trĂšs peu la possibilitĂ© de s’épancher devant des psychologues ou des oreilles discrĂštes, disponibles et bienveillantes :

« Notre quotidien, ce n’est pas de s’amuser Ă  frapper les gens, c’est de ramasser la cervelle d’un jeune percutĂ© par une voiture et d’embarquer du pochtron » rappelle utilement une gardienne de la paix. Qui peut mieux comprendre ce que tu vis qu’un autre flic ? ».

« Alors que les militaires disposent de 15 800 personnels de santĂ© pour 140 000 personnes, les 150 000 policiers n’ont Ă  leur disposition que 284 mĂ©decins et infirmiers ».

Les commissaires Ă  « l’ancienne » qui allaient boire un coup avec leur Ă©quipe et prenaient le temps de s’enquĂ©rir de la vie personnelle de leurs troupes sont de plus en plus rares. L’obsession du chiffre et de la promotion qui y est associĂ©e les a soit poussĂ©s vers la retraite, envoyĂ©s sur une autre planĂšte oĂč l’administration/l’administratif et le monde politique sont oppressants.

Si les flics sont souvent des femmes et des hommes qui s’engagent par idĂ©al de Justice, ils sont rĂ©guliĂšrement déçus par le manque de considĂ©ration de leur hiĂ©rarchie. Les flics qui sont intervenus lors des attentats terroristes « du » Bataclan ont reçu une mĂ©daille « deux ans et deux mois plus tard ». Des promotions sont accordĂ©es Ă  la tĂȘte du client. La direction s’adresse aux flics principalement pour les recadrer et les engueuler. TrĂšs rarement pour les fĂ©liciter. La Justice rendue par les juges est perçue comme laxiste et mĂ©prisante Ă  leur encontre. Une certaine solidaritĂ© et un sens du devoir demeurent entre flics mais l’esprit du collectif serait moins fort qu’ « avant ».

 

Les hommes politiques se servent de la police comme d’une bonne Ă  tout faire. Comme tout faire pour donner une bonne image de leurs dĂ©cisions ministĂ©rielles et gouvernementales. Nicolas Sarkozy, Maitre Karcher, les a par exemple karchĂ©risĂ©s et les a entubĂ©s :

Il a pris leur vote électoral pour devenir Président de la République. Il a réduit leurs effectifs. Désormais, il faudrait faire aussi bien voire mieux mais avec moins de personnel. Sarkozy a accentué le rÚgne du chiffre et du rendement- qui lui préexistait- au sein de la police en réservant une prime aux « meilleurs» flics :

Celles et ceux qui ramÚneront le plus de « baballes » de chiffres.

Un des Maitres Ă  penser de Nicolas Sarkozy, Claude GuĂ©ant, lui, s’est servi dans les caisses de la police.

François Hollande, une fois Ă©lu PrĂ©sident de la RĂ©publique,  les a dĂ©savouĂ©s en prenant par exemple mĂ©diatiquement position pour le jeune « ThĂ©o » sans prendre le temps de tout comprendre et de tout savoir du dĂ©roulement de l’interpellation.  Il aurait suffi de regarder et d’interprĂ©ter certaines images vidĂ©os de l’intervention au prĂ©alable.

AprĂšs les attentats terroristes, il a fallu combler un manque de personnel de toute urgence. Le prĂ©sident de la RĂ©publique, prĂ©cĂ©dent, Nicolas Sarkozy, ayant dĂ©cidĂ© de diminuer les effectifs policiers. La formation d’un policier, ordinairement d’un an, est alors passĂ©e ( exceptionnellement ?) Ă  six mois. Si au cours de sa formation, un flic s’entraĂźne au tir en moyenne une fois par semaine, dĂšs lors qu’il est diplĂŽmĂ© et en activitĂ©, ce chiffre tombe Ă  environ trois entraĂźnements de tir par an en raison de son emploi du temps chargĂ©. Il est difficile dans ces conditions- selon un moniteur de tir de la police- d’ĂȘtre serein et maitre de soi lorsque l’on est flic, que l’on porte une arme et que l’on doit s’en servir alors que l’on est devenu la cible de jeunes dĂ©linquants (cocktail molotov, aquarium avec poisson, rĂ©frigĂ©rateur, pavĂ©s
.) et des terroristes capables de venir vous agresser jusqu’à votre domicile.

Ce qui, « avant » ne se produisait pas.

 

« Avant », c’était aussi lorsque les anciens prenaient le temps de former les nouveaux flics, qui, au sortir de l’école, ne savent pas grand chose du mĂ©tier. En pratique. Comme dans bien d’autres mĂ©tiers. Cette passation entre anciens et nouveaux flics se fait de moins en moins.

MĂȘme le casting d’origine des flics a changĂ© : « Avant », une bonne majoritĂ© des flics de la rĂ©gion parisienne Ă©tait d’origine ouvriĂšre. Aujourd’hui, il y’a de plus en plus de jeunes provinciaux d’un milieu social assez confortable dont certains sont accompagnĂ©s Ă  leur entrĂ©e Ă  l’école de police par leurs parents.

Les jeunes flics de « maintenant » supporteraient moins bien les contraintes du mĂ©tier (horaires, conditions de travail) que leurs prĂ©dĂ©cesseurs. Ils sont aussi plus Ă  l’aise avec les rĂ©seaux sociaux et ont sĂ»rement contribuĂ© Ă  cette manifestation de flics- qui ont dĂ» dissimuler leur visage pour Ă©viter d’ĂȘtre reconnus par leur hiĂ©rarchie ainsi que par de potentiels agresseurs- autour de l’Arc de Triomphe Ă  l’automne 2016 pour exprimer le mĂ©contentement de la profession malgrĂ© leur devoir de rĂ©serve.

 

En face, aussi, ça a changé : les délinquants vont délibérément au contact des flics. Ils sont plus durs et plus agressifs que leurs anciens.

Les hommes politiques, eux aussi, ont changĂ©. Le dernier Ministre de l’IntĂ©rieur qui a eu une bonne cote auprĂšs de la police s’appelle Pierre Joxe et il Ă©tait socialiste. Apparemment, Charles Pasqua ensuite avait Ă©tĂ© assez bien vĂ©cu. Et, rĂ©cemment, Bernard Cazeneuve Ă©tait , contrairement aux apparences, plutĂŽt bon avec la police. Autrement, les hommes politiques s’y connaissent principalement en mĂ©dias et en plan de carriĂšre. Ils sont aussi en poste pour une durĂ©e courte. Par contre, ils ne connaissent rien au travail sur le terrain. Ils n’y connaissent rien au travail qui se fait dans la police au mĂȘme titre qu’ils n’y connaissent rien en ce qui concerne le bon fonctionnement d’une centrale nuclĂ©aire. Par contre, ils savent parler, se faire filmer avec le beau costume, la belle lumiĂšre. Et, ils savent Ă©couter les directeurs gĂ©nĂ©raux et les conseillers qui leur assurent que tout va bien sur le terrain. Pour le prouver, ils ont des chiffres. On leur fournit des chiffres. Sachant que, dĂ©sormais, on privilĂ©gie le nombre d’intervention pour faire du chiffre.

Plus on fait d’interventions, plus on fait du chiffre et plus on « dĂ©montre » que l’on est efficace. Et plus on augmente ses chances d’ĂȘtre bien vu de sa hiĂ©rarchie, donc d’ĂȘtre promu. Mais aussi de toucher une prime :

195 euros par trimestre lorsque l’on est « en bas de l’échelle ». « Entre 15 000 et 20 000 euros par an pour un patron d’arrondissement parisien ».

Dans le livre de Ploquin, j’ai aussi lu que certains commissaires avaient demandĂ© – et obtenu- d’ĂȘtre payĂ©s davantage en Ă©tant moins nombreux. ça me fait penser Ă  ces collĂšgues infirmiĂšres et infirmiers qui acceptent d’ĂȘtre mieux payĂ©s en clinique en Ă©tant moins nombreux et en faisant des journĂ©es de travail plus longues. Et aussi plus nombreuses. Dans une clinique, on pourrait travailler un certain nombre de jours d’affilĂ©e sans prendre de jour de congĂ©. Dans un hĂŽpital public, la lĂ©gislation du travail nous impose, pour notre santĂ©, de prendre un jour de congĂ© Ă  partir d’un certain nombre de jours et de nuits travaillĂ©es. A ce jour, et pour l’instant, j’estime que le travail qui se pratique dans une clinique psychiatrique (oĂč l’on est trĂšs bon pour faire du chiffre et de l’abattage) est par exemple de moins bonne qualitĂ© relationnelle avec le patient qu’à l’hĂŽpital public. Lequel hĂŽpital public est de plus en plus sommĂ© de s’aligner sur le modĂšle de l’entreprise et de la clinique privĂ©e.

Dans la police, on fait plus de chiffre en interpellant des personnes en situation irrĂ©guliĂšre pour leurs papiers ou en interceptant un fumeur de joint qu’en dirigeant une enquĂȘte qui prend deux Ă  trois mois avant d’obtenir un Ă©ventuel rĂ©sultat. J’imagine que le flic qui m’a interceptĂ© aprĂšs mon passage de la porte de validation qui m’avait tant contrariĂ© (voir mon article C’est Comportemental !) Ă©tait soit puni par sa hiĂ©rarchie ou faisait du chiffre.

 

Le chiffre devance la compĂ©tence. C’est vrai pour les rĂ©sultats Ă  la fin des formations dans la police : si l’on a une trĂšs bonne note, on peut choisir l’affection que l’on souhaite. Et fuir les commissariats qui craignent sur des secteurs oĂč les dĂ©linquants multirĂ©cidivistes se sentent chez eux car peu sanctionnĂ©s par la Justice quels que soient leurs Ă©tats de fait : vols, menaces, agressions physiques sur agent, injures, dĂ©gradations
.

 

Pour les politiciens, tout va bien puisque c’est « qu’on » leur dit et c’est aussi ce qu’ils brĂ»lent d’entendre. Pour les politiciens, les syndicats policiers exagĂšrent les faits. Et les flics sont des trouillards. Ou des canidĂ©s qu’il faut bien tenir en laisse afin d’éviter de nouvelles Ă©meutes dans les quartiers, ce qui serait mauvais pour l’image de la police et dĂ©sastreux pour n’importe quel candidat Ă  l’approche des Ă©lections.

 

A mesure de cet article, d’agresseur, le flic est devenu victime. Entre les deux, il est aussi hĂ©ros mais cela est peu exposĂ© dans les mĂ©dias. Par choix de certains mĂ©dias. Par intermittence aussi : Ploquin rappelle qu’aprĂšs les attentats terroristes, pendant un temps, les flics et les CRS Ă©taient vus comme des hĂ©ros par les Français. Puis, cette « histoire d’amour » pour les forces de l’ordre s’est Ă  nouveau ternie.

Il est une autre raison pour laquelle les faits hĂ©roĂŻques policiers disparaissent de la circulation : la jalousie entre collĂšgues. La jalousie entre services d’intervention. Tel collĂšgue qui brille dans les mĂ©dias est susceptible de susciter la jalousie d’un ou plusieurs collĂšgues gradĂ©s. Ou d’une autre institution qui a mal digĂ©rĂ© une affaire passĂ©e et qui peut profiter d’une «opportunitĂ© » pour salir la rĂ©putation d’un professionnel jusque lĂ  approuvĂ© officiellement.

 

En conclusion, les agents de police souffrent souvent de manque de respect et d’attention de la part de leur hiĂ©rarchie (du commissaire au Ministre), de leurs collĂšgues et des citoyens. De leur cĂŽtĂ©, bien des citoyens, gratuitement ou Ă  raison, leur reprochent les mĂȘmes exactions.

« Aux yeux de l’administration, le flic doit ĂȘtre bon Ă  tout faire ou alors il n’est bon Ă  rien ».

Je crois que beaucoup de citoyens, s’ils remplacent le mot « flic » par la fonction professionnelle qu’ils occupent peuvent aussi se retrouver dans cette phrase. Sauf que le flic, lui, est entre deux. Autant je plains Ă©videmment les victimes de bavures policiĂšres, autant j’ai aussi l’impression qu’il est bien des fois oĂč la femme et l’homme flic, mĂȘme bien disposĂ© Ă  l’égard de l’humanitĂ© et du citoyen, est Ă  la place du con dĂšs lors qu’au dessus de lui un supĂ©rieur pond un ordre ou une directive sans queue ni tĂȘte.

Dans le film corĂ©en Le gangster, le flic et l’assassin, le flic intrĂ©pide (et aussi trĂšs tĂȘte Ă  claques) rĂ©ussit facilement Ă  se soustraire aux ordres de son patron incompĂ©tent et corrompu et conserve sa libertĂ© d’action et de commandement. Mais il s’agit d’une fiction oĂč la sociĂ©tĂ© corĂ©enne apparaĂźt nĂ©anmoins si rĂ©glĂ©e et si cadenassĂ©e, que dans les faits, en CorĂ©e comme en France, je crois qu’un tel flic aurait Ă©tĂ© dĂ©mis de ses fonctions, ou mutĂ© avant que l’assassin soit identifiĂ©.

Mais concernant l’enquĂȘte de Ploquin, il est Ă©tonnant de voir comme ces femmes et ces hommes flics qui- malgrĂ© eux- voient l’envers du dĂ©cor d’une sociĂ©tĂ© et ses travers sont aussi vus Ă  l’envers -et de travers- par celles et ceux qu’ils se sont aussi vouĂ©s Ă  dĂ©fendre et Ă  protĂ©ger :

« Une grappe de jeunes filles lĂ©gĂšrement alcoolisĂ©es trinquent et multiplient les selfies Ă  la terrasse d’une brasserie de la place de Clichy, Ă  Paris. L’humeur est gaie et lĂ©gĂšre, la vie presque belle, mais dans leur voiture, Ă  quelques encablures, trois policiers de la BAC de nuit ne voient pas le monde en rose : voilĂ  des victimes idĂ©ales pour ces arracheurs de portables qui frĂŽlent en coup de vent les terrasses et disparaissent avec leur butin. A l’affĂ»t, les « Baceux » guettent le premier mouvement suspect, une posture, un regard, un type qui ferait tache dans le dĂ©cor, capuche sur la tĂȘte, pas vraiment lĂ  pour boire un coup ».

« Au petit jour, l’équipage devra encore sĂ©curiser les clients des boĂźtes homos du Marais, proies sur mesure pour toutes sortes de prĂ©dateurs ».

« Entre les mauvais regards qui dĂ©bouchent sur un Ɠil en moins, les coups de couteau pour une cigarette, les vols avec violence, ceux qui finissent dans les eaux d’un fleuve pour n’en pas remonter, la vie nocturne donne au flic une image assez radicale de l’ñme humaine. Tout au moins une idĂ©e assez prĂ©cise de ce que le peuple urbain compte de dĂ©jantĂ©s et d’agresseurs. Il y’a la face visible de l’iceberg et le reste, poursuit ce brigadier que ses amis surnomment « Le Hibou », nuiteux depuis plus de dix ans. En surface, tout le monde il est beau et gentil ».

 

Ces extraits de La Peur a changĂ© de camp impose l’idĂ©e qu’à faire ce mĂ©tier de flic, on « devient » plus ou moins ce milieu inversĂ©, tordu et bizarre dans lequel on Ă©volue. Puisqu’il faut s’y adapter en permanence avant d’en revenir. Ce milieu que le citoyen lambda peut se permettre d’ignorer,  dont il perçoit parfois une infime surface, et qu’il peut ĂȘtre tentĂ© d’expĂ©rimenter au risque de se faire briser.

RegardĂ©s comme celles et ceux qui se risquent dans ce milieu de vie et de mort, et mĂȘme s’ils sont volontaires, les femmes et les hommes flics sont aussi des ĂȘtres sacrifiĂ©s. Bien plus que ce qu’eux mĂȘmes ou leurs proches avaient pu prĂ©voir en entrant dans la police. Car comme le dit un des tĂ©moins lors de cette enquĂȘte, le point fort de la police, c’est sa rĂ©activitĂ©. Pas sa capacitĂ© d’anticipation. Et celles et ceux qui devraient faire montre d’anticipation, les dĂ©cideurs, sont sur d’autres plans.

« La culture de la maison, c’est la rĂ©activitĂ©. Elle est tellement ancrĂ©e que l’on frise l’aberration. J’ai toujours martelĂ© l’idĂ©e qu’il fallait faire preuve d’anticipation mais la police ne sait pas faire ». (un ancien policier, fils de policier).

 

Je regarde Ă©videmment la police d’un autre Ɠil depuis la lecture La Peur a changĂ© de camp. Mais il n’est pas certain que tous les agents de police le sachent.

Il y’a quelques jours, lorsque j’ai traversĂ© la route avec ma fille prĂšs de notre immeuble, une voiture de police Ă©tait arrĂȘtĂ©e au feu rouge. Assez rĂ©guliĂšrement dans ma ville, Argenteuil, je vois ou entends une voiture de police. Au cours de ma lecture de La Peur a changĂ© de camp, j’ai repensĂ© Ă  un ancien copain, d’origine indienne, qui vivait  à Sarcelles il y’a plus de dix ans. Goguenard, il m’avait dit une de ces  fois oĂč j’Ă©tais allĂ© chez lui,  entendre “tous les jours” la sirĂšne d’une voiture de police. Son rĂȘve Ă©tait alors d’aller vivre en PolynĂ©sie et de se rendre rĂ©guliĂšrement Ă  la mer afin de pratiquer palmes, masque et tuba. Il est finalement parti s’installer et se marier Ă  PondichĂ©ry.

Le livre de Ploquin m’a permis de relativiser encore davantage le climat de vie Ă  Argenteuil. MĂȘme si celle-ci, malgrĂ© ses divers atouts, conserve gĂ©nĂ©ralement une mauvaise image dans la presse par exemple en raison, sĂ»rement, du nombre d’incivilitĂ©s qui s’y pratiquent et auxquels j’assiste quelques fois malgrĂ© moi et de certains trafics qui y sont Ă  l’oeuvre. Mais la rĂ©putation d’une ville, d’une personne, comme de la carriĂšre d’un flic, quels que soient ses mĂ©rites, peut ĂȘtre sĂ©vĂšrement et durablement entachĂ©e par certains Ă©vĂ©nements et quelques Ă©lĂ©ments.

 

Nous nous sommes avancĂ©s sur le passage piĂ©tons, ma fille et moi. Nous Ă©tions tous les deux porteurs de notre casque Ă  vĂ©lo et d’une paire de lunettes noires. Je tenais le siĂšge enfant que j’allais ensuite installer Ă  l’arriĂšre de mon vĂ©lo. Ma fille, quant Ă  elle, portait la pompe Ă  vĂ©lo. La femme flic au volant de la voiture a un moment regardĂ© dans notre direction. Elle aussi portait des lunettes noires. Je me suis demandĂ© si elle avait pu, un moment, nous suspecter d’un dĂ©lit quelconque. MĂȘme si cette femme flic ainsi que ses collĂšgues ne m’inspiraient pas de peur particuliĂšre, j’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© par l’absence de sourire sur son visage. Mais elle a peut-ĂȘtre aussi Ă©tĂ© Ă©tonnĂ©e de me voir la regarder sans un sourire. Ou se demander la raison pour laquelle je la regardais tout en traversant la route.

Franck Unimon, jeudi 22 aout 2019.

Pour complĂ©ter, on peut aussi lire dans l’ordre que l’on souhaite les articles Tenir le rythme, La Peur a changĂ© de camp, Mes rĂȘves avaient un goĂ»t de sel.

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Tenir le rythme

 

 

Tenir le rythme :

Hier, j’Ă©tais avec ma fille. Sa mĂšre travaillait. Au retour de ma compagne, j’ai eu le sentiment d’avoir Ă©tĂ© un bon pĂšre. Hier.

Quelques heures plus tĂŽt, nous allions dĂ©jeuner notre fille et moi lorsqu’elle avait voulu nĂ©gocier :

Ce qu’elle allait manger. Ainsi que la quantitĂ©. Des pĂątes. Et une demie-cuillĂšre de petits pois. Je lui ai rĂ©pondu :

« Tu sais ce que je vais te donner ? A manger ! ».

Et, je lui ai servi environ deux Ă  trois cuillĂšres Ă  soupe de petits pois cuisinĂ©s la veille par sa maman.  Ainsi qu’un peu de riz. La suite viendrait aprĂšs.

Si on écoutait notre fille, elle mangerait du riz et des pùtes ou des pùtes et du riz à tous les repas. Et des frites. Il faut parvenir à se faufiler dans la file active de ses préférences alimentaires. Chacun son style entre sa maman et moi.

Mon style est de ne pas laisser le choix. Et de servir d’abord ce que je veux qu’elle mange. Sa mĂšre aussi essaie de faire pareil. Mais il doit y avoir une habitude entre notre fille et sa mĂšre : sur certains sujets, notre fille doit dĂ©jĂ  savoir, Ă  son Ăąge, qu’elle peut en quelque sorte faire flĂ©chir sa mĂšre. Ou lui rĂ©sister.

Mais j’aurais tort de fanfaronner : Notre fille a ses limites. Elle a mangĂ© hier les petits pois servis parce qu’ils faisaient nĂ©anmoins sans doute partie de sa juridiction alimentaire et de celles de ses humeurs. Il y’a d’autres fois oĂč sa mĂšre s’en sort mieux que moi avec elle : avec calme.

AprÚs le déjeuner, nous sommes partis chercher mon vélo.

La veille ou le matin, ma fille m’avait fait savoir qu’elle souhaitait sortir :

Au cinĂ©ma, dans un parc ou ailleurs. Assez souvent, elle me formule ce genre de demande. Faire une sortie Ă  un moment de la journĂ©e. Cela peut consister Ă  aller faire des courses, passer Ă  la mĂ©diathĂšque, aller Ă  la librairie puis rentrer au bout d’environ deux heures.

Hier, je n’étais pas inspirĂ© pour l’emmener Ă  la piscine. Les tempĂ©ratures se sont un peu rafraĂźchies. Elle s’est enrhumĂ©e.

Elle a rapidement choisi d’aller faire une promenade Ă  vĂ©lo derriĂšre moi, le long de la Seine.

Ce genre de promenade faisait partie de ce que j’avais prĂ©vu de faire cet Ă©tĂ© avec elle :

La piscine et ce genre de promenade à vélo.

Nous avons donc fait une promenade Ă  vĂ©lo Ă  partir de 14h30, heure oĂč nous sommes partis de chez nous. Pour rentrer vers 18h30. Bien-sĂ»r, nous n’avons pas roulĂ© durant quatre heures. Mais nous avons fait une bonne promenade jusqu’à Nanterre, jusqu’au Chemin de l’üle, je pense. Un coin oĂč, ado, il m’était arrivĂ© de me rendre  Ă  pied depuis l’ancien domicile de mes parents situĂ© au 17, allĂ©e Fernand LĂ©ger, prĂšs du grand parc de Nanterre, pour aller chez un copain de lycĂ©e : Lakhdar. Celui chez qui j’allais Ă©couter de la musique et qui m’avait fait dĂ©couvrir des titres de James Brown, de Soul. Celui avec lequel j’avais Ă©coutĂ© du Reggae en buvant du lait de vache frais. Celui que j’avais accompagnĂ© un jour, par curiositĂ©, non loin de mon ancien collĂšge, afin d’acheter du shit pour un de ses bons copains.

Lakhdar m’avait demandé :

« Tu veux venir avec moi ? ». J’étais disponible et j’avais acceptĂ©. Je voyais bien oĂč se trouvait l’endroit oĂč il avait rendez-vous.

La double particularitĂ© de cet achat est que Lakhdar connaissait bien la vendeuse. C’était une de ses ex-copines de classe que je connaissais de vue. PlutĂŽt mignonne, plus ĂągĂ©e et plus grande que moi donc intimidante et intouchable. VĂȘtue Ă  cette Ă©poque et ce jour-lĂ  avec des vĂȘtements de couleur noire, un Jeans, un genre plutĂŽt Hard-Rock. Une jeune femme blanche, souriante, plutĂŽt « cool » Ă  sa façon, et visiblement Ă  l’aise.  En tout cas plus que  moi.

En ce sens oĂč j’Ă©tais un puceau qui marchait droit.

J’ai oubliĂ© si elle consommait. Mais par Lakhdar, j’avais su que cette ex-copine de classe au lycĂ©e Ă©tait une revendeuse rĂ©guliĂšre. Elle avait Ă©tĂ© aperçue vendant du shit Ă  des gamins Ă  la sortie d’un collĂšge. Ce qui avait bien dĂ©plu Ă  un des bons copains de Lakhdar, Ali, qui Ă©tait un militant en faveur de la jeunesse.

La seconde particularitĂ© de cette course tout de mĂȘme, c’était que ni Lakhdar ni moi n’étions fumeurs. Nous Ă©tions donc deux idiots qui, s’ils s’étaient faits « gauler » avec la barrette de shit, auraient eus quelques difficultĂ©s Ă  expliquer ce qu’ils  faisaient avec ce genre de produit. Et le coin de vente Ă©tait plus proche de chez moi que du domicile de la famille de Lakhdar. Puisque c’était prĂšs de mon ancien collĂšge que j’avais quittĂ© pour le lycĂ©e oĂč j’avais rencontrĂ© Lakhdar. Aujourd’hui, je peux en sourire. C’était il y’a plus de trente ans. AprĂšs le Bac, nous vivons une accĂ©lĂ©ration du temps qui nous Ă©loigne d’un certain nombre de personnes. Soit de notre fait. Soit suite Ă  la dĂ©cision des autres. Je n’ai pas revu Lakhdar depuis environ trente ans. Et cette revendeuse, je n’ai pas essayĂ© de mesurer son trajet ou de savoir de quoi il avait pu ĂȘtre fait par la suite. Aujourd’hui, je pencherais plutĂŽt pour une trajectoire moins “cool” qu’elle me paraissait alors en la voyant. Mais on peut ĂȘtre- agrĂ©ablement-surpris.

Hier, ma fille a bien aimĂ© notre sortie. Moi aussi. J’avais prĂ©vu ce qu’il fallait question sandwich, eau. Au retour, nous nous sommes arrĂȘtĂ©s Ă  une aire de jeux oĂč se trouvaient quelques enfants et leurs parents.   Prenant exemple sur une adulte qui venait de faire de la balançoire Ă  cĂŽtĂ© d’elle, Je lui ai montrĂ© comment faire de la balançoire toute seule. Puis,  elle s’est entraĂźnĂ©e alors que je l’encourageais. En pratiquant, elle y arrivera. Je l’ai aussi un peu poussĂ©e.

Alors que nous allions partir pour rentrer, j’ai entendu de la musique qui venait d’un peu plus haut, dans le parc LagravĂšre que nous longions. Les gens que nous apercevions n’avaient pas l’air de s’en prĂ©occuper plus que cela. Mais pour moi, il Ă©tait Ă©vident que c’était un « groupe » qui jouait en Live. Nous nous sommes rapprochĂ©s de l’endroit Ă  vĂ©lo.

Un jeune avait installĂ© sa batterie devant l’entrĂ©e du parc LagravĂšre et jouait du Police ou du Sting. A la batterie. Seul. C’était bien. Quelques personnes Ă©taient lĂ . Deux ou trois adultes. Cinq ou six enfants.

AprĂšs quelques minutes, le batteur a permis Ă  un enfant noir de faire de la batterie.

Le « petit » s’est installĂ© avec ses tongs aux pieds, son short et son tee-shirt Ă  manches courtes. Je m’attendais Ă  ce qu’il dĂ©couvre l’instrument grĂące Ă  la gentillesse du batteur qui devait avoir une vingtaine d’annĂ©es Ă  peine.

Le mĂŽme de 8 ans s’est avĂ©rĂ© trĂšs douĂ©. L’Afrique. L’Afrique et ses paradoxes. Dans le livre La peur a changĂ© de camp, FrĂ©dĂ©ric Ploquin rĂ©vĂšle au cours de son enquĂȘte que dans certaines citĂ©s et certains quartiers, selon l’expĂ©rience de certains flics, des Noirs et des Arabes sont les principaux fauteurs de troubles. D’oĂč un certain racisme de certains flics qui doivent se farcir les infractions Ă  rĂ©pĂ©tition, ainsi que les insultes, les agressions et les provocations des mĂȘmes dĂ©linquants souvent trĂšs vite relĂąchĂ©s- donc abonnĂ©s Ă  un sentiment d’impunitĂ©- et qui voient leur citĂ© ou leur quartier comme leur territoire. Et les flics comme un gang ou une autre bande rivale qu’il convient de dĂ©bouter.

Ce mîme de 8 ans, hier, rappelait que l’Afrique, noire ou du Maghreb, a aussi autre chose à offrir au monde et à la vie, pour peu qu’on lui en donne les moyens.

Je me suis tournĂ© vers ma fille, toujours assise derriĂšre moi. A la fin, je lui ai demandĂ© si cela lui avait plu. Elle a acquiescĂ© Ă  voix basse. Avec ses lunettes de soleil aux verres noir, son casque Ă  vĂ©lo sur la tĂȘte et son air sĂ©rieux, j’avais du mal Ă  percevoir si cela lui avait vĂ©ritablement plu. MĂȘme si, quelques minutes plus tĂŽt, elle m’avait demandĂ© de nous rapprocher. Alors que moi, par prudence pour ses oreilles, j’avais optĂ© pour nous tenir Ă  une distance de sĂ©curitĂ©.

Devant mon insistance pour savoir, elle m’a alors rĂ©pondu :

« J’ai envie de pleurer tellement c’était bien ».

AprĂšs son solo, le jeune noir a pris sa trottinette et s’est dirigĂ© vers le parc LagravĂšre, c’est-Ă -dire dans notre direction. Il Ă©tait suivi par deux filles noires un peu plus ĂągĂ©es que j’avais vues danser un peu plus tĂŽt. J’ai appris par ces deux filles un peu plus ĂągĂ©es qui le suivaient (ses sƓurs ?) qu’il avait commencĂ© seul. En tapant sur des casseroles et des branches d’arbre. Et que, maintenant, il en en avait ” un…”. Un vrai instrument de musique. Une batterie.

J’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© en Ă©coutant ces deux filles de comprendre que le Français semblait ĂȘtre leur seconde langue.

Le batteur, lui, Ă  deux ou trois mĂštres, est restĂ© silencieux. Il m’a regardĂ© et Ă©coutait tandis que les deux filles me rĂ©pondaient avec le sourire. On aurait dit, dĂ©jĂ , deux agents s’occupant de leur artiste. Mais elles avaient 12 ans tout au plus, les deux agents d’artistes. L’Afrique, encore, et cette belle prĂ©cocitĂ© qui nous livre Ă  de si grandes perplexitĂ©s, nous, les occidentaux, moi, dont les ancĂȘtres, comme le reste de l’HumanitĂ© ( jusqu’à preuve du contraire) viennent de lĂ -bas. De ce continent que je ne connais pas et qui contient pourtant tant d’échecs et aussi tant de Savoirs.

Je n’ai pas entendu la voix de ce mĂŽme. Lorsque j’ai restituĂ© Ă  ces trois gamins les propos de ma fille, ce sont les deux jeunes filles qui ont rĂ©agi en s’émouvant. Le mĂŽme, lui, n’a rien rĂ©pondu. Mais lorsque j’ai dit :

« C’est bien ! Il faut continuer ! ». J’ai bien vu qu’il m’a Ă©coutĂ© avec attention. Et que mes mots comptaient pour lui, moi l’adulte qui, Ă  ce moment-lĂ , question musique aurait pu, tout aussi bien, ĂȘtre son Ă©lĂšve, trĂšs peu douĂ©, malgrĂ© les quarante annĂ©es qui nous sĂ©paraient.

Puis, je les ai laissĂ©s partir. En pensant malgrĂ© moi que j’espĂ©rais que ce gamin tiendrait le rythme. Qu’il ne s’égarerait pas en cours de route dans la dĂ©linquance.

Il n’existe sans doute aucune statistique, ou alors occulte, de ce genre, mais il est vraisemblable que parmi tous ces gamins dĂ©linquants multirĂ©cidivistes dont se « plaignent » certains flics dans le livre de FrĂ©dĂ©ric Ploquin, qu’il en est un certain nombre dont la courbe des dons a Ă©tĂ© stoppĂ©e ou braquĂ©e Ă  un moment ou Ă  un autre. « Who knows » ? Comme aurait pu dire Jimi Hendrix.

Who knows ?

Dans le livre de Ploquin, j’ai appris que des gamins de 12 ans pouvaient toucher 150 euros par jour pour faire les guetteurs. Afin d’avertir les trafiquants de drogue ou les dealers de l’arrivĂ©e de la police.

150 euros par jour, ça peut faire jusqu’à 4500 euros par mois. Pour des gamins qui ne savent rien du trafic de drogue en lui-mĂȘme. D’oĂč il vient, quelle quantité .

150 euros par jour, c’est une somme largement suffisante pour dĂ©tourner un gamin de 12 ans de l’école. Qui plus est s’il est dĂ©jĂ  en Ă©chec scolaire. 4500 euros par mois pour accepter d’ĂȘtre un simple exĂ©cutant. Je crois que beaucoup de personnes, mĂȘme adultes (on serait surpris) accepteraient ce genre de job moyennant une telle somme.

En reprenant la route, j’ai dit Ă  ma fille que j’aurais dĂ» demander au mĂŽme son prĂ©nom. C’est une mauvaise habitude, lorsque l’on s’adresse amicalement Ă  un inconnu, de ne pas se prĂ©senter. Et « d’oublier » de lui demander son prĂ©nom.

Ma fille m’a demandĂ© pourquoi j’aurais voulu connaĂźtre son prĂ©nom. J’ai essayĂ© de lui expliquer. Elle m’a Ă©coutĂ©. Mais pendant que je pĂ©dalais, j’avais l’impression que ce que je disais se perdait dans le vent. Mais le principal, sans doute, c’était que, pour le moment, elle soit encore bien attachĂ©e derriĂšre moi tandis que je nous ramenais Ă  la maison. Et que le retour se dĂ©roule sans encombre.

Franck Unimon, mardi 20 aout 2019.

Ps : La photo de cet article n’est pas une erreur. Compte tenu de l’ñge des protagonistes principaux croisĂ©s hier dont je parle dans  cet article, j’ai prĂ©fĂ©rĂ© m’abstenir de montrer un clichĂ© les reprĂ©sentant. Et, ce, afin de les prĂ©server de certains alĂ©as de notre vie « moderne » et « civilisĂ©e ».

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La Peur a changé de camp

 

 

 

 

La peur a changé de camp, un livre de Frédéric Ploquin paru en 2018.

 

 

C’est en commençant Ă  travailler dans un service de pĂ©dopsychiatrie que j’ai- frontalement et dĂšs le dĂ©but- dĂ©couvert la « conviction » de territoire :

 

Cette attitude ferme et de dĂ©fi qui consiste Ă  vous faire comprendre que vous ĂȘtes le nouveau venu. Que vous ĂȘtes incompĂ©tent pour reprĂ©senter la Loi, l’autoritĂ© et la connaissance, ici. Que vous devez en quelque sorte la fermer et vous soumettre, ici. Car vous n’ĂȘtes pas sur votre territoire. Vous ĂȘtes un Ă©tranger. Un outsider. A moins que vous ne parveniez Ă  faire vos preuves.

 

C’est une jeune de 15 ou 16 ans qui m’avait fait ressentir ça. Elle pouvait ĂȘtre insolente mais pas forcĂ©ment si mĂ©chante que cela. Plusieurs annĂ©es plus tard ( c’Ă©tait fin 2000) je crois pouvoir encore me rappeler de son prĂ©nom.

Cependant, ce n’est pas avec elle que par la suite, mes collĂšgues et moi avions eu le plus de difficultĂ©s relationnelles. Cette jeune Ă©tait ensuite  dĂ©finitivement “sortie” du service quelques jours plus tard et nous ne l’avions plus revue.

Fin 2000, j’avais pourtant la trentaine. Soit le double de l’ Ăąge de cette jeune. Mais ça n’était pas un problĂšme :

Avec son assurance- et l’Intelligence– de celle qui Ă©tait dĂ©ja sur les lieux avant mon arrivĂ©e, et le fait que je prenais mes marques dans le service, elle avait rĂ©ussi en une remarque Ă  prendre un certain ascendant sur moi.

Je venais d’arriver par mutation en tant que titulaire dans ce service. Auparavant, nĂ©anmoins, j’avais fait des Ă©tudes d’infirmier dĂšs ma sortie du lycĂ©e. Cela m’avait donc quelque peu dĂ©niaisĂ©. J’avais aussi dĂ©jĂ  un peu voyagĂ© Ă  l’étranger, fait quelques Ă©tudes dans d’autres domaines. J’avais aussi au prĂ©alable exercĂ© dans divers Ă©tablissements de soins en tant qu’infirmier intĂ©rimaire, vacataire. Mais aussi en tant qu’infirmier titulaire : dans un service fermĂ© d’hospitalisation en psychiatrie adulte et, cela, dĂšs mon service militaire alors obligatoire.

Dans mes 20 ans, j’avais dĂ©couvert le travail de nuit en tant que soignant vacataire dans le service d’une clinique privĂ©e. Les patients avaient en moyenne l’ñge de mes grands-parents soit le triple de mon Ăąge. Lors de mes nuits de douze heures, j’étais responsable d’eux, seul soignant sur deux Ă©tages. En cas de problĂšme, je pouvais solliciter mes collĂšgues du dessus, Ă©galement seuls dans leur service. Cela Ă©tait une rĂšgle assez implicite : car je ne me souviens pas que la direction qui m’avait employĂ© pour ces vacations ait beaucoup insistĂ© pour me le faire savoir. Le mĂ©decin d’astreinte, lui, arriverait de chez lui au bout d’une heure ou deux si on l’appelait. J’en ai fait l’expĂ©rience. Je me rappelle encore de lui dĂ©bouchant tranquillement dans le service en espadrilles, avec sa cigarette maĂŻs allumĂ©e dans la bouche, alors que je m’inquiĂ©tais pour une grand-mĂšre tombĂ©e sur la tĂȘte depuis son lit. Elle avait une belle bosse.

Trente ans plus tard, cette clinique existe toujours. Elle fait aujourd’hui partie d’un groupe privĂ© florissant qui possĂšde plusieurs cliniques : OrpĂ©a ou Korian. Pour certaines entreprises privĂ©es, ou laboratoires, le secteur de la santĂ© est un marchĂ© juteux en termes de bĂ©nĂ©fices.  Aujourd’hui, plus qu’hier et moins que demain, les hĂŽpitaux publics ont pris pour modĂšle ces entreprises privĂ©es. Les hĂŽpitaux publics se sont donc mis sur les rails afin de se rapprocher le plus possible de ces modĂšles de rĂ©ussite et de profit Ă©conomique.

Je me sens tenu de rappeler que l’on dĂ©cide rarement de devenir infirmier dans le but de devenir millionnaire ou afin de se faire de l’argent sur le dos, la souffrance et le dĂ©sespoir des autres, soignants inclus.  Ou alors, il s’agit trĂšs certainement d’infirmiers que j’ai peu cĂŽtoyĂ©s, qui reprĂ©sentent Ă  mon avis une minoritĂ© ou qui se sont en quelque sorte reconvertis ou quelque peu Ă©loignĂ©s de cette temporalitĂ© particuliĂšre oĂč nous “sommes” vraiment avec les patients et les autres. Et non le temps de quelques secondes et de quelques formules interchangeables faites d’ Ă©lĂ©ments de langage impersonnels.

 

 

Enfin, Ă  titre personnel, un an avant d’arriver dans ce nouveau service de pĂ©dopsychiatrie, pour permettre Ă  ma sƓur (de neuf ans ma cadette) et Ă  notre frĂšre (de 14 ans mon benjamin) d’avoir un toit et de poursuivre leurs Ă©tudes et de s’installer dans leur vie d’adulte, j’avais rendu mon appartement de cĂ©libataire et obtenu de la mairie de notre ville un appartement non loin de notre ancienne maison familiale, vendue pour cause de mutation de notre pĂšre dans notre pays d’origine : la Guadeloupe.

 

Plusieurs de mes ex-collĂšgues de psychiatrie adulte, pourtant des professionnels plus expĂ©rimentĂ©s que moi pour certaines et certains, de l’infirmier au mĂ©decin chef, m’avaient regardĂ© partir pour l’aventure de la pĂ©dopsychiatrie ( dans un service fermĂ© de soins et d’accueil urgents) avec une certaine rĂ©serve polie voire avec une admiration qui m’avait Ă©tonnĂ© :

j’étais un novice en tant qu’infirmier en pĂ©dopsychiatrie. On aurait presque dit que c’Ă©tait comme si j’avais annoncĂ© Ă  mes anciens collĂšgues de psychiatrie adulte que j’allais descendre en rappel au fond d’un gouffre dont j’ignorais tout. Et, il est vrai qu’à mes dĂ©buts dans ce service, j’ai dĂ» apprendre beaucoup. Et aussi, rapidement, apprendre Ă  affirmer mon autoritĂ©. Cette jeune de 15 ou 16 ans, et d’autres jeunes, me l’avaient trĂšs vite fait comprendre d’une façon ou d’une autre. Peu importait ce Ă  quoi on ressemblait et ce que l’on avait pu vivre et connaĂźtre auparavant ni ce que l’on Ă©tait dans notre vie personnelle par ailleurs. Il importait, dans ce service, de savoir s’affirmer en tant qu’adulte et en tant que reprĂ©sentant de l’AutoritĂ©. Que l’on soit une femme ou un homme. Que l’on mesure 1m60 ou 1m80. Que l’on porte des lunettes ou non. Que l’on soit blanc, arabe ou noir. Que l’on soit musulman pratiquant, catholique ou athĂ©e. Que l’on soit homo ou hĂ©tĂ©ro. Que l’on ait 20 ou 35 ans. PigĂ© ? Et, cela Ă©tait une rĂšgle implicite, instinctive. Immuable. Incontournable.

Ce que je raconte lĂ  semble trĂšs bien s’appliquer Ă  l’univers de la police dont parle FrĂ©dĂ©ric Ploquin dans son livre. MĂȘme si, Ă©videmment, il est d’autres univers professionnels avec lesquels on pourra trouver des points communs.

 

 

 

Aujourd’hui alors que j’ai quittĂ© ce service de pĂ©dopsychiatrie (aprĂšs quatre annĂ©es de pratique), je garde de cette expĂ©rience intense un souvenir fait de considĂ©ration et d’attachement. Pour cette Ă©poque. Pour mes anciens collĂšgues. Pour les jeunes rencontrĂ©s et un certain nombre de situations faciles et difficiles. Mais je me souviens, aussi, que c’est dans ce service oĂč j’avais fait l’expĂ©rience, comme la plupart de mes collĂšgues d’alors, de ces tests et rapports de force rĂ©pĂ©tĂ©s, usants et blessants entre certains jeunes difficiles- que nous essayions pourtant « d’aider »- et nous :

Insultes, menaces de mort, agressions physiques, intimidations, crachats et destruction des lieux avaient Ă©tĂ© le moyeu de certaines de nos relations avec quelques jeunes qui Ă©taient heureusement une minoritĂ©. A ce jour, je n’ai pas connu d’Ă©quivalent devant cette forme “d’avalanches” d’insultes, de menaces de mort, d’agressions physiques, d’intimidations, de crachats et de destruction des lieux vĂ©cues dans ce service. Ainsi qu’Ă  propos de cette nĂ©cessitĂ© de savoir rappeler constamment un certain cadre et certaines limites. MĂȘme lorsque tout se passait “bien”.

Il est vrai qu’en quittant ce service, je me suis dispensĂ© de rechercher un poste  prĂ©sentant les mĂȘmes caractĂ©ristiques ou d’y rester aussi “longtemps” : quatre annĂ©es dans un tel service Ă©tant une durĂ©e plus longue que dans d’autres. MĂȘme si ces troubles du comportement Ă©taient le fait, je le rappelle, d’une minoritĂ© des jeunes hospitalisĂ©s. Et qu’il y’a eu aussi des pĂ©riodes calmes et avec moins d’accrocs relationnels- ou plus supportables- avec la majoritĂ© des jeunes rencontrĂ©s.

 

Mais cette minoritĂ© difficile suffisait un certain nombre de fois Ă  tout oblitĂ©rer ou Ă  nous dĂ©stabiliser lorsque la violence et l’affrontement se faisaient les principaux modes de relations.

Car nous étions soignants et pas matons, CRS, vigiles, gardes du corps et encore moins là pour pratiquer la boxe, du MMA ou du Ju-jitsu brésilien ou du judo.

Car nous Ă©tions dans un hĂŽpital et pas dans la rue ou dans une famille dysfonctionnelle.

Pendant ce temps-lĂ , d’autres patients, plus « calmes » et plus faciles, devaient certaines fois ĂȘtre un peu dĂ©laissĂ©s afin que nous puissions nous concentrer sur cette patiente ou ce patient difficile. La rĂ©pĂ©tition de ces actes ou de ces propos volontaires et violents Ă©taient d’autant plus dĂ©concertants qu’ils Ă©manaient, pour la plupart, de mĂŽmes ĂągĂ©s en moyenne de 10 Ă  13 ou 14 ans, parfois plus. Un Ăąge que nous avions eus et oĂč, jamais, nous ne nous serions permis d’avoir le mĂȘme genre d’attitudes envers nos pairs, envers des adultes et des lieux, quelles que puissent ĂȘtre nos difficultĂ©s et nos impasses Ă©motionnelles et personnelles. Et je parle ici « uniquement » des actes de violence que ces jeunes ont pu porter contre autrui (patients ou soignants) ou contre les locaux. Il y’avait aussi les actes violents que certains de ces jeunes rĂ©alisaient contre eux-mĂȘmes et que nous nous efforcions de canaliser ou de prĂ©voir. Il y’avait aussi ces comportements Ă  risque tels que la fugue que d’autres pouvaient avoir en raison de leurs troubles du discernement.

 

Certaines situations frontales vĂ©cues avec plusieurs de ces  jeunes ” violents” ont donc Ă©tĂ© des chocs. Culturels, moraux, intellectuels, psychologiques. Et physiques. Plusieurs collĂšgues ont ainsi Ă©tĂ© en arrĂȘt de travail suite Ă  une agression. Ces situations ont aussi Ă©tĂ© l’occasion d’apprentissages de part et d’autres. Elles ont aussi sans aucun doute amenĂ© le fondement d’une solidaritĂ© particuliĂšre entre collĂšgues. Ce qui explique sĂ»rement le fait qu’à ce jour, mĂȘme si pour la plupart nous travaillons dĂ©sormais dans d’autres services voire dans d’autres rĂ©gions, il nous reste un quelque chose de cette unitĂ© ou de cette amitiĂ©. Et nos retrouvailles le temps d’un pique-nique l’an passĂ© par exemple, pour celles et ceux qui y Ă©taient, une dizaine d’annĂ©es aprĂšs avoir quittĂ© ce service, en atteste.

Ce matin, c’est ce que m’inspire Ă  l’écriture le livre La Peur a changĂ© de camp de FrĂ©dĂ©ric Ploquin. Ce livre, que je n’ai pas fini de lire, parle
de la dĂ©gradation gĂ©nĂ©rale et progressive des conditions de travail des flics. On me dira sans doute- y compris parmi mes pairs infirmiĂšres et infirmiers- qu’il n’y’a aucun rapport entre le travail d’un flic et celui d’une infirmiĂšre ou d’un infirmier en soins psychiatriques ou pĂ©dopsychiatriques. Et que mon goĂ»t pour le cinĂ©ma m’aura fait perdre pied ainsi que le contact avec la bobine du rĂ©el.

Alors, je commencerai par rappeler qu’il arrive que soit reprochĂ© Ă  la psychiatrie d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale d’ĂȘtre abusive et coercitive au dĂ©triment de la libertĂ© et de la santĂ© de personnes vulnĂ©rables :

Et, j’invite chacune et chacun Ă  se remĂ©morer certains documentaires, reportages, expĂ©riences personnelles ou faits divers montrant la psychiatrie sous un visage tragique, choquant et dĂ©favorable. Ou sensationnel.

Je rappellerai aussi que certains modes d’hospitalisation en psychiatrie sous contrainte mettent le soignant, qu’il le veuille ou non, dans la position de celle ou celui qui doit faire respecter la Loi et qui a, aussi, un certain Pouvoir :

Parce-que le patient (et/ ou son entourage et sa famille) est un danger pour autrui et/ou pour lui. Mais aussi parce-que le patient (et/ ou son entourage et sa famille), d’aprĂšs la situation rencontrĂ©e et son comportement, a dĂ©montrĂ© un manque de discernement qui l’empĂȘche de reconnaĂźtre la gravitĂ© de ses troubles du comportement et/ou de jugement. Et de donner son consentement pour recevoir certains soins.

 

Il me semble qu’aprĂšs ces deux rappels, on commence dĂ©jĂ  Ă  mieux comprendre en quoi, par moments, le travail d’une infirmiĂšre ou d’un infirmier en soins psychiatriques, peut ressembler ou donner l’impression de ressembler Ă  un travail de « flic ». Surtout si l’on exerce dans un service de soins fermĂ© et que certaines restrictions sont imposĂ©es – mĂȘme si elles sont gĂ©nĂ©ralement expliquĂ©es au prĂ©alable- aux patients :

Pas de tĂ©lĂ©phone ou alors des appels tĂ©lĂ©phoniques limitĂ©s et parfois en prĂ©sence des soignants ; pas de sortie du service pendant quelques temps ou sous condition et accompagnĂ© d’un ou de plusieurs soignants lorsque cela est possible ; le droit de fumer Ă  certaines heures et en certains lieux ; relations sexuelles interdites dans le service etc
..

Cette analogie apparente entre le mĂ©tier de flic, voire de maton,  et celui d’infirmier voire d’éducateur en soins psychiatriques et pĂ©dopsychiatriques peut expliquer certains « affrontements » avec le patient et/ou son entourage :

Fort heureusement, ces « affrontements » entre patient et soignants peuvent ĂȘtre provisoires et minoritaires. Le temps de faire connaissance et d’apprendre Ă  connaĂźtre les soignants qui sont des individus inconnus dont on ignore au dĂ©but, quel que puisse ĂȘtre leur discours de prĂ©sentation, les rĂ©elles intentions. Le temps de dĂ©cider si l’on va faire alliance ou non avec les soignants ou si l’on va rester « fidĂšle » ou « loyal » aux codes de conduite que l’on a toujours suivi jusque lĂ  et qui nous ont permis jusqu’alors d’exister, d’ĂȘtre acceptĂ©, de nous affirmer et de survivre dehors. Le temps de certaines crises qui permettent au patient d’exprimer un mal-ĂȘtre, une impuissance ou un dĂ©sespoir, plus ou moins longtemps contenus, et dont le corps soignant prĂ©sent devient alors
le rĂ©cepteur.

Et ce qui diffĂ©rencie un soignant d’un flic ou d’un individu lambda non-prĂ©parĂ© ou non-formĂ©, c’est le type de relation.  Le type d’action et de rĂŽle face Ă  la violence exprimĂ©e.  C’est le fait que le soignant va essayer de comprendre cette violence. Il va essayer de la retraduire et d’amener le patient Ă  saisir que cette violence qui lui Ă©chappe, alors qu’il croit sans doute la contrĂŽler, le handicape plus qu’elle ne lui sert. Il va essayer – quand c’est possible- de la « divertir », de la dĂ©tourner voire de la  canaliser.

Il va aussi essayer d’encourager le patient Ă  employer son Ă©nergie vers d’autres projets que ceux menant Ă  la destruction.

Cela est Ă©videmment bien plus facile Ă  thĂ©oriser qu’à rĂ©aliser : puisqu’il arrive que ces patients que l’on veut « aider » agressent les soignants fautifs d’ĂȘtre ces interlocuteurs imparfaits et constants. Fautifs de rappeler certaines rĂšgles et certaines limites. Fautifs de rappeler certains faits. Fautifs d’ĂȘtre celles et ceux qui dĂ©tiennent la clĂ© qui ouvrent et ferment les portes.

Il est aussi des personnes de la sociĂ©tĂ© civile, ni infirmiers, ni Ă©ducateurs, ni psychologues, ni mĂ©decins, qui excellent Ă  aider et soutenir bien des personnes en difficultĂ© morale et sociale. Mais cela se passe alors en dehors de l’enceinte de l’hĂŽpital et dans  un certain angle mort de la connaissance et de l’expĂ©rience hospitaliĂšre. Pour le pire ( sectes, groupuscules extrĂ©mistes,  et autres) ou pour le meilleur.

 

Fort malheureusement, aussi, Ă  l’hĂŽpital, certains de ces « affrontements » avec certains patients et/ou leur entourage et famille, peuvent plus ou moins durer, plus ou moins « planer » dans l’atmosphĂšre d’un service et peser en restant Ă  la limite du supportable.

Un des autres points communs du travail de flic avec le mĂ©tier de soignant en psychiatrie mais aussi dans d’autres disciplines de soins (somatiques comme mentales) est de voir l’envers du dĂ©cor d’une sociĂ©tĂ©. Dans cet envers du dĂ©cor, il n’y’a nul maquillage, campagne de communication ou de place pour la mise en scĂšne. On s’y rĂ©vĂšle avec nos viscĂšres, nos faiblesses, nos limites, nos mauvais profils comme avec nos forces morales et autres. Pratiquement sans faux semblant. On pourra dire de mĂȘme avec les mĂ©tiers de pompiers ou d’assistante sociale pour citer quelques unes de ces professions oĂč l’on est au contact, Ă  visage dĂ©couvert, avec la vie et l’intimitĂ© des gens. Et c’est, ici, le but principal de cet article :

 

Lire, en plein mois d’aoĂ»t, La peur a changĂ© de camp , de FrĂ©dĂ©ric Ploquin, grand reporter, spĂ©cialiste du grand banditisme, de sujets ayant trait Ă  la police et au renseignement, mais aussi rĂ©alisateur de reportages ?!

Il est  des lectures plus relaxantes et plus ensoleillĂ©es. Et, j’ai hĂ©sitĂ© Ă  en commencer la lecture (il me reste deux cents pages Ă  lire) avant ce samedi oĂč il pleut. D’autant qu’avec le mouvement des gilets jaunes mais aussi du fait de certaines bavures policiĂšres, les flics, comme souvent, voire comme toujours, ont une trĂšs mauvaise image. Surtout si l’on ajoute, une ou deux (voire beaucoup plus) expĂ©riences personnelles dĂ©sagrĂ©ables que l’on a pu vivre soi- mĂȘme ( je relate une de mes expĂ©riences personnelles assez rĂ©cente dans l’article Tenant du titre et, surtout, dans l’article C’est Comportemental ! ) ou dont on a Ă©tĂ© le tĂ©moin ou dont on a entendu parler.

 

Le livre de Frédéric Ploquin explique aussi les raisons de certaines erreurs et dérives policiÚres. Lesquelles raisons sont bien-sûr multiples et aussi personnelles :

De mĂȘme qu’il y’a de trĂšs bons flics, il y’a aussi des trĂšs mauvais flics.

Mais celles et ceux qui dĂ©cident, au dessus de leurs tĂȘtes, ont aussi leur part de responsabilitĂ©. Sauf que ces dĂ©cideurs et dĂ©cideuses, mĂȘme lorsqu’ils font des erreurs ou font certains choix politiques dĂ©lĂ©tĂšres, peuvent tranquillement poursuivre leur carriĂšre en restant Ă  l’abri contrairement aux policiers qui restent sur le terrain et doivent en rendre compte.

Je me doute bien que pour certaines et certains, les flics resteront des ennemis et « doivent » rester ces femmes et ces hommes responsables de tous les travers ou ces “fourmis” qu’il faudrait Ă©craser et dĂ©membrer une Ă  une. Je me doute aussi que pour certaines et certains, nuancer l’image de la police, c’est trahir et passer pour un gogo sans honneur et amnĂ©sique tout prĂȘt de se faire enrĂŽler comme boy ou serviteur bĂ©nĂ©vole au service du Rassemblement National ( ex-Front National) ou autre nostalgique nazi et esclavagiste.

Pourtant, Ă  mesure que je lis ce livre oĂč FrĂ©dĂ©ric Ploquin parle pourtant de la police, et rien que de la police, je m’aperçois que les conditions de travail dĂ©gradĂ©es de la police dont il parle, ressemblent Ă  ces mĂȘmes conditions de travail dĂ©gradĂ©es que connaissent depuis plusieurs annĂ©es les services publics de l’école et des hĂŽpitaux dans une sociĂ©tĂ© de plus en plus inĂ©galitaire. Pour ne parler que de la dĂ©gradation des conditions de travail dans les Ă©coles publiques et dans les hĂŽpitaux publics.

D’autres services publics sont sans doute touchĂ©s par les mĂȘmes dĂ©gradations des conditions de travail : qu’il s’agisse des transports ou de certaines entreprises publiques aujourd’hui privatisĂ©es
.

Comment continuer de s’abstenir de faire le rapprochement en lisant La Peur a changĂ© de camp ?

Nous sommes au mois d’aoĂ»t. C’est encore les vacances. Le livre de FrĂ©dĂ©ric Ploquin dĂ©taille et explique les raisons pour lesquelles, la rentrĂ©e et le retour de vacances seront suivis, comme souvent depuis plusieurs annĂ©es, malheureusement, de certaines crises sociales et autres.

Parce que certaines de nos Ă©lites continuent de mĂ©priser et de mĂ©connaĂźtre l’avenir. Ainsi que toute ou partie de nos histoires, de nos valeurs et de nos espoirs. Ce qui explique l’ascension sans filtre et apparemment sans frein de certains extrĂ©mismes et de certaines peurs. Pendant le mois d’aoĂ»t mais aussi lors des autres mois de l’annĂ©e.

En attendant d’autres articles sur des thĂšmes diffĂ©rents, et je l’espĂšre plus lĂ©gers,  on pourra trouver Ă  celui-ci une continuitĂ© avec mon article sur le livre Mes rĂȘves avaient un goĂ»t de sel.

Franck Unimon, ce samedi 17 aout 2019.

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Puissants Fonds/ Livres

Mes rĂȘves avaient un goĂ»t de sel

 

 

 

 

 

Tandis que ma fille faisait sa sieste hier aprĂšs-midi, j’ai terminĂ© le livre Mes rĂȘves avaient un goĂ»t de sel , publiĂ© en 2013, de J-Pierre Roybon, ancien nageur de combat. Il me restait Ă  peine vingt ou trente pages Ă  lire.

 

Dans les débuts de son livre, J-P Roybon, 65 ans en 2013 lorsque son livre a été publié, se sent obligé de prévenir, page 9 :

« Je ne suis ni Ă©crivain, ni bardĂ© de diplĂŽmes universitaires mais seulement dĂ©tenteur d’un certificat d’études primaires ». Sans doute des restes du « mauvais » Ă©lĂšve qu’il Ă©tait, dans une autre vie, dans cette Ă©cole obligatoire qu’il n’avait pas choisie et qui ne lui correspondait pas comme Ă  tant d’autres hier, aujourd’hui et demain.

Je soussignĂ©, moi, Franck Unimon, l’apprenti-Ă©crivain anonyme connu seulement de lui-mĂȘme, le plus ou moins universitaire avortĂ©, le littĂ©raire, et sans doute aussi l’artiste ratĂ©, je dĂ©clare avoir eu plaisir Ă  lire son Mes rĂȘves avaient un goĂ»t de sel comme je peux avoir plaisir Ă  Ă©couter certaines personnes qui ne sont pas de mon monde extĂ©rieur et immĂ©diat. A premiĂšre vue.

 

Je me suis retrouvĂ© dans certaines de ces valeurs qui tiennent J-Pierre Roybon en tant qu’homme et militaire :

J’ai dĂ©jĂ  pensĂ© que mon pĂšre aurait pu ĂȘtre militaire compte-tenu de sa rigiditĂ© et de sa « rusticitĂ© ». Dans son rĂ©cit, J-Pierre Roybon , alias Royco, insiste Ă  plusieurs reprises sur le point qu’un bon nageur de combat se doit d’ĂȘtre « rustique ». En plus de dĂ©montrer de sĂ©rieuses aptitudes physiques, mentales, morales, techniques ainsi qu’ Ă  la pratique de la solidaritĂ© et
obĂ©issance aux ordres.

 

Dans les faits, mon pĂšre (de la mĂȘme gĂ©nĂ©ration que J-Pierre Roybon et de quatre ans son aĂźnĂ©) avait Ă©tĂ© exemptĂ© de son service militaire car il Ă©tait devenu « fou » au moment de le faire ou aprĂšs avoir Ă©chouĂ© au bac. J’ai un peu oubliĂ© la chronologie aujourd’hui. Par contre, j’ai fait mon service militaire mĂȘme si j’ai passĂ© la plus grande partie de mon service militaire Ă  exercer en tant qu’infirmier diplĂŽmĂ© d’Etat
en psychiatrie : pas mal pour quelqu’un dont le pĂšre Ă©tait devenu « fou » une gĂ©nĂ©ration plus tĂŽt au moment de faire son service militaire ou aprĂšs avoir Ă©chouĂ© au bac !

Pendant mon service militaire- encore obligatoire alors- je me suis un moment demandĂ© si j’allais m’engager. En tant qu’infirmier. Non pour des raisons patriotiques ou guerriĂšres. Je n’ai jamais Ă©tĂ© sĂ©duit par les attraits du clairon nous commandant de servir de chair Ă  canon pour quelques dĂ©cideurs protĂ©gĂ©s et dont les motivations profondes m’étaient Ă©trangĂšres. Peut-ĂȘtre aussi que ma filiation antillaise ainsi qu’avec l’histoire de l’esclavage m’a fait grandir dans une certaine mĂ©fiance envers la Nation française et blanche. Et je reste sceptique devant le sacrifice (« oscarisĂ© » pour Denzel Washington) lors de la guerre de sĂ©cession de certains esclaves noirs amĂ©ricains dans le film Glory rĂ©alisĂ© en 1989 par Edward Zwick.

 

A Lourdes, pendant mon service militaire en 1993, on nous avait ainsi servi des dĂ©filĂ©s militaires de diffĂ©rents pays et des images montĂ©es afin de nous sensibiliser Ă  l’horreur- rĂ©elle- de la guerre au Kosovo. Si d’autres appelĂ©s venus comme moi Ă  Lourdes avaient alors manifestĂ© leur bruyant et enthousiaste patriotisme ainsi que leur Ă©motion, j’étais restĂ© discrĂštement perplexe devant la mise en scĂšne de ces dĂ©filĂ©s militaires comme devant les images- et la musique- que l’on nous avait prĂ©sentĂ©es.

NĂ©anmoins, en lisant le livre de J-P Roybon, il m’est apparu que j’étais aussi attachĂ© Ă  ce qu’il dĂ©crit en matiĂšre d’abnĂ©gation de soi, d’efforts, d’entrainement physique et mental intense, d’éducation personnelle, de rite initiatique et d’apprentissage de la vie d’adulte et de la rencontre d’amis vĂ©ritables et durables. Comme on peut le dire quelques fois crument :

Lorsque l’on en chie avec quelqu’un, on apprend Ă  se connaĂźtre et il est impossible de se mentir Ă  soi-mĂȘme comme aux autres. Et J-P Roybon, lors de ses diverses formations, en a « chiĂ© » avec d’autres.

Dans son rĂ©cit, on retrouve donc de maniĂšre amplifiĂ©e ces valeurs- et d’autres- que l’on peut admirer et courtiser lorsque l’on regarde la figure des samouraĂŻ ou de toutes ces femmes et ces hommes combattants qui sont au rendez-vous de certains codes d’honneur et actes hĂ©roĂŻques. Quelle que soit leur place vis-Ă -vis de la « Loi » :

Qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme rĂ©sistant lors de la Seconde guerre Mondiale ou lors de la guerre d’AlgĂ©rie, cĂŽtĂ© algĂ©rien. Qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme esclave qui marronne. D’une personne dĂ©portĂ©e qui s’Ă©chappe d’un camp de concentration. D’une victime qui se soustrait Ă  son agresseur. Qu’il s’agisse d’un soldat ou d’un SamouraĂŻ.

Bien-sĂ»r, au cinĂ©ma, on peut penser aux yakuzas tels que nous les a montrĂ©s un rĂ©alisateur comme Takeshi Kitano dans ses films Sonatine, Hana-Bi , Aniki, mon frĂšre ou autres. Mais on peut aussi penser au personnage interprĂ©tĂ© par De Niro dans Heat de Michael Mann. Au personnage de garde du corps puis de tueur tenu par Denzel Washington dans Man on Fire de Tony Scott. Ou au rĂŽle tenu par l’acteur Mads Mikkelsen dans le film Michael Kholhaas rĂ©alisĂ© en 2013 par Arnaud des PalliĂšres. On peut aussi penser Ă  la premiĂšre heure du film Jeanne d’Arc de Luc Besson. On peut Ă©galement penser Ă  certains intellectuels qui, Ă  certains moments de l’Histoire, ont fait entendre leur voix, leur conscience et leur identitĂ© : Les AimĂ© CĂ©saire, Gilbert Gratiant, Dany LaferriĂšre et d’autres dont les musiciens et chanteurs Arthur H et Nicolas Repac ont mis en musique certains des textes et poĂšmes dans le trĂšs bel album L’Or noir sorti en 2012.

 

 

 

On peut bien-sĂ»r penser Ă  beaucoup d’autres figures fĂ©minines, masculines, historiques, contemporaines ou « fictives » qu’elles soient connues, oubliĂ©es ou inconnues, consensuelles, contrastĂ©es ou transgenres, chacun et chacune choisissant ses modĂšles selon ses propres critĂšres, besoins et urgences personnelles et morales. Certaines personnes penseront Ă  l’exemple de Simone Veil, d’autres Ă  la navigatrice Ellen Mac Arthur, Ă  la militante Angela Davis, Ă  l’artiste Nina Simone, ou Ă  PJ Harvey, Lady Gaga, Madonna, Beyoncé .

 

 

Ma vie personnelle et ma personnalitĂ© ont connu, connaissent et accomplissent un engagement moins extrĂȘme que ces exemples rĂ©els ou fictifs. J’ai pourtant connu des moments de ma vie oĂč je me dirigeais vers ce genre d’engagement ou de rapport Ă  la vie. Et oĂč j’étais plus « rustique ». Plus engagĂ©. Plus dur au mal. Je pense par exemple Ă  ces deux ou trois annĂ©es de ma vie, ou, adolescent, je m’entraĂźnais avec assiduitĂ© Ă  l’athlĂ©tisme avec certains copains. Et oĂč j’aurais Ă©tĂ© capable- sans dopage- de donner encore plus de ma personne si mes rĂ©sultats m’y avaient encouragĂ© et que ma forme physique et morale me l’avaient permis.

Je pense aussi Ă©videmment au moins Ă  mes Ă©tudes d’infirmier d’Etat qui, dĂšs la sortie du lycĂ©e, avant mes 18 ans, m’ont fait rentrer dans la tĂȘte une vision et une expĂ©rience du Monde et de la vie bien diffĂ©rente de celle que l’on peut s’en faire en allant au lycĂ©e, Ă  l’universitĂ© ou en effectuant des Ă©tudes oĂč sang, viscĂšres, Ă©liminations de l’organisme et diverses maladies et Ă©tats de santĂ© restent, sauf drame familial et personnel, une expĂ©rience limitĂ©e dans l’espace et le temps ou circonscrite Ă  la lecture d’un livre, la vision d’un film, d’un reportage ou Ă  la dĂ©couverte d’un fait divers dans les mĂ©dia et les rĂ©seaux sociaux.

Pour avoir passĂ© trois ans Ă  la Fac aprĂšs l’obtention de mon diplĂŽme d’Etat d’infirmier, je peux tĂ©moigner que mon regard sur le monde et sur la vie Ă©tait assez diffĂ©rent de celui d’un certain nombre de mes sympathiques camarades de DEUG d’Anglais. J’avais pourtant Ă  peine deux ou trois ans de plus que la majoritĂ© d’entre eux. Et si j’étais sorti du lycĂ©e comme eux en arrivant Ă  la fac, j’aurais sans aucun doute Ă©tĂ© dans le mĂȘme Ă©tat d’esprit que la plupart d’entre eux. MĂȘme si j’avais pu y cĂŽtoyer un camarade se rendant avec ses parents au KĂ©nya pour y faire un safari durant les vacances de NoĂ«l, une autre dont le rĂȘve Ă©tait que ses parents lui achĂštent un cheval avec le box qui va avec. MĂȘme si j’avais pu voir une Ă©tudiante engueuler – telles de vulgaires gouvernantes- deux secrĂ©taires de l’Ăąge de sa mĂšre au motif que lors des dates de partiels de rattrapage elle serait…en vacances !

 

Je crois que mon « dĂ©calage » mental avec mes camarades de l’universitĂ©, sans doute dĂ©jĂ  Ă  l’Ɠuvre en sourdine bien avant, m’a en fait poursuivi, rattrapĂ© et s’est accentuĂ© Ă  mesure de mes annĂ©es d’exercice infirmier et de ma vie d’adulte. Dans mes relations personnelles mais aussi professionnelles :

Signe que je suis encore un naïf et un « gentil », je reste étonné devant la vanité de certaines relations et rencontres dont je parle un peu dans mon article Paranoïa Sociale.

 

Il est aussi vrai qu’à mon niveau, je me suis « embourgeoisĂ© ». Je me suis dĂ©tendu avec les annĂ©es et « laissĂ© aller ». Je le vois Ă  des indices trĂšs simples qui pourraient faire sourire mais qui, moi, me gĂȘnent un peu :

J’estime avoir entre trois et cinq kilos en trop et avoir un peu de ventre. Et j’ai beaucoup de mal Ă  les perdre. La solution, pourtant simple, qui consiste Ă  se dĂ©penser physiquement, intensivement, de maniĂšre rĂ©guliĂšre, me rĂ©siste. Pourtant, j’aime faire du sport. Et je suis capable d’en faire seul, peu importe la tempĂ©rature extĂ©rieure. Avec une prĂ©fĂ©rence, quand mĂȘme, pour les tempĂ©ratures basses lorsqu’il s’agit de courir Ă  l’extĂ©rieur.

J’ai aussi un dĂ©couvert bancaire chronique. Avec les annĂ©es, j’ai accumulĂ© des objets dont je ne me sers pas ou trĂšs peu. Si je m’étais dispensĂ© de la moitiĂ© voire du quart d’entre eux, mon solde bancaire serait sans doute crĂ©diteur et cela jusqu’Ă  ma mort voire au-delĂ .

Je continue pourtant assez rĂ©guliĂšrement de me trousser de jolies petites histoires oĂč il est question de nouveaux objets Ă  acquĂ©rir.

Nous avons dĂ» obtenir un crĂ©dit immobilier pour l’achat de notre appartement.

 

« Avant », j’aurais sans doute dĂ©jĂ  perdu ces kilos et ce ventre. « Avant », je me serais habillĂ© comme un chien. J’aurais mangĂ© du pain industriel et achetĂ© les paquets de gĂąteaux ou de biscuits les moins chers au kilo.

« Avant », je serais demeurĂ© locataire de mon appartement. Je n’aurais pas fait d’enfant. Je ne me serais pas mariĂ©.

 

Mais j’aurais quand mĂȘme Ă©tĂ© incapable de supporter les entraĂźnements et les risques que J-P Roybon nous dĂ©crit lors de sa formation de nageur de combat. Comme j’aurais Ă©tĂ© incapable d’obtenir la multitude de qualifications qu’il a obtenues. Et je n’aurais pas pu, je crois, dĂ©sirer comme lui mettre en pratique ce qu’il a appris pour son « mĂ©tier des armes ». Car contrairement Ă  lui, Ă  la destruction, j’ai dĂšs le dĂ©but prĂ©fĂ©ré la reconstruction, la guĂ©rison. L’apaisement. La comprĂ©hension. L’intellectualisation du Monde qui m’entoure. Ou Ă  peu prĂšs tout ce qui pouvait me permettre de m’en rapprocher. C’est peut-ĂȘtre seulement une question de tempĂ©rament. Ou de paquetage Ă©motionnel personnel.

MĂȘme si dans son rĂ©cit, il ne dit rien concernant un Ă©ventuel besoin de revanche familial qu’il aurait eu Ă  satisfaire suite Ă  un conflit armĂ© passĂ© ou Ă  un drame intime ( viol, agression, meurtre d’un des membres de la famille). MĂȘme s’il parle quand mĂȘme de quelqu’un de sa famille ou de son entourage qui a eu un parcours militaire, il parle de son « destin » militaire comme d’un rĂȘve qu’il faisait depuis son enfance. Les posters dans sa chambre et autres trophĂ©es de la mer en attestaient.

C’est un fait : lĂ  oĂč certains rĂȘvent de guerres, d’autres rĂȘvent de paix. Enfant, je sais que je rĂȘvais beaucoup. Mais je ne rĂȘvais pas de guerres et pas de la mer non plus.

De mon cĂŽtĂ©, question violence familiale et intrafamiliale, sociale, et personnelle, j’estime avoir Ă©tĂ© suffisamment « nourri » dĂšs ma naissance : esclavage, milieu social modeste voire pauvre et rural, rejet de ma mĂšre par sa famille avant ses 18 ans car enceinte( fausse couche), immigration de mes parents noirs de peau- et « Français » en mĂ©tropole (la France, ex-pays colonisateur) depuis leur Guadeloupe natale depuis des gĂ©nĂ©rations, immeuble HLM en banlieue parisienne, etc
.

 

Et afin de prĂ©venir- ou d’éclaircir- Ă  nouveau ce malentendu courant :

Je ne vois aucune vocation dans ma dĂ©cision, avant mes 18 ans, de faire des Ă©tudes d’infirmier d’Etat. C’est simplement qu’en raison de mon milieu social moyen et de la vision du Monde, du marchĂ© du travail et de la vie, disons, un peu anxiogĂšne, que m’ont transmis mes parents ( mes oncles et tantes, des cousines et des cousins, et avant eux, mes grands-parents et sans doute mes ancĂȘtres)  j’ai optĂ© pour un repli stratĂ©gique et plus « sĂ»r » dans le fonctionnariat et des Ă©tudes d’infirmier d’Etat. Lesquelles Ă©tudes, je le rappelle, sont au dĂ©part principalement orientĂ©es vers la mĂ©decine et la chirurgie et non sur le travail psychique et psychiatrique qui Ă©tait et reste, lui, plutĂŽt perçu de maniĂšre pĂ©jorative.

Je suis un infirmier diplĂŽmĂ© d’Etat qui, Ă  un moment donnĂ©, a choisi de travailler en psychiatrie. Dans les annĂ©es 90. A une Ă©poque oĂč j’étais plus « rustique » que maintenant.

Le caractĂšre ou le tempĂ©rament plus ou moins « rustique » de mes parents les a Ă  la fois pourvus- comme pour tant d’autres parents et individus- de cette robustesse qui leur a Ă©vitĂ© alcoolisme, dĂ©pression, dĂ©linquance, chĂŽmage, cancer et autres dĂ©faillances humaines. Et on retrouve sans aucun doute cette robustesse et cette “rusticitĂ©” chez les pionniers, les explorateurs, les aventuriers, les guerriers, les survivants mais aussi chez bien des hĂ©roĂŻnes, hĂ©ros et sauveteurs. Ainsi que chez beaucoup d’autres personnes « normales » que nous connaissons et rencontrons ou auxquelles nous devons beaucoup. Raison pour laquelle il faut essayer de se garder de juger de maniĂšre expĂ©ditive celles et ceux que l’on a spontanĂ©ment envie de qualifier de personnes « bourrines » ou peu Ă©duquĂ©es parce qu’elles manqueraient de dĂ©licatesse, de discussion, de charme ou de sex-appeal.

Je repense au navigateur Eric Tabarly qui rĂ©pondait de maniĂšre laconique aux interviews. Je repense Ă  VĂ©lo, un cousin Ă©loignĂ© du cĂŽtĂ© de ma mĂšre, que je n’ai jamais rencontrĂ©, mort pauvre, sans doute alcoolique et SDF. VĂ©lo, Maitre Ka, est aujourd’hui une rĂ©fĂ©rence dans la musique antillaise. Et moi, plus lettrĂ© que lui, si on met un tambour devant moi, je ne sais mĂȘme pas oĂč poser mes doigts et c’est alors moi, « l’üle-lettrĂ©e ». Bien-sĂ»r, c’est dĂ©jĂ  bien que je connaisse son nom ainsi que celui d’Alain PĂ©ters dont la trajectoire a finalement Ă©tĂ© assez jumelle. C’est peut-ĂȘtre pour ça, d’ailleurs, que l’histoire personnelle de ce dernier me parle autant. Alain PĂ©ters et VĂ©lo font peut-ĂȘtre partie de mes Twin Towers intĂ©rieures que le Monde a vu s’effondrer le 11 septembre 2001.

 

Mes parents, eux, ont sĂ»rement flĂ©chi plus d’une fois. Mais ils sont restĂ©s droits. Ils ne sont pas tombĂ©s comme ces tours immenses, arrogantes et voyantes. Et lorsque j’écris que les Twin Towers Ă©taient « arrogantes et voyantes », j’écris ici ce que j’imagine de ce qu’elles devaient inspirer aux intĂ©gristes qui les ont dĂ©truites et qui voudraient aussi dĂ©truire les femmes sans voile : si cela avait tenu Ă  moi, les Twin Towers seraient toujours prĂ©sentes. Comme mes parents, mes premiĂšres Twin Towers, sont aujourd’hui toujours prĂ©sents.

 

NĂ©anmoins le caractĂšre ou le tempĂ©rament plus ou moins « rustique » de mes parents fait aussi qu’ils ont fait et font partie de ces nombreuses personnes qui n’ont jamais consultĂ© et ne consulteront jamais un psychologue ou un professionnel lui ressemblant en cas de dĂ©tresse ou de souffrance morale. Et qu’ils n’ont donc jamais considĂ©rĂ© que cela pourrait Ă©ventuellement servir Ă  un de leurs enfants.

 

Aujourd’hui et demain, il subsiste et subsistera des parents hermĂ©tiques Ă  la psychĂ© telle qu’on l’apprĂ©hende en occident. Pour ces quelques raisons, je crois ĂȘtre suffisamment Ă©quipĂ© pour comprendre l’esprit qui a pu animer J-Pierre Roybon lors de son apprentissage militaire et tel qu’il nous le dĂ©crit dans son livre que j’ai bien aimĂ©. MĂȘme si, contrairement Ă  lui, je ne suis pas un guerrier. Du moins, est-ce ce que je crois ou ai besoin de croire et de me trousser comme histoire.

 

Dans une des conclusions de son livre, il Ă©crit, page 443 :

« Certes, ma vie personnelle n’a pas Ă©tĂ© Ă  la hauteur de mes rĂ©ussites militaires mais les joies que m’avaient procurĂ©es ces annĂ©es sous les drapeaux ont su combler certaines dĂ©sillusions ».

Un peu plus loin, il confie son regret, devant la fin de la guerre du Vietnam, d’avoir Ă©tĂ© en quelque sorte « privĂ© » de guerre sur le terrain et de la possibilitĂ© de mettre en pratique ce qu’il avait appris. S’il est nĂ© en 1948, J-P Roybon mentionne trĂšs indirectement et de trĂšs loin Mai 1968 et les mouvements pacifistes et hippies des annĂ©es 60 par ce biais :

Seulement pour dire comme cette transformation du Monde, de la SociĂ©tĂ© et de la Politique l’ont privĂ©, lui et d’autres, de certaines sagas militaires. Et aussi que certaines valeurs d’honnĂȘtetĂ©, d’engagement, de courage, de respect du drapeau et de la Marseillaise, se sont perdues. A ce stade, et mĂȘme avant, on peut craindre que son tĂ©moignage soit portĂ© par un courant profondĂ©ment frontiste, raciste, passĂ©iste, colonial et paramilitaire.

Sauf qu’il refuse l’aventure de l’Afrique, substitut aux militaires engagĂ©s en manque d’action pour cause de fin de guerre du Vietnam comme il nous l’explique en quelques lignes, page 444 :

« En 1973, la signature des accords de Paris mettait fin au conflit en prĂ©voyant le retrait des forces US dans un dĂ©lai de 60 jours. Tout Ă©tait pliĂ©, terminĂ©. Les combattants super-entraĂźnĂ©s que nous Ă©tions devenus n’auraient donc pas la possibilitĂ© de mettre en pratique ce Ă  quoi ils Ă©taient destinĂ©s ; en fait nous Ă©tions des pur-sang interdits de courses. Alors plutĂŽt que d’aller brouter l’herbe des hippodromes ou terminer dans un haras uniquement pour la reproduction Ă©quine, autant reprendre la vie sauvage vers des horizons nouveaux. L’Afrique en ce temps-lĂ  offrait ces perspectives, pour des hommes aux « aptitudes particuliĂšres », mais la formation qui avait Ă©tĂ© la mienne m’interdisait moralement de me battre en Ă©change d’un chĂšque, fut-il trĂšs consĂ©quent
 Comme d’autres camarades, sans attendre l’ñge de la retraite, je me suis remis en question et j’ai alors quittĂ© la Marine pour la vie civile. L’appel de la mer Ă©tait toujours trĂšs fort pour moi et en fonction de mes qualifications, je n’avais que l’embarras du choix pour trouver un travail dans le milieu sous-marin ».

 

Dans ce choix que J-P Roybon fait de refuser, comme plusieurs de ses camarades, de devenir mercenaire, j’ai immĂ©diatement pensĂ© Ă  la personnalitĂ© d’un Bob Denard dont les agissements avaient pu ĂȘtre mĂ©diatisĂ©s dans les annĂ©es 80-90. Sur un autre terrain et dans un autre cadre, cela peut aussi expliquer que Ange Mancini , ex-patron du Raid, ex-prĂ©fet de la Martinique, Ă  la retraite depuis 2013, soit depuis associĂ© au groupe BollorĂ© en Afrique pour la construction d’un chemin de fer de « 3000 kms en Afrique de l’Ouest ».

Ange Mancini est l’aĂźnĂ© de quatre ans de J-P Roybon. Mais les deux hommes, de la mĂȘme gĂ©nĂ©ration, ont sĂ»rement bien des points communs dans leur parcours personnel et professionnel. BollorĂ©, quant Ă  lui, pour des gĂ©nĂ©rations plus « jeunes », nĂ©es dans les annĂ©es 60 et aprĂšs, c’est le fossoyeur d’un certain esprit Canal+, d’une certaine insolence et fantaisie. La fin d’un Monde ou du Monde. D’une certaine façon, on peut dire que BollorĂ© a officialisĂ© le retour d’une certaine rusticitĂ© -mais dans le mauvais sens du terme- dans le milieu de la politique, de la tĂ©lĂ©, de l’économie, de l’art de s’exprimer et du divertissement. Du fric. Lorsque le groupe Chic chante ” Le Freak, c’est chic”, quarante ans plus tard, ça peut toujours entraĂźner et faire danser malgrĂ© le jeu de mot Monstre/ fric. Mais lorsque BollorĂ© a commencĂ© Ă  agir sur Canal+, danser signifiait ĂȘtre Ă©jectĂ© de la piste de la chaine cryptĂ©e. Etre dĂ©classĂ© et dĂ©gradĂ©. Partir Ă  la casse.

 

Un peu plus loin, J-P Roybon Ă©crit, page 445 : « (
.) Dans cette ambiance trĂšs particuliĂšre qui se trouvait en total dĂ©calage avec mes plongĂ©es civiles ou militaires, j’appris Ă  construire ou reconstruire des ouvrages portuaires que j’avais Ă©tĂ© prĂ©cĂ©demment formĂ© Ă  dĂ©molir, activitĂ© dans laquelle je m’étais montrĂ© assez compĂ©tent(
) ». « (
.) Mon nouveau statut m’emmena dans l’ocĂ©an pacifique, sur les sites nuclĂ©aires ainsi que les Ăźles ou atolls sur lesquels mes services Ă©taient demandĂ©s, puisque j’étais responsable des plongeurs polynĂ©siens de l’AMM ( Arrondissement Mixte de Mururoa). Je rencontrai alors les peuples de la mer et je dois avouer qu’ils m’ont beaucoup appris, dans un domaine oĂč je pensais tout connaĂźtre ».

 

« (
) Bien des annĂ©es plus tard, je quittai le monde professionnel et de nouvelles aventures beaucoup plus paisibles s’ouvraient Ă  moi car comme tout plongeur ayant eu le privilĂšge de voir et connaĂźtre ce qu’il y’a de mieux sous la surface des mers, au fil du temps je suis devenu un contemplatif « subaquatique ».

 

Elle est peut-ĂȘtre lĂ , la principale diffĂ©rence entre un guerrier, une personne qui s’agite et consomme, un terroriste et un pacifiste :

les trois premiers ont besoin d’action pour espĂ©rer s’accomplir et s’apaiser quitte Ă  tout raser autour d’eux s’il le faut. Le dernier, lui, cherche davantage Ă  maintenir le calme en lui et autour de lui et Ă  accĂ©der Ă  la contemplation.

Finalement, le rĂ©cit de J-P Roybon est une autre version de la quĂȘte du Ying et du Yang. Et il semble qu’aprĂšs bien des Ă©preuves, il s’en soit rapprochĂ©.

Franck Unimon, ce vendredi 9 aout 2019. 13h08.

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Croisements/ Interviews

Journée Portes Ouvertes au Qu4tre à Argenteuil 2Úme et derniÚre partie

Oeuvres de l’artiste Chemmane.

 

 

 

 

 

On se souvient que les 25 et 26 Mai derniers se dĂ©roulaient les journĂ©es portes ouvertes au Qu4tre, Ă  Argenteuil, dans le quartier du croissant ferrĂ©. J’en avais donnĂ© un aperçu dans mon article JournĂ©es Portes Ouvertes au Qu4tre Ă  Argenteuil les 25 et 26 Mai 2019.

J’avais laissĂ© d’autres photos Ă  quai. Il Ă©tait temps de les laisser (re) prendre le chemin des regards et des pensĂ©es.

 

 

Oeuvres de l’artiste CĂ©cile Thonus.

 

 

Sculptures, photos, peintures, ĂȘtres imaginaires ou invisibles aux ossatures Ă©closes. Ils se sont entendus avec leurs “rĂ©vĂ©lateurs” pour ĂȘtre Ă©pandus.

 

 

Photos de l’Association ” Vues d’En Bas” qui a pour but de rendre Ă  nouveau visibles les personnes invisibles et prĂ©caires.

 

 

Courroies de distribution, figures de bitume que triturent des esprits-proies, des écrits au trot recommencé, effiloché, sur la pointe des pieds.

 

 

Oeuvre de Virginie Jacquette.

 

 

Corps arrĂȘtĂ©s, coeurs vitrĂ©s.

 

 

 

Photos de Xavier L comme Lahache.

 

 

Instants donnés. Instantanés.

 

 

Oeuvre de l’artiste Hopare.

 

Sous la tente, entre un soleil couchant qui maintient éveillé(e).

 

 

Photo Xavier L.

 

 

L’Indienne Patti. C’est elle qui est prise, c’est elle qui nous prend.

 

 

Oeuvres de CĂ©cile Thonus.

 

 

ModĂšles rĂ©duits de ces explorations que l’on fait avec les doigts, bronze et bois.

 

 

 

FigĂ©es de vie, connues d’une lave sortie.

 

Photos de l’association ” Vues d’en Bas”.

 

Au fond de la cuisine.

 

 

“Je n’habite pas ici” ( L’artiste Virgine Jacquette).

 

 

Photo Xavier L.

 

Cherche petit studio meublĂ© avec un bon couloir oĂč se dĂ©fouler. Et plus, si Ă©ternitĂ©…

 

 

 

” Je ne suis vraiment pas photogĂ©nique”. ( L’artiste Chemmane).

 

 

Assise dans le canapĂ©, Ă  contre-jour, l’artiste Virginie Jacquette.

 

Dans une salle d’attentes.

 

 

Oeuvres de CĂ©cile Thonus.

 

Mais que font-ils ?

 

 

 

Oeuvres de l’artiste Chemmane.

 

Nous sommes prĂȘtes, Toni.

 

 

Oeuvre de CĂ©cile Thonus.

 

 

Textes et photos de Franck Unimon ( exceptions faites des photos de l’association ” Vues d’en bas” et de  Xavier L comme mentionnĂ©es).

 

Franck Unimon, ce mercredi 7 aout 2019.