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Mes rêves avaient un goût de sel

 

 

 

 

 

Tandis que ma fille faisait sa sieste hier après-midi, j’ai terminé le livre Mes rêves avaient un goût de sel , publié en 2013, de J-Pierre Roybon, ancien nageur de combat. Il me restait à peine vingt ou trente pages à lire.

 

Dans les débuts de son livre, J-P Roybon, 65 ans en 2013 lorsque son livre a été publié, se sent obligé de prévenir, page 9 :

« Je ne suis ni écrivain, ni bardé de diplômes universitaires mais seulement détenteur d’un certificat d’études primaires ». Sans doute des restes du « mauvais » élève qu’il était, dans une autre vie, dans cette école obligatoire qu’il n’avait pas choisie et qui ne lui correspondait pas comme à tant d’autres hier, aujourd’hui et demain.

Je soussigné, moi, Franck Unimon, l’apprenti-écrivain anonyme connu seulement de lui-même, le plus ou moins universitaire avorté, le littéraire, et sans doute aussi l’artiste raté, je déclare avoir eu plaisir à lire son Mes rêves avaient un goût de sel comme je peux avoir plaisir à écouter certaines personnes qui ne sont pas de mon monde extérieur et immédiat. A première vue.

 

Je me suis retrouvé dans certaines de ces valeurs qui tiennent J-Pierre Roybon en tant qu’homme et militaire :

J’ai déjà pensé que mon père aurait pu être militaire compte-tenu de sa rigidité et de sa « rusticité ». Dans son récit, J-Pierre Roybon , alias Royco, insiste à plusieurs reprises sur le point qu’un bon nageur de combat se doit d’être « rustique ». En plus de démontrer de sérieuses aptitudes physiques, mentales, morales, techniques ainsi qu’ à la pratique de la solidarité et…obéissance aux ordres.

 

Dans les faits, mon père (de la même génération que J-Pierre Roybon et de quatre ans son aîné) avait été exempté de son service militaire car il était devenu « fou » au moment de le faire ou après avoir échoué au bac. J’ai un peu oublié la chronologie aujourd’hui. Par contre, j’ai fait mon service militaire même si j’ai passé la plus grande partie de mon service militaire à exercer en tant qu’infirmier diplômé d’Etat…en psychiatrie : pas mal pour quelqu’un dont le père était devenu « fou » une génération plus tôt au moment de faire son service militaire ou après avoir échoué au bac !

Pendant mon service militaire- encore obligatoire alors- je me suis un moment demandé si j’allais m’engager. En tant qu’infirmier. Non pour des raisons patriotiques ou guerrières. Je n’ai jamais été séduit par les attraits du clairon nous commandant de servir de chair à canon pour quelques décideurs protégés et dont les motivations profondes m’étaient étrangères. Peut-être aussi que ma filiation antillaise ainsi qu’avec l’histoire de l’esclavage m’a fait grandir dans une certaine méfiance envers la Nation française et blanche. Et je reste sceptique devant le sacrifice (« oscarisé » pour Denzel Washington) lors de la guerre de sécession de certains esclaves noirs américains dans le film Glory réalisé en 1989 par Edward Zwick.

 

A Lourdes, pendant mon service militaire en 1993, on nous avait ainsi servi des défilés militaires de différents pays et des images montées afin de nous sensibiliser à l’horreur- réelle- de la guerre au Kosovo. Si d’autres appelés venus comme moi à Lourdes avaient alors manifesté leur bruyant et enthousiaste patriotisme ainsi que leur émotion, j’étais resté discrètement perplexe devant la mise en scène de ces défilés militaires comme devant les images- et la musique- que l’on nous avait présentées.

Néanmoins, en lisant le livre de J-P Roybon, il m’est apparu que j’étais aussi attaché à ce qu’il décrit en matière d’abnégation de soi, d’efforts, d’entrainement physique et mental intense, d’éducation personnelle, de rite initiatique et d’apprentissage de la vie d’adulte et de la rencontre d’amis véritables et durables. Comme on peut le dire quelques fois crument :

Lorsque l’on en chie avec quelqu’un, on apprend à se connaître et il est impossible de se mentir à soi-même comme aux autres. Et J-P Roybon, lors de ses diverses formations, en a « chié » avec d’autres.

Dans son récit, on retrouve donc de manière amplifiée ces valeurs- et d’autres- que l’on peut admirer et courtiser lorsque l’on regarde la figure des samouraï ou de toutes ces femmes et ces hommes combattants qui sont au rendez-vous de certains codes d’honneur et actes héroïques. Quelle que soit leur place vis-à-vis de la « Loi » :

Qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme résistant lors de la Seconde guerre Mondiale ou lors de la guerre d’Algérie, côté algérien. Qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme esclave qui marronne. D’une personne déportée qui s’échappe d’un camp de concentration. D’une victime qui se soustrait à son agresseur. Qu’il s’agisse d’un soldat ou d’un Samouraï.

Bien-sûr, au cinéma, on peut penser aux yakuzas tels que nous les a montrés un réalisateur comme Takeshi Kitano dans ses films Sonatine, Hana-Bi , Aniki, mon frère ou autres. Mais on peut aussi penser au personnage interprété par De Niro dans Heat de Michael Mann. Au personnage de garde du corps puis de tueur tenu par Denzel Washington dans Man on Fire de Tony Scott. Ou au rôle tenu par l’acteur Mads Mikkelsen dans le film Michael Kholhaas réalisé en 2013 par Arnaud des Pallières. On peut aussi penser à la première heure du film Jeanne d’Arc de Luc Besson. On peut également penser à certains intellectuels qui, à certains moments de l’Histoire, ont fait entendre leur voix, leur conscience et leur identité : Les Aimé Césaire, Gilbert Gratiant, Dany Laferrière et d’autres dont les musiciens et chanteurs Arthur H et Nicolas Repac ont mis en musique certains des textes et poèmes dans le très bel album L’Or noir sorti en 2012.

 

 

 

On peut bien-sûr penser à beaucoup d’autres figures féminines, masculines, historiques, contemporaines ou « fictives » qu’elles soient connues, oubliées ou inconnues, consensuelles, contrastées ou transgenres, chacun et chacune choisissant ses modèles selon ses propres critères, besoins et urgences personnelles et morales. Certaines personnes penseront à l’exemple de Simone Veil, d’autres à la navigatrice Ellen Mac Arthur, à la militante Angela Davis, à l’artiste Nina Simone, ou à PJ Harvey, Lady Gaga, Madonna, Beyoncé….

 

 

Ma vie personnelle et ma personnalité ont connu, connaissent et accomplissent un engagement moins extrême que ces exemples réels ou fictifs. J’ai pourtant connu des moments de ma vie où je me dirigeais vers ce genre d’engagement ou de rapport à la vie. Et où j’étais plus « rustique ». Plus engagé. Plus dur au mal. Je pense par exemple à ces deux ou trois années de ma vie, ou, adolescent, je m’entraînais avec assiduité à l’athlétisme avec certains copains. Et où j’aurais été capable- sans dopage- de donner encore plus de ma personne si mes résultats m’y avaient encouragé et que ma forme physique et morale me l’avaient permis.

Je pense aussi évidemment au moins à mes études d’infirmier d’Etat qui, dès la sortie du lycée, avant mes 18 ans, m’ont fait rentrer dans la tête une vision et une expérience du Monde et de la vie bien différente de celle que l’on peut s’en faire en allant au lycée, à l’université ou en effectuant des études où sang, viscères, éliminations de l’organisme et diverses maladies et états de santé restent, sauf drame familial et personnel, une expérience limitée dans l’espace et le temps ou circonscrite à la lecture d’un livre, la vision d’un film, d’un reportage ou à la découverte d’un fait divers dans les média et les réseaux sociaux.

Pour avoir passé trois ans à la Fac après l’obtention de mon diplôme d’Etat d’infirmier, je peux témoigner que mon regard sur le monde et sur la vie était assez différent de celui d’un certain nombre de mes sympathiques camarades de DEUG d’Anglais. J’avais pourtant à peine deux ou trois ans de plus que la majorité d’entre eux. Et si j’étais sorti du lycée comme eux en arrivant à la fac, j’aurais sans aucun doute été dans le même état d’esprit que la plupart d’entre eux. Même si j’avais pu y côtoyer un camarade se rendant avec ses parents au Kénya pour y faire un safari durant les vacances de Noël, une autre dont le rêve était que ses parents lui achètent un cheval avec le box qui va avec. Même si j’avais pu voir une étudiante engueuler – telles de vulgaires gouvernantes- deux secrétaires de l’âge de sa mère au motif que lors des dates de partiels de rattrapage elle serait…en vacances !

 

Je crois que mon « décalage » mental avec mes camarades de l’université, sans doute déjà à l’œuvre en sourdine bien avant, m’a en fait poursuivi, rattrapé et s’est accentué à mesure de mes années d’exercice infirmier et de ma vie d’adulte. Dans mes relations personnelles mais aussi professionnelles :

Signe que je suis encore un naïf et un « gentil », je reste étonné devant la vanité de certaines relations et rencontres dont je parle un peu dans mon article Paranoïa Sociale.

 

Il est aussi vrai qu’à mon niveau, je me suis « embourgeoisé ». Je me suis détendu avec les années et « laissé aller ». Je le vois à des indices très simples qui pourraient faire sourire mais qui, moi, me gênent un peu :

J’estime avoir entre trois et cinq kilos en trop et avoir un peu de ventre. Et j’ai beaucoup de mal à les perdre. La solution, pourtant simple, qui consiste à se dépenser physiquement, intensivement, de manière régulière, me résiste. Pourtant, j’aime faire du sport. Et je suis capable d’en faire seul, peu importe la température extérieure. Avec une préférence, quand même, pour les températures basses lorsqu’il s’agit de courir à l’extérieur.

J’ai aussi un découvert bancaire chronique. Avec les années, j’ai accumulé des objets dont je ne me sers pas ou très peu. Si je m’étais dispensé de la moitié voire du quart d’entre eux, mon solde bancaire serait sans doute créditeur et cela jusqu’à ma mort voire au-delà.

Je continue pourtant assez régulièrement de me trousser de jolies petites histoires où il est question de nouveaux objets à acquérir.

Nous avons dû obtenir un crédit immobilier pour l’achat de notre appartement.

 

« Avant », j’aurais sans doute déjà perdu ces kilos et ce ventre. « Avant », je me serais habillé comme un chien. J’aurais mangé du pain industriel et acheté les paquets de gâteaux ou de biscuits les moins chers au kilo.

« Avant », je serais demeuré locataire de mon appartement. Je n’aurais pas fait d’enfant. Je ne me serais pas marié.

 

Mais j’aurais quand même été incapable de supporter les entraînements et les risques que J-P Roybon nous décrit lors de sa formation de nageur de combat. Comme j’aurais été incapable d’obtenir la multitude de qualifications qu’il a obtenues. Et je n’aurais pas pu, je crois, désirer comme lui mettre en pratique ce qu’il a appris pour son « métier des armes ». Car contrairement à lui, à la destruction, j’ai dès le début préféré…la reconstruction, la guérison. L’apaisement. La compréhension. L’intellectualisation du Monde qui m’entoure. Ou à peu près tout ce qui pouvait me permettre de m’en rapprocher. C’est peut-être seulement une question de tempérament. Ou de paquetage émotionnel personnel.

Même si dans son récit, il ne dit rien concernant un éventuel besoin de revanche familial qu’il aurait eu à satisfaire suite à un conflit armé passé ou à un drame intime ( viol, agression, meurtre d’un des membres de la famille). Même s’il parle quand même de quelqu’un de sa famille ou de son entourage qui a eu un parcours militaire, il parle de son « destin » militaire comme d’un rêve qu’il faisait depuis son enfance. Les posters dans sa chambre et autres trophées de la mer en attestaient.

C’est un fait : là où certains rêvent de guerres, d’autres rêvent de paix. Enfant, je sais que je rêvais beaucoup. Mais je ne rêvais pas de guerres et pas de la mer non plus.

De mon côté, question violence familiale et intrafamiliale, sociale, et personnelle, j’estime avoir été suffisamment « nourri » dès ma naissance : esclavage, milieu social modeste voire pauvre et rural, rejet de ma mère par sa famille avant ses 18 ans car enceinte( fausse couche), immigration de mes parents noirs de peau- et « Français » en métropole (la France, ex-pays colonisateur) depuis leur Guadeloupe natale depuis des générations, immeuble HLM en banlieue parisienne, etc….

 

Et afin de prévenir- ou d’éclaircir- à nouveau ce malentendu courant :

Je ne vois aucune vocation dans ma décision, avant mes 18 ans, de faire des études d’infirmier d’Etat. C’est simplement qu’en raison de mon milieu social moyen et de la vision du Monde, du marché du travail et de la vie, disons, un peu anxiogène, que m’ont transmis mes parents ( mes oncles et tantes, des cousines et des cousins, et avant eux, mes grands-parents et sans doute mes ancêtres)  j’ai opté pour un repli stratégique et plus « sûr » dans le fonctionnariat et des études d’infirmier d’Etat. Lesquelles études, je le rappelle, sont au départ principalement orientées vers la médecine et la chirurgie et non sur le travail psychique et psychiatrique qui était et reste, lui, plutôt perçu de manière péjorative.

Je suis un infirmier diplômé d’Etat qui, à un moment donné, a choisi de travailler en psychiatrie. Dans les années 90. A une époque où j’étais plus « rustique » que maintenant.

Le caractère ou le tempérament plus ou moins « rustique » de mes parents les a à la fois pourvus- comme pour tant d’autres parents et individus- de cette robustesse qui leur a évité alcoolisme, dépression, délinquance, chômage, cancer et autres défaillances humaines. Et on retrouve sans aucun doute cette robustesse et cette “rusticité” chez les pionniers, les explorateurs, les aventuriers, les guerriers, les survivants mais aussi chez bien des héroïnes, héros et sauveteurs. Ainsi que chez beaucoup d’autres personnes « normales » que nous connaissons et rencontrons ou auxquelles nous devons beaucoup. Raison pour laquelle il faut essayer de se garder de juger de manière expéditive celles et ceux que l’on a spontanément envie de qualifier de personnes « bourrines » ou peu éduquées parce qu’elles manqueraient de délicatesse, de discussion, de charme ou de sex-appeal.

Je repense au navigateur Eric Tabarly qui répondait de manière laconique aux interviews. Je repense à Vélo, un cousin éloigné du côté de ma mère, que je n’ai jamais rencontré, mort pauvre, sans doute alcoolique et SDF. Vélo, Maitre Ka, est aujourd’hui une référence dans la musique antillaise. Et moi, plus lettré que lui, si on met un tambour devant moi, je ne sais même pas où poser mes doigts et c’est alors moi, « l’île-lettrée ». Bien-sûr, c’est déjà bien que je connaisse son nom ainsi que celui d’Alain Péters dont la trajectoire a finalement été assez jumelle. C’est peut-être pour ça, d’ailleurs, que l’histoire personnelle de ce dernier me parle autant. Alain Péters et Vélo font peut-être partie de mes Twin Towers intérieures que le Monde a vu s’effondrer le 11 septembre 2001.

 

Mes parents, eux, ont sûrement fléchi plus d’une fois. Mais ils sont restés droits. Ils ne sont pas tombés comme ces tours immenses, arrogantes et voyantes. Et lorsque j’écris que les Twin Towers étaient « arrogantes et voyantes », j’écris ici ce que j’imagine de ce qu’elles devaient inspirer aux intégristes qui les ont détruites et qui voudraient aussi détruire les femmes sans voile : si cela avait tenu à moi, les Twin Towers seraient toujours présentes. Comme mes parents, mes premières Twin Towers, sont aujourd’hui toujours présents.

 

Néanmoins le caractère ou le tempérament plus ou moins « rustique » de mes parents fait aussi qu’ils ont fait et font partie de ces nombreuses personnes qui n’ont jamais consulté et ne consulteront jamais un psychologue ou un professionnel lui ressemblant en cas de détresse ou de souffrance morale. Et qu’ils n’ont donc jamais considéré que cela pourrait éventuellement servir à un de leurs enfants.

 

Aujourd’hui et demain, il subsiste et subsistera des parents hermétiques à la psyché telle qu’on l’appréhende en occident. Pour ces quelques raisons, je crois être suffisamment équipé pour comprendre l’esprit qui a pu animer J-Pierre Roybon lors de son apprentissage militaire et tel qu’il nous le décrit dans son livre que j’ai bien aimé. Même si, contrairement à lui, je ne suis pas un guerrier. Du moins, est-ce ce que je crois ou ai besoin de croire et de me trousser comme histoire.

 

Dans une des conclusions de son livre, il écrit, page 443 :

« Certes, ma vie personnelle n’a pas été à la hauteur de mes réussites militaires mais les joies que m’avaient procurées ces années sous les drapeaux ont su combler certaines désillusions ».

Un peu plus loin, il confie son regret, devant la fin de la guerre du Vietnam, d’avoir été en quelque sorte « privé » de guerre sur le terrain et de la possibilité de mettre en pratique ce qu’il avait appris. S’il est né en 1948, J-P Roybon mentionne très indirectement et de très loin Mai 1968 et les mouvements pacifistes et hippies des années 60 par ce biais :

Seulement pour dire comme cette transformation du Monde, de la Société et de la Politique l’ont privé, lui et d’autres, de certaines sagas militaires. Et aussi que certaines valeurs d’honnêteté, d’engagement, de courage, de respect du drapeau et de la Marseillaise, se sont perdues. A ce stade, et même avant, on peut craindre que son témoignage soit porté par un courant profondément frontiste, raciste, passéiste, colonial et paramilitaire.

Sauf qu’il refuse l’aventure de l’Afrique, substitut aux militaires engagés en manque d’action pour cause de fin de guerre du Vietnam comme il nous l’explique en quelques lignes, page 444 :

« En 1973, la signature des accords de Paris mettait fin au conflit en prévoyant le retrait des forces US dans un délai de 60 jours. Tout était plié, terminé. Les combattants super-entraînés que nous étions devenus n’auraient donc pas la possibilité de mettre en pratique ce à quoi ils étaient destinés ; en fait nous étions des pur-sang interdits de courses. Alors plutôt que d’aller brouter l’herbe des hippodromes ou terminer dans un haras uniquement pour la reproduction équine, autant reprendre la vie sauvage vers des horizons nouveaux. L’Afrique en ce temps-là offrait ces perspectives, pour des hommes aux « aptitudes particulières », mais la formation qui avait été la mienne m’interdisait moralement de me battre en échange d’un chèque, fut-il très conséquent… Comme d’autres camarades, sans attendre l’âge de la retraite, je me suis remis en question et j’ai alors quitté la Marine pour la vie civile. L’appel de la mer était toujours très fort pour moi et en fonction de mes qualifications, je n’avais que l’embarras du choix pour trouver un travail dans le milieu sous-marin ».

 

Dans ce choix que J-P Roybon fait de refuser, comme plusieurs de ses camarades, de devenir mercenaire, j’ai immédiatement pensé à la personnalité d’un Bob Denard dont les agissements avaient pu être médiatisés dans les années 80-90. Sur un autre terrain et dans un autre cadre, cela peut aussi expliquer que Ange Mancini , ex-patron du Raid, ex-préfet de la Martinique, à la retraite depuis 2013, soit depuis associé au groupe Bolloré en Afrique pour la construction d’un chemin de fer de « 3000 kms en Afrique de l’Ouest ».

Ange Mancini est l’aîné de quatre ans de J-P Roybon. Mais les deux hommes, de la même génération, ont sûrement bien des points communs dans leur parcours personnel et professionnel. Bolloré, quant à lui, pour des générations plus « jeunes », nées dans les années 60 et après, c’est le fossoyeur d’un certain esprit Canal+, d’une certaine insolence et fantaisie. La fin d’un Monde ou du Monde. D’une certaine façon, on peut dire que Bolloré a officialisé le retour d’une certaine rusticité -mais dans le mauvais sens du terme- dans le milieu de la politique, de la télé, de l’économie, de l’art de s’exprimer et du divertissement. Du fric. Lorsque le groupe Chic chante ” Le Freak, c’est chic”, quarante ans plus tard, ça peut toujours entraîner et faire danser malgré le jeu de mot Monstre/ fric. Mais lorsque Bolloré a commencé à agir sur Canal+, danser signifiait être éjecté de la piste de la chaine cryptée. Etre déclassé et dégradé. Partir à la casse.

 

Un peu plus loin, J-P Roybon écrit, page 445 : « (….) Dans cette ambiance très particulière qui se trouvait en total décalage avec mes plongées civiles ou militaires, j’appris à construire ou reconstruire des ouvrages portuaires que j’avais été précédemment formé à démolir, activité dans laquelle je m’étais montré assez compétent(…) ». « (….) Mon nouveau statut m’emmena dans l’océan pacifique, sur les sites nucléaires ainsi que les îles ou atolls sur lesquels mes services étaient demandés, puisque j’étais responsable des plongeurs polynésiens de l’AMM ( Arrondissement Mixte de Mururoa). Je rencontrai alors les peuples de la mer et je dois avouer qu’ils m’ont beaucoup appris, dans un domaine où je pensais tout connaître ».

 

« (…) Bien des années plus tard, je quittai le monde professionnel et de nouvelles aventures beaucoup plus paisibles s’ouvraient à moi car comme tout plongeur ayant eu le privilège de voir et connaître ce qu’il y’a de mieux sous la surface des mers, au fil du temps je suis devenu un contemplatif « subaquatique ».

 

Elle est peut-être là, la principale différence entre un guerrier, une personne qui s’agite et consomme, un terroriste et un pacifiste :

les trois premiers ont besoin d’action pour espérer s’accomplir et s’apaiser quitte à tout raser autour d’eux s’il le faut. Le dernier, lui, cherche davantage à maintenir le calme en lui et autour de lui et à accéder à la contemplation.

Finalement, le récit de J-P Roybon est une autre version de la quête du Ying et du Yang. Et il semble qu’après bien des épreuves, il s’en soit rapproché.

Franck Unimon, ce vendredi 9 aout 2019. 13h08.

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