Les rappeurs Joey Starr, Orelsan et Tricky : quelques idées pour réussir
Ces derniers temps, Orelsan est le rappeur ou lâun des rappeurs français dont on parle le plus et le «mieux ». MĂȘme le PrĂ©sident Macron, qui va sans doute se reprĂ©senter lors des prochaines Ă©lections prĂ©sidentielles d’avril 2022, tenait des propos Ă©logieux Ă son sujet Ă la fin de l’annĂ©e derniĂšre. Comparant Orelsan Ă un « sociologue » dĂ©crivant bien la sociĂ©tĂ© française.
InterrogĂ© au sujet de cette flatterie prĂ©sidentielle, alors quâil faisait la promotion de son dernier album, Civilisation, Orelsan a rĂ©pondu quelque chose comme :
« Il ( le Président Macron) ne serait pas en train de gratter mon buzz ? ».
Avant de rĂ©ussir et dâĂȘtre ce rappeur Ă propos duquel, dĂ©sormais, beaucoup de monde est content de dire : « Je lâadmire », Orelsan a beaucoup doutĂ©. Je le sais comme dâautres car jâai un peu lu sur lui. Auparavant. Sans trop insister.
Lorsque mon petit frĂšre de 14 ans mon cadet, qui a grandi dans le Rap, mâavait offert Ă NoĂ«l il y a trois ou quatre ans maintenant, un album dâOrelsan, je lâavais un peu Ă©coutĂ©. Mais, dâune part, avant dâĂ©crire cet article, lorsque jâai cherchĂ© ce cd, jâai dĂ» constater quâil nâĂ©tait plus lĂ oĂč je lâavais initialement rangĂ©. A un endroit facile dâaccĂšs. Ce qui signifie que je lâai rangĂ© avec dâautres cds, dans un carton. Et, dâautre part, jâai oubliĂ© le titre de cet album. Je me rappelle dâOrelsan sur la pochette, attendant Ă une station de bus en tenue de ninja. Tenue que jâavais trouvĂ©e modĂ©rĂ©ment appropriĂ©e. A la fois car il est courant que des rappeurs se rĂ©clament des Arts martiaux. Mais, aussi, parce-que je trouvais que ces habits ne lui allaient pas. Je me rappelle aussi d’Orelsan derriĂšre une vitre humidifiĂ©e.
On comprend donc facilement quâOrelsan, aujourdâhui saluĂ© et reconnu pour son originalitĂ©, ses vertus de rappeur et la qualitĂ© de ses textes, ne mâavait pas particuliĂšrement marquĂ©. Alors que cet album, dĂ©jĂ , contenait plusieurs titres que bien des amateurs de Rap, et dâailleurs, citeront comme des rĂ©fĂ©rences, tout en sâĂ©tonnant de mon ignorance voire de mon handicap psychique et auditif total et Ă©vident.
MĂȘme si, depuis, j’ai quand mĂȘme commencĂ© Ă goĂ»ter des textes et des vidĂ©os de l’artiste Orelsan, je vais choisir de continuer de mâenfoncer encore un petit peu plus Ă parler de lui, de Joey Starr et du Rap en gĂ©nĂ©ral.
Aujourd’hui, tout le monde Ă©coute du Rap. Je ne vais pas prĂ©tendre le faire autant que d’autres parce-que je respecte le Rap. Mais, aussi, parce-que, pour moi, Ă©couter de la musique, cela se fait “sĂ©rieusement”. En profondeur plutĂŽt qu’en passant. Je n’ai jamais aimĂ© le terme de “musique d’ambiance” ou de “musique d’ascenseur”. Encore moins de “musique de chiottes”.
Or, je sais que je n’ai pas, Ă ce jour, consacrĂ© ou pu consacrer toute mon attention au Rap comme je l’aurais pu ou l’aurais dĂ». Pour cet article, je vais donc conserver le statut de celui qui sait Ă moitiĂ© de quoi il en retourne lorsque l’on parle de Rap.
Ce faisant, je continuerai de triquer la musique de l’artiste Tricky dont je rĂ©ecoute et dĂ©couvre des titres en ce moment.
Puisque, selon moi, cela est compatible avec le fait de parler davantage, ici, de Joey Starr et Orelsan. Tricky est du reste un artiste que je vois trĂšs mal l’un ou l’autre me reprocher d’Ă©couter. Non seulement il m’est dĂ©ja arrivĂ© de me dire que Joey Starr et Tricky ont une certaine ressemblance physique. Ensuite, pour sa façon qu’a Tricky d’ĂȘtre envoutĂ© par sa propre musique, comme pour ses compositions, je ne peux qu’imaginer Joey Starr et Orelsan plutĂŽt adeptes de la “filiĂšre” Tricky. Reste Ă savoir si toutes celles et tous ceux qui, aujourd’hui et demain, Ă©coutent Joey Starr et Orelsan savent qui est Tricky. Mais cela n’est pas directement le sujet de l’article…
Cette nuit, dans un de ces moments dâĂ©garement devenu frĂ©quent pour tout individu « connectĂ© », je me suis laissĂ© aller Ă regarder des rubans dâimages et de vidĂ©os. Parmi elles, une intervention de Joey Starr, qui, cinq minutes durant, revenait sur quelques uns des titres qui ont « fait » l’histoire du groupe NTM.
NTM : Groupe de Rap aujourdâhui devenu « mythique » ? « Iconique ? » « IntergĂ©nĂ©rationnel ? ».
Au point quâaussi bien des personnes qui lâont connu en activitĂ© que des biens plus jeunes le citent comme faisant partie des groupes de Rap qui ont comptĂ© et continuent de compter. LĂ , aussi, câest ce que lâon appelle la rĂ©ussite. Et si cette rĂ©ussite revĂȘt maintenant le panache des pionniers et des anciens, on peut facilement concevoir que plus tard, bien des personnes parleront dâOrelsan et dâautres rappeurs et chanteurs actuels avec le mĂȘme reflux de dynamisme et de nostalgie :
Aya Nakamura, Niska, Maes, PNL, SCH, Ninho, Soprano, Damso, et beaucoup d’autres.
Dans cette vidĂ©o oĂč lâon voit Joey Starr parler de quelques uns des titres de NTM â câĂ©tait apparemment avant la sortie du film SuprĂȘmes dâAudrey Estrougo ( sorti en novembre 2021) que Starr cite un moment- il lui est demandĂ© qui, parmi les nouveaux rappeurs, il Ă©coute. Starr finit alors par citer :
« Orelsan ».
Si Orelsan ne fait pas partie de ma catĂ©gorie dâĂąge, Joey Starr, si. A un ou deux ans prĂšs. Je reste convaincu que si nous avions habitĂ© dans la mĂȘme citĂ© que nous nous serions connus de vue :
Dans la citĂ© oĂč jâai grandi Ă Nanterre, je connaissais de vue, de nom ou de rĂ©putation, certains jeunes « durs » ou « voyous ». La fascination quâils exerçaient, avant de se faire rattraper par les tridents de la Loi, de lâĂ©chec scolaire ou des substances Ă©tait suffisante pour quâils soient connus. Sans oublier cette impression de libertĂ© et de force qui se dĂ©gageaient dâeux ou quâon leur prĂȘtait.
Dans ma jeunesse, jâai donc connu « des » Joey Starr. Mais ils ne faisaient pas de Rap. Ils ne sont pas devenus cĂ©lĂšbres. Ou sâils lâont Ă©tĂ©, cela a peu durĂ© et cela sâest ensuite trĂšs mal terminĂ© pour eux. Au point de finir par se faire oublier. Leur jeunesse ayant Ă©tĂ© sans doute leur acmĂ© fut-il fait dâactes et de comportements hors-la-loi.
Mais, moi, comme la majoritĂ© des jeunes et sĂ»rement aussi comme la majoritĂ© de ces personnes qui Ă©coutent aujourdâhui du Rap, jâai toujours respectĂ© la loi. Jâai toujours obĂ©i et marchĂ© droit. Câest la raison pour laquelle je crois que plus jeune, si nous avions frĂ©quentĂ© la mĂȘme citĂ©, Joey Starr et moi nâaurions pas Ă©tĂ© amis ou proches. Je lâaurais peut-ĂȘtre mĂȘme fui. Par peur ou par jugement moral. Et lui, comme d’autres, m’aurait perçu comme un petit intello de plus ou de trop.
Une peur et un jugement moral qui mâont suivi mĂȘme, lorsquâadulte, le groupe NTM, dans les annĂ©es 90, a commencĂ© Ă faire parler de lui.
Je me rappelle encore un peu de ce jour, oĂč jâavais eu Ă choisir entre :
Me rendre Ă un concert de NTM. Jâavais achetĂ© leur album jâappuie sur la gĂąchette ( sorti en 1993. J’avais 25 ans, et, grĂące Ă mon mĂ©tier d’infirmier avais alors commencĂ© Ă m’insĂ©rer en trouvant en psychiatrie une discipline qui me plaisait).
Et un concert de MeâShell NdĂ©geocello aprĂšs son premier album : Plantation Lullabies.
Si jâavais Ă©tĂ© dans une bande ou avais connu un groupe dâamis solidaire et curieux d’aller Ă ce concert, peut-ĂȘtre me serais-je risquĂ© Ă aller voir NTM. AprĂšs ĂȘtre allĂ© voir le gentil Mc Solaar (que jâaimais beaucoup alors mais dont la prestation sur scĂšne mâavait déçu car trop molle) au ZĂ©nith. Et avant dâaller voir I AM Ă lâOlympia Ă lâĂ©poque de je danse le Mia (un des meilleurs concerts auxquels je sois allĂ©).
Mais jâallais seul en concert et avais Ă©tĂ© plus rassurĂ© par le public de MeShell Ndegeocello. Son concert Ă lâElysĂ©e Montmartre avait dâailleurs Ă©tĂ© trĂšs trĂšs bon. Artiste que je suis ensuite retournĂ© voir deux ou trois autres fois en concert.
MeShell Ndegeocello, moins connue en France que Joey Starr et Orelsan, mais sĂ»rement connue par au moins lâun des deux (puisque une grande culture musicale est souvent une des caractĂ©ristiques des artistes qui « marchent » quel que soit leur genre musical) est une artiste bien plus quâhonorable :
Chanteuse, poĂ©tesse, rappeuse, bassiste, claviĂ©riste, compositrice, elle a jouĂ© au moins avec les Rolling Stones, Marcus Miller et, de plus, aujourdâhui, fait figure de fĂ©ministe militante et LGBT. Donc, MeShell Ndegeocello est tout sauf une artiste de surface.
Sauf que, ne pas aller Ă ce concert de NTM, dans les annĂ©es 90, câest quand mĂȘme rater un sacrĂ© coche. Parce quâil mâa fallu du temps pour comprendre lâimportance du groupe dans ma vie. Pour dĂ©passer certaines images dĂ©favorables du groupe.
Rencontrer Joey Starr
Comparativement Ă Joey Starr, Orelsan fait plus frĂ©quentable. Il fait plus attention Ă son image que Joey Starr au mĂȘme Ăąge. Il a par ainsi gommĂ© la casquette de sa prĂ©sentation aprĂšs s’ĂȘtre aperçu que certaines personnes restaient “bloquĂ©es” devant un jeune en casquette.
Jâavais aussi oubliĂ© quâil Ă©tait ce rappeur, qui, il y a presque dix ans, avait fait polĂ©mique avec un titre considĂ©rĂ© comme misogyne. Un titre que je n’ai pas vraiment Ă©coutĂ©. Comme dâautres rappeurs avant lui, Orelsan avait choquĂ© avec un titre et il avait plus Ă©tĂ© question de ce titre et du sens Ă donner Ă son texte quâau reste de sa discographie. Le groupe MinistĂšre Amer ou le rappeur Disiz La Peste Ă©taient aussi passĂ©s par lĂ .
Pour NTM, le scandale passait- aussi- beaucoup par les frasques de Joey Starr : frapper un singe dans une cage, insulter une hĂŽtesse de lâair, se battre dans la rue, faire de la prison, prendre des substances, son ancienne relation avec BĂ©atrice Dalle etcâŠ.
Au point que, pour moi, il Ă©tait Ă©vident que cet homme peu recommandable mourrait jeune. Telle Ă©tait la sanction morale et pudibonde qui lâattendait dâaprĂšs ce que jâavais alors compris de lâexistence.
Mais Joey Starr a survécu. Et moi, aussi.
Il Ă©tait Ă©galement vivant ce jour oĂč je lâai croisĂ©. La seule fois, Ă ce jour. CâĂ©tait en 2007 vraisemblablement. Au festival Furia, aux Ă©tangs de Cergy-Pontoise. Festival qui nâexiste plus aujourdâhui.
Joey Starr, aprĂšs la « dissolution » de NTM continuait une carriĂšre en solo. CâĂ©tait avant son rĂŽle dans la sĂ©rie Mafiosa ( 2008). Avant son rĂŽle dans le film Polisse ( 2011) de MaĂŻwenn. Film que je verrais dâailleurs au festival de Cannes, sans pouvoir lâinterviewer, car lâattachĂ© de presse du film nâaimait pas le journal cinĂ©ma pour lequel jâĂ©crivais alors, journal cinĂ©ma aujourdâhui disparu : Brazil.
Aujourd’hui, on peut trouver normal de voir Joey Starr acteur, au thĂ©Ăątre ou Ă la tĂ©lĂ©. Mais, Ă cette Ă©poque, en 2007, Joey Starr -ou simplement le fait d’ĂȘtre rappeur-, en France, ne rimait pas du tout avec le fait d’ĂȘtre comĂ©dien de thĂ©Ăątre ou acteur de cinĂ©ma. Mc Solaar, rappeur “chouchou” des mĂ©dia, Ă©tait du reste allĂ© au festival de Cannes, en tant que membre du jury, plusieurs annĂ©es avant Joey Starr. En 1998, au sein du jury prĂ©sidĂ© par Martin Scorsese. Et, autant que je me souvienne, Mc Solaar, malgrĂ© son Ă©lĂ©gance, n’a jamais fait d’apparition marquante par la suite ou carriĂšre dans le cinĂ©ma ou sur des planches de thĂ©Ăątre. Alors que Joey Starr, dans ces domaines, fait aujourd’hui figure d’exemple mais aussi d’exception. Il est ainsi, en France, le premier rappeur Ă avoir rĂ©alisĂ© ce grand Ă©cart avec autant de rĂ©ussite entre son univers artistique d’origine ( le Rap) et le cinĂ©ma, le thĂ©Ăątre et la tĂ©lĂ©.
( Voir l’article Elephant Man ).
Hormis peut-ĂȘtre Eddy Mitchell ou Marc Lavoine, que je trouve aussi bons acteurs que chanteurs, il faut ensuite regarder plutĂŽt aux Etats-Unis pour voir une carriĂšre Ă peu prĂšs Ă©quivalente d’un chanteur ou rappeur qui a, par ailleurs, une carriĂšre cinĂ©matographique notable. Je pense d’emblĂ©e, au choix, soit Ă Harry Connick Jr ou Ă Common.
Mais en 2007, en France, Joey Starr Ă©tait encore Joey Starr. Un rappeur ainsi quâun bonhomme incontrĂŽlable qui faisait peur ou qui pouvait encore faire peur. En tout cas, en 2007 , avant mĂȘme son arrivĂ©e sur le festival Furia, il mâavait indirectement fait peur ainsi quâĂ certaines personnes de lâorganisation du festival.
GrĂące Ă un ami, Luc Rajaonarison ( chanteur et musicien, alors, du groupe Full Screen, et, aujourd’hui du groupe September Boy ) jâavais pu faire partie de lâorganisation du festival, en tant que bĂ©nĂ©vole. CĂŽtĂ© production. DerriĂšre la scĂšne. Je pouvais donc et voir les artistes avant leur concert. Mais aussi sur scĂšne.
Câest ainsi que jâai croisĂ© Joey Starr. Jâavais alors une jambe dans le plĂątre. Rupture du tendon dâachille. Entre le jour oĂč je mâĂ©tais portĂ© volontaire pour ĂȘtre bĂ©nĂ©vole et le moment oĂč le festival avait dĂ©butĂ©, je mâĂ©tais rompu le tendon dâachille en faisant du sport.
Ce jour-lĂ , je nâai pas osĂ© aborder Joey Starr. Par contre je lâai observĂ©. Qui nâobservait pas Joey Starr ?
Je me rappelle que le groupe The Roots, convoyĂ© par mon ami Luc, avait tenu, jusquâau bout Ă son statut de groupe Star. Le trajet menant du backstage jusquâĂ la scĂšne Ă©tait trĂšs peu pratique Ă monter en camion ou en voiture. Mais par le biais de son meneur, le batteur ?, le groupe avait tenu Ă se faire emmener en camion jusquâĂ la scĂšne. Les roues du camion patinaient dans le ridicule alors quâil se rapprochait pĂ©niblement de la scĂšne situĂ©e Ă une centaine de mĂštres.
En attendant son concert, assis, Joey Starr « lâĂ©nervĂ© », avait Ă©tĂ© particuliĂšrement calme. Discret. Aucune frasque. Au moment de monter sur scĂšne, sans faire dâhistoire, lui et ses musiciens avaient fait le trajet Ă pied. Puis avaient donnĂ© leur concert. Et Ă©taient ensuite repartis sans plus dâaccrochage.
Mon admiration pour Joey Starr :
Un certain nombre de fois, dans le passĂ© ou mĂȘme rĂ©cemment, Joey Starr a dĂ©connĂ©. Dans ses comportements comme dans certains de ses propos.
Mais en le regardant cette nuit, jâai listĂ© quelques raisons qui me font lâadmirer.
Dâabord avec NTM, parti de nulle part, car la ville de Saint Denis, et lĂ oĂč il vivait, câĂ©tait alors nulle part, Joey Starr a crĂ©Ă© quelque chose. Dans la musique, le Rap.
MĂȘme relativement Ă©loignĂ© de cette scĂšne du Rap qui sâest construite dans les annĂ©es 90 avec Assassin, NTM ou dâautres groupes, je « sais » que la musique dominante, dans les annĂ©es 90 alors, en France, Ă©tait loin dâĂȘtre le Rap. Mais, aussi, que cette musique Ă©tait loin dâĂȘtre incarnĂ©e par des artistes noirs ou arabes comme maintenant avec le Rap.
Si je commence à faire un effort de mémoire pour essayer de trouver des artistes noirs ou arabes qui, en France, dans la musique, avaient une grande ou assez grande audience, dans les années 90, qui vais-je trouver ?
Henri Salvador ? Kassavâ ? Zouk Machine ? Francky Vincent ? Laurent Voulzy ?
Jâai oubliĂ© si La Compagnie CrĂ©ole tournait encore dans les annĂ©es 90. Et, avant les annĂ©es 90, qui avions-nous autrement comme artiste français non-blanc :
Carte de séjour ? Karim Kacel ? Ottawan ? David Martial ?
En dĂ©couvrant ce lundi 31 janvier 2022, cette vidĂ©o du groupe Ottawan de ce tube qui doit dater de la fin des annĂ©es 70, je me dis qu’il a dĂ» falloir beaucoup de courage Ă ce duo pour surmonter bien des prĂ©jugĂ©s racistes de l’Ă©poque. Cette remarque vaut aussi pour Karim Kacel : je me rappelle d’une de ses interventions, oĂč, agacĂ©, il avait rappelĂ© ” Je ne m’appelle pas MichaĂ«l Jackson. Je m’appelle Karim Kacel !”.
Jâai peut-ĂȘtre oubliĂ© un ou deux artistes arabes ou noirs tels quâAlain Bashung ( en partie Kabyle) ou voire Etienne Daho ( nĂ© Ă Oran) ou peut-ĂȘtre Mirwais ( moitiĂ© afghan par son pĂšre et ex-membre du groupe Taxi Girl ).
Mais, autrement, il faut sâimaginer que tous les autres artistes de la chanson française, jusquâĂ lâinstallation du Rap dans les annĂ©es 90, Ă©taient principalement ou beaucoup des artistes de variĂ©tĂ©. Bien des sujets graves sont abordĂ©s au travers de la variĂ©tĂ© et il serait trompeur de croire que les artistes de variĂ©tĂ©s ne sont que des petites midinettes et des petits gars qui interprĂštent des chansons « douces ». Sauf que les canons dâexpression dominants de lâĂ©poque, dâavant le Rap excluaient certaines catĂ©gories de populations ainsi que certains codes de langage ou vestimentaires.
Le Rap portĂ© et popularisĂ© par des groupes et des artistes comme NTM mais aussi Mc Solaar et I AM a permis de « voir » certaines de ces catĂ©gories de populations jusque lĂ exclues des plateaux tĂ©lĂ©s mais aussi de lâindustrie du disque et du spectacle.
Si fin 2021, le PrĂ©sident Macron a pu essayer de « gratter le buzz » dâOrelsan en lâencensant, dans les annĂ©es 90, le PrĂ©sident de la RĂ©publique de lâĂ©poque, Mitterrand puis, ensuite, Chirac, sây sont pris diffĂ©remment. Jack Lang, le Ministre de la culture de Mitterand avait peut-ĂȘtre tentĂ© de rĂ©cupĂ©rer le groupe NTM. Chirac, lui, ne mâa pas marquĂ© pour ses tentatives de rapprochement avec des artistes Rap. Alors que Nicolas Sarkozy, dĂ©jĂ , une fois PrĂ©sident, lui, sâĂ©tait « fait » le rappeur Doc GynĂ©co.
Mais jâextrapole.
Avec le Rap, donc, Joey Starr et NTM ou NTM et Joey Starr ont créé une nouveauté.
Dâautres diraient quâils ont crĂ©Ă© une rupture plutĂŽt. Une rupture conventionnelle avec la musique qui se faisait avant. Avec les textes qui se disaient avant.
Donc, une rupture. Une certaine radicalitĂ©. Mais aussi une Ă©nergie. Dâautres diraient :
Une urgence.
Lâurgence de quoi ? Lâurgence de faire un voyage, de vivre une expĂ©rience, une rencontre.
Une rencontre et une expĂ©rience suffisamment proches de soi, de lâauditrice et de lâauditeur qui Ă©coute, pour sâidentifier Ă ce qui est racontĂ© dans le Rap. Mais, aussi, pour donner envie Ă lâauditrice et Ă lâauditeur de se rapprocher davantage de ces artistes et de ce quâils racontent.
Un peu comme on se rapproche dâun feu de camp dans une forĂȘt sombre ou dâune cheminĂ©e qui crĂ©pite dans une maison oĂč lâon se sent enserrĂ© par un certain froid mais aussi par une presque solide solitude.
On se rapproche de ces artistes afin de changer dâunivers, dâhistoire, de condition. On lâespĂšre tout au moins.
CrĂ©er. Apporter une Ă©nergie (ou une chaleur particuliĂšre qui, jusque lĂ a manquĂ© Ă dâautres) dans une certaine radicalitĂ©. Que faut-il dâautre pour rĂ©ussir et ce qui me fait, aussi, admirer Joey Starr ?
La Longévité :
Joey Starr est encore prĂ©sent pour raconter. Il est un ensemble de hĂ©ros, artistes ou autres, morts trĂšs tĂŽt, et dont lâexemple marque, instruit et guide. Mais je trouve quâune personne qui vit suffisamment vieux pour transmettre, câest mieux. Câest mon point de vue.
Mais il manque encore quelques piÚces pour réussir.
Se canaliser :
Joey Starr, dâaprĂšs ses frasques, a du mal ou a pu avoir du mal Ă se canaliser. Du moins en apparence. Car, tel le joueur de tennis Mc Enroe, qui, rĂ©guliĂšrement, se mettait en colĂšre sur un court de tennis, Joey starr sâest toujours canalisĂ© dans le Rap. Il a su tenir ses engagements. Comme Mc Enroe avait su tenir son tennis.
Je citais Doc GynĂ©co un peu plus haut. Alors que Doc GynĂ©co avait fait un trĂšs bon premier album solo, toujours plĂ©biscitĂ© par certaines personnes, jâai lâimpression que lâon ne compte plus les tentatives de retour ratĂ©es de Doc GynĂ©co. Comme sâil sâĂ©tait dissous. Dâautres artistes, trĂšs bons, se sont ainsi Ă©vaporĂ©s. Par exemple, je pense de temps Ă autre, avec tristesse Ă Finley Quaye, qui, dans les annĂ©es 90, avait tout un avenir devant lui : Jazz, Reggae, dub, Ă©lectroâŠ.
Pour moi, il avait rĂ©alisĂ© une fusion unique de plusieurs genres musicaux. Et puis, il sâest en quelque sorte dĂ©sagrĂ©gĂ©.
Joey Starr, lui, est resté non seulement compact. Mais, il a continué à se canaliser et à se concentrer dans le Rap malgré ses accidents de parcours, et ses aller-retour en prison.
Il a donc cumulĂ© de hautes doses et aussi de hautes charges de travail dans le Rap. Au point de devenir, dâune maniĂšre ou dâune autre, un expert dans le Rap. Quâon lâaime ou quâon ne lâaime pas, son travail et sa persĂ©vĂ©rance ont Ă©tĂ© au rendez-vous. Et, cela, sans compter ses heures. Mais, bien-sĂ»r, sâil nâa pas comptĂ© ses heures, ses heures de travail nâont pas comptĂ© pour du beurre. Il fallait quâĂ un moment, tout ce travail se « voit » et se « matĂ©rialise » concrĂštement. Etre le meilleur rappeur, ou parmi les meilleurs, dans ses toilettes, câest bien. LâĂȘtre sur scĂšne ou sur des millions de disques, câest bien mieux.
Câest lĂ oĂč lâon en arrive Ă ce qui, selon moi, est sans doute, le plus dĂ©terminant, et, cela, sans doute dĂšs le dĂ©but de toute entreprise.
Lâentourage
Jâai oubliĂ© de parler de la sincĂ©ritĂ© de Joey Starr ou dâOrelsan lorsquâils ont commencĂ© Ă se lancer dans le Rap. Pour rĂ©ussir, il me semble que la sincĂ©ritĂ© est indispensable. On continue, des annĂ©es aprĂšs leur mort, de nous parler de la sincĂ©ritĂ© dâartistes comme Georges Brassens, Jacques Brel ou Barbara. Et on continuera de nous parler de leur sincĂ©ritĂ© pendant encore des annĂ©es. Cela veut bien dire que la sincĂ©ritĂ© dâun artiste nous touche particuliĂšrement. Comment expliquer, autrement, le succĂšs actuel de lâhumoriste Blanche Gardin ?
Cependant, Ă la sincĂ©ritĂ© de lâartiste, de Rap ou dans un autre domaine, doit correspondre la sincĂ©ritĂ© de son entourage. Car celui-ci fait, Ă un moment ou Ă un autre, la diffĂ©rence. Vers le succĂšs ou vers lâĂ©chec.
Que cet entourage soit intime ou non, quâil soit prĂ©sent dĂšs le dĂ©but de lâaventure ou ensuite, pour que la rĂ©ussite soit atteinte, il faut que cet entourage soit un entourage qui :
Conseille ; qui guide ; qui soutient et qui fournit du courage plutĂŽt quâun comportement anthropophage.
Il faut aussi que cet entourage soit facilement disponible en cas de besoin. Et prĂȘt Ă se dĂ©vouer, Ă se battre voire Ă se sacrifier pour le projet. Et pour sa rĂ©ussite.
Dans la rĂ©ussite de bien des personnalitĂ©s que je regarde, chaque fois que je regarde de prĂšs, il y a toujours un entourage constituĂ©, permanent et solide autour dâelle. Telle une toile dâaraignĂ©e.
Il y a ensuite dâautres paramĂštres Ă prendre en compte.
LâĂ©poque/ La chance
On dit de certaines Ćuvres et de certains artistes quâils arrivent au bon « moment ». Que dâautres sont trop en avance sur leur temps ou trop en retard. Il est vrai que jâai du mal Ă mâimaginer le groupe NTM, Orelsan ou Blanche Gardin dans les annĂ©es 60. Et, il peut ĂȘtre trĂšs drĂŽle de les imaginer Ă cette Ă©poque.
Cependant, sâils avaient vĂ©cu dans les annĂ©es 60, sans doute ou peut-ĂȘtre auraient-ils proposĂ© une Ćuvre en rapport avec cette Ă©poque. Soit mus par leurs envies et leurs instincts mais, aussi guidĂ©s par lâexemple ou les conseils de quelquâun de leur entourage.
Enfin, pour conclure, on va terminer avec ce qui est le plus souvent mis en exergue lorsquâun artiste ou une personnalitĂ© « rĂ©ussit » :
Le talent/ Le don :
On rĂ©sume souvent la rĂ©ussite dâune personne Ă son talent ou Ă son don. Beaucoup de personnes ont du talent mais ne rĂ©ussissent pas pour autant. Soit parce quâelles sâĂ©garent. Parce quâelles nâont pas le meilleur ou le bon entourage. Parce quâelles manquent de persĂ©vĂ©rance. Ou parce quâelles se reposent trop sur leurs dons et leurs « facilitĂ©s ».
Enfin, le mot « rĂ©ussite » est un mot fĂ©minin. Mais on dirait, aussi, parfois, que pour rĂ©ussir, ne serait-ce que pour rĂ©ussir tout simplement Ă vivre, quâil vaut mieux ĂȘtre un homme quâune femme.
Ainsi, la jeune ShaĂŻna Hansye : « une jeune fille de Creil, dans lâOise » (âŠ.) « retrouvĂ©e brĂ»lĂ©e dans un cabanon abandonnĂ© dâun jardin ouvrier, Ă lâĂąge de 15 ans, en 2019. Le meurtrier prĂ©sumĂ© venait dâapprendre quâelle Ă©tait enceinte de lui. Avant cela, la jeune fille avait Ă©tĂ© victime dâun viol collectif, commis par dâautres garçons de la citĂ©, et avait eu le courage de porter plainte » (âŠ.) « Dossier dans lequel nous rĂ©vĂ©lons que, Ă plusieurs reprises, policiers, experts ou magistrats nâont pas entendu la parole de ShaĂŻna ». ( Charlie Hebdo numĂ©ro 1540 du 26 janvier 2022).
Franck Unimon, ce lundi 31 janvier 2022.