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aoĂ»t 2020 – Balistique du quotidien
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Refaire le match

 

Refaire le match

 

Le match et son enjeu sportif me sont totalement passĂ©s au dessus de la tĂȘte. J’étais au travail lorsqu’il a eu lieu. Mais j’aurais nĂ©anmoins pu en voir des images. Aujourd’hui, nous avons tout ce qu’il faut Ă  notre disposition pour faire le plein d’images. Il n’y a rien de plus facile que de trouver un rĂ©servoir Ă  images en accĂšs libre et illimitĂ©.

 

Lorsque mon collĂšgue mĂ©decin a eu fini de regarder le match, je n’ai mĂȘme pas pensĂ© Ă  lui en parler. J’étais concentrĂ© sur ma lecture du livre de Kersauson, Le Monde comme il me parle. Tout en me postant Ă  un endroit stratĂ©gique pour repĂ©rer l’adolescent qui viendrait Ă©ventuellement se prĂ©senter devant la porte de la chambre de sa dulcinĂ©e.

 

On peut avoir des idĂ©es suicidaires,  des pensĂ©es et des humeurs incertaines entre la psychose et la nĂ©vrose, un trauma personnel, se scarifier quelques fois et avoir une libido en bonne et due forme. Comme connaĂźtre des moments d’appartenance Ă  l’adolescence la plus frondeuse et la plus insouciante. C’est la vie.

 

Mais c’est aussi notre responsabilitĂ© d’adultes et de soignants de nous assurer que le service ne se confonde pas avec un foyer oĂč se pratiquerait la fĂ©condation in vivo. Nous pourrions ĂȘtre bien embarrassĂ©s si, un jour, une adolescente quittait le service en Ă©tant enceinte de quelques semaines ou de plusieurs jours.

 

Ce serait dommage d’attraper un torticolis

 

J’ai vu les images du rĂ©sultat du match le lendemain matin. Du match de Foot Bayern de Munich contre le PSG de Neymar et M’BappĂ©. Je ne parle pas ici du match sportif qui oppose spermatozoĂŻdes et ovocytes. 

 

C’était pendant ma sĂ©ance de kinĂ©.

Mon kinĂ© a vu que j’étais happĂ© par les images qui ont suivi le rĂ©sultat du match ainsi que par les commentaires sur Cnews.  Il m’a alors proposĂ© de m’installer en face de la tĂ©lĂ©. Il m’a dit :

« Ce serait dommage que vous attrapiez un torticolis. Et que je vous soigne ensuite pour un torticolis».

Le sensationnel et le répétitif

 

Je pense beaucoup de mal de cette tĂ©lĂ© allumĂ©e en permanence dans cette grande salle de rĂ©Ă©ducation Open space. D’autant qu’elle est braquĂ©e sur la chaine Cnews qui fait beaucoup dans le sensationnel et le rĂ©pĂ©titif. Le sensationnel angoissant. MĂȘme s’il sort de ce que je vois de cette chaĂźne de tĂ©lĂ© une certaine vĂ©ritĂ©, elle prend les Ă©vĂ©nements d’une telle façon que son traitement de l’info agit comme un tord-boyaux :

 

DiarrhĂ©e et pensĂ©es suspectes vous encombrent aprĂšs l’avoir regardĂ©e. Parce-que vous avez peur ou ĂȘtes en colĂšre.

Beaucoup est fait sur cette chaine pour avoir peur ou ĂȘtre en colĂšre. Pour donner la part belle Ă  tout ce qui peut faire peur ou mettre en colĂšre.

 

Une chaine de télé commotionnelle

 

«  La peur fait vendre Â» ai-je lu rĂ©cemment. Il suffit de regarder Cnews pour en avoir une idĂ©e. On dira que je la considĂšre comme une chaine commotionnelle.

 

C’est plutĂŽt particulier, dans un cabinet de kinĂ© oĂč l’on s’occupe de rĂ©Ă©ducation, d’avoir choisi de planter Cnews , chaine commotionnelle, presque constamment.

 

Cependant, Cnews m’a permis ce matin-lĂ  de dĂ©couvrir des images que, sans doute, la majoritĂ© des autres patients, soit chez eux, soit sur leur tĂ©lĂ©phone portable toujours allumĂ© pendant leur sĂ©ance, avaient dĂ©jĂ  vues.

 

Je n’ai pas la tĂ©lĂ©. Et si je l’avais, je ne regarderais pas les « informations Â».

AprĂšs avoir regardĂ© les « informations Â» chez mes parents pendant des annĂ©es, j’en suis arrivĂ© Ă  me convaincre que le but des « informations Â» est souvent de faire peur, d’inquiĂ©ter ou de mettre en colĂšre. Il se trouve trĂšs peu de recul et de perspective dans le journal des « informations Â». La prioritĂ© semble ĂȘtre de fournir rĂ©guliĂšrement des « nouvelles Â» qui crĂ©ent un malaise, un suspense, du sensationnel. Pas de faire Ă©voluer les mentalitĂ©s. Pas d’apprendre aux gens Ă  relativiser, Ă  nuancer ou Ă  mieux comprendre les Ă©vĂ©nements exposĂ©s.

 

Les journaux d’informations ne prĂ©parent pas Ă  la vie

 

 On a compris : pour moi, bien des journaux d’informations ne prĂ©parent pas Ă  la vie. Ils prĂ©parent plutĂŽt aux anxiolytiques et aux antidĂ©presseurs, aux guerres et Ă  l’armement (toutes sortes d’armements et toutes sortes de guerres) comme Ă  la mĂ©fiance voire au racisme envers ses contemporains. Et je regarderais donc des journaux d’informations, certains journaux d’informations, (et d’intimidation) pour ça ?!

Des images de casse prÚs des Champs Elysées

 

J’ai donc « vu Â» ces images de casse prĂšs des Champs ElysĂ©es. J’ai entendu certaines rĂ©actions. De Michel Onfray, le philosophe mĂ©diatique, qui constate que le gouvernement passe Ă  tabac les gilets jaunes lorsque ceux-ci manifestent. Mais qu’il laisse faire lorsque des dĂ©linquants cassent. Parce-que le gouvernement a «  peur Â». Et, de ce fait, la situation empire.

 

Sur le plateau de tĂ©lĂ© de CNews, j’ai perçu le mĂȘme Ă©lan et les mĂȘmes remontrances, en gĂ©nĂ©ral, envers le gouvernement. Celui-ci est trop mou et trop complaisant envers «  la racaille Â». D’autres parlent « d’ensauvagement Â». De « sauvageons Â». Une autre personne a parlĂ©, aussi, de certains jeunes « issus de l’immigration Â». Une autre personne encore, qui reprĂ©sentait- Ă©videmment- le Rassemblement National ( ex- Front National) a mis cette violence sur le compte d’une immigration trop importante et mal contrĂŽlĂ©e.

 

Les images montrĂ©es et remontrĂ©es de jeunes qui cassent des voitures. De jeunes qui se filment. De jeunes qui, fiĂšrement, se montrent dĂ©fiant l’AutoritĂ© et, sans doute, la RĂ©publique française, sont Ă©loquentes.

 

Plainte pour « non assistance Ă  personnes en danger Â»

 

Les tĂ©moignages de victimes (voitures cassĂ©es, vitrines de magasins brisĂ©es), sont tout autant incontestables. De mĂȘme que leur grand sentiment de vulnĂ©rabilitĂ©, de colĂšre et d’impuissance. Dans le 8Ăšme arrondissement de Paris, je crois, plainte a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e contre l’Etat pour « non assistance Ă  personnes en danger Â».

 

DĂ©bat sur Cnews

 

Sur CNews, une certaine majoritĂ© des intervenants, le journaliste animateur en tĂȘte, estime qu’il faut rĂ©primer. Qu’il faut une tolĂ©rance zĂ©ro. Qu’il n’y a qu’en France qu’on laisse faire ça ! Qu’il existe un sentiment d’impunitĂ© chez ces « racailles Â». l’Etat  français est responsable de ce sentiment d’impunitĂ© des « racailles Â». l’Etat français ne fait rien parce-qu’il a « peur Â» ! Peur d’une bavure policiĂšre.  l’Etat français veut ou croit acheter la « paix sociale Â» en laissant faire ces « casseurs Â» !

 

Tout en faisant ma rĂ©Ă©ducation, j’ai Ă©coutĂ© et regardĂ© ça, en veillant Ă  ne pas me faire mal. A bien expirer lors de l’effort. A bien respirer. Je n’ai eu, alors, aucun avis particulier en prime abord. Cela fait des annĂ©es que nous assistons Ă  des scĂšnes de violence en France. Cela fait des annĂ©es que l’on parle de « racailles Â» et de « sauvageons Â». Il y a des saisons oĂč on en parle davantage. Ainsi que des Ă©vĂ©nements qui forcent le passage vers la premiĂšre place des sujets traitĂ©s dans les mĂ©dia.

 

Désolé pour les victimes

Je suis Ă©videmment dĂ©solĂ© pour toutes les victimes directes ou indirectes de ces accĂšs de violence.  Je ne vais pas non plus « excuser Â» toute cette casse. Mais lorsque je dis ça, je redis ce qui a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© dit depuis des annĂ©es. Et ce que certains mĂ©dia se sont presque dĂ©ja engagĂ©s Ă  rĂ©pĂ©ter lors des siĂšcles suivants. Avant cela, dans 50 ans, devant certaines manifestations de violence, des mĂ©dia et des citoyens rĂ©clameront aussi encore plus de rĂ©pression.

Plus de rĂ©pression :

Certaines personnes considĂšrent qu’il faudrait plus de rĂ©pression pour rĂ©duire ou Ă©teindre ces accĂšs de violence comme ceux qui ont suivi le match de Foot Bayern de Munich/ Le PSG.

 

Il faut bien-sĂ»r une certaine rĂ©pression. Si une personne casse, agresse, tue ou vole, la Loi doit pouvoir le freiner. Pour commencer. Ce qui signifie quand mĂȘme rĂ©pondre Ă  la violence par une autre violence. La violence de l’Etat supposĂ©e ĂȘtre « bonne Â», « Ă©quitable Â»â€Šet dĂ©mocratique. Ce qui peut dĂ©jĂ  faire un peu ricaner car on peut ĂȘtre un citoyen honnĂȘte au casier judiciaire vierge et irrĂ©prochable. Et avoir des doutes sur l’Etat français « bon Â», « Ă©quitable Â» et « dĂ©mocratique Â». Mais on s’en accommode assez facilement parce-que l’on sait aussi que dans d’autres pays, c’est pire. Ou que  Ă§a peut ĂȘtre pire.

 

Il y a des Etats bien plus limitĂ©s que l’Etat français lorsque l’on parle de « bontĂ© Â», « d’équitĂ© Â» et de «dĂ©mocratie Â».

Je prĂ©fĂšre vivre en France qu’en Afrique du Sud par exemple. Et je me rappelle encore d’un camarade de fac qui m’avait fait comprendre que lors d’un sĂ©jour aux Etats-Unis, autant, lui, pourrait passer facilement dans certains Etats parce qu’il Ă©tait blanc. Autant, pour moi, ça pourrait se gĂąter parce-que je suis noir. Or, la police des Etats-Unis est selon moi plus frontale et bien plus agressive que la police française. MĂȘme sans homicide.

Une de mes copines de Fac, une belle eurasienne plutĂŽt tranquille, m’avait racontĂ© l’interpellation qu’elle et son copain (blanc) avaient connus aux Etats-Unis. Alors qu’ils visitaient en voiture
.un parc national. Ils avaient eu droit Ă  l’interpellation comme «  dans les films Â». Mains sur le capot etc
.Tout ça juste pour un contrĂŽle de papiers.

Il y a quelques mois, un ami a fait un pĂ©riple en voiture aux Etats-Unis avec un de ses fils. Il a pris la route du Blues. Un trĂšs beau sĂ©jour de plusieurs mois au cours duquel il a pu prendre de trĂšs belles photos. Cela a Ă©tĂ© plus fort que moi pendant son pĂ©riple. Je me suis demandĂ© si, moi, homme noir, j’aurais pu faire le mĂȘme pĂ©riple aux Etats-Unis. Sans connaĂźtre certains dĂ©sagrĂ©ments « causĂ©s Â» par ma seule couleur de peau. Je reste persuadĂ© que j’aurais connu quelques difficultĂ©s Ă  certains endroits.

L’Aveuglement

 

Ce qui m’ennuie avec la rĂ©pression rĂ©clamĂ©e par ces personnes si sĂ»res d’elles qu’elles se contentent de s’exprimer sur un plateau de tĂ©lĂ© ou Ă  travers des mĂ©dia, c’est que la rĂ©pression est aveugle. A l’aveuglement de ces personnes qui rĂ©clament plus de rĂ©pression, correspond l’aveuglement de la rĂ©pression.

 

Lorsque l’on devient une machine Ă  rĂ©pression, on ne fait plus dans le dĂ©tail. Tout ce qui dĂ©passe ou n’est pas dans les cases ou dans le protocole est bon pour la matraque, le clĂ© de bras, les gaz lacrymogĂšnes, le plaquage au sol ou le cercueil.

 

On tape d’abord. On rĂ©flĂ©chit peut-ĂȘtre ensuite.

 

Il y a des fois oĂč c’est bien-sĂ»r comme ça qu’il faut agir. Et d’autres fois oĂč ça sera inadĂ©quat de rĂ©primer pour rĂ©primer.

 

 

RĂ©primer pour faire respecter la Loi dans l’instant, Oui. Tu casses une voiture, un endroit ou une personne, il est normal qu’on t’arrĂȘte. Si tu veux casser selon les rĂšgles, tu t’en prends Ă  quelqu’un qui est prĂ©venu, qui est d’accord pour te combattre, et, Ă©ventuellement, pour te casser aussi. Parce qu’il sait et peut se dĂ©fendre. Si tu t’en prends Ă  ton Ă©gal en matiĂšre de violence, cela peut ĂȘtre acceptable. Par contre, dans le cas de figure, oĂč, en sociĂ©tĂ©, tu t’en prends Ă  plus vulnĂ©rable que toi, il est normal que la Loi te reprenne. Parce-que nous sommes dans une dĂ©mocratie. Et d’autres ajouteraient : Parce-que nous sommes dans une rĂ©publique et entre personnes civilisĂ©es.

 

Donc, au dĂ©part, rĂ©primer des casseurs est justifiĂ©. Sauf qu’au sein des casseurs, les profils sont diffĂ©rents.

 

D’abord, il faudrait parler de l’effet de groupe.

 

L’effet de groupe

 

On peut parler de « racailles Â», de « sauvageons Â» et « d’ensauvagement Â» si on veut. Mais c’est selon moi trĂšs insuffisant. Il faut parler de l’effet de groupe. Je serais trĂšs curieux de savoir comment se comportent ces casseurs que nous avons aperçus Ă  la tĂ©lĂ© dans la vie de tous les jours. Et lorsqu’ils sont seuls. On ne le saura jamais avec exactitude. Mais je m’attends Ă  certaines surprises.

 

D’abord, on va parler des casseurs pour lesquels il est dĂ©jĂ  « trop tard Â» pour espĂ©rer les rĂ©insĂ©rer. Qu’ils soient meneurs dans la casse ou suiveurs.

 

Je vais rappeler ce que l’on sait dĂ©jĂ  et qui, pourtant, est souvent oubliĂ© dans certains mĂ©dia depuis des dizaines d’annĂ©es. Vous allez voir le scoop !

 

On ne naĂźt pas casseur. On ne naĂźt pas racaille. Et on ne naĂźt pas violent sur la place publique. Je ne crois pas que beaucoup de parents aient dit de leur enfant dĂ©linquant :

« DĂšs sa naissance, dĂ©jĂ , il cassait tout dans son berceau  ! Â».

 

Lorsque Simone de Beauvoir Ă©crit «  On ne naĂźt pas femme, on le devient Â», encore aujourd’hui, on trouve ça trĂšs sensĂ©. Et on opine plutĂŽt facilement de la tĂȘte. Mais, Ă©tonnamment, on n’applique pas ce raisonnement pour la « racaille Â» et les « casseurs Â».

 

Les casseurs « endurcis Â»

 

Ceci pour dire que cela prend un certain temps pour devenir un « casseur Â» et une « racaille Â». Quelques annĂ©es. Et lors de ces manifestations de violence comme ce week-end, certains de ces casseurs sont dĂ©jĂ  beaucoup trop engagĂ©s dans la violence.  Et leurs capacitĂ©s d’insertion dans la sociĂ©tĂ© sont devenues proportionnellement si restreintes que les rĂ©primer aura pour effet de les stopper provisoirement. Puis, de contribuer, comme une sorte de retour de flammes, Ă  les radicaliser et Ă  les enrager davantage contre la sociĂ©tĂ©.

 

Ces casseurs  » endurcis » ne sont pas seulement engagĂ©s dans la violence. Leur rĂ©putation au sein du groupe auquel ils se rĂ©fĂšrent et auquel ils appartiennent est aussi engagĂ©e. Avoir une rĂ©putation de «dur Â» au sein de certains groupes, c’est beaucoup plus valorisant et porteur que d’ĂȘtre celui ou celui sur qui tout le monde peut pisser et cracher. Et c’est aussi plus valorisant et porteur d’avoir une rĂ©putation de dur que d’aller pointer Ă  Pole Emploi si l’on est sans travail. Ou si l’on a du mal Ă  en trouver.

 

Ça peut aussi ĂȘtre plus valorisant et plus porteur d’avoir un CV de « dur Â» que d’accepter un emploi oĂč l’on est en bas de l’échelle sociale et que l’on vous donne des ordres. C’est Ă©galement plus valorisant d’ĂȘtre connu comme Ă©tant «  un dur Â»  que d’accepter de faire un travail oĂč l’on s’ennuie.

 

Dans la vie de tous les jours, celles et ceux qui sont Rock and roll attirent les regards et le dĂ©sir mĂȘme s’ils s’attirent aussi des ennuis avec la justice et la santĂ©. A cĂŽtĂ©, celles et ceux qui respectent toutes les lois, qui sont toujours « gentils Â» et « polis Â», apparaissent souvent fades. On les « aime bien Â» mais on ne recherche pas auprĂšs d’eux le grand frisson
.

 

 

Ces casseurs « endurcis Â» voire « Ă©mĂ©rites Â», au pire, seront des futurs candidats pour toutes sortes de dĂ©linquances, le grand banditisme ou le terrorisme. Au « mieux Â», ce seront des futurs dĂ©pressifs, des futurs alcooliques, des futurs toxicomanes (s’ils ne le sont pas dĂ©jĂ ) ou de futurs suicidĂ©s.  Quand leur violence, qui leur sert  de bouclier et d’élan vital, s’effritera en se frottant de trop prĂšs Ă  l’impuissance.

 

Quelques uns de ces casseurs « endurcis Â» peuvent s’en tirer, faire repentance et monter l’échelle sociale. Par exemple dans le milieu artistique et culturel. Ou peut-ĂȘtre en montant un commerce qui marche bien.  En se convertissant Ă  une religion. En trouvant un emploi pĂ©renne. Et ils peuvent ĂȘtre citĂ©s en exemple. Comme susciter beaucoup d’attirance au sein du « systĂšme Â» car ils ou elles sont hors norme. Ils ou elles sont si « spĂ©ciaux ». Ils sont revenus de tout. 

 

Mais pour des exceptions comme eux, combien de futurs braqueurs ? De futurs terroristes ? De futurs dĂ©pressifs ? De futurs macchabĂ©es  aprĂšs une overdose, Ă  la suite d’un accident de la route ou un rĂšglement de comptes qui a mal tournĂ© ?

 Ces chiffres-lĂ , si on les connaĂźt, on n’en veut pas sur la place publique. Parce-que l’on a « besoin Â» de « racailles Â», de « sauvageons Â» et « d’ensauvagement Â» pour s’enivrer de sensationnel. C’est presque aussi bon que la cocaĂŻne et c’est lĂ©gal.

 

C’est aussi pratique d’avoir des « sauvageons Â» et de la « racaille Â» pour pratiquer une certaine politique. Sur le plateau de Cnews, mais il n’était pas le seul, le reprĂ©sentant du Rassemblement National a Ă©tĂ© particuliĂšrement bon Ă©lĂšve pour rĂ©citer ses Ă©lĂ©ments de langage. Il avait trĂšs bien assimilĂ© ses fiches mĂ©mo-techniques.   

 

Un effet paradoxal :

 

 

RĂ©primer et seulement rĂ©primer ces casseurs « endurcis Â» a un effet paradoxal. Il faut bien-sĂ»r les rĂ©primer et les arrĂȘter. Mais seulement et toujours les rĂ©primer aura pour effet de les renforcer dans leurs accĂšs de violence.

 

 C’est un travail trĂšs difficile d’accrocher humainement avec une personne violente. De croire en elle et de lui proposer des perspectives qui pourront, peut-ĂȘtre, aprĂšs plusieurs annĂ©es, lui permettre de prĂ©fĂ©rer la vie en sociĂ©tĂ© Ă  la violence. Il faut prendre le temps d’apprendre Ă  la connaĂźtre. Avoir suffisamment de patience, d’empathie voire de sympathie pour elle malgrĂ© ce qu’elle a pu faire. MalgrĂ© ses limites, ses impatiences et ses moments de violence.

 

Il est sĂ»rement beaucoup plus facile, et plus rapide, par contre, de parler sur un plateau de tĂ©lĂ©, ou ailleurs, et d’affirmer qu’il faut plus de rĂ©pression. De la mĂȘme façon qu’il y a des endurcis et des rĂ©cidivistes de la « casse Â» et de la « violence Â», en face, il y a aussi des endurcis et des rĂ©cidivistes qui exigent constamment « plus de rĂ©pression Â».

 

On voit la suite : l’escalade de part et d’autre. Plus de violence d’un cĂŽtĂ© et plus de rĂ©pression de l’autre.

 

Mais il est vrai que certains casseurs endurcis sont sans doute dĂ©jĂ  perdus pour la vie « normale Â» quoiqu’on puisse leur proposer. Parce-que c’est trop tard. Lorsqu’ils faisaient moins de bruit, moins de dĂ©gĂąts, et qu’ils Ă©taient encore « rĂ©cupĂ©rables Â», c’était lĂ  qu’il aurait fallu tenter de les aider Ă  sortir d’une certaine violence.

 

Vorace :

 

 

Je le rappelle : je suis pour une certaine rĂ©pression. Mais pas pour une rĂ©pression totale comme semblent le rĂ©clamer et le fantasmer certaines personnes qui, Ă  mon avis, dĂ©chanteraient si elles avaient Ă  vivre dans la dictature qu’elles demandent Ă  demi mot. Parce-que la rĂ©pression que ces personnes exigent est vorace. Elle s’étendrait, aussi, Ă  un moment ou Ă  un autre, Ă  des honnĂȘtes citoyens. Car aprĂšs l’avoir utilisĂ©e contre les « sauvageons Â» et les «  racailles Â», certaines de ses pratiques ayant fait leurs « preuves Â», il se trouverait et se trouveront des sensibilitĂ©s et un certain Pouvoir pour les appliquer Ă  une nouvelle catĂ©gorie de personnes. Mais avant d’en arriver lĂ , il faudra d’abord en « finir Â» avec les casseurs.

 

 

Les casseurs « opportunistes Â» ou de passage :

 

Ce paragraphe me sera sĂ»rement reprochĂ©. Car on aura peut-ĂȘtre –encore- le sentiment ou la conviction, en le lisant, que je cautionne les manifestations violentes rĂ©centes. Alors que je condamne ces violences. Mais voici ce que je crois :

On dit bien, « il faut que jeunesse se passe Â». Ou «  Il faut que jeunesse se fasse Â». On pourrait ironiser en Ă©crivant :

 

«  Il faut plutĂŽt que certaines jeunesses se cassent Â» ou « Il faut que certaines jeunesses se tassent Â».

 

Il y a sĂ»rement des personnes d’un Ăąge adulte assez avancĂ© (25-30 ans) parmi ces casseurs que l’on a aperçus dans ces quelques images montrĂ©es sur Cnews et ailleurs.

 

Mais je crois plutĂŽt Ă  des jeunes dont l’ñge moyen se situe autour des 25 ans au maximum. Contrairement Ă  la moyenne d’ñge des gilets jaunes probablement plus Ă©levĂ©e. Cependant, je n’ai pas de preuves. Je n’étais pas avec ces jeunes au moment des faits. Je ne les connais pas. Et je n’en n’ai rencontrĂ© aucun.

 

Mais j’ai Ă©tĂ© jeune. Je travaille avec des jeunes. Cela ne fait bien-sĂ»r pas du tout  de moi la personne la plus efficiente. Cela ne fait pas non plus de moi un modĂšle d’ouverture et de sagesse.  Je peux ĂȘtre trĂšs rigide. Je ne suis pas toujours la personne la mieux inspirĂ©e au travail comme avec ma propre fille pour commencer.

 

Mais me rappeler encore un peu de ma jeunesse et travailler avec des jeunes me permet ou « m’aide» Ă  revoir certaines particularitĂ©s de cette pĂ©riode de vie comprise entre, disons, 14 et 25 ans. Parce que la rencontre, dans mon travail,  de jeunes diffĂ©rents, filles comme garçons, de milieux sociaux et de cultures variĂ©es, aux comportements divers, dans un certain nombre de circonstances me donne aussi des indices. Et entretient peut-ĂȘtre une certaine mĂ©moire.

 

Une certaine mĂ©moire d’une certaine « jeunesse Â»

 

Je « sais Â» ou me souviens que dans cette fourchette d’ñge comprise entre 14 et 25 ans, pour schĂ©matiser, alors que se rapproche l’ñge adulte, on  a peur.

 

Individuellement, on a peur de ne pas ĂȘtre Ă  la hauteur de certaines responsabilitĂ©s qui nous attendent. Quel que soit le profil que l’on a. Que l’on soit d’un bon milieu social ou non. Que l’on soit un bon Ă©lĂšve ou non. Et notre norme de pensĂ©e de rĂ©fĂ©rence, c’est plutĂŽt celle du groupe. Celle des copines et des copains de notre Ăąge. Pas celle des adultes. Puisque l’on est adolescent ou jeune adulte. A moins, bien-sĂ»r, d’avoir un adulte de rĂ©fĂ©rence, parent, Ă©ducateur ou autre. Mais ce n’est pas toujours le cas. Et cet adulte de rĂ©fĂ©rence n’est pas toujours prĂ©sent. Et on ne lui dit pas tout non plus. Lorsque vous Ă©tiez plus jeunes (je m’adresse principalement aux adultes de plus de trente ans qui liront cet article) vous avez racontĂ©, vous, Ă  un adulte ? :

 

« Aujourd’hui, j’ai commencĂ© Ă  me masturber Â». « Hier, j’ai fumĂ© un joint Â». « J’ai couchĂ© avec untel Â».

« L’autre jour, je suis allĂ© voler dans un supermarchĂ©. Personne ne m’a attrapĂ© Â».

 

On fait des conneries. Certaines plus graves que d’autres. Et, en groupe, cela s’amplifie. Cela est d’ailleurs vrai mĂȘme pour les adultes. MĂȘme s’il s’agit d’autres sortes de conneries moins visibles sur la place publique qu’une casse de voitures dans une rue prĂšs des Champs ElysĂ©es.

 

Parmi les jeunes casseurs « opportunistes Â» ou de « passage Â», il doit bien s’en trouver quelques uns qui ont cassĂ© ce week-end pour faire comme les copains.

Pour ĂȘtre avec les copains.  Pour kiffer. Pour se sentir trĂšs forts. Sans rĂ©flĂ©chir aux consĂ©quences. Et le reste du temps, ces mĂȘmes jeunes casseurs « opportunistes Â» ou de « passage Â»  sont plutĂŽt tranquilles. Ce sont peut-ĂȘtre des jeunes bien Ă©levĂ©s et de « bonne famille Â». Qui sont bons Ă  l’école ou en sport. Ou qui pourraient ĂȘtre bons.

 Il ne s’agit pas d’une attitude rĂ©flĂ©chie de leur part. Je ne pense pas que ces jeunes, casseurs opportunistes ou de passage, se soient dit :

« Je suis un bon Ă©lĂšve en classe. Mon casier judiciaire est vierge. Je suis un jeune sans problĂšmes. Tout le monde me connaĂźt et j’ai une bonne cote. C’est bon, j’ai une trĂšs bonne couverture. Je peux aller casser quelques voitures et quelques vitrines de magasins avec les copains. On ne pourra pas me retrouver. Il ne m’arrivera rien Â».

Quelques uns de ces jeunes «  bien sous tous rapports Â» ont peut-ĂȘtre eu ce raisonnement trĂšs calculateur mais ils sont Ă  mon avis une minoritĂ©.

 

Le piÚge du tout répressif

 

Le « piĂšge Â», avec ce tout rĂ©pressif demandĂ© par certaines personnes est qu’il suffit que ces jeunes casseurs opportunistes ou de passage assistent Ă  une bavure ou soient victimes d’une bavure pour que cela se passe trĂšs mal ensuite. On dira :

« Ils n’avaient pas  Ă  ĂȘtre lĂ  Ă  tout casser. Tant pis pour eux ! Et les victimes de leurs comportements, vous pensez aux victimes de leurs comportements ?! Â».

 

Oui, je pense aux victimes de leurs comportements. A celles et ceux qui n’ont rien demandĂ© et qui se sont trouvĂ©es sur leur passage. Des personnes, d’ailleurs,  ( les victimes) qui pourraient autant faire partie des patients que mes collĂšgues et moi rencontrons
. comme certains de ces jeunes casseurs ou agresseurs.

Un casseur de passage ou opportuniste qui est le tĂ©moin direct d’une bavure ou qui en est victime du fait d’une rĂ©pression jusque-boutiste peut se radicaliser. Et il peut devenir un violent d’un autre type. Du type plus persistant. Du genre politisĂ© tendance extrĂ©miste ou terroriste. 

 

A l’inverse, un casseur de passage ou opportuniste, peut, aussi, passĂ©e une certaine pĂ©riode, de lui-mĂȘme, ou aprĂšs avoir Ă©tĂ© interpellĂ©, se retirer de ce genre de manifestation violente. Parce qu’il a compris la « leçon Â» et la sanction. Parce qu’il a compris de lui-mĂȘme que la violence Ă©tait allĂ©e trop loin du cĂŽtĂ© de ses copains.

Parce qu’il a d’autres projets et d’autres intĂ©rĂȘts dans l’existence. Et qu’il a les moyens de les rĂ©aliser.

 

Cependant, il y a aussi parmi ces casseurs, endurcis ou de passage, des personnes qui sont soit des individus habituellement de seconde zone ou qui ont du mal Ă  se dĂ©terminer d’un point de vue identitaire.

 

Des individus habituellement de seconde zone ou qui ont du mal Ă  se dĂ©terminer d’un point de vue identitaire

 

Sur CNews et ailleurs, il y a eu un fait qui s’est Ă  nouveau rĂ©pĂ©tĂ© et qui se rĂ©pĂšte depuis des annĂ©es voire depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations sur les plateaux de tĂ©lĂ© et dans certains mĂ©dia. Je ne sais pas si je suis obsĂ©dĂ© par cette observation.  SĂ»rement. Mais je crois que ce fait  change, aussi, un peu, la façon de voir les Ă©vĂ©nements. Parce-que, je peux ĂȘtre trĂšs satisfait de mon analyse et me tromper totalement. Mais si mon analyse est juste, je n’ai aucun mĂ©rite. Parce-que j’écris, je crois, des Ă©vidences qui sont pourtant souvent absentes de certains plateaux tĂ©lĂ© comme de certains mĂ©dia lorsque l’on parle de certains faits de violence dus Ă  des jeunes ou Ă  certains jeunes « issus de l’immigration Â».

 

Sur le plateau de Cnews, lors du « dĂ©bat Â» concernant les faits de violence de la veille, une majoritĂ© de blancs, femmes comme hommes. Bien-sĂ»r, on peut ĂȘtre blanc et ĂȘtre trĂšs ouvert Ă  l’autre. Comme on peut ĂȘtre noir et ĂȘtre raciste et trĂšs Ă©troit d’esprit.

 

Alors, je continue : je me demande lesquels, parmi ces intervenants lors de ce dĂ©bat sur Cnews, et dans quelles proportions, Ă©taient issus d’un milieu social modeste ou dĂ©favorisĂ© ? Ou, tout simplement:

Lesquels,  parmi ces intervenantes et intervenants, et dans quelles proportions, et combien de temps, avaient grandi dans une citĂ© ou un quartier Ă©quivalent oĂč la rĂ©putation d’ĂȘtre « un dur Â» (ou « une dure Â») est plus gratifiant que d’avoir de bonnes notes Ă  l’école ou d’ĂȘtre calme et sans histoires ?

 

Je me rĂ©pĂšte : je n’approuve pas ces actes de violence qui ont suivi le match Bayern de Munich/ Le PSG. Et, plus jeune, je n’aurais pas fait partie des casseurs parce qu’à cette heure-lĂ , j’aurais Ă©tĂ© chez mes parents. Soit couchĂ©. Soit en train de faire mes devoirs ou en train de lire. Quoiqu’il en soit, mes parents ne m’auraient pas permis, mĂȘme Ă  18 ans, d’aller sur les Champs ElysĂ©es aprĂšs la fin d’un match de Foot. On pourra dire que j’ai eu une bonne Ă©ducation. Je ne suis pourtant pas persuadĂ© qu’avoir une Ă©ducation trĂšs sĂ©curitaire, et parfois trĂšs enfermĂ©e, comme celle que j’ai pu avoir, ait toujours Ă©tĂ© une Ă©ducation appropriĂ©e me prĂ©parant toujours au mieux pour ma vie d’adulte. Mais ce qui est certain, c’est qu’en pratique, en Ă©tant chez mes parents Ă  « l’heure des poules Â», je n’aurais pas pu faire partie des casseurs de ce dimanche soir. Il y a pourtant sĂ»rement eu un certain nombre de jeunes sortis dimanche soir, et d’autres soirs, « issus de l’immigration Â» ou non, qui n’ont rien cassĂ© du tout. Mais, comme souvent, on parle, on parlera et on reparlera de celles et ceux qui cassent et agressent.

 

Je suppose que ceux qui ont cassĂ© dimanche soir, pour les plus actifs et les plus meneurs, sont ordinairement des individus de « seconde zone Â». Des individus que l’on ne voit pas. Ou, en tout cas, que l’on ne voit pas lorsqu’ils sortent de chez eux : lorsqu’ils sortent de leur quartier. Lorsque l’on y regarde bien, il y a aussi quelque chose de trĂšs triste et d’assez pathĂ©tique dans cette jeunesse qui a cassĂ© ce dimanche soir :

 

Pour s’illustrer et se faire remarquer (j’ai aperçu quelques jeunes filmant l’action avec leur tĂ©lĂ©phone portable) ils en sont rĂ©duits Ă  tout casser. Si les dĂ©gĂąts qu’ils ont causĂ©s sont bien sĂ»r un  grave prĂ©judice pour leurs victimes, ils s’occasionnent au passage un prĂ©judice dont ils ignorent sĂ»rement certaines consĂ©quences. Ils se coupent un peu plus de la sociĂ©tĂ©. Et, s’ils ont Ă©tĂ© victimes eux-mĂȘmes ou se sentent victimes, de façon lĂ©gitime ou non, de la sociĂ©tĂ© française, on les enferme et on les enfermera uniquement dĂ©sormais dans la case des « sauvageons Â» et de «  la racaille Â».

 

 Avant de les enfermer en prison.

 

 

Une prison identitaire

 

Surtout qu’il y a sĂ»rement une prison dans laquelle se trouve en partie, ou beaucoup, certains de ces jeunes casseurs de ce dimanche soir et d’autres fois. La prison identitaire.

 

Lorsque l’on est enclavĂ© entre deux directions identitaires apparemment incompatibles, l’une française et l’autre Ă©trangĂšre, entre l’enfance et l’ñge adulte, entre la rĂ©ussite personnelle et sociale et le sentiment d’échec ou d’errance, on peut soit dĂ©primer et s’effondrer. Soit parvenir Ă  se maintenir la tĂȘte hors de l’eau par diffĂ©rents moyens. Soit exploser. Et casser.

 

Et, face Ă  cela, certains affirment qu’il faut
. plus de rĂ©pression. RĂ©pression. Ce mot lĂ  les fait rĂȘver. On dirait que ce mot est tout pour eux. On va « juste Â» rĂ©primer et tout va aller mieux ensuite.

 

D’un autre cĂŽtĂ©, ĂȘtre jeune et ĂȘtre dĂ©jĂ  prisonnier d’une rĂ©putation de « sauvageon Â» et de « racaille», c’est quand mĂȘme plus dĂ©courageant et plus handicapant que d’ĂȘtre perçu comme « un espoir Â» ou un « prodige Â». MĂȘme si les jeunes qualifiĂ©s de « racailles Â» et de « sauvageons Â» vont affirmer fiĂšrement, devant les copains, qu’ils s’en battent les couilles ou se marrer.

Parce qu’une fois que l’on a fini de tout casser, avec les copains, que l’on s’est bien dĂ©foulĂ©, ou amusĂ© Ă  le faire, et que l’on a remportĂ© quelques trophĂ©es, l’ordinaire du quotidien nous reprend. Et casser plus de voitures et de vitrines de magasins ne changera rien, au fond, Ă  la vie qui nous effraie et qui nous frustre. MĂȘme en volant quantitĂ© d’objets. MĂȘme en suscitant l’admiration ou la crainte dans notre entourage direct. On finira bien par s’en apercevoir un jour ou l’autre. Qu’il y ait la rĂ©pression de la police et de la justice ou non.

 

Une casse d’autant plus mal perçue d’un point de vue moral

 

Mais ce qu’une partie des citoyens « veut Â», c’est des rĂ©sultats immĂ©diats. Je le comprends : je n’aurais pas aimĂ© retrouver  la vitrine de mon magasin Ă©clatĂ©e en mille morceaux. Je n’aurais pas aimĂ© ĂȘtre agressĂ© physiquement par plusieurs personnes.

 

En plus, les consĂ©quences Ă©conomiques du Covid-19, que l’on appelle de plus en plus « La Â» Covid, comme si ce virus Ă©tait hermaphrodite ( on va bientĂŽt apprendre que ce virus a Ă©tĂ© finalement transmis par des escargots) ont rendu toute cette casse d’autant plus « sensible Â» d’un point de vue moral :

 

On considĂšre sĂ»rement ces jeunes casseurs comme d’autant plus irresponsables alors que l’on « sait» que la pandĂ©mie du Covid-19 a mis des gens au chĂŽmage ; va en mettre d’autres au chĂŽmage ; Et avoir d’autres effets catastrophiques Ă  court et Ă  moyen terme sur l’ensemble de la sociĂ©tĂ©.

 

Ces jeunes casseurs ne se sentent pas concernĂ©s a priori par tout ça du fait, en partie, de leur insouciance (ça va avec leur Ăąge). Mais peut-ĂȘtre aussi parce qu’ils n’ont rien Ă  perdre. Ou parce qu’à peine adultes, ils ont dĂ©jĂ  tout perdu ou Ă  peu prĂšs tout perdu. Ou qu’ils se considĂšrent dĂ©jĂ  comme exclus de la sociĂ©tĂ© française et de la sociĂ©tĂ© des adultes travailleurs.

 

Mais ce genre de considĂ©rations est secondaire pour les adeptes de la rĂ©pression car l’urgence est Ă  l’ordre. Et, pour que la rĂ©pression soit active, il faut d’abord que la police intervienne et ait les moyens d’intervenir au lieu de laisser faire «  la racaille Â» et «  les sauvageons Â».

 

La police

 

Je n’aimerais pas ĂȘtre agent de la paix en 2020 dans les zones urbaines oĂč des affrontements frĂ©quents ont lieu entre certains jeunes et les forces de l’ordre.

 

RĂ©sumer la police Ă  une meute de racistes et d’incapables revient au mĂȘme, pour moi, que rĂ©sumer des jeunes « issus de l’immigration Â» Ă  des sauvageons et Ă  de la racaille.

 

Il y a des racistes, des incapables ainsi que des casseurs dans la police. De mĂȘme qu’il y a des erreurs mĂ©dicales Ă  l’hĂŽpital. Ou des erreurs de jugement. Cela ne signifie pas que tous les policiers sont des incapables, des casseurs et des racistes. Et qu’il n y a que des erreurs mĂ©dicales et du personnel mĂ©dical et paramĂ©dical incompĂ©tent et des juges dilettantes.

 

 

Je n’aimerais pas ĂȘtre agent de la paix en 2020 parce-que si certains jeunes sont entravĂ©s entre deux directions de vie apparemment inconciliables, bien des policiers se sentent  sĂ»rement certaines fois en contradiction avec certaines de leurs valeurs lorsqu’ils doivent exĂ©cuter certaines directives.

 

Faire peur :

 

On rĂ©pĂšte que la police ne fait plus peur. Qu’elle puisse et sache se faire respecter, c’est nĂ©cessaire. Mais je trouve ça Ă©tonnant que l’on attende avant tout de la police qu’elle fasse principalement peur. Voire qu’elle ne puisse faire que ça. Inspirer de la peur. 

 

Si la police n’inspirait que de la peur, nous vivrions sous  un autre rĂ©gime politique. MĂȘme le citoyen lambda et innocent la fuirait. Croiser une voiture de police sur la route alors que l’on conduit en respectant scrupuleusement le code de la route nous donnerait des palpitations.  Il suffirait qu’un policier ou une policiĂšre nous regarde pour avoir aussitĂŽt le sentiment d’ĂȘtre indigne d’exister.  En nous rendant Ă  un commissariat pour dĂ©clarer que la vitre avant de notre voiture a Ă©tĂ© cassĂ©e et le vol de certains objets, nous n’aurions qu’à acquiescer sans reprendre ou contredire l’agent de police si celui-ci a mal compris nos propos.

 

Une police qui fait peur est aussi une police qui compterait plus d’agents qui pourraient se permettre à peu prùs n’importe quoi.

 

Avoir du Pouvoir, en particulier celui d’intimider et de commander, inspire quand mĂȘme Ă  quelques personnes une certaine ivresse des grandeurs.  Ainsi qu’ une certaine paresse de la rĂ©flexion et de l’autocritique. Cela peut venir trĂšs rapidement lorsque l’on voit certaines femmes et hommes politiques dĂšs qu’ils accĂšdent au Pouvoir. Ou, plus simplement, certaines personnes qui deviennent cadres au sein d’une entreprise tandis que leurs collĂšgues sont restĂ©s de « simples Â» employĂ©s.

Alors, un agent de police qui ferait exclusivement peur, serait d’autant plus effrayant qu’il porte sur lui  une arme lĂ©tale que le citoyen « normal Â» n’a pas le droit d’avoir sur lui.

Un citoyen « normal Â» qui peut ĂȘtre menottĂ©, immobilisĂ© et qui peut ĂȘtre contraint de rendre des comptes sans s’opposer ni rĂ©sister. Qu’il soit Ă  pied ou dans un vĂ©hicule.  Qu’il se rende Ă  son travail ou chez le mĂ©decin. Qu’il ait une urgence personnelle ou non. Qu’il soit seul ou avec sa femme et ses enfants.

 

Selon certains syndicats policiers, l’impunitĂ© dont jouissent certains dĂ©linquants rĂ©cidivistes met Ă  mal leur travail et leur crĂ©dibilitĂ©. Je les comprends. Mais ce qui me dĂ©range aussi, c’est que la police soit Ă  la fois la baĂŻonnette et  la marionnette dont l’Etat se sert contre certains mouvements sociaux (gilets jaunes et autres). Alors que ces mouvements sociaux proviennent, aussi, comme pour les jeunes casseurs,  mais pour d’autres raisons peut-ĂȘtre, de dĂ©gradations de conditions de vie rĂ©pĂ©tĂ©es sur plusieurs annĂ©es.

 

 

Les parents des « sauvageons Â» et de la « racaille Â» :

Assez frĂ©quemment, on « aime Â» bien aussi taper sur les parents des « sauvageons Â» et de la «racaille Â». Ces parents sont souvent considĂ©rĂ©s comme des irresponsables responsables des exactions de leurs enfants. C’est vrai qu’il y a un hĂ©ritage. Mais il faut voir de quel hĂ©ritage on parle. On « sait Â» que l’on peut ĂȘtre pauvre, dĂ©favorisĂ©, noir, arabe, chinois, musulman, juif, « issu de l’immigration Â» et ĂȘtre en rĂšgle avec la Loi. Lorsqu’il a Ă©tĂ© nommĂ© derniĂšrement Ministre de l’IntĂ©rieur, GĂ©rald Darmanin a cru judicieux de faire savoir qu’il Ă©tait petit fils « d’immigrĂ© Â» ou qu’il avait des origines immigrĂ©es. J’ai trouvĂ© ça trĂšs hypocrite ou trĂšs fayot de sa part. MĂȘme si, Ă©videmment, c’était sa façon de dire que l’on peut ĂȘtre d’origine immigrĂ©e en France et y rĂ©ussir socialement.

Mais j’ai trouvĂ© ça trĂšs hypocrite  et trĂšs calculĂ© de sa part car je crois qu’il faut ĂȘtre trĂšs hypocrite ou vraiment trĂšs ignorant pour passer sur le fait que la couleur de peau importe presque autant, voire plus, que les origines personnelles pour accĂ©der Ă  une certaine rĂ©ussite sociale en France. Et il en est de mĂȘme pour les prĂ©noms que l’on porte : ça passe mieux de s’appeler Mathilde ou Sandrine que de s’appeler AĂŻcha ou Aya si l’on aspire Ă  certaines (bonnes) Ă©coles.  MĂȘme si on peut certainement trouver des AĂŻcha et des Aya dans les bonnes Ă©coles.

 

Dans le monde du travail, s’appeler Mouloud ou GĂ©rald ne produit pas le mĂȘme effet sur un CV selon l’endroit oĂč l’on postule en France. Si l’on postule en tant que balayeur, on peut s’appeler Mouloud. Aucun problĂšme. On peut mĂȘme s’appeler Mamadou. Cela ne sera pas un handicap. Par contre, si l’on postule en tant que consultant ou en tant qu’ingĂ©nieur, s’appeler GĂ©rald sera en France plutĂŽt un bon dĂ©but. MĂȘme si Mouloud pourra malgrĂ© tout obtenir le poste finalement. Car il y a de bonnes surprises aussi en France.

 

Mais on « sait Â» aussi que si l’on a des parents pauvres, dĂ©pressifs, au chĂŽmage, alcooliques, exploitĂ©s, larguĂ©s, humiliĂ©s, Ă©puisĂ©s moralement et physiquement, qui ont des tĂȘtes et des vies de vaincus plutĂŽt que des tĂȘtes et des vies de vainqueurs, que cela joue un peu quand mĂȘme quant au modĂšle Ă  suivre lorsque l’on est enfant. Que ces parents soient blancs, jaunes, arabes, noirs ou jupitĂ©riens.

 

Et ces parents larguĂ©s et dĂ©possĂ©dĂ©s d’eux-mĂȘmes ne sont pas tous des parents parasites ou haineux envers la France et la sociĂ©tĂ©. Ce peut ĂȘtre des parents qui ont vĂ©ritablement donnĂ© de leur personne et qui se sont entamĂ©s pour obtenir une vie courante qui fait difficilement rĂȘver. Et, selon l’environnement oĂč ils habitent et vivent avec leurs enfants, il peut y avoir plus de dĂ©bouchĂ©s et d’exemples immĂ©diats dans la dĂ©linquance que dans les Ă©tudes et l’emploi.

 

Dans mon collĂšge, j’ai pu ĂȘtre marquĂ© par certains Ă©lĂšves qui faisaient partie de la section haut niveau de natation de la ville. Dans la cour de l’école, ils  dĂ©notaient. Les cheveux assez souvent dĂ©colorĂ©s par le chlore, ils se regroupaient souvent ensemble. J’en ai connu deux dans une de mes classes. Ils Ă©taient  plutĂŽt bons Ă©lĂšves. La mĂšre de l’un des deux m’a  gracieusement donnĂ© des cours de maths en 4Ăšme ou en 3Ăšme. Mais malgrĂ© mon assiduitĂ© Ă  ces cours particuliers, j’étais dĂ©jĂ  une cause perdue pour les maths oĂč son fils, par contre, mon camarade de classe, Ă©tait bon. Un de ses frĂšres aĂźnĂ©s dĂ©tenait un record de France en athlĂ©tisme. Leur pĂšre Ă©tait mĂ©decin et avait son cabinet. Et ils vivaient dans une maison individuelle. Dans la mĂȘme ville, Ă  Nanterre, je vivais quant Ă  moi au 6Ăšme Ă©tage dans un appartement, en location, avec mes parents, dans un immeuble HLM de 18 Ă©tages. C’était un petit peu le jour et la nuit, quand mĂȘme, non ?

 

Ces collĂ©giens qui appartenaient Ă  la section haut niveau de natation faisaient partie des bons Ă©lĂ©ments du collĂšge. Ils se singularisaient en tout cas plus de cette façon que comme des collĂ©giens bagarreurs ou Ă  problĂšmes. On retrouve Ă  nouveau le phĂ©nomĂšne de groupe et aussi d’identification Ă  un groupe dans lequel ils se sentaient vraisemblablement valorisĂ©s mais aussi entraĂźnĂ©s. Sauf que, lĂ , il s’agissait d’un groupe vertueux et modĂšle. Et non d’un groupe de casseurs ou de bagarreurs. La bagarre et la casse ne faisaient pas partie des valeurs premiĂšres de ce groupe de jeunes nageurs de haut niveau. Cela n’empĂȘche pas et n’a sans doute pas empĂȘchĂ© qu’ensuite, certains « membres Â» de ce groupe de natation de haut niveau aient pu mal « tourner Â» Ă  partir de la fin du collĂšge et des annĂ©es de lycĂ©e. Ou ensuite. NĂ©anmoins, la « photo Â» que je garde de ce groupe de nageurs de haut niveau lorsque je repense Ă  cette Ă©poque, est celle de jeunes qui avaient la rĂ©putation de faire des vagues seulement dans un bassin de natation. Certainement que par la suite, il en a Ă©tĂ© tout autrement pour quelques unes ou quelques uns de ces nageurs. Mais, en attendant, plusieurs de nos « casseurs Â» de ce week-end, Ă  la mĂȘme pĂ©riode de leur vie, celle du collĂšge, faisaient sĂ»rement dĂ©jĂ  des vagues autour d’eux.

 

Une autre sorte de prison

 

LĂącher- en apparence- la bride aux jeunes casseurs et « tabasser Â» les gilets jaunes via la police est peut-ĂȘtre un acte de lĂąchetĂ© de l’Etat. Mais c’est peut-ĂȘtre, aussi, une dĂ©cision choisie. Et stratĂ©gique. Cela permet de laisser pourrir un certain climat social.

Et d’obtenir l’accord voire la bĂ©nĂ©diction de la population pour plus de police. Pour plus de contrĂŽles. Moins de libertĂ©s individuelles. Pour plus de rĂ©pression. Pour plus de « sĂ©curitĂ© Â». Pour plus de justice expĂ©ditive et punitive. Pour plus de prisons. Pendant le dĂ©bat sur Cnews, il a aussi pu ĂȘtre affirmĂ© qu’il fallait plus de prisons !

 

Il faut sĂ»rement plus de prisons comme il faut aussi de la rĂ©pression face Ă  la casse. D’accord. Mais il faut voir ce qui se passe ensuite dans les prisons. Ce qu’on y fait. Et pour qui. Si c’est pour crĂ©er, au travers de nouvelles prisons, de nouvelles pĂ©piniĂšres de radicalisation et d’inadaptations sociales, il est difficile de se contenter de ces seules solutions. Parce qu’un certain nombre des dĂ©tenus sortent un jour de prison. Et s’ils sont encore plus inadaptĂ©s Ă  la sortie qu’à l’arrivĂ©e, ils retourneront Ă  ce qu’ils savent faire et iront retrouver les seuls qui les accepteront. Leurs proches et celles et ceux qui leur ressemblent
..

 

Avec la pandĂ©mie du Covid-19, et le plan Vigie Pirate en raison du risque terroriste, sans omettre la façon dont nous sommes pistĂ©s sur internet chaque fois que nous nous connectons ou effectuons un achat ou une recherche, nos libertĂ©s individuelles ont dĂ©jĂ  perdu une certaine amplitude. Nous avons appris Ă  nous en accommoder. Or, tout ce que l’on nous promet pour cette rentrĂ©e Ă  venir et pour les deux ou trois prochaines annĂ©es, c’est plus d’efforts Ă  produire, donc plus d’enfermement d’une façon ou d’une autre.

 

Finalement, j’ai l’impression que ces dĂ©bats rĂ©pĂ©tĂ©s et millimĂ©trĂ©s, autour de la « racaille Â» et des «sauvageons Â» qui n’ont pas Ă©voluĂ© tant que ça depuis des annĂ©es, sont aussi une autre sorte de prison. Et que nous sommes encore (trĂšs) loin ĂȘtre sortis de ce type de prison. Parce-que la principale finalitĂ© de cette prison- mentale- est de s’auto-rĂ©gĂ©nĂ©rer indĂ©finiment. Seuls les visages et les noms de ses reprĂ©sentants et de ses gardiens changent.

 

Une chaine comme Cnews ou tout autre mĂ©dia identique qui tourne en boucle nous hypnotise avec du vide. Le vide de l’angoisse, de la peur, du sensationnel et de l’amnĂ©sie. Le plus ironique serait d’apprendre qu’un certain nombre des casseurs de ce week-end, lorsqu’ils sont devant la tĂ©lĂ©,  perçoivent Cnews comme une des chaines de rĂ©fĂ©rence. Comme l’une des chaines tĂ©lĂ© qu’il convient de regarder rĂ©guliĂšrement.

 

Franck Unimon, mercredi 26 aout 2020.

 

 

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Argenteuil Croisements/ Interviews

La Route du Tiep

 

 

                                              La Route du Tiep

Qu’est-ce qu’un igname ?

 

«  Qu’est-ce qu’un igname ? Â». Lors d’un atelier d’écriture, un homme d’une soixantaine d’annĂ©es m’avait un jour posĂ© cette question. On dĂ©couvre aussi le monde par ses lĂ©gumes, ses plantes et sa cuisine.

 

J’avais bien sĂ»r expliquĂ© ce qu’est un igname.  Bien que nĂ© en  France, mon Ă©ducation et mes vacances familiales en Guadeloupe m’avaient fait connaĂźtre le zouk, le kompa, l’igname, le fruit Ă  pain (et non le fruit Ă  peines), le piment, les donbrĂ©s et d’autres spĂ©cialitĂ©s culinaires antillaises.

 

 

Je dois Ă  mon amie BĂ©a, d’origine martiniquaise, de quelques annĂ©es mon aĂźnĂ©e, d’avoir dĂ©couvert le Tiep ( «  riz au poisson Â»), les pastels et le M’Balax. J’avais 21 ou 22 ans. Olivier de Kersauson, le navigateur, avait 23 ou 24 ans lorsqu’il a fait la rencontre d’Eric Tabarly (son livre Le Monde comme il me parle, dont j’ai dĂ©butĂ© la lecture). Moi, Ă  23 ou 24 ans, j’entrais davantage de plain pied dans la fonderie des hĂŽpitaux. J’avais fait la connaissance de BĂ©a pendant ma formation.

 

Elle était déja en couple avec C
 un Cap verdien, de plusieurs années son aßné.

Et c’est au cours d’une grande fĂȘte avec eux, dans le Val D’oise, je crois, du cĂŽtĂ© de Jouy le Moutier, que j’avais dĂ©couvert :

 

 Tiep, pastels et M’Balax.

 

Le Tiep n’est pas le nom d’un vent ou d’un microclimat proche de la ville de Dieppe. Il n’a pas de lien de parentĂ© Ă  avec la pitiĂ©. Et il n’a pas Ă©tĂ© recensĂ© sur le continent  du Tchip que les Antilles se partagent trĂšs bien avec l’Afrique. Le Tiep ou ThiĂ©boudiene  est le plat national du SĂ©nĂ©gal.

 

Avec BĂ©a, indirectement, moi qui ne suis, Ă  ce jour, toujours pas allĂ© en Afrique, j’ai dĂ©couvert des bouts du SĂ©nĂ©gal. Du Wolof et du Cap Vert. Avant que CĂ©saria Evora ne (re) devienne populaire et que le chanteur StromaĂ©, beaucoup plus tard, n’en parle dans une de ses chansons. Avant que Youssou N’Dour ne lĂąche son tube 7 secondsavec Neneh Cherry. Hit que j’ai toujours eu beaucoup de mal Ă  supporter. Si Ă©loignĂ© de son M’Balax que j’ai, finalement, pu voir, aimer et Ă©couter sur scĂšne trente ans plus tard : l’annĂ©e derniĂšre Ă  la (derniĂšre ?) fĂȘte de l’Huma.

 

 

Par hasard

 

J’ai retrouvĂ© la route du Tiep il y a quelques mois. Par hasard. J’avais rendez-vous prĂšs de la gare du Val de Fontenay pour acheter une lampe de poche. Entre le moment oĂč j’ai dĂ©couvert le Tiep et les pastels et cette transaction, il s’est passĂ© environ trente ans. J’avais bien-sĂ»r mangĂ© Ă  nouveau du Tiep entre-temps. Mais cela Ă©tait occasionnel. En me rendant sur certains marchĂ©s.

 

Le Val de Fontenay n’est pas mon coin. Je n’y habite pas. J’y Ă©tais allĂ© Ă  une « Ă©poque Â», ou, durant une annĂ©e, j’y avais Ă©té entraĂźneur de basket. Mais je parlerai de cette expĂ©rience dans un autre article. Ce matin, je m’applique Ă  me mettre au rĂ©gime :

 

Pour faire court

 

J’essaie de faire des phrases courtes. Et d’écrire un article court. C’est Yoast qui l’affirme : Certaines de mes phrases durent plus de vingt mois . Je sais que c’est vrai.

 

Mes articles manquent de titres. Si je dĂ©code bien Yoast, je fais beaucoup de victimes parmi mes lectrices et lecteurs. Et je pourrais mieux faire. Je n’écoute pas toujours Yoast.

 

En revenant de ma « transaction Â», il y a quelques mois, je suis donc retournĂ© Ă  la gare du Val de Fontenay. Et j’ai oubliĂ© si j’avais aperçu ce traiteur Ă  l’aller mais je m’y suis pointĂ© avant de reprendre le RER. J’y suis retournĂ© plusieurs fois depuis. Ainsi que ce week-end puisque nous avions prĂ©vu de faire un repas au travail.

 

 

 

 

Au Thiep DĂ©lices d’Afrique Keur Baye Niass

 

La nouveautĂ©, c’est que je suis allĂ© deux jours de suite au Thiep DĂ©lices d’Afrique Keur Baye Niass. Le vendredi, c’est le jour du Tiep au poisson. Les autres jours, on y trouve, entre-autres, du Tiep Ă  la viande qui me plait bien. Mais je voulais goĂ»ter son Tiep au poisson. J’ai donc appelĂ© suffisamment tĂŽt pour passer commande. Puis, une fois, sur place, j’ai vu qu’il ne restait plus de pastels. La cuisiniĂšre m’a confirmĂ© qu’il n’y en n’avait plus. ça m’a frustrĂ© mais c’était de ma faute. J’aurais dĂ» en commander en mĂȘme temps que le Tiep. Donc, le lendemain, j’ai rappelĂ© assez tĂŽt et j’ai commandĂ© des pastels au poisson. Et quelques uns Ă  la viande. Pour goĂ»ter.

 

 

Avec nos masques sur le visage : de cƓur Ă  coeur

 

Avec nos masques sur le visage, nous sommes encore plus indistincts que « d’habitude Â». C’est peut-ĂȘtre aussi pour cette raison que j’ai tenu Ă  donner mon prĂ©nom, la veille. Puis que, lorsque j’y suis retournĂ©, que j’ai fait ce que je fais quelques fois : parler avec les gens. Leur demander de me parler d’eux. Un peu de cƓur Ă  cƓur. Je fais ça avec les personnes avec lesquelles je me sens bien. Avec lesquelles je ne discute pas du prix de ce qu’elles me vendent. On pourrait dire que cette dame qui me dĂ©passe d’une bonne dizaine de centimĂštres, et qui a sans doute presque l’ñge de ma mĂšre, est peut-ĂȘtre un Ă©quivalent maternel pour moi. Mais je ne crois pas que ce soit la seule raison.

 

Un mal pour un bien 

 

J’avais dĂ©jĂ  appris, qu’auparavant, elle travaillait avec ses collĂšgues du cĂŽtĂ© de CrĂ©teil. Mais qu’elle avait dĂ» quitter les lieux que la RATP avait mis Ă  sa disposition. J’ai appris qu’avant de faire la cuisine, elle faisait dans le prĂȘt- Ă - porter. Elle avait trouvĂ© des fournisseurs en Italie et ça avait marchĂ© trĂšs vite. «  Je vendais de la bonne came ! Â» me dit-elle sans qu’il soit question de quoique ce soit d’autre que de prĂȘt-  Ă - porter. J’avais dĂ©jĂ  entendu parler de la qualitĂ© italienne en matiĂšre de vĂȘtements et de chaussures.

 

Le prĂȘt Ă  porter a Ă©tĂ© fructueux de 2004 jusqu’à environ 2015. Et puis, la concurrence chinoise
. 

« Les gens regardaient plus leur porte-monnaie
.mais la qualitĂ© n’était pas du tout la mĂȘme
 Â». Elle a alors dĂ» rendre ses locaux Ă  la RATP. Locaux dans lesquels elle avait effectuĂ©s des travaux. Travaux pour lesquels la RATP ne l’a jamais dĂ©dommagĂ©e. A la place, la RATP a fini par lui proposer cet endroit Ă  la gare du Val de Fontenay oĂč c’est « dix fois mieux Â» m’explique-t’elle :

« Il y a plus de passage. Avec les bureaux. Et on est prĂšs de la gare. LĂ , il y a le RER A. Il y a le RER E».

 

Prendre la vie par le bon bout

 

En l’écoutant, je prends Ă  nouveau la mesure du fait que, quelles que soient les circonstances et le contexte qui nous prĂ©occupent, qu’il y a des personnes comme cette dame et ses collĂšgues qui travaillent. Et qui prennent la vie par le bon bout.  La cuisine, elle en avait toujours fait. Et aprĂšs le prĂȘt- Ă - porter, l’idĂ©e lui est donc venue rapidement. Je ne connais pas son niveau d’études. Et je prĂ©sume qu’elle est nĂ©e au SĂ©nĂ©gal et y a vĂ©cu sĂ»rement ses vingt premiĂšres annĂ©es. Comme mes propres parents ont vĂ©cu leurs vingt premiĂšres annĂ©es sur leur Ăźle natale, la Guadeloupe.

 

Je n’ai pas insistĂ© pour savoir, comment, venant du SĂ©nĂ©gal et de la France, on fait pour trouver des fournisseurs de prĂȘt- Ă  -porter en Italie. Mais cela implique au moins de quitter son quartier. De passer la frontiĂšre. D’avoir un rĂ©seau de connaissances. Ou de savoir aller rencontrer des gens, y compris Ă  l’étranger. De les dĂ©marcher et de leur inspirer confiance. De savoir s’exprimer un minimum dans leur langue. D’ĂȘtre fiable dans son travail. Ce qui est facilitĂ© lorsque l’on  aime le faire ( son travail).

 

« L’argent n’est souvent qu’une consĂ©quence »

 

J’ai relevĂ© ces phrases  dans un livre empruntĂ© rĂ©cemment dans la mĂ©diathĂšque de ma ville, Ă  Argenteuil. Un ouvrage dont j’ai lu, pour l’instant, les derniĂšres pages et que je chroniquerai peut-ĂȘtre.

 

Changer de vie professionnelle ( C’est possible en milieu de carriĂšre) de Mireille Garolla, aux Ă©ditions Eyrolles. Les propos sont les suivants, en bas de la page 147 :

« Ce n’est pas parce-que vous allez faire quelque chose qui vous plaĂźt que vous n’arriverez pas Ă  en tirer un bĂ©nĂ©fice.

L’équation n’est pas toujours aussi simpliste que : je rentre dans un systĂšme capitaliste, donc, je gagne de l’argent, quitte Ă  souffrir tous les jours jusqu’à l’ñge de la retraite, et un autre systĂšme qui consisterait Ă  faire des choses qui vous plaisent rĂ©ellement mais qui ne devraient donner lieu qu’à des rĂ©munĂ©rations symboliques.

(

) l’argent n’est souvent qu’une consĂ©quence du fait que vous faites quelque chose qui vous plaĂźt et que vous le faites correctement Â».

 

 

Cette femme et ses collĂšgues font partie des personnes qui rendent ces phrases concrĂštes. De 11h Ă  22h tous les jours de la semaine.

 

Je me suis senti tenu de lui parler un peu de moi. C’était un minimum. Le mĂ©tier que je faisais. Dans quelle ville j’habitais. Elle m’a Ă©coutĂ© avec attention. 

 

Il y a un stade oĂč ce n’est plus l’argent qui fait le monde

 

Alors que je restais discuter avec elle, pendant que son collĂšgue prĂ©parait mes plats, j’ai commandĂ© quelques pastels supplĂ©mentaires. Vu, que cette fois, il en restait quelques uns. J’ai aussi commandĂ© deux canettes de jus. Il s’agissait, aussi, d’en rapporter un peu Ă  la maison. Elle m’a fait cadeau des deux canettes comme des pastels supplĂ©mentaires. Evidemment, je les aurais payĂ©s sans nĂ©gocier.

 

AprĂšs avoir payĂ©, j’étais sur le dĂ©part lorsqu’ouvrant le rĂ©frigĂ©rateur, elle m’a tendu une petite bouteille de jus de gingembre. Il y a un stade de la relation dans la vie, oĂč mĂȘme entre inconnus, ce n’est plus l’argent qui fait le monde. L’argent (re)devient un masque ou un accessoire. Et il vaut alors beaucoup moins que ce qu’une personne nous donne volontairement. 

 

Ce soir-lĂ , sur la route du Tiep

 

Lorsqu’elle m’a fait cadeau de ces pastels et de ces deux canettes, je n’ai pas vu une commerçante habile qui tient Ă  fidĂ©liser un client qui lui Ă©tait sympathique. MĂȘme s’il faut aussi, lorsque l’on tient un commerce, et quand on tient Ă  une relation, savoir chouchouter celles et ceux que l’on veut garder. Et je ne doute pas qu’elle sait trĂšs bien faire ça.

Mais ce que j’ai vu, c’est surtout une personne qui « sait Â» que l’on se parle et que l’on se voit maintenant, mais que l’on ne sait pas lorsque l’on se reverra.

Et si l’on se reverra.

Alors, avant de se sĂ©parer, on « arme » comme on peut celle ou celui que l’on a croisĂ© pour la suite du trajet. 

Certaines personnes font des enfants pour conjurer ça. Mais, moi, ce soir-lĂ  et sur la route du Tiep qui m’avait ramenĂ© Ă  nouveau jusqu’à elle, et pendant quelques minutes,  j’ai Ă©tĂ© sans doute , un peu, un de ses enfants.

C’était ce week-end.

 

Franck Unimon, ce lundi 24 aout 2020.

 

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Addictions Puissants Fonds/ Livres

Ma vie en réalité

 

                                                     Ma vie en rĂ©alitĂ©

Magali Berdah est la crĂ©atrice et dirigeante de Shauna Events :

 

« La plus importante agence de mĂ©dia-influenceurs de France Â».  Nabilla, Jessica Thivenin, Julien Tanti et Ayem Nour font partie de ses « protĂ©gĂ©s Â».

 

Un livre publié en 2018

 

Dans ce livre publiĂ© en 2018 (il y a deux ans), Magali Berdah raconte son histoire jusqu’à sa rĂ©ussite professionnelle, Ă©conomique et personnelle dans l’univers de la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© et de la tĂ©lĂ©. Pourtant, Il y a encore Ă  peu prĂšs cinq ans, Magali Berdah ne connaissait rien Ă  la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© comme au monde de la tĂ©lĂ©. Elle ne faisait pas partie du sĂ©rail. Son histoire est donc celle d’une personne qui, partie de peu, s’est sortie des ronces. C’est sĂ»rement ça et le fait qu’elle nous parle de la tĂ©lĂ© et de la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© qui m’a donnĂ© envie d’emprunter son livre Ă  la mĂ©diathĂšque de ma ville. En mĂȘme temps que des livres comme Le Craving Pourquoi on devient accro du Dr Judson Brewer ; Tout bouge autour de moi de Dany Laferriere; DĂ©veloppement (im)personnel de Julia De FunĂšs.

 

 

Un homme du vingtiĂšme siĂšcle

 

Je me la pĂšte sĂ»rement avec ces titres parce-que je suis un homme du 20Ăšme siĂšcle. J’ai Ă©tĂ© initiĂ© Ă  l’ñge de 9 ans aux bĂ©nĂ©fices de  ce que peut apporter une mĂ©diathĂšque :

 

Ouverture sur le monde, culture, lien social, tranquillitĂ©, recueillement. Des vertus que l’on peut retrouver ailleurs et que Magali Berdah, dans son enfance, comme elle le raconte, a connues par Ă -coups.

 

Une femme du vingtiĂšme siĂšcle

 

Magali Berdah, née en 1981, est aussi une femme du 20Úme siÚcle.

 

Son enfance, c’est celle du divorce, du deuil et de plusieurs sĂ©parations. D’un pĂšre plus maltraitant que sĂ©curisant ; d’une mĂšre qui a Ă©tĂ© absente pendant des annĂ©es puis qui est rĂ©apparue. C’est aussi une enfance dans le sud, sur la CĂŽte d’azur, du cĂŽtĂ© de Nice et de St Tropez oĂč elle a pu vivre plus Ă  l’air libre, au bord de la nature. Loin de certains pavĂ©s HLM, stalactites immobiliĂšres et langagiĂšres qui  semblent figer bien des fuseaux horaires.

 

Les Ă©claircies qu’elle a pu connaĂźtre, elle les doit en grande partie Ă  ses grands-parents maternels, tenants d’un petit commerce. Mais aussi Ă  ses aptitudes scolaires et personnelles. Son sens de la dĂ©brouille et son implication s’étalonnent sur ses premiers jobs d’étĂ© qu’elle dĂ©croche alors qu’elle a Ă  peine dix huit ans. FĂȘtarde la nuit et travailleuse le jour, elle apprend auprĂšs d’aĂźnĂ©s et de professionnels qu’elle s’est choisie. Cela l’emmĂšnera Ă  devenir une trĂšs bonne commerciale, trĂšs bien payĂ©e, dans les assurances et les mutuelles. C’est sĂ»rement une jolie fille, aussi, qui prĂ©sente bien, qui a du culot et qui a le contact social facile. Mais retenons que c’est une bosseuse. Elle nous le rappelle d’ailleurs aprĂšs chacun de ses accouchements (trois, sans compter son avortement) oĂč elle a repris le travail trĂšs vite. Elle nous parle aussi de journĂ©es au cours desquelles elle travaille 16 heures par jour. Et quand elle rentre chez elle, son mari et ses enfants l’attendent.

 

 

Le CV et le visage au moins d’une guerriĂšre et d’une rĂ©siliente

 

 

Si l’on s’en tient Ă  ce rĂ©sumĂ©, Magali Berdah a le CV et le visage au moins d’une guerriĂšre et d’une rĂ©siliente. Mais elle officie dĂ©sormais dans le pot au feu de la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, de la tĂ©lĂ©, et est proche de personnalitĂ©s comme Cyril Hanouna. On est donc trĂšs loin ou assez loin de ce que l’on appelle la culture « noble Â» ou « propre sur elle Â». Et Magali Berdah critique l’attitude et le regard mĂ©prisants portĂ©s gĂ©nĂ©ralement sur la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© et une certaine tĂ©lĂ©.

 

 

Le début de la téléréalité

 

 

La tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, pour moi, en France, ça commence avec le « Loft Â» : Loana, Steevy, Jean-Edouard
.

 

J’avais complĂštement oubliĂ© que ça s’était passĂ© en 2001, l’annĂ©e du 11 septembre, de l’attentat des «  Twin Towers Â» et de l’émergence mĂ©diatique de Ben Laden, et, avec lui, des attentats islamistes. Dans son livre, Magali Berdah nous le rappelle. A cette Ă©poque, elle avait 20 ans et commençait Ă  s’assumer professionnellement et Ă©conomiquement ou s’assumait dĂ©jĂ  trĂšs bien.

 

Un monde en train de changer

 

 

En 2001, je vivais dĂ©jĂ  chez moi et je n’avais pas de tĂ©lĂ©, par choix. Mais dans le service de pĂ©dopsychiatrie oĂč je travaillais alors, il y avait la tĂ©lĂ©. J’ai des souvenirs d’avoir regardĂ© Loft Story dans le service ainsi que des images, quelques mois plus tard, de l’attentat du 11 septembre. Et d’en avoir discutĂ© sans doute avec des jeunes mais, surtout, avec mes collĂšgues de l’époque. On Ă©tait en train de changer de monde d’une façon comme une autre avec le Loft et les attentats du 11 septembre. Comme, depuis plusieurs mois, nous sommes en train de changer de monde avec le Covid-19.

 

Une image

 

Une image, ça vous prend dans les bras. La tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© est pleine d’images. Il y a quelques jours, j’ai tĂątĂ© le terrain en parlant de Magali Berdah et de  Julien Tanti Ă  deux jeunes du service oĂč je travaille. Cela leur disait vaguement quelque chose. Puis l’une des deux a dĂ©clarĂ© :

 

« Quand je me sens bĂȘte, je regarde. Ça me permet de me vider la tĂȘte Â». L’autre jeune prĂ©sente a abondĂ© dans son sens. J’ai fini par comprendre que cela leur servait de dĂ©fouloir moral. Que cela leur remontait le moral de voir Ă  la tĂ©lĂ© des personnes qu’elles considĂ©raient comme plus « bĂȘtes Â» qu’elles.

Pour l’avoir vu, je sais que des adultes peuvent aussi regarder des Ă©missions de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©. Ça m’a fait drĂŽle de voir des NigĂ©rians musulmans d’une trentaine d’annĂ©e, en banlieue parisienne, regarder Les Marseillais. Mais pour eux, venus travailler en France, une Ă©mission comme Les Marseillais offre peut-ĂȘtre quelque chose d’exotique et d’osĂ©. Et puis, ce que l’on voit dans cette Ă©mission est facile Ă  suivre et Ă  comprendre pour toute personne qui a envie de se distraire et qui est dĂ©pourvue de prĂ©tentions intellectuelles ou culturelles apparentes.

 

 

Magali Berdah défend ses protégés

 

 

Lorsque l’on lit Magali Berdah, celle-ci dĂ©fend ses « protĂ©gĂ©s Â». On pourrait se dire :

 

«  Evidemment, elle les dĂ©fend car ils sont un peu ses poules aux Ɠufs d’or. Ils lui permettent de trĂšs bien gagner sa vie. Les millions de followers sur les rĂ©seaux sociaux de plusieurs de ses « poulains Â» permettent bien des placements de produits et lui assurent aussi une trĂšs forte visibilitĂ© sociale dans un monde oĂč, pour rĂ©ussir Ă©conomiquement, il est indispensable d’ĂȘtre trĂšs connu Â».

 

Mais quand on a lu le dĂ©but de son livre, on perçoit une sincĂšre identification de Magali Berdah envers ses « protĂ©gĂ©s Â» :

 

Le destin de la plupart des candidats du Loft de 2001 mais aussi de bien d’autres candidats d’autres Ă©missions de tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ© ou similaires telles The Voice ou autres, c’est de retourner ensuite au « vide Â», « Ă  l’abandon Â», et  Ă  l’anonymat de leur existence de dĂ©part. Et ça se retrouvait dĂ©ja dans le monde du cinĂ©ma, de la chanson ou du thĂ©Ăątre mĂȘme avant l’arrivĂ©e du Covid.

 

Dominique Besnehard, ancien agent d’acteurs et crĂ©ateur de la sĂ©rie Dix pour cent,  parlait un peu dans son livre Casino d’hiver de ces actrices et acteurs, qui, faute de s’ĂȘtre reposĂ©s uniquement sur leur physique et sur leur jolie frimousse avaient fini par disparaĂźtre du milieu du cinĂ©ma. Et je me rappelle ĂȘtre tombĂ© un jour sur un des anciens acteurs du film L’Esquive d’Abdelatif Kechiche. D’accord, cet acteur avait un rĂŽle trĂšs secondaire dans L’Esquive mais ça m’avait mis assez mal Ă  l’aise de le retrouver, quelques annĂ©es plus tard, Ă  faire le caissier Ă  la Fnac de St Lazare, dans l’indiffĂ©rence la plus totale. Il Ă©tait un caissier parmi d’autres.

 

 

Un certain nombre d’acteurs et d’humoristes que l’on aime « bien Â», avaient un autre mĂ©tier avant de s’engager professionnellement et de percer dans le milieu du cinĂ©ma, du stand up, du thĂ©Ăątre, de l’art et de la culture en gĂ©nĂ©ral. Si je me rappelle bien, MickaĂ«l Youn Ă©tait commercial.

 

Etre Ă  leur place

 

Si on peut se bidonner ou se navrer devant les comportements et les raisonnements de beaucoup de candidats de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, qui sont souvent jeunes, il faut aussi se rappeler que tant d’autres personnes, parmi nous, secrĂštement, honteusement ou non, aimeraient ĂȘtre Ă  leur place. Et gagner, comme certains d’entre eux, les plus cĂ©lĂšbres, cinquante mille euros par mois. Magali Berdah fournit ce chiffre dans son livre.

 

C’est un peu comme l’histoire du dopage dans le sport : le dopage persistera dans le sport et ailleurs car certaines personnes resteront prĂȘtes Ă  tout tenter pour « rĂ©ussir Â». Surtout si elles sont convaincues que leur existence est une dĂ©charge publique. Et que le dopage est un moyen comme un autre qui peut leur permettre de se sortir de ce sentiment d’ĂȘtre une dĂ©charge publique.

 

Pour d’autres, le sexe aura la mĂȘme fonction que le dopage. MĂȘme en pleine Ă©poque de Me Too et de Balance ton porc, je crois que certaines personnes (femmes comme hommes) seront prĂȘtes Ă  coucher si elles sont convaincues que cela peut leur permettre de rĂ©ussir.  Et de rĂ©ussir vite et bien. Quel que soit le milieu professionnel, ces personnes se feront seulement un peu plus discrĂštes et un peu plus prudentes.

 

 

Concernant Loft Story et l’intĂ©rĂȘt que la premiĂšre saison avait suscitĂ©, mais aussi les sarcasmes, je me souviens que l’acteur Daniel Auteuil, dont la carriĂšre d’acteur Ă©tait alors bien plantĂ©e, avait dit qu’il aurait fait Le Loft ou tentĂ© d’y participer s’il avait Ă©tĂ© un jeune acteur qui cherchait Ă  se lancer et Ă  se faire connaĂźtre.

 

 

Compromettre son image

 

Lorsque l’on est optimiste, raisonnable, raisonnĂ©, patient mais aussi fataliste, docile et obĂ©issant, on refuse le dopage ainsi que certaines conduites Ă  risques.  Comme on peut refuser de  prendre le risque de « compromettre Â» son image en participant Ă  une Ă©mission de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© ou Ă  une autre Ă©mission.

 

Mais lorsque l’on recherche l’immĂ©diatetĂ©, l’action, le rĂ©sultat et que l’on tient Ă  sortir du lot, on peut bifurquer vers la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, une certaine tĂ©lĂ© et une certaine cĂ©lĂ©britĂ©. Il y aura d’une part des producteurs, des vendeurs de rĂȘves (proxĂ©nĂštes ou non) et d’autre part un public qui sera demandeur.

 

Magali Berdah, Ă  la lire, s’intercale entre les deux parties : c’est elle qui a permis aux vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© de tirer le meilleur parti financiĂšrement de leur exposition mĂ©diatique. Et lorsqu’on la lit, on se dit « qu’avant elle Â», les vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© Ă©taient vraiment traitĂ©es un peu comme ces belles filles que l’on voit sur le podium du Tour de France avec leur bouquet de fleurs Ă  remettre au vainqueur.

 

L’évolution du statut financier des vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©

 

 

L’évolution du statut financier des vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© fait penser Ă  celle qu’ont pu connaĂźtre des sportifs professionnels ou des artistes par exemple. Avant l’athlĂšte amĂ©ricain Carl Lewis, un sprinter de haut niveau gagnait moins bien sa vie. Usain Bolt et bien d’autres athlĂštes de haut niveau peuvent « remercier Â» un Carl Lewis pour l’augmentation de leur train de vie. On peut sans doute faire le mĂȘme rapprochement pour le Rap ainsi que pour la techno. Ou pour certains photographes ou peintres. Entre ce qu’ils peuvent toucher aujourd’hui et il y a vingt ou trente ans. Certains diront sans doute qu’ils gagnent nettement moins d’argent aujourd’hui qu’il y a vingt ou trente ans avec le mĂȘme genre de travail. Mais d’autres gagnent sĂ»rement plus d’argent aujourd’hui que s’ils s’étaient faits connaĂźtre il y a vingt ou trente ans. Pour les vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, il est manifeste que d’un point de vue salarial il vaut mieux ĂȘtre connu aujourd’hui qu’à l’époque de Loft story en 2001.

 

 

Une motivation aussi trĂšs personnelle

 

Cependant, la motivation de Magali Berdah est aussi trĂšs personnelle. Disponible pratiquement en permanence via son tĂ©lĂ©phone portable, malgrĂ© ses trois enfants et son mari, elle reçoit aussi chez elle plusieurs de ses « protĂ©gĂ©s Â», les week-end.  C’est bien-sĂ»r une trĂšs bonne façon d’apprendre Ă  connaĂźtre ses clients et de crĂ©er avec eux un lien trĂšs personnel.

 

Toutefois, dans mon mĂ©tier, en pĂ©dopsychiatrie, on crierait au manque de distance relationnelle et affective. On parlerait d’un mĂ©lange des genres, vie privĂ©e/vie publique. On Ă©voquerait un cocktail Ă©motionnel addictif. On parlerait aussi des consĂ©quences qu’une telle proximitĂ© – voire une telle fusion- peut causer ou cause. Parmi elles, une forte dĂ©pendance affective qui peut dĂ©boucher sur des Ă©vĂ©nements plus qu’indĂ©sirables lorsque la relation se termine ou doit s’espacer ou se terminer pour une raison ou une autre. Que ce soit la relation Ă  la cĂ©lĂ©britĂ© et Ă  l’exposition mĂ©diatique constante. Ou une relation Ă  une personne Ă  laquelle on s’est beaucoup trop attachĂ©e affectivement.

 

Il y a donc du pour et du contre dans ma façon de voir ce type de relation que peut avoir Magali Berdah avec ses « protĂ©gĂ©s Â».

 

«  Pour Â» : une relation affective n’est pas une science exacte. Bien des personnes sont consentantes, quoiqu’elles disent, pour une relation de dĂ©pendance affective rĂ©ciproque. Que ce soit envers un public ou avec des personnes. Et on peut avoir plus besoin de quelqu’un Ă  mĂȘme de savoir nous prendre dans les bras et nous rĂ©conforter rĂ©guliĂšrement, comme un bĂ©bĂ©, que de quelqu’un qui nous « raisonne Â». MĂȘme si, Magali Berdah, visiblement, donne les deux : elle rĂ©conforte et raisonne ses « poulains Â».

 

Loyauté et vertu morale

 

En lisant Ma vie en rĂ©alitĂ© , je crois aussi au fait que l’on peut faire une carriĂšre dans des programmes tĂ©lĂ© auxquels, a priori, je ne souscris pas, et, pourtant ĂȘtre une personne vĂ©ritablement loyale dans la vie.

Je ne crois pas que les participants, les producteurs et les animateurs d’émissions de tĂ©lĂ©, de thĂ©Ăątre ou de cinĂ©ma plus « nobles Â» soient toujours des modĂšles de vertu morale. Surtout qu’ils peuvent Ă©galement ĂȘtre « ambidextres Â» et parfaitement Ă©voluer dans les diffĂ©rents univers.

 

Le Tsadik

 

J’ai beaucoup aimĂ© ce passage dans son livre, ou, alors surendettĂ©e, et dĂ©primĂ©e, et avant de travailler dans la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, elle va rencontrer un rabbin sur les conseils d’une amie.

Juive par ses grands-parents maternels, Magali Berdah apprend par le Rabbin qu’elle est sous la protection d’un Tsadik, un de ses ancĂȘtres.

Dans le hassidisme, le Tsadik est un « homme juste Â», un «  Saint Â», un «  maĂźtre spirituel Â» qui n’est pas rĂ©compensĂ© de son vivant mais qui peut donner sa protection Ă  un de ses descendants.

J’ai aimĂ© ce passage car il me plait d’imaginer- mĂȘme si je ne suis pas juif ou alors, je l’ignore- qu’un de mes ancĂȘtres puisse me protĂ©ger. Mais aussi que les soignants (je suis soignant) sont sans doute des Ă©quivalents d’un Tsadik et que s’ils en bavent, aujourd’hui, que plus tard, ils pourront peut-ĂȘtre assurer la protection d’un de leurs descendants. Ça peut faire marrer de me voir croire en ce genre de « chose Â». Mais je prĂ©fĂšre aussi croire Ă  ça plutĂŽt que croire Ă  un complot, faire confiance Ă  un dirigeant opportuniste ou Ă  un dealer.

 

J’ai d’abord cru que Magali Berdah Ă©tait juive non-pratiquante. Mais sa rencontre avec le rabbin et sa façon de tomber enceinte « coup sur coup Â» me fait quand mĂȘme penser Ă  l’attitude d’une croyante qui «laisse Â» le destin dĂ©cider. Je parle de ça sans jugement. J’ai connu une catholique pratiquante qui avait la mĂȘme attitude avec le fait d’enfanter. Je souligne ce rapport Ă  la croyance parce qu’il est important pour Magali Berdah. Et que sa « foi Â» lui a sĂ»rement permis de tenir moralement Ă  plusieurs moments de sa vie.

 

Je prĂ©cise Ă©galement que, pour moi, cette protection d’un Tsadik peut se transposer dans n’importe quelle autre religion ainsi que dans bien d’autres cultures.

 

Incapable d’une telle proximitĂ© affective

 

«  Contre Â» : Je m’estime et me sens incapable d’une telle proximitĂ© affective Ă  l’image d’une Magali Berdah avec ses «  vedettes Â». Donc celle qu’elle instaure avec ses protĂ©gĂ©s m’inquiĂšte.  Une des vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© dont elle s’occupe l’appelle «  Maman Â». MĂȘme si je comprends l’attitude de Magali Berdah au vu de son histoire personnelle, je m’interroge quant aux retombĂ©es de relations personnelles aussi Ă©troites :

 

Il est impossible de sauver quelqu’un malgrĂ© lui. Et ça demande aussi beaucoup de prĂ©sence et d’énergie. Une telle implication peut ĂȘtre destructrice pour soi-mĂȘme ou pour son entourage. Donc, croire, vouloir ou penser que l’on peut, tout( e)   seul (e), sauver ou soutenir quelqu’un, c’est prendre de grands risques. Mais peut-ĂȘtre que Magali Berdah prend-t’elle plus de prĂ©cautions qu’elle ne le dit pour elle et sa famille. Il est vrai que le fait qu’elle soit mariĂ©e et mĂšre lui impose aussi des limites.  Il lui est donc impossible, si elle Ă©tait tentĂ©e de le faire, de se dĂ©vouer exclusivement Ă  ses « protĂ©gĂ©s Â».

La Norme :

 

NĂ©anmoins, au milieu de ce « pour Â» et de ce « contre, je comprends que ce « support Â» affectif est la Norme dans le milieu de la tĂ©lĂ© et des cĂ©lĂ©britĂ©s en gĂ©nĂ©ral. Et ce qui est peut-ĂȘtre plus effrayant encore, c’est d’apprendre en lisant son livre que lorsque la « mode Â» des influenceurs est apparue en France (il y a environ cinq ans), que, subitement, ses « protĂ©gĂ©s Â» sont devenus attractifs Ă©conomiquement. Et  des producteurs se sont manifestĂ©s pour venir placer leurs billes. Les vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© avaient peut-ĂȘtre la tĂȘte « vide Â» mais s’il y avait- beaucoup- de fric Ă  se faire avec eux maintenant qu’ils Ă©taient devenus des influenceuses et des influenceurs. GrĂące Ă  leurs placements de produits via les rĂ©seaux sociaux avec leurs millions de followers, on voulait bien en profiter. Magali Berdah n’en parle pas comme je le fais  avec une certaine ironie. Car cet intĂ©rĂȘt des producteurs pour les vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© a permis Ă  sa carriĂšre et Ă  sa notoriĂ©tĂ© de prendre l’ascenseur.

 

Le Buzz ou le mur du son de la Notoriété

 

En 2001, Ă  l’époque du Loft et des attentats de Ben Laden, on Ă©tait trĂšs loin de tout ça. Les rĂ©seaux sociaux n’en n’étaient pas du tout Ă  ce niveau et on ne parlait pas du tout de « followers Â». Je me rappelle d’un des candidats du Loft Ă  qui, aprĂšs l’émission, on avait proposĂ© de travailler
dans un cirque. Il avait fait la gueule.

 

En 2020, Ă  l’époque du Covid-19, on est en plein dans l’ùre des followers et des rĂ©seaux sociaux. Et on peut penser que la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© et le pouvoir des rĂ©seaux sociaux va continuer de s’amplifier. Sans forcĂ©ment simplifier le climat social et gĂ©nĂ©ral :

Parmi toutes les rumeurs, toutes les certitudes absolues, tous les emballements mĂ©diatiques et toutes les peurs qui sont semĂ©es de maniĂšre illimitĂ©e, j’ai un tout « petit peu  » de mal Ă  croire que l’Ă©poque des followers et des rĂ©seaux sociaux soit une Ă©poque oĂč l’on court totalement et librement vers l’apaisement et la nuance. 

 

 D’autres empires, aujourd’hui timides voire modĂ©rĂ©s, vont sĂ»rement s’imposer d’ici quelques annĂ©es. Ça me rappelle les premiers tubes du groupe Indochine et de MylĂšne Farmer dans les annĂ©es 80. Vous les trouvez peut-ĂȘtre ringards. Pourtant, Ă  l’époque de leurs tubes Bob Morane et Maman a tort, j’aurais Ă©tĂ© incapable de les imaginer devenir les « icones Â» qu’ils sont devenus. Et puis, il y a sans doute pire comme dictature et comme intĂ©grisme que celle et celui d’un monde oĂč nous devrions tous chanter et danser Ă  des heures imposĂ©es sur  Bob Morane et sur Maman a tort. MĂȘme si ces deux titres sont loin d’ĂȘtre mes titres de chevet.

 

Se rendre incontournable

 

Il est trĂšs difficile de pouvoir dire avec exactitude qui, devenu un peu connu ou encore inconnu aujourd’hui, sera une sommitĂ© dans une vingtaine d’annĂ©es. Les candidates et les candidats du Loft, et les suivants, Ă©taient souvent perçus comme ringards. DĂšs qu’un marchĂ© se crĂ©e, et que l’on en est la cause ou que l’on est prĂ©sent dĂšs l’origine, et que l’on sait se rendre incontournable, la donne change et l’on devient dĂ©sirable et frĂ©quentable. C’est le principe du buzz. Principe qui existait dĂ©jĂ  avant les rĂ©seaux sociaux et la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© mais qui s’est accĂ©lĂ©rĂ© et dĂ©multipliĂ©. On peut dire que le buzz, c’est le mur du son de la notoriĂ©tĂ©. Faire le buzz cela revient Ă  vivre Ă  Mach 1 ou Ă  Mach 2 ou 3. Ça peut faire vibrer. Mais ça fait aussi trembler. AprĂšs avoir lu le livre de Dany LaferriĂšre, Tout bouge autour de moi,  dans lequel il raconte le tremblement de terre Ă  HaĂŻti le 12 janvier 2010 ( il y Ă©tait), on comprend qu’un tremblement, ça change aussi un monde et des personnes. ça ne fait pas que les tuer et les dĂ©truire. 

 

Une histoire déjà vue

 

L’histoire que nous raconte Magali Berdah est une histoire qui s’est dĂ©jĂ  vue et qui se verra encore : une personne crĂ©e un concept. Peu importe qui est cette personne et si ce concept est moralement acceptable ou non. Il suffit que ce concept soit porteur Ă©conomiquement et tout un tas de commerciaux s’en emparent pour le faire connaĂźtre – et monnayer-par le plus grand nombre, ce qui gĂ©nĂšre un intĂ©rĂȘt et un chiffre d’affaires grandissant. Ce faisant, ces commerciaux et celles et ceux qui sont proches d’eux prennent du galon socialement et s’enrichissent Ă©conomiquement.

 

A La recherche du scoop et du popotin du potin

 

J’ai aimĂ© lire Ma vie en rĂ©alitĂ© pour ces quelques raisons. Il se lit trĂšs facilement. Et vite. Si Ă  la fin de son livre, Magali Berdah parle bien-sĂ»r de plusieurs de « ses Â» vedettes, la lectrice ou le lecteur qui serait Ă  la recherche du scoop et du popotin du potin Ă  propos d’Adixia, AnaĂŻs Camizuli, Anthony MatĂ©o, Astrid, AurĂ©lie Dotremont, Jessica Errero, Nikola Lozina, Manon Marsault, Paga, Ricardo, Jaja, Ayem Nour, Nabilla, Milla Jasmine et d’autres sera mieux inspirĂ©(e) de concentrer ses recherches ailleurs. De mon cĂŽtĂ©, j’ai dĂ©couvert la plupart de ces prĂ©noms et de ces noms en lisant ce livre.

 

Franck Unimon, vendredi 21 août 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

               

 

 

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Pour les coquines et les coquins

Le thĂ© dans l’Ăątre

 

                                              Le ThĂ© dans l’ñtre

 

« Nous irons boire du thĂ© dans l’ñtre Â» me dit cette ballerine.  « Vous me direz vos lettres. Nous parlerons de l’ErythrĂ©e et irons dire bonjour Ă  Gagarine. OĂč commence l’Homme et oĂč finit-il ? Â» continue t’elle.

 

Sa voix soulĂšve cette question plus qu’elle ne la pose. Son souffle a aussi cet effet sur ses seins-filtres. On dirait du papier. Je suis fait de ce papier qu’elle dĂ©chire un peu plus Ă  chacune de ses respirations.

 

L’Ɠil Ă©clairĂ© par l’ampoule rectale de JosĂ©phine – c’est le prĂ©nom de cette spĂ©cialiste en saut poudrĂ©- je dĂ©couvre ma longue vue alors que ses expirations Ă©toffent la peau de mon cou.  Lui croquer le cul, en prendre la mesure pour l’enterrer vivant dans un beau cercueil de mains et de pain. En faire du boudin. Eclabousser la figure et le cul-de-cette-fĂ©e-des-plaisirs. Devenir le multiple de sa chair et de sa bouche. Nous serons dix dans son Addis Abeba – Moi et mes neuf vits- Ă  clamer la vie, quitte Ă  en clamser, et Ă  commĂ©morer le retour du NĂ©gus.

 

« Le frigo, c’est toujours alors que je me couche qu’il fait des siennes. Avec ces hommes qui circulent dehors bruyamment dans leurs voitures et les enfants qui crient, j’ai du mal Ă  me concentrer. Et toutes ces femmes qui me regardent au point que cela me met Ă  l’aise. C’est Ă  croire que je suis lesbienne Â».

 

Laisser mon sexe prendre toute sa forme dans la glaise de sa bouche, fumer sa bouche d’ozone. La grimper, la camper, tente Ă  cul. Et la regarder s’accrocher aux branches comme Ă  ses branchies. En me disant que je tiens mon ange. Mais oĂč se trouve son aurĂ©ole ? Il faut que je me tĂ©lĂ©porte.

 

« Je suis passĂ©e Maitresse dans la rĂ©solution des Ă©nigmes de l’absence. Marcher, c’est souvent aller vers soi. Se faire mettre, c’est souvent prendre. L’Amour, c’est peut-ĂȘtre cette mĂ©moire que l’autre est lĂ . Que ce n’est pas juste un miroir mais aussi des larmes que l’on brise. Je n’ai pas de mĂ©moire. Je suis juste au corps. Pour avoir de la mĂ©moire, il faut perdre son corps. Le mien s’infiltre partout Â».

 

Je suis chargĂ© en accrĂ©ditations testiculaires. Si je suis un homme de couleurs, ce n’est pas pour voir la vie en noir. Mais pour avoir la vie sauve alors que JosĂ©phine fait danser mon regard sur ses lĂšvres. Lesquelles portent cet accent qui me la rendent plus dĂ©tectable-dĂ©lectable que n’importe quel maquillage.

 

« Mon visage est sans tain mais le Ska et le Gro-Ka y font naĂźtre des Ă©toiles. J’aime les hommes au bord de l’explosion telles des locomotives qu’auditionne l’enfer. Et pour lesquels les sĂ©quelles du verre sur la tĂȘte n’est mĂȘme pas un frein. Mais plutĂŽt un refrain vers un lien. Leurs cicatrices sont ces alliances de chair qu’ils se sont faites pour s’unir Ă  la vie. Elles ont pour moi bien plus de valeur que ces bagues de sympathie que l’on achĂšte dĂ©sormais Ă  crĂ©dit dans des bijouteries. Mais de tels hommes n’existent plus. Soit ils ont le Sida. Soit ils s’affairent sur internet. Soit ils sont devenus fonctionnaires ou mariĂ©s – c’est pareil- soit ils prĂ©fĂšrent rester cĂ©libataires. Les hommes, maintenant, sont devenus des femmes Â». JosĂ©phine se met  Ă  pleurer puis crie sur un ton implorant :

« Les hommes, aujourd’hui, ne veulent plus jouir ! Â».

 

Elle reprend son souffle puis dit :

 

« Vous, par exemple, vous n’ĂȘtes pas mon genre. Baisez-moi si vous voulez. Bien et fort. Vous m’ĂȘtes de bonne compagnie. Comme le vent dans la voile, notre intimitĂ© dĂ©rapera et nous donnera l’occasion de croire en une sorte d’aventure. Mais cela restera pĂ©riphĂ©rique. Nous n’irons nulle part ensemble. Comme pour la majoritĂ© des hommes, dĂ©sormais, baiser une femme ne signifie pas qu’on lui prĂȘte plus d’importance qu’à une autre. Mais juste que, celle-lĂ , on a pu la regarder d’un peu plus prĂšs. Baisez-moi, pesez-moi, dĂ©branchez-moi puis allez dormir ! Partez ensuite prendre votre train-train, votre navette ou votre omnibus nocturne de banlieue. Vous, les hommes, vous ĂȘtes douĂ©s pour le sommeil dĂšs qu’on vous adore. C’est ce que l’on appelle le sommeil rĂ©parateur. Il faut vous donner des cauchemars pour vous maintenir attentifs et en Ă©veil. Bien des femmes sont pauvres de ce cĂŽtĂ©-lĂ  Â».

 

Quelques secondes passent. Puis JosĂ©phine repart :

 

« Nous parlerons de l’ErythrĂ©e et de Gagarine une autre fois. C’est Ă  dire, autrefois. Ne revenez-pas. DĂ©jĂ , on prĂ©pare les vitrines pour les fĂȘtes de fin d’annĂ©e. Et il y aura de plus en plus de monde. Il y aura beaucoup de travail. Je n’aurai pas le temps de vous laisser me parler. Ensuite ? AprĂšs les fĂȘtes, je serai importĂ©e en Chine. Vous ne ferez tout de mĂȘme pas le voyage jusque là
.. Â».

 

 

Franck Unimon, Ă  une date disparue.  ( bientĂŽt dans sa version audio).

 

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Croisements/ Interviews

Lieux communs du 15 aout

 

 

                                                      Lieux communs du 15 aoĂ»t

Ce 15 aoĂ»t, il est entrĂ© dans le mĂ©tro. Les deux titres qu’il a jouĂ©s -et avait dĂ©jĂ  probablement jouĂ©s  des milliers de fois- n’étaient pas de lui.  En guise de prĂ©liminaires, des artistes avaient dĂ©limitĂ© le terrain plusieurs annĂ©es auparavant. Peut ĂȘtre avant sa naissance et sa rĂ©sistance.

 

C’était les chants fracturĂ©s de sa vie. Des wagons qu’il essayait peut-ĂȘtre encore de raccrocher. Et que j’ai aussitĂŽt Ă©coutĂ©s.

 

C’était la premiĂšre fois que le voyais. La premiĂšre fois que je l’entendais. Et sĂ»rement aussi la derniĂšre fois. C’est ce que je crois. Il nous faut souvent plusieurs fois pour bien nous rappeler d’un nom, d’un visage, d’un usage ou d’une rencontre.

 

Peut-ĂȘtre pour contrer ça, j’ai trĂšs vite sorti mon appareil photo.  J’aurais pu faire sans.  En Ă©crivant. Mais je me rendais au travail. Il Ă©tait peu frĂ©quent que je passe par lĂ . Et j’étais un peu en retard. Il me fallait une image. Une marge. D’autant plus que, comme lui avec ces deux titres, les mots de cet article, je les ai dĂ©jĂ  employĂ©s des milliers de fois.

 

Je lui ai fait signe. Il m’a vu et m’a rapidement fait comprendre qu’il acceptait que je le prenne en photo. Je ne connais pas son nom, ni son Ăąge ni  son histoire. Tout ce que je sais et ce que je vois, c’est comment il est « dressĂ© Â» (« habillĂ© Â»). Comment il est fait ; qu’il chante du Blues en Anglais ou en AmĂ©ricain et qu’il a la guitare appropriĂ©e.  Et en passant plus tard entre nous, aprĂšs que je lui aie donnĂ© une piĂšce, il me donnera, en Anglais, les deux noms des artistes dont il a interprĂ©tĂ© les titres.

 

Je n’en saurai pas plus.  Et ça me suffira pour quelques minutes et davantage. ça m’apportera plus que ce que j’ai en commun avec des millions de gens. Cette partie de ma vie oĂč je m’entraĂźne souvent Ă  ĂȘtre un dĂ©funt plutĂŽt qu’un ĂȘtre vivant.

 

Le Blues vient de l’Afrique. C’est ce que j’ai lu et entendu dire. Je n’ai pas l’impression que les deux noirs africains prĂ©sents dans le mĂ©tro pressentent une Ă©motion particuliĂšre devant ce chanteur. OĂč alors ils sont trĂšs pudiques. La pudeur « africaine Â»â€Š.

 

Peut-ĂȘtre ces deux passagers africains ont-ils tout simplement dĂ©passĂ© la station du Blues depuis trĂšs longtemps. Car ils le vivent depuis tant d’agrĂ©gations que, pour eux, ça n’a plus rien d’exceptionnel. Alors que ça semble exceptionnel pour ce chanteur, blanc, qui a dĂ©couvert le Blues « rĂ©cemment Â». 

 

Peut-ĂȘtre aussi que le Blues de ce 15 aout et dont nous parlons en occident est-il une invention de « Blanc occidental Â» ? Les restes bazardĂ©s du Blues originel. Un peu comme ce qu’il peut rester d’une crĂ©ation, d’une bizarrerie ou d’une particularitĂ© individuelle, linguistique ou culturelle brute aprĂšs son industrialisation, son concassage, sa standardisation et sa commercialisation. Un Ă©chantillon.

Je crois me rappeler qu’au dĂ©part, le Blues Ă©tait plutĂŽt une musique peu convenable. Donc interdite sur les lieux officiels et publics, les jours d’affluence comme en plein jour. Comme le Gro-Ka.  Comme le Maloya. Comme le Rock ensuite. Puis comme le Rap. Comme toute forme et force d’expression identitaire et culturelle intestine qui dĂ©range une norme et une forme de pensĂ©e militaire, Ă©conomique, sociale et religieuse dominante.

 

AprĂšs l’administration du traitement de choc- ou de cheval- de l’industrialisation, du concassage, et de la commercialisation, on viendra ensuite dĂ©plorer que telle source, tel Art, telle culture ou telle personne a perdu son Ăąme et s’est tarie. Qu’elle est devenue polluĂ©e ou insipide
.

 

Peut-ĂȘtre que ces remarques sont  des conneries dominantes. Et qu’il suffit d’écouter avec ses oreilles sans chercher Ă  faire pschitt et son show en jouant avec des « shit holes Â» : avec les trous Ă  merde de certaines Ă©lucubrations.   

 

Plus qu’une opposition chronique et manichĂ©enne entre noirs et blancs, et entre Occident et Afrique, cette anecdote avec ce chanteur de « mĂ©tro Â» est Ă  nouveau le constat de l’échec rĂ©pĂ©tĂ© de certains aspects de notre « modernitĂ© Â» :

 

Les transports en commun sont un formidable et indiscutable moyen de déplacement. Internet et les réseaux sociaux font désormais partie de nos transports en commun.

Mais nous sommes souvent les marchandises et les prisonniers communs de nos transports en commun. 

Et nous sommes des marchandises et des prisonniers Ă©blouis par des ailleurs qui sont sĂ»rement assis Ă  quelques mĂštres de nous. Mais nous ne les voyons pas. Nous ne les reconnaissons pas. Parce que nous avons d’autres connexions Ă  faire.  Il n’est pas certain que mĂȘme ce chanteur parti au bout de deux chansons pourtant calibrĂ©es pour s’Ă©vader s’en sorte mieux que nous :

On peut passer sa vie Ă  ĂȘtre Ă  l’heure Ă  nos rendez-vous et, finalement, avoir nĂ©anmoins plusieurs trains ou plusieurs mĂ©tros de retard.

 

Parfois, pour essayer de changer de vie et de boulons, certaines personnes dĂ©cident de tout faire sauter. D’autres se jettent sur les rails. D’autres encore agressent physiquement et moralement d’autres personnes ou les volent. Il s’agit heureusement d’une minoritĂ©. Ça crĂ©Ă© du changement chez certaines personnes. Mais ça crĂ©Ă© aussi beaucoup de traumatismes qui pousseront peut-ĂȘtre d’autres personnes Ă  vouloir ensuite tout faire sauter, se jeter sur les rails,  agresser et voler leur entourage


 

 

ArrivĂ© Ă  ma station de mĂ©tro, j’ai fait comme la plupart des gens. Je me suis descendu calmement dans un coin puis je suis allĂ© travailler.

 

 

Franck Unimon, mercredi 19 aout 2020.

 

 

 

 

 

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Cinéma self-défense/ Arts Martiaux

Ip Man 4

 

 

                                        Ip Man 4- Le Dernier Combat

«  C’est naze ! Â». Une grimace.

 

Il y a plein de films Ă  voir au cinĂ©ma depuis que certaines salles ont rouvert le 22 juin. Des films que j’aimerais voir et Ă  propos desquels j’ai un trĂšs bon a priori. Je vais en citer quelques uns :

 

Voir le jour  de Marion Laine ; The Crossing de Bai Xue ; L’infirmiĂšre de KĂŽji Fukada ; Le DĂ©fi du champion  de Leonardo D’agostini ; The Perfect Candidate de Haifaa Al-Mansour ; Lil’ Buck, Real Swan de Louis Wallecan et d’autres dĂ©jĂ  sortis ou qui vont sortir en salles.

 

Mais je ne pourrai pas voir la plupart de ces films comme d’autres rĂ©alisations avant eux. D’abord parce-que j’écris pour le plaisir. Et ce plaisir ne me paie pas financiĂšrement. C’est mon mĂ©tier d’infirmier en pĂ©dopsychiatrie (de nuit depuis quelques annĂ©es) qui continue de me faire vivre. Je ne me plains pas : bien des personnes sont au chĂŽmage ou ont perdu leur emploi rĂ©cemment du fait du Covid-19 ou vont bientĂŽt le perdre.

 

Ecrire un article

 

Ensuite, Ă©crire un article me prend du temps. Au minimum entre 3 Ă  5 heures en moyenne.  Et c’est comme ça depuis longtemps.

 

Avant la naissance de ma fille, j’arrivais Ă  concilier mon mĂ©tier d’infirmier, mes sĂ©ances de cinĂ©ma et l’écriture d’articles Ă  propos des films que je voyais ou des acteurs et rĂ©alisateurs que je rencontrais. Ma fille est nĂ©e. J’en suis content. Et, comme chaque parent, aussi, dĂ©sormais, je fais l’expĂ©rience qu’avoir un enfant ou plusieurs divise mon temps par deux ou par trois.

 

Evidemment, entre choisir de passer du temps avec ma fille et passer du temps au cinéma et à écrire, je choisis encore ma fille.

 

 

Dans sa biographie Ma Vie en rĂ©alitĂ© que j’ai fini de lire, et dont je compte bien reparler bientĂŽt dans un article, Magali Berdah, qui « s’occupe Â» des influenceurs tels Nabilla et Julien Tanti mais fait aussi de la tĂ©lĂ©,  dit travailler 16 heures par jour et fait comprendre qu’aprĂšs ses journĂ©es de travail, elle enchaine avec sa vie de mĂšre ( elle a trois filles) et de femme au « foyer Â». Aujourd’hui, elle gagne trĂšs bien sa vie. Mais il y a encore quatre ou cinq ans, elle Ă©tait surendettĂ©e.

 

 

Je n’ai pas 16 heures par jour Ă  consacrer Ă  l’écriture et Ă  mon blog en plus de mon mĂ©tier d’infirmier et de ma fille par exemple. C’est sĂ»rement pour cela que je suis encore « loin Â» d’une certaine rĂ©ussite avec mes articles et mon blog. D’autant que je constate « bien Â» que, souvent, derriĂšre la rĂ©ussite ( quelle que soit la rĂ©ussite) se niche une certaine quantitĂ© d’heures de travail en plus d’un Savoir faire et d’un « ruisseau Â» ( un rĂ©seau) de connaissances et de sympathies dans le milieu oĂč l’on veut Ă©voluer.

Mon engagement dans mes articles et mon blog est sincĂšre. Mais cet engagement est sans doute encore trop discontinu, trop limitĂ© et trop confidentiel pour rencontrer un public plus large. J’utilise aussi sans aucun doute des moyens de communication encore trop inappropriĂ©s.  J’aime prendre le temps d’écrire. Mes articles sont assez longs alors que l’on est beaucoup dans une Ă©poque d’images, de buzz et de « punchlines Â». Une photo ou une vidĂ©o bien choisie, bien montĂ©e, a une vitesse de propagation bien plus forte, peut-ĂȘtre Ă©quivalente Ă  celle d’une balle, qu’une centaine de phrases.  

 

Et puis, je suis attachĂ© Ă  la polyvalence. Il y a des thĂ©matiques qui « marchent Â» bien sur le net pour peu qu’on en parle « bien Â» :

 

Mode et people, cosmétique, cuisine, tourisme, bricolage, certaines musiques, fitness, sport, un certain cinéma
..

 

Je ne rejette pas ces thĂ©matiques. Je peux aussi les accoster si ce n’est dĂ©jĂ  fait. Mais j’aime aussi aller vers d’autres sujets que je crois moins porteurs. Ou peut-ĂȘtre aussi que je les « vends Â» trĂšs mal. Il est vrai que je ne me vois pas passer toutes mes journĂ©es sur mon blog, sur mes articles et sur les rĂ©seaux sociaux. Mais dĂšs que j’ai un peu plus de disponibilitĂ©, j’en profite pour publier plusieurs articles de maniĂšre rapprochĂ©e.

 

 

A cĂŽtĂ© de ça, lire aussi prend du temps. Que ce soit des livres ou des articles. Ainsi qu’avoir une compagne (la mĂšre de ma fille).

MĂȘme si ma compagne me laisse plus de latitude pour Ă©crire, lire et faire du sport que certaines compagnes ou certains compagnons. Et, chez nous, je peux Ă©crire jusqu’à trĂšs tard la nuit. Je peux aussi Ă©crire aprĂšs une nuit de travail sans me reposer et dĂ©jeuner. Puis, manger un bout de pain et de fromage et partir chercher ma fille au centre de loisirs parce-que c’est l’heure. C’est ce qui s’est passĂ© il y a quelques jours en Ă©crivant GĂ©missements. ( GĂ©missements).

 

 

On pense peut-ĂȘtre que ce que je raconte n’a rien Ă  voir avec le film Ip man 4 ? Que je ferais mieux de parler du film au lieu de raconter ma vie ? Pourtant, dĂšs le dĂ©but de cet article, Ă  ma façon, j’ai commencĂ© Ă  raconter le film et Ă  donner mon avis Ă  son sujet. 

 

C’est naze !

 

 

«  C’est naze ! Â». C’est une remarque faite par un de mes anciens collĂšgues dans un des prĂ©cĂ©dents hĂŽpitaux oĂč j’ai travaillĂ©. Spock (c’est le surnom que je lui avais donnĂ©) allait beaucoup moins souvent moi au cinĂ©ma. Mais il trouvait « nazes Â» tous ces films de Kung-Fu, d’action, d’arts martiaux et de sports de combat oĂč tout Ă©tait prĂ©texte pour se bastonner.

 

C’était il y a plus de vingt ans.

 

Spock est aujourd’hui Ă  la retraite depuis plusieurs annĂ©es. Il a fait partie de mes modĂšles :

 

Que ce soit au travail ou dans la vie, il semblait toujours maitre de lui-mĂȘme et serein. Il semblait toujours savoir comment agir et penser. Et je l’avais vĂ©rifiĂ© plusieurs fois en pratique devant des situations oĂč j’estimais que j’aurais fait « moins bien Â» que lui. OĂč j’aurais plus que pataugĂ©.

 

Spock avait aussi pour lui la facultĂ© de l’humour et de la dĂ©rision.

 

Lors de cette remarque «  c’est naze ! Â», Spock, mon aĂźnĂ© de plusieurs annĂ©es, Ă©tait dĂ©ja un homme Ă©tabli avec femme, maison, petit chien, grosse voiture ( une BMW) et enfant. Plus tard, la quarantaine passĂ©e, il allait passer son permis moto et nous allions le voir arriver au travail sur sa grosse moto. A ce jour, je n’ai jamais rĂ©ussi Ă  briser l’interdit maternel me commandant de ne jamais faire de la moto. Pourtant, mes yeux brillent assez souvent en voyant passer une moto.

Aide-soignante pendant des annĂ©es en rĂ©animation, ma mĂšre avait eu Ă  s’occuper de plusieurs jeunes motards qui, une fois sortis du coma lui avaient dit :

 

« E
.tu as un fils ? Ne lui achĂšte jamais de moto ! Â». A l’ñge de l’adolescence, lorsque, comme d’autres jeunes garçons je m’étais avancĂ© vers ma mĂšre en faveur d’une mobylette, celle-ci s’était trĂšs vite montrĂ©e catĂ©gorique. Et je n’ai mĂȘme pas essayĂ© d’insister. Ma mĂšre m’avait prĂ©parĂ© depuis tellement d’annĂ©es Ă  ce refus.

 

 

Lorsque j’ai commencĂ© Ă  connaĂźtre Spock, aprĂšs mon service militaire, je venais d’emmĂ©nager dans un studio de fonction fourni alors par l’hĂŽpital. J’étais encore cĂ©libataire et je collectais plutĂŽt les histoires sentimentales Ă  la mords-moi-le-nƓud. Professionnellement, j’étais au dĂ©but de ma croissance mĂȘme si j’avais dĂ©ja commencĂ© Ă  me constituer quelques expĂ©riences. Spock, lui, il Ă©tait bien-sĂ»r dĂ©jĂ  un professionnel reconnu plutĂŽt unanimement. Une sorte « d’ancien Â» Ă  qui je m’adressais lorsque j’avais besoin de  rĂ©ponses diverses sur certains sujets personnels et professionnels sensibles et qui m’a accordĂ© plusieurs fois son attention et sa bienveillance. Il Ă©tait d’autres personnes dans le service, parmi mes collĂšgues plus ĂągĂ©s, principalement des hommes, que je voyais comme des modĂšles. Spock en faisait partie. Scapin et D
.aussi. Ainsi que P, un autre infirmier dont j’admirais la dĂ©contraction en toute circonstance, le fait qu’il soit musicien ainsi que son humour. Tous ces collĂšgues qui faisaient partie de mes modĂšles avaient le sens de l’humour. Y compris de l’humour trĂšs noir. Ce qui me convenait bien.

 

Et puis, Ă  force d’apprendre, on « grandit Â». D
.s’est suicidĂ©. Il a Ă©tĂ© retrouvĂ© pendu au bout d’une corde chez lui par son fils adolescent. P est devenu la « chose Â» de notre cadre que j’avais un peu connue infirmiĂšre alors que j’étais encore Ă©tudiant ( on disait « l’élĂšve Â» pour « Ă©lĂšve infirmier) et qui, l’accĂšs au Pouvoir « aidant Â», s’est Ă©rigĂ©e de plus en plus en autoritĂ© dynastique – et supra anxieuse. Et, ceci, avec le consentement mutuel du mĂ©decin chef, parfait dans le rĂŽle hypocrite et politique du descendant direct de Ponce Pilate qui s’en lavait les mains pourvu que « sa Â» maison (le service et le pĂŽle de psychiatrie adulte de l’hĂŽpital) lui appartienne.

Scapin, lui, avait eu besoin de partir travailler dans un autre service de l’hîpital.

De mon cĂŽtĂ©, j’ai fait quelques conneries dont, selon moi, les principales, ont surtout Ă©tĂ© de nĂ©gliger l’image (entre autre, parce-que je m’auto-dĂ©valorisais beaucoup) que je donnais de moi. D’ĂȘtre trop gentil et de m’en remettre un peu trop Ă  la bonne comprĂ©hension et au bon vouloir des autres. Et d’ĂȘtre restĂ© trop longtemps collĂ© Ă  ce service et Ă  cet hĂŽpital devenus une sorte de seconde membrane ( nĂ©vrotique) Ă  laquelle j’avais fini par avoir peur de m’arracher. Alors que je savais qu’il fallait le faire. Comme je savais avoir dĂ©jĂ  travaillĂ© ailleurs avant ce service et cet hĂŽpital et donc ĂȘtre capable de le refaire. Mais il y avait une dissociation entre ce que je comprenais intellectuellement : ce que la raison me soufflait de faire. Et mes Ă©motions ( la peur, l’attachement nĂ©vrotique) et mon corps.

 

Mais quand arrive le dĂ©clic, enfin, on part. On part par nĂ©cessitĂ©. Pour soi.  

 

 

Dans Ip Man 4, Ip Man, la soixantaine, apprend qu’il est porteur d’un cancer malin. Or, son fils adolescent cumule les conneries Ă  l’école. Il se bat tout le temps pour un oui et pour un non. Son fils est  (aussi) en colĂšre contre lui depuis la mort de sa mĂšre. Ip Man (l’acteur Donnie Yen) envisage donc d’envoyer son fils poursuivre ses Ă©tudes aux Etats-Unis puisque l’établissement oĂč est scolarisĂ© son fils ne veut plus lui donner de nouvelle chance. Les Etats-Unis sont l’équivalent d’un pays de la Seconde chance. LĂ  oĂč l’on peut repartir du bon pied. Comme une bonne pension. Mais ce voyage est quand mĂȘme une aventure. Changer de pays. De langue. De culture. De mƓurs. De monnaie. Ip Man, qui a rĂ©ellement existĂ©, dans la vraie vie, n’a pas fait ce voyage. Mais il aurait pu. D’ailleurs, quand j’y pense maintenant, mon grand-pĂšre paternel avait environ la soixantaine, l’ñge du personnage d’Ip Man dans le film, la premiĂšre fois qu’il a quittĂ© sa Guadeloupe natale pour venir en France oĂč plusieurs de ses fils ( dont mon propre pĂšre) Ă©taient partis travailler Ă  l’ñge adulte.

 

 En quittant mon service de psychiatrie adulte oĂč j’avais connu Spock, Scapin, D, P et d’autres,  j’avais Ă©tĂ© surpris d’apprendre qu’aucun de mes collĂšgues, dans une certaine unanimitĂ©, ne se seraient risquĂ©s Ă  tenter l’expĂ©rience professionnelle et personnelle que je m’apprĂȘtais Ă  vivre : aller travailler en pĂ©dopsychiatrie. A faire le « voyage Â» en pĂ©dopsychiatrie.

 

C’était il y a vingt ans.

 

Entretemps, j’avais aussi appris que les super-hĂ©ros n’existent pas. Certains modĂšles que j’avais pu idĂ©aliser Ă  une Ă©poque de ma vie m’étaient apparus, avec le temps, plus vulnĂ©rables qu’ils ne le semblaient. Plus faillibles. Voire pas toujours si honorables que cela.

J’avais Ă©galement appris que mĂȘme celles et ceux qui roulent des mĂ©caniques et qui semblent increvables et trĂšs sĂ»rs d’eux ont tous leurs moments indiscutables de faiblesse ou de dĂ©bĂącle. Et, moi aussi, j’avais dĂ» apprendre Ă  faire connaissance avec mes propres limites :

On peut jouer un rĂŽle devant les autres Ă  condition de savoir rester sincĂšre au moins avec soi-mĂȘme et de bien se connaĂźtre. Ça nous Ă©vitera de trop en faire. De trop nous la jouer. Ça nous aidera, aussi, Ă  avoir des relations plus sincĂšres avec les autres. On peut truquer les apparences et tricher avec elles. Et on peut obtenir plein de « choses Â» comme ça. En truquant. Mais cela impliquera de passer sa vie en restant sur le qui-vive en permanence. Je ne veux pas d’une vie telle qu’on la voit dans Le Talentueux Mr Ripley.

 

 

Quand dĂ©bute Ip Man 4, Ip Man est un homme simple. Il n’est plus ce jeune combattant d’un milieu social aisĂ© aimant relever les dĂ©fis comme nous le montre Wong Kar-Wai au dĂ©but de son film The Grandmaster ( rĂ©alisĂ© en 2013) avec l’acteur Tony Leung Chiu-Wai dans le rĂŽle d’Ip Man.

 

Dans Ip Man 4, Ip Man, pourtant rĂ©putĂ©, subsiste en donnant des cours de Wing Chun dans son Ă©cole Ă  des Ă©lĂšves qui l’idolĂątrent mais qui sont aussi trĂšs bornĂ©s et assez peu douĂ©s. Ils rappellent ces Ă©lĂšves dont Kacem Zoughari parle dans l’interview qu’il donne au magazine Yashima dit ( je cite ce passage dans l’article GĂ©missements) :

 

 

«  Certains Ă©lĂšves copient le maitre jusque dans ses dĂ©formations de dos, de genou, etc. Au-delĂ  de l’aspect caricatural, c’est mĂȘme dĂ©lĂ©tĂšre pour leur santĂ© ! Ce type de pratiquants intĂ©gristes refusent souvent aussi souvent de voir ce qui se fait ailleurs pour ne pas corrompre l’image qu’ils ont de leur maĂźtre. C’est une grave erreur Â».

 

Ces Ă©lĂšves (comme ceux d’Ip Man dans Ip Man 4) sont incapables de penser par eux-mĂȘmes. Ils se fondent dans le groupe.  A mon avis, ces Ă©lĂšves n’ont pas de conscience. Pas de capacitĂ©- bienveillante- d’autocritique. Ils sont soit sur la dĂ©fensive soit dans l’attaque. Il y a trĂšs peu de nuance entre ces deux actions. On peut  aussi retrouver ça chez  certains intĂ©gristes (religieux, administratifs,  technocratiques, conjugaux ou autres) qui s’évertuent Ă  appliquer des rĂšgles et des protocoles Ă  la microseconde et au millimĂštre prĂšs par automatisme sans prendre le temps, Ă  un moment ou Ă  un autre, de se demander si la procĂ©dure ou l’action engagĂ©e Ă©tait vĂ©ritablement, rĂ©trospectivement, la plus appropriĂ©e. On attaque et on frappe d’abord. On rĂ©flĂ©chit aprĂšs. Si on y pense. Si on estime utile de se demander aprĂšs coup si c’était bien utile d’attaquer d’abord. Dans une scĂšne du film, face Ă  une situation totalement nouvelle – quoique pacifique- on voit donc les Ă©lĂšves d’Ip Man trĂšs combattifs, excitĂ©s et trĂšs bavards. Mais aussi trĂšs bornĂ©s et trĂšs sourds. Ils provoquent eux-mĂȘmes la bagarre qu’ils entendent Ă©viter en espĂ©rant sincĂšrement protĂ©ger leur Maitre qui, Ă  aucun moment, n’est menacĂ© : Ip Man.

 

 

J’ai choisi de travailler en psychiatrie (puis en pĂ©dopsychiatrie) au lieu de rester dans un service de soins somatiques car j’ai refusĂ© d’ĂȘtre un automate. Je crois que la santĂ© mentale est un milieu qui m’a permis de penser, de mieux penser, par moi-mĂȘme.  Mais on peut travailler en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie et se comporter comme un automate. On peut aussi combattre comme un automate. 

 

On peut mĂȘme faire sa vie comme un automate tout en cumulant les honneurs et les signes extĂ©rieurs de « rĂ©ussite Â» et d’épanouissement personnel.

 

On peut aussi trĂšs bien penser et croire que l’on peut tout rĂ©soudre dans sa vie juste par l’adresse de la pensĂ©e. En psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie, on peut aussi ĂȘtre trĂšs « fort Â» (on est surtout trĂšs nĂ©vrosĂ©) dans ce domaine :

Pour croire Ă  ce que j’appelle la pensĂ©e « souveraine Â». Qu’il suffit de penser pour aller bien et mieux.

Dans certains compartiments de ma vie et Ă  certains moments de ma vie, mon « entraĂźnement Â» en psychiatrie m’a aidĂ© et m’aide. Mais dans d’autres situations, je suis aussi complĂštement Ă  cĂŽtĂ© de la plaque ou je peux ĂȘtre complĂštement Ă  cĂŽtĂ© de la plaque.

 

 

J’ai appris que, peu aprĂšs son dĂ©part Ă  la retraite, Spock avait quittĂ© femme et enfants pour partir vivre avec un ancien amour. Spock, l’inĂ©branlable, s’est rĂ©vĂ©lĂ©, finalement, plus vulnĂ©rable. Il a Ă©tĂ© jugĂ© moralement, par certaines connaissances communes, pour cela. Il l’est sĂ»rement encore. Spock, homme trĂšs droit, en partant vivre avec cet ancien amour a pu alors donner l’impression d’ĂȘtre un fuyard, un menteur, un calculateur et un homme Ă©goĂŻste qui battait pavillon aprĂšs avoir claironnĂ© pendant des annĂ©es que tout dans sa vie lui allait. Au point qu’il avait pu lui arriver de citer son mariage en exemple, avec un peu de provocation, devant des jeunes collĂšgues ( des femmes) sĂ©parĂ©es ou divorcĂ©es de leur compagnon ou de leur conjoint.

 

 

Plus qu’un vantard et un fuyard, je vois en Spock un homme qui, devant la mort, s’est dit qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps pour le perdre dans les options du mensonge. Et pour lequel, vivre selon ses dĂ©sirs plutĂŽt que selon ses devoirs et les apparences sociales, est devenu alors la prioritĂ©. Il y a des femmes et des hommes qui font le mĂȘme choix que Spock bien plus tĂŽt. Il en est d’autres qui aimeraient pouvoir faire ce genre de choix.

 

Les arts martiaux sont aussi un art de vivre et donnent aussi des rĂ©ponses Ă  ce qui nous prĂ©occupe. Pour d’autres, la religion joue ce rĂŽle. 

 

Dans Ip Man 4, on pourrait penser qu’Ip Man, expert en arts martiaux, saurait comment s’y prendre avec son fils. On comprend trĂšs vite que c’est le contraire. Le grand expert Ip Man est dĂ©passĂ© par les agissements de son fils adolescent qui lui manque de respect de façon rĂ©pĂ©tĂ©e. C’est un des points du film que j’ai le plus aimĂ©s d’autant qu’il me parle beaucoup en tant que pĂšre :

 

Avant d’ĂȘtre pĂšre, lorsque je lisais des interviews de cĂ©lĂ©britĂ©s diverses, j’étais obsĂ©dĂ© par une question qui revenait assez souvent et qui Ă©tait :

 

Quelles sont ses relations avec ses parents ?

 

Aujourd’hui,  rĂ©guliĂšrement, lorsque je vois une cĂ©lĂ©britĂ© quelconque, je me dis assez souvent :

 

«  Dans ce domaine, il (ou elle) est extraordinaire. C’est un champion (ou, c’est une championne). Mais je me demande comment il/elle s’en sort avec son enfant lorsqu’il se rĂ©veille la nuit ? Son enfant fait-il ses nuits ? Â».

 

RĂ©cemment, sur un rĂ©seau social, un ami trĂšs sportif a postĂ© une nouvelle vidĂ©o d’un coach fitness faisant une dĂ©monstration. Je n’ai rien Ă  dire sur sa dĂ©monstration et je n’ai rien contre ce coach fitness. Mais, ça a Ă©tĂ© plus fort que moi : nous voyons en permanence des vidĂ©os de vedettes (ou autres) dont la vie semble rĂ©glĂ©e comme du papier Ă  musique, progĂ©niture comprise. Alors, j’ai laissĂ© un commentaire dans lequel je disais que j’aimerais bien voir ce coach fitness lorsque sa compagne lui rappelle qu’il y a la vaisselle et le mĂ©nage Ă  faire, la couche du bĂ©bĂ© Ă  changer etc
.

 

Je crois que ça n’a pas plu Ă  un internaute. Et je le comprends : ce coach fitness n’est pas lĂ  pour nous parler de sa vie personnelle. Mais ma rĂ©action a Ă©tĂ© provoquĂ©e par cette lassitude de voir rĂ©guliĂšrement des images de « personnes Â» quelque peu immaculĂ©es tandis que, nous, au quotidien, hĂ© bien, il nous arrive de ramer sans maquilleuse et sans monteur pour raccommoder le tout et nous restituer une image trĂšs flatteuse de nous-mĂȘmes.

 

MĂȘme si Ip Man, dans Ip Man 4 reste Ă©videmment trĂšs digne, il m’a beaucoup plu de voir ce sujet d’une relation conflictuelle entre un pĂšre (illustre qui plus est) et son fils adolescent dans un film « d’arts martiaux Â». Parce-que l’univers des Arts Martiaux et des sports de combat et de Self-DĂ©fense est quand mĂȘme un univers, oĂč, malgrĂ© toutes les paroles officielles de « humilitĂ© Â», « respect de l’autre Â» etc
on va aussi trĂšs loin dans le narcissisme, la suffisance et l’autosatisfaction. Ce que l’on retrouve (ce narcissisme et cette suffisance)  dans Ip Man 4 lorsqu’Ip Man, arrivĂ© depuis peu aux Etats-Unis, va rendre visite au prĂ©sident de l’association culturelle chinoise. Lequel prĂ©sident de l’association culturelle chinoise est le seul habilitĂ© Ă  lui faire la lettre de recommandation pouvant lui permettre d’inscrire son fils ans un Ă©tablissement amĂ©ricain.

 

 

On peut le dire, je crois : si Ip Man croit naĂŻvement et humblement que cette rencontre va se dĂ©rouler facilement, il est reçu comme de la merde par ce prĂ©sident d’association culturelle chinoise. Ainsi que par la majoritĂ© des personnes qui constituent l’assemblĂ©e qui entoure ce prĂ©sident d’association culturelle, Ă©quivalent dans cette situation d’un haut dignitaire chinois alors que pour les AmĂ©ricains (blancs) il est n’est qu’un « petit Â» chinois de rien du tout.

 

Jet Li dans le film  » The One ». Photo achetĂ©e lors d’un festival de Cannes au dĂ©but des annĂ©es 2010.

 

La Grimace

 

La grimace mentionnĂ©e au dĂ©but de cet article est peut-ĂȘtre celle du lecteur ou de la lectrice devant la longueur de cet article. Mais elle est sĂ»rement celle de Christophe, c’est son vrai prĂ©nom, il y a une dizaine d’annĂ©es, lorsqu’au festival de Cannes, tout content, je venais de lui montrer une photo de Jet Li que je venais d’acheter avec d’autres photos d’autres actrices et acteurs dans des films qui n’ont rien Ă  voir avec jet Li :

 

Karin Viard, Salma Hayek, Antonio Banderas, BĂ©atrice Dalle, Jean-Hugues Anglade et Daniel Auteuil, Forest Whitaker, Sami Bouajila, Wesley Snipes, John Malkovich, Guillaume et GĂ©rard Depardieu, Marie Meideros, Jeanne Balibar
.

 

C’était alors l’époque du mensuel de cinĂ©ma papier, Brazil, dont Christophe Ă©tait le rĂ©dacteur en chef. Brazil ou Le cinĂ©ma sans concessions dont j’étais un des rĂ©dacteurs.

 

Brazil Ă©tait un journal plutĂŽt tournĂ© vers le cinĂ©ma d’auteur de tous horizons ainsi que vers le cinĂ©ma bis. Et assez peu sur le cinĂ©ma commercial et les grosses productions. Donc, pas tout Ă  fait sur les films de Jet Li.

 

 

La continuité de Bruce Lee

 

 

Mais, pour moi, Jet Li, c’était la continuitĂ© de Bruce Lee. J’avais Ă©tĂ© Ă©patĂ© par la prestation de Jet Li plusieurs annĂ©es plus tĂŽt dans L’Arme fatale 4 (rĂ©alisĂ© en 1998 par Richard Donner) face Ă  Danny Glover et Mel Gibson. Et c’est drĂŽle de mentionner L’Arme Fatale 4  dans un article oĂč je parle de Ip Man 4.

 

Les pitreries de Jackie Chan (dans certains de ses films) aprĂšs la mort de Bruce Lee m’avaient d’abord beaucoup contrariĂ©. Il m’avait fallu des annĂ©es pour comprendre la valeur d’un Jackie Chan. SĂ»rement parce-que je n’avais pas vu les « bons Â» films pour le dĂ©couvrir.

Mais avec Jet Li, dans L’Arme Fatale 4, ça avait Ă©tĂ© instantanĂ© et, ensuite, j’avais essayĂ© d’en savoir plus sur lui.

 

La mauvaise image des films de Kung-Fu, d’action, d’arts martiaux, de Wu Xi Pian et autres, provient du fait qu’en occident, on a enfermĂ© ces films dans une boite. Celle d’un spectacle. Celle d’une addition de performances. Celle d’une caricature de l’homme infatigable, capable de cascades martiales innombrables comme dans un cirque. On a gardĂ© ce qui tape Ă  l’oeil dans les arts martiaux. On en a fait une sorte de pop-corn ou de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© avec un scĂ©nario stĂ©rĂ©otypĂ© et simplet que l’on a dĂ©clinĂ© Ă  la chaine un peu comme cela se fait dans beaucoup de films pornos. Parce-qu’il y avait un marchĂ© et du fric Ă  se faire. Les gens voulaient voir des films de Kung Fu ? Ils voulaient un peu d’exotisme ?  On allait leur donner des films de Kung Fu.

 

RĂ©sultat : l’Histoire et l’esprit des arts martiaux ont disparu puisque tout ce que l’on a cherchĂ© Ă  rĂ©pliquer, c’est une recette pour faire venir des consommateurs plutĂŽt que des adeptes ou des disciples Ă©ventuels. Un peu comme on l’a fait avec Lourdes ou tout autre lieu de recueil religieux devenu l’équivalent d’un centre commercial.

 

 

C’est quand mĂȘme Spock, je crois, qui m’avait recommandĂ© la lecture de La Pierre et le sabre  que j’avais lu ! ( et beaucoup aimĂ©). Ce livre d’Eiji Yoshikawa, classique pour certains adeptes des Arts Martiaux, a pourtant bien des points communs ( et vitaux) avec des personnalitĂ©s comme Bruce Lee, Jet Li ou d’autres qui se sont fait connaĂźtre dans des films considĂ©rĂ©s comme « nazes Â» par Spock et d’autres !

 

 

Bruce Lee et MichaĂ«l Jackson :

 

Et puis, Ă  l’inverse, lorsque certains intellectuels, peut-ĂȘtre pour se donner un cĂŽtĂ© « rebelle Â» ou « rock and roll Â», parlaient de Bruce Lee, ça a pu faire flop. Je repense Ă  ce livre Ă©crit par un journaliste des Cahiers du cinĂ©ma. Son intention Ă©tait louable. Mais en commençant Ă  lire son livre ( j’ai vite interrompu sa lecture) dans lequel il nous parlait de son attachement Ă  Bruce Lee, j’avais eu cette impression que la musicienne et chanteuse Me’shell a pu dĂ©crire en Ă©coutant certains morceaux de musique de MichaĂ«l Jackson produits post-mortem :

 

Celle d’une musique sans corps.

 

Me’Shell NdĂ©gĂ©ocello avait appris que MichaĂ«l Jackson avait besoin de danser quand il enregistrait en studio. Et que cela ne ressortait pas dans certains des titres produits –et commercialisĂ©s- plusieurs annĂ©es aprĂšs sa mort.

 

En commençant Ă  lire le livre de ce journaliste des Cahiers du cinĂ©ma, j’avais peut-ĂȘtre eu la mĂȘme impression :

Trop d’intellect. Pas assez de corps. Pour un livre censĂ© nous parler de Bruce Lee !

Ça fait penser Ă  ces musiciens trĂšs calĂ©s techniquement mais dont la musique nous ennuie. Ou Ă  ces profs trĂšs cultivĂ©s mais dont les cours sont atones.

 

A travers mes articles, j’essaie autant que possible d’éviter de ressembler Ă  ces exemples.

 

 

 

Ip Man 4 – Le dernier combat de Wilson Yip, donc.

 

 

Le magazine Taichichuan ( le numĂ©ro 2 paru il y a plusieurs semaines) montre l’acteur Donnie Yen, interprĂšte de Ip Man, en couverture. Le magazine, par son rĂ©dacteur en chef, encense le film.

 

 

 

J’ai envoyĂ© un mail au rĂ©dacteur en chef de Taichichuan  (et Ă©galement rĂ©dacteur en chef d’autres magazines tels que Self & Dragon mais aussi Survivre) pour demander Ă  l’interviewer. C’était il y a plus d’un mois. Je n’ai pas eu de rĂ©ponse. Sans doute ce rĂ©dacteur en chef Ă©tait-il trop occupĂ©. Peut-ĂȘtre aussi considĂšre-t’il que ce sont plutĂŽt les Maitres et experts qui interviennent dans les magazines dont il est le rĂ©dacteur en chef qu’il faudrait plutĂŽt chercher Ă  rencontrer et Ă  interviewer ?

Et puis, mĂȘme si je suis devenu un lecteur des magazines dont il est le rĂ©dacteur en chef, je suis un inconnu pour lui. Et il avait sĂ»rement d’autres prioritĂ©s. Ou, peut-ĂȘtre faut-il que, d’une certaine façon, je persiste et fasse mes preuves ? Comme Ip Man, lorsqu’il dĂ©barque aux Etats-Unis dans Ip Man 4, doit faire ses preuves. Lui, avec son attitude et les Arts martiaux. Moi, avec mes articles.

 

 

Ce n’est nĂ©anmoins pas pour faire mes « preuves Â» ou pour apporter des preuves Ă©ventuelles que j’ai choisi hier matin, aprĂšs ma nuit de travail, d’aller voir Ip Man 4. Et de poursuivre la rĂ©daction de cet article aujourd’hui aprĂšs ma deuxiĂšme nuit de travail et avant ma sieste de rĂ©cupĂ©ration.

 

Hier, je suis allĂ© voir ce film par plaisir. Comme on peut dĂ©jĂ  l’avoir compris avec mon anecdote, Ă  Cannes, Ă  propos de la photo de Jet Li.

 

 

 

L’acteur Donnie Yen

 

J’ai dĂ©couvert Donnie Yen au cinĂ©ma il y a environ vingt ans. Je vĂ©rifie tout de suite :

 

Au moins depuis le film Hero rĂ©alisĂ© en 2002 par Zhang Yimou. Je ne me rappelle pas particuliĂšrement de lui dans Blade 2  rĂ©alisĂ© par Guillermo Del Toro la mĂȘme annĂ©e.

 

Et, spontanĂ©ment, dans L’Auberge du Dragon rĂ©alisĂ© en 1992 par Raymond Lee et Tsui Hark, je me souviens surtout de Maggie Cheung que l’on ne voit plus aujourd’hui au cinĂ©ma et qui semble avoir « disparu Â» du cinĂ©ma peu aprĂšs sa palme d’or d’interprĂ©tation pour son rĂŽle dans Clean, rĂ©alisĂ© en 2004 par Olivier Assayas et qui, pour moi, n’était pas du tout son meilleur rĂŽle.

 

Une fois, j’ai aperçu Maggie Cheung se rendant dans la salle de cinĂ©ma dont je venais peut-ĂȘtre de sortir. C’était avant son rĂŽle dans In the mood for love de Wong Kar Wai (rĂ©alisĂ© en 2000), je crois. Personne n’avait fait attention Ă  elle m’a-t’il semblĂ©. Par contre, mon regard sur elle avait sans doute Ă©tĂ© trop appuyĂ© car j’avais eu l’impression qu’elle avait senti mon attention particuliĂšre.

 

Dans les annĂ©es 90 et 2000, lorsque je pense au cinĂ©ma asiatique, je pense d’abord Ă  des acteurs comme Tony Leung Chiu-Wai (un de mes acteurs prĂ©fĂ©rĂ©s qui rejoue avec Maggie Cheung dans In The Mood for love et qui, lui, obtiendra la palme d’or d’interprĂ©tation Ă  Cannes, l’annĂ©e oĂč Björk obtiendra la palme d’or d’interprĂ©tation pour son rĂŽle dans Dancer in the dark  de Lars Von Trier).

 

Dans les annĂ©es 90 et 2000, lorsque je pense au cinĂ©ma asiatique, je pense aussi Ă  Chow Yun-Fat, aux rĂ©alisateurs John Woo, Kirk Wong et Johnnie To. Bien-sĂ»r, j’ai entendu parler de Tsui Hark et je lis et achĂšte le magazine HK vidĂ©o dont je dois avoir conservĂ© tous les numĂ©ros.

Mais je pense aussi beaucoup, au Japon (pays oĂč je me rendrai en 1999, l’annĂ©e de la sortie du film Matrix des « frĂšres Â» Wachowski) et Ă  Takeshi Kitano dont je vais voir la plupart des films.

 

Le premier film que je vois de Takeshi Kitano est Sonatine (réalisé en 1993). Et mon film préféré de John Woo avant son exil pour les Etats-Unis est A toute épreuve (ou Hard-boiled) réalisé en 1992.

 

Evidemment, j’irai voir Tigre et Dragon d’Ang Lee (rĂ©alisĂ© en 2000) dont j’ai vu les premiers films comme Garçon d’honneur (rĂ©alisĂ© en 1993).

 

J’irai aussi voir Le Secret des Poignards volants rĂ©alisĂ© en 2004 par Zhang Yimou par exemple.

 

Mais il me faut encore plusieurs annĂ©es avant que je n’apprĂ©cie vraiment des acteurs comme Leslie Cheung (un des rĂŽles principaux dans Adieu ma concubine, de Chen Kaige, palme d’or Ă  Cannes en 1993 ex-aequo avec La Leçon de Piano de Jane Campion que j’ai Ă©galement vu et aimĂ©) Andy Lau
ou Donnie Yen.

 

Leslie Cheung s’est malheureusement suicidĂ© il y a plusieurs annĂ©es maintenant.

Andy Lau m’a marquĂ© par son rĂŽle dans Infernal Affairs  dont le premier volet a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© par Andrew Lau et Alan Mak en 2002.

 

Et, je crois que j’ai commencĂ© Ă  vĂ©ritablement aimer le jeu de Donnie Yen en prenant de l’ñge et avec les Ip Man. C’est assez rĂ©cent. Un ou deux ans peut-ĂȘtre. J’ai dĂ©jĂ  oubliĂ©.

 

Ces quelques acteurs asiatiques citĂ©s ( Andy Lau, Leslie Cheung, Chow Yun Fat, Tony Leung Chiu Wai, Donnie Yen
.) s’ils sont majoritairement chinois ou de Hong-Kong, Ă  l’exception de Takeshi Kitano, qui est japonais, ont pour eux d’avoir interprĂ©tĂ© des rĂŽles dont des valeurs se retrouvent dans le personnage de Ip Man. A commencer peut-ĂȘtre par une certaine intĂ©gritĂ© morale.

 

 Une certaine intĂ©gritĂ© morale

 

 

 

Avoir une trĂšs grande intĂ©gritĂ© morale ne suffit pas Ă  voir Ip Man dans Ip Man 4. Aux Etats-Unis, Ip Man tombe surtout de haut lorsqu’il rencontre avec humilitĂ© ses compatriotes chinois. Ceux-ci le mĂ©prisent. Le problĂšme, c’est qu’en tant qu’experts d’arts martiaux,  et en tant que chinois, leur attitude aurait dĂ» ĂȘtre le contraire. Mais ils s’estiment en droit d’avoir une telle attitude et, ce, en tant que personnes hautement civilisĂ©es et raffinĂ©es. L’intĂ©gritĂ© morale d’Ip Man se confronte
. Ă  l’intĂ©grisme de ses pairs. Et, ce qui est malin dans le scĂ©nario, c’est que ces pairs reprochent Ă  Ip Man les agissements de Bruce Lee aux Etats-Unis, un de ses anciens Ă©lĂšves, mais, aussi, d’une certaine façon, son fils spirituel. On peut dire qu’Ip Man collectionne les problĂšmes avec ses fils. L’un, Ă  Hong-Kong, passe son temps Ă  se battre et se fait exclure de l’école. L’autre ( Bruce Lee), rĂ©ussit Ă  s’intĂ©grer aux Etats-Unis et Ă  susciter l’admiration publique mais inspire jalousies et suspicion. On pourrait voir un comique de rĂ©pĂ©tition mais on a plutĂŽt tendance Ă  avoir de la compassion pour Ip man. Alors que reste-il Ă  Ip Man comme atouts ? La persĂ©vĂ©rance, la confiance en soi et le sens de la diplomatie comme le refus d’offenser qui que ce soit mais aussi le refus de se rabaisser.

 

Bruce Lee dans Ip Man 4

Je m’en remets totalement Ă  la compĂ©tence du chorĂ©graphe, des acteurs et artistes martiaux dans ce film. Ce n’est quand mĂȘme pas moi qui vais espĂ©rer apprendre Ă  Scott Adkins ( le Marine Barton Geddes dans le film), Ă  Danny Kwok-Kwan ( Bruce Lee dans le film) Ă  Donnie Yen et aux autres comment on doit donner un coup de pied.

 

Mais Bruce Lee fait partie du panthĂ©on de notre mĂ©moire. Et cela pouvait ĂȘtre trĂšs risquĂ© de le faire «revivre Â» dans Ip Man 4. HĂ© bien, l’acteur Danny Kwok-Kwan, qui l’interprĂšte dans Ip Man 4 , m’a bien plu. Mieux :

Aux Etats-Unis, on peut considĂ©rer que les AmĂ©ricains qui dĂ©fient Bruce Lee ( KaratĂ© contre Wing Chun pour simplifier) sont des enfants qui ont mal tournĂ©. On me pardonnera mon obsession dans cet article pour la filiation mais cette image me plait. Dans Ip Man 4, je vois tous ces AmĂ©ricains qui, forts de leur KaratĂ©, veulent affronter Bruce Lee, puis Ip Man, comme des enfants qui auraient reçu un enseignement martial  mais avec de mauvais tuteurs et qui souhaitent ensuite ardemment se mesurer ( ou se frotter) Ă  des adultes : des Maitres. 

Il y a d’ailleurs peut-ĂȘtre un sous-entendu dans le film : celui d’opposer la culture chinoise, millĂ©naire, Ă  la culture amĂ©ricaine, une culture jeune voire adolescente, donc immature, faite d’imports en tout genres, et qui croit pouvoir tout surmonter et tout maitriser par les seuls effets de sa volontĂ©, de ses relations et de sa vitalitĂ©. D’ailleurs, tous les opposants amĂ©ricains que l’on voit dans le film sont des caricatures du cow-boy bourrin qui sont tout en force. 

 

Kacem Zoughari (encore lui) dans le magazine Yashima, explique que bien des Maitres d’arts martiaux, dĂ©libĂ©rĂ©ment, transmettaient partiellement une partie de leur Savoir Ă  leurs Ă©lĂšves lorsque ceux-ci arrivaient Ă  un certain niveau de pratique donc de conscience. Et que pour confondre parmi ses Ă©lĂšves, le « traĂźtre Â» Ă©ventuel, celui qui, ensuite allait « donner Â» ou vendre Ă  une autre Ă©cole une partie de son Savoir, il arrivait aussi que des Maitres changent des mouvements. A tel Ă©lĂšve, ils montraient tels mouvements ou telle variation. A tel autre, d’autres mouvements. Le but Ă©tait donc de prĂ©venir les trahisons mais aussi de prendre le temps d’évaluer si l’élĂšve Ă©tait fiable.

 

Dans Ip Man 4, on peut voir les AmĂ©ricains comme des combattants arrogants, trĂšs fiers d’exhiber leur trĂ©sor de guerre, le KaratĂ©, qu’ils ont arrachĂ© aux fiers japonais qu’ils ont aussi humiliĂ©s avec leurs deux bombes atomiques. Mais je crois qu’il faut aussi voir ces combattants amĂ©ricains comme les reflets enlaidis par l’ego, donc comme les rejetons, de ces Maitres qui les ont « enfantĂ©s Â». Car ces combattants amĂ©ricains ont appris leur KaratĂ© avec des Maitres et peu importe qu’ils soient japonais alors qu’Ip man et Bruce Lee, eux, sont chinois :

 

Les Maitres ( et pĂšres spirituels) de ces combattants amĂ©ricains auraient dĂ» s’assurer qu’ils auraient – ensuite- Ă©tĂ© dignes de l’enseignement reçu.  Cela me rappelle un souvenir :

Enfant, j’ai pratiquĂ© un peu le karatĂ©. Je n’étais pas trĂšs douĂ©. Mais je me souviens de Boussade, dont le frĂšre aĂźnĂ© pratiquait aussi le karatĂ©. Un autre de ses frĂšres, que j’allais croiser des annĂ©es plus tard sur un tatamis, pratiquait, lui, le Judo. Et il avait dĂ» ĂȘtre un trĂšs trĂšs bon judoka. Je me rappelle encore de certaines des « balayettes » ( ou sasaĂ©) qu’il m’a passĂ©es en me narguant des annĂ©es plus tard, alors, que, trĂšs fier de mon judo pubescent, j’attaquais. 

 

Mais notre professeur de karatĂ©, Danco ( ou Danko), avait un jour fait passer les ceintures. Boussade connaissait son kata pour changer de ceinture. J’aimais bien Boussade. C’était un camarade d’école. Mais, ce jour-lĂ , Danco avait refusĂ© de lui donner sa ceinture supĂ©rieure (la bleue ou la marron). Parce-que, lors de son kata, Boussade avait mis trop de hargne. Trop de violence. J’avais 12 ans tout au plus ce jour-lĂ . Et j’avais Ă©tĂ© plutĂŽt triste pour Boussade. Mais  je me rappelle encore de cette leçon aujourd’hui quarante ans plus tard. Comme on le voit, ce genre d’expĂ©rience marque.

 

 

Dans Ip Man 4, il est difficile de croire que les combattants amĂ©ricains qui dĂ©fient Ip Man et Bruce Lee aient Ă©tĂ© remis Ă  leur place par leur Maitre et pĂšre spirituel comme Boussade l’avait Ă©tĂ© ce jour par Danco ( ou Danko).

 

Un Maitre, un professeur ou mĂȘme un Ă©ducateur peut ĂȘtre un pĂšre spirituel ou symbolique. Certains de ces Maitres sont fascinĂ©s par la violence et l’encensent. D’autres ne s’en laissent pas conter par la violence. La violence ne les sĂ©duit pas. Et j’ai tendance Ă  penser qu’un Maitre qui sait s’en tenir Ă  une certaine abstinence en matiĂšre de violence pourra plus facilement inciter ses Ă©lĂšves au pacifisme. Alors que le « Maitre Â» qui, lui, kiffe la violence et le fait de soumettre les autres encouragera plus facilement ses Ă©lĂšves Ă  aller vers la violence voire et vers
.le terrorisme. Surtout si ses Ă©lĂšves l’admirent et boivent ses paroles. Pour certains terroristes, pratiquer le jihad avec force violence et explosions revient sans doute Ă  avoir  » l’esprit du sabre » tel que peut le concevoir un pratiquant d’arts martiaux. Dans le film OpĂ©ration Dragonle dernier film rĂ©alisĂ© du vivant de Bruce Lee, Han, est plus proche du meneur de secte et du terroriste que du pratiquant d’arts martiaux qu’il a pourtant Ă©tĂ©. L’histoire se dĂ©roule sur une Ăźle. Mais on aurait pu imaginer que si ce film se tournait aujourd’hui, qu’on y verrait aussi des attentats dans certaines parties du monde comme on peut le voir dans bien des films de James Bond vers lequel OpĂ©ration Dragon lorgne. 

 

Pour revenir Ă  Bruce Lee dans Ip Man 4, on nous le montre plutĂŽt pragmatique et responsable (bien qu’un peu provocateur tout de mĂȘme). Il accepte le combat. Car il sait que le combat fait partie du Voyage qu’il a initiĂ© en se rendant aux Etats-Unis.  C’est, du reste, un des sens du film et de tous les films de ce genre :

Le combat est un voyage mais aussi un tremblement. S’opposer Ă  l’autre pousse Ă  faire un voyage vers soi-mĂȘme. Un voyage intĂ©rieur dont les tremblements nous rĂ©vĂšlent Ă  nous-mĂȘmes. Ulysse a accompli l’odyssĂ©e. Bruce Lee, lui, fait de mĂȘme au travers des arts martiaux qu’il amĂšne aux Etats-Unis. A moins que ce ne soient les arts martiaux qui, par leur existence propre, ne le poussent Ă  se rendre aux Etats-Unis. Puisque au travers de ces Maitres chinois qu’Ip Man rencontre aux Etats-Unis, on comprend qu’ils sont les gardiens exclusifs et fĂ©roces d’un art martial qui a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© trĂšs vivant en eux auparavant mais qu’ils ont laissĂ© mourir en quelque sorte pour mieux laisser pousser le souvenir qu’ils en ont. 

.

 Il me semble que lors du  second combat de rue de Bruce Lee (face Ă  un adversaire qui se servira finalement d’un nunchaku), on accĂšde Ă  une dimension mystique des arts martiaux. C’est une chose de voir que Bruce Lee devine les mouvements – prĂ©visibles pour  lui- car mal appris finalement, mal incorporĂ©s, ou trop vite ingurgitĂ©s, de son adversaire qui a suffisamment de pratique pour intimider le citoyen lambda Ă©tranger au combat. Pratique qui se rĂ©vĂšle grossiĂšre devant un Maitre comme Bruce Lee qui « est Â» le combat. Un peu comme si, dans l’ocĂ©an, on voulait battre Ă  la nage un dauphin ou un requin avec une paire de palmes en carbone.

 

C’en est une autre de « voir Â», lorsque l’adversaire de Bruce Lee, dominĂ©, sort son nunchaku comme une baguette magique,  que c’était comme s’il touchait en fait Ă  une divinitĂ© ou Ă  un objet sacrĂ© qu’il souillait. Et que, pour cela, Bruce Lee, alors quasiment en transe, le corrigeait.

 

 

Conclusion

 

 

Dans cette opposition entre diffĂ©rents pratiquants d’arts martiaux dans Ip Man 4- Le dernier combat, on perçoit que pour certains adeptes, les arts martiaux servent surtout Ă  dĂ©truire ou Ă  assurer un sentiment personnel de suffisance et de supĂ©rioritĂ©.  Pour Ip Man, les Arts martiaux doivent servir Ă  « vaincre les prĂ©jugĂ©s Â». Si en prime abord, la position de Ip Man est « jolie Â» moralement et que ses relations avec son fils ainsi qu’avec la fille d’un de ses rivaux font partie des gros atouts du film, le message final gĂąche beaucoup. Parce-que le message final, concernant l’opposition entre le Wing Chun et le karatĂ©, c’est qu’en raison de son efficacitĂ© finalement dĂ©montrĂ©e, le Wing Chun va ĂȘtre enseigné aux Marines qui sont formĂ©s pour dĂ©truire et tuer de par le monde pour assurer la domination amĂ©ricaine. Donc, c’est quand mĂȘme dommage d’avoir rĂ©alisĂ© un film qui prĂŽne la tolĂ©rance, l’antiracisme, qui montre Ă  des pĂšres qu’ils font erreur lorsqu’ils s’obstinent Ă  vouloir  Ă  tout prix imposer leurs propres rĂȘves Ă  leurs enfants pour, au final, nous dire :

 

GrĂące Ă  Ip Man et au Wing Chun, l’armĂ©e amĂ©ricaine sera dĂ©sormais encore plus forte. Merci la Chine ! Quant aux Marines fortes tĂȘtes tels que Barton Geddes ( interprĂ©tĂ© par Scott Adkins) et son bras droit, Collins, qui se font « ratatiner Â», on ne sait pas ce qu’ils auront appris de leur dĂ©faite. Qu’ils ont eu tort ? Ou qu’ils doivent s’entraĂźner plus dur au karatĂ© pour revenir plus fort et aller dĂ©fier Ip Man dans sa tombe ?

 

 

Pareil pour la jeune lycĂ©enne amĂ©ricaine, blonde aux yeux bleus, qui, faute d’avoir Ă©chouĂ© Ă  museler la jeune chinoise Yonah a eu recours au harcĂšlement et Ă  la violence physique : on ignore ce qu’elle devient Ă  la fin du film. La maitresse de Bruce Lee ?

 

 

Cet article est une construction. Quelle que soit l’énergie consacrĂ©e pour l’écrire et le temps passĂ© dessus, il est loin d’ĂȘtre une vĂ©ritĂ© absolue. Chaque nouvel article est sans doute un ancien article que l’on a dĂ©jĂ  Ă©crit et que l’on essaie de mieux Ă©crire afin qu’il soit au plus prĂšs de nos Ă©motions et de nos rĂ©flexions du moment.

 

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 14 aout 2020.

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

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Un article simple

 

                                                                 Un article simple. 

 

 

 

On peut aussi complĂ©ter la dĂ©couverte de cet article avec Dans la galerie de Michel ainsi qu’avec GĂ©missements

 

Franck Unimon, ce lundi 10 aout 2020. 

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On lui a dit.

On lui a dit.

 

 

Franck Unimon, lundi 10 aout 2020. 

A ma fille, ainsi que pour deux collĂšgues, la premiĂšre, Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e et l’autre, puĂ©ricultrice. 

 

 

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GĂ©missements

 GĂ©missements.

C’est notre souffle qui nous tient. C’est Ă  dire : trois fois rien. Dans nos pensĂ©es et nos souvenirs se trouvent tant de trajectoires. De ce fait, on ne s’étonnera pas si je fais quelques excursions en des temps et des Ă©vĂ©nements diffĂ©rents et si je me retrouve ensuite Ă  nouveau dans le prĂ©sent.

 

Aujourd’hui, ce mercredi 5 aout 2020 oĂč il a fait entre 29 et 30 degrĂ©s Ă  Paris, je devrais ĂȘtre au cinĂ©ma. J’ai l’impression de le trahir. Il y a tant de films Ă  voir mĂȘme si le nombre de films a Ă©tĂ© restreint. Les salles de cinĂ©ma, pour celles qui ont pu rouvrir depuis le 22 juin,  peinent Ă  s’en sortir Ă©conomiquement.

 

EnrĂŽlĂ©es dans la bobine du cycle Covid-19, les salles de cinĂ©ma ont peu de spectateurs. Je m’en suis aperçu directement le 14 juillet en allant voir Tout simplement noir de Jean-Pascal Zadi. Le film m’a beaucoup plu. J’en parle dans un article qui porte le nom du film sur mon blog: Tout simplement Noir.

 

Mais nous Ă©tions Ă  peine dix spectateurs dans la grande salle de ce multiplexe parisien que je connais depuis plus de vingt ans. C’est vrai que j’y suis allĂ© Ă  la premiĂšre sĂ©ance, celle de 9h et quelques, mais je ne crois pas que l’heure matinale ait jouĂ© tant que ça sur le nombre que nous Ă©tions dans la salle :

 

 Le confinement de plusieurs semaines dĂ» Ă  la pandĂ©mie du Covid-19 et l’arrivĂ©e de l’étĂ© au moins ont eu un effet sĂ©cateur sur le nombre des entrĂ©es. En plus, cela fait plusieurs mois qu’il fait beau. Je crois que les gens ont besoin de se rattraper. Ils ont aussi peut-ĂȘtre peur que le couteau d’un autre confinement ne se dĂ©ploie Ă  nouveau sous leur  gorge.  

 

 

Mais on va un petit peu oublier le Devoir ce matin. Ou on va le dĂ©fendre autrement.  On va se faire notre cinĂ©ma Ă  domicile.

 

 

Les photos qui dĂ©filent dans le diaporama sont un assemblage Ă  la fois de quelques photos de vacances, d’ouvrages que je lis, ai essayĂ© de lire ou voudrais lire, du Cd dont la musique m’a inspirĂ©….

 

Et je vais essayer de vous parler d’à peu prùs tout ça à ma façon.

 

 

On va vers l’autre pour essayer de combler ou de soulager un vide. Mais nous ne partons pas du mĂȘme vide. Nous ne portons pas le mĂȘme vide. Et nous ne parlons peut-ĂȘtre mĂȘme pas du mĂȘme vide. Beaucoup de conditions sont donc assez souvent rĂ©unies pour que, dans la vie, nous fassions
.un bide. Et, pourtant, nous connaissons des rĂ©ussites et des possibilitĂ©s de rĂ©ussite. Mais encore faut-il savoir s’en souvenir et s’en apercevoir.

 

 

Je ne connaissais pas du tout Magali Berdah dont j’ai commencĂ© Ă  lire la biographie, Ma Vie en RĂ©alitĂ©. J’en suis Ă  la moitiĂ©. Et j’ai trĂšs vite dĂ©cidĂ© de lire son livre plutĂŽt que celui de Julia De FunĂšs intitulĂ© DĂ©veloppement ( Im) Personnel.  Qu’est-ce que je reproche au livre de Julia De FunĂšs dont j’ai commencĂ© Ă  lire l’ouvrage ?

 

Le fait, d’abord, que l’on sente la « bonne Ă©lĂšve Â» qui a eu des trĂšs bonnes notes lors de ses Ă©tudes supĂ©rieures et qui a, donc, une trĂšs haute opinion d’elle-mĂȘme. Je suis bien-sĂ»r pour avoir des bonnes notes et pour faire des Ă©tudes supĂ©rieures autant que possible. Je suis aussi  favorable  au fait d’avoir de l’estime de soi.  Parce qu’il peut ĂȘtre trĂšs handicapant pour soi-mĂȘme comme pour notre entourage de passer notre vie Ă  avoir peur de tout comme Ă  toujours dĂ©cider que l’on ne sait jamais rien et que l’on ne sait absolument rien faire en toute circonstance.

 

 Mais je ne crois pas Ă  la certitude absolue. Y compris la certitude scolaire.

 

Julia De FunĂšs veut « philosophiquement Â» « dĂ©construire Â» les arnaques des « coaches Â» et des vendeurs de « recettes du bonheur Â» qui font florĂšs. C’est trĂšs bien. Et j’espĂšre bien profiter de ce qu’elle a compris de ces arnaques. Mais elle abat ses certitudes en se servant de sa carte routiĂšre de la philosophie dont elle connaĂźt des itinĂ©raires et des soubresauts par cƓur.  

 

Elle, elle Sait. Et elle va nous dĂ©montrer comme elle Sait  quitte Ă  ce que, pour cela, en la lisant, on ait mal Ă  la tĂȘte en essayant de suivre sa propre pensĂ©e inspirĂ©e de celles de trĂšs grands philosophes qu’elle a dĂ©chiffrĂ©s et qui ont rĂ©solu depuis l’antiquitĂ© le mal dont on essaie de se guĂ©rir aujourd’hui en tombant dans les bras et sur les ouvrages des  commerçants du dĂ©veloppement personnel qu’elle veut confondre.

 

RĂ©sultat immĂ©diat : pour accĂ©der Ă  sa connaissance et profiter de ses lumiĂšres, on comprend dĂšs les premiĂšres pages de son livre qu’il faut avoir la philo dans la peau. On lit son livre comme on pourrait lire un livre de Droit. J’aime la philo. Et j’aime prendre le temps de rĂ©flĂ©chir.

 

 J’aime moins avoir l’impression, lorsque je lis un livre,  de devoir apprendre des lois. En plus, et c’est sĂ»rement un de mes torts, dĂšs les premiĂšres pages, Julia de FunĂšs cite Luc Ferry comme une de ses rĂ©fĂ©rences.  D’abord, je n’ai pas compris tout de suite. J’ai confondu Luc Ferry avec le Jules Ferry de l’école publique. Oui, j’ai fait ça. Ce genre de confusion. Et puis, comme Julia de FunĂšs cite plusieurs fois Luc Ferry en moins de dix pages, j’ai  fini par comprendre.

 

J’ai sĂ»rement de trĂšs trĂšs gros prĂ©jugĂ©s envers Luc Ferry, ancien Ministre de l’Education. Mais, de lui, j’ai surtout retenu qu’il avait une trĂšs belle femme et qu’il savait se faire payer trĂšs cher pour des confĂ©rences sur la philo. Et quand je pense Ă  lui, je « vois Â» surtout quelqu’un de trĂšs suffisant. Je n’ai pas beaucoup aimĂ© ce qu’il a pu dire, dans le journal Les Echos,  ou peut-ĂȘtre plus dans Le Figaro. A savoir, que, selon lui, aprĂšs le confinement, le business reprendrait «  as usual Â» et que, en quelque sorte, les Nicolas Hulot et toutes celles et tous ceux qui pensent comme lui, peuvent aller se rhabiller avec leurs histoires de « Il faut changer le monde et essayer de tirer des enseignements de ce que la pandĂ©mie du Covid a pu nous obliger Ă  comprendre du monde et de la vie Â».

 

On a le droit de critiquer Nicolas Hulot et celles et ceux qui lui ressemblent. On peut critiquer plein de choses sur la maniĂšre dont la pandĂ©mie a Ă©tĂ© gĂ©rĂ©e et dont elle continue d’ĂȘtre gĂ©rĂ©e. Mais dire que ce sera « business as usual Â» revient Ă  dire que notre monde marche bien tel qu’il est Ă©conomiquement, politiquement, industriellement et socialement ; qu’il est rĂ©glĂ© comme une horloge suisse et que rien ne peut ou ne doit modifier cet ordre et cet Ă©tat du monde dans lequel un Luc Ferry, « philosophe Â» de formation a ses entrĂ©es et ses privilĂšges. MĂȘme si Luc Ferry a sans aucun doute des connaissances et des raisonnements plus qu’honorables, il est vrai que, pour moi, pour l’instant, l’homme qu’il incarne est pour moi un repoussoir. Et voir que, dĂšs le dĂ©but de son livre que j’ai eu pour l’instant un plaisir limitĂ© Ă  lire, Julia de FunĂšs le place sur un piĂ©destal, m’a poussĂ© Ă  fermer son livre et Ă  passer Ă  la biographie de Magali Berdah.

 

Oui, Magali Berdah.

 

Car, la biographie de Magali Berdah, c’est le contraire. Je ne connaissais pas Magali Berdah auparavant. Et en tombant sur son livre Ă  la mĂ©diathĂšque, il y a quelques jours, je me suis dit que je pourrais apprendre quelque chose. De mon Ă©poque. Pour moi. Pour mon blog. Afin de  mieux le promouvoir mais aussi, peut-ĂȘtre, l’orienter diffĂ©remment. Sans pour autant aller dans la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© ou biberonner du Cyril Hanouna que Magali Berdah cite comme un de ses premiers soutiens avant de devenir «  la manageuse Â» des influenceurs et des influenceuses. Avec Julia de FunĂšs, finalement, on est dans une pensĂ©e trĂšs puritaine. PensĂ©e que je partage aussi. Car je ne me fais pas tant que ça une si haute opinion de moi-mĂȘme :

 

Je peux, aussi, ĂȘtre trĂšs trĂšs puritain Ă  ma maniĂšre. Si ! Si !

 

Sauf que avoir un certain sens et une certaine idĂ©e de la moralitĂ© ne suffit pas pour ĂȘtre heureux et pour ce que l’on appelle « rĂ©ussir sa vie Â». Car notre vie se rĂ©sume quand mĂȘme souvent Ă  ces deux questions :

 

Sommes-nous heureux ? Et faisons vraiment nous tout ce que nous pouvons, dans la mesure de nos moyens, pour ĂȘtre heureux ?

Parce-que pour moi, rĂ©ussir sa vie, c’est ça : ĂȘtre heureux autant que possible, le plus longtemps possible et savoir le redevenir si on est malheureux, triste ou dĂ©primĂ©.

 

Et si je veux bien croire que Julia de FunĂšs peut m’aider, aussi, Ă  rĂ©pondre Ă  ces deux questions au moins dans son livre, je crois que Magali Berdah peut Ă©galement y contribuer. Car je ne vois pas pourquoi citer Luc Ferry pourrait suffire Ă  me rendre heureux. 

 

Alors que la biographie de Magali Berdah, elle, est concrĂšte. On peut trouver qu’elle nous raconte sa vie de façon Ă  passer pour une Cosette. On lui reprochera peut-ĂȘtre de trop Ă©taler sa vie privĂ©e, de se donner le beau rĂŽle (celui de la victime, de la personne  moralement intĂšgre ou protectrice) et de s’en servir pour son sens de la Communication et des affaires. Elle est peut-ĂȘtre ou sans doute moins « jolie Â» moralement que ce qu’elle nous donne Ă  entrevoir dans son livre mais elle nous parle aussi d’un monde que l’on connaĂźt :

 

Celui oĂč des personnes vulnĂ©rables (mineures comme adultes), ignorantes, bosseuses et de bonne volontĂ©, peuvent se faire
.arnaquer, kidnapper, trahir etc
..

 

Et Magali Berdah nous raconte aussi comment elle s’en « sort Â». ConcrĂštement. Ainsi que certains de ses fiascos et de ses coups durs. Par des exemples rĂ©pĂ©tĂ©s. Ce qui parle souvent beaucoup mieux qu’en citant des philosophes ou des Anciens Ministres, fussent-ils trĂšs cultivĂ©s et dans le « Vrai Â» lorsqu’ils ( nous) parlent. A moins que ces Anciens Ministres et philosophes ne se parlent, d’abord, Ă  eux-mĂȘmes.

 

Oui, Magali Berdah est beaucoup dans l’affectif. Elle le dit et le fait comprendre avec sa « garde rapprochĂ©e Â» parmi ses collaborateurs. Et elle est Ă  l’aise avec l’argent et le fait d’en gagner beaucoup. Il n’est pas donnĂ© Ă  tout le monde, comme elle, de s’épancher facilement auprĂšs d’autrui. Moi, par exemple, dans la vraie vie, je me confie oralement assez peu. C’est une histoire de pudeur et de mĂ©fiance. Quant Ă  l’argent, en gagner beaucoup n’a pas Ă©tĂ© ma prioritĂ© lorsque j’ai commencĂ© Ă  travailler. Je ferais plutĂŽt partie des personnes qui auraient du mal Ă  mieux mettre en valeur mes articles par exemple.

 

 

 Vis Ă  vis de la « cĂ©lĂ©britĂ© Â», je suis ambivalent :

 

J’aime me mettre en scĂšne et faire le spectacle. Vraiment. Mais j’aime aussi pouvoir ĂȘtre tranquille, pouvoir me retirer et me faire oublier. Soit deux attitudes trĂšs difficilement conciliables qui expliquent par exemple au moins, en partie, la raison pour laquelle mon blog a sĂ»rement (beaucoup) moins de vues qu’il ne pourrait en avoir. Mais aussi la raison pour laquelle, Ă  ce jour, mon activitĂ© de comĂ©dien est plutĂŽt une activitĂ© sous-marine (c’est peut-ĂȘtre aussi pour cela que je pratique l’apnĂ©e) ou sous-cutanĂ©e voire intramusculaire.

 

C’est sĂ»rement aussi pour cela que, certaines fois, je me retrouve Ă  nouveau au moins tĂ©moin de certaines situations qui, dans mon mĂ©tier d’infirmier, restent la norme.

 

Parce-que lorsque l’on est infirmier, on aime assez peu se mettre en scĂšne et prendre toute la lumiĂšre. On est plus dans le don de soi que dans la revendication pour soi. Et ça amĂšne ce rĂ©sultat et cette vĂ©ritĂ© automatiquement renouvelĂ©e :

 

D’autres profitent de cette lumiùre et de cet argent.

 

Dans son livre, Magali Berdah explique qu’elle dĂ©couvre l’univers de la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© et des rĂ©seaux sociaux en rencontrant Jazz, une ancienne candidate de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©,  amie d’une de ses anciennes salariĂ©es, Martine, Ă  qui elle rend un service.

 

A cette Ă©poque, Magali Berdah, mariĂ©e, trois enfants, est surendettĂ©e, et a surtout une expĂ©rience consistante en tant que commerciale et auto-entrepreneuse dans les assurances et les mutuelles. A premiĂšre vue, grossiĂšrement, on dira que cela n’a rien Ă  voir. Sauf que Magali Berdah, est fonceuse, bosseuse, curieuse. Elle a sans doute aussi envie de garantir Ă  ces jeunes vedettes cette protection et cette sĂ©curitĂ© dont elle a manquĂ© enfant.  

 

Magali Berdah offre donc Ă  ces jeunes vedettes son sens des affaires et du commerce ; une certaine indĂ©pendance. Ainsi qu’une prĂ©sence affective permanente qui contraste avec ce monde des marques, des reflets et des images qu’incarnent et vendent ces jeunes vedettes qu’elle protĂšge.

 

Quelques temps plus tĂŽt, alors qu’elle Ă©tait dĂ©primĂ©e du fait de ses problĂšmes professionnels, financiers et personnels rĂ©pĂ©titifs, elle s’était confiĂ©e Ă  une amie. Laquelle lui avait conseillĂ© de consulter un Rav (l’équivalent d’un rabbin) de sa connaissance. Magali Berdah, juive non pratiquante, avait acceptĂ© de le rencontrer. AprĂšs s’ĂȘtre racontĂ©e,  ce Rav, le Rav Eli, lui avait affirmĂ© qu’un de ses ancĂȘtres, du cĂŽtĂ© de son grand-pĂšre maternel, Ă©tait lui-mĂȘme un Rabbin trĂšs « rĂ©putĂ© Â» considĂ©rĂ© comme un Tsadik.

 

Dans le vocabulaire hassidique, le Tsadik est un « homme juste Â». Un Maitre spirituel. L’équivalent d’un Saint. Mais ce Saint n’est pas protĂ©gĂ© par Dieu de son vivant. Par contre, ce Tsadik protĂšgera un « descendant Â» et lui « offrira une vie extraordinaire : qui sort de l’ordinaire Â».

Et le Rav Eli d’apprendre Ă  Magali qu’elle Ă©tait cette personne protĂ©gĂ©e par le Tsadik.

 

Ces propos du Rav Ă©taient-ils sincĂšres ? RelĂšvent-ils de la gonflette morale ou du placebo ? Sont-ils l’équivalent de ces « trucs Â» vendus et proposĂ©s par les coaches « bien-ĂȘtre Â» que Julia De FunĂšs veut «dĂ©construire Â» ?

 

Je prĂ©cise d’abord que je ne suis pas juif. OĂč alors je l’ignore. Mais j’aime beaucoup l’histoire de cette rencontre dans laquelle je vois du conte et de l’universel. Un conte pour adultes. Un conte qu’on aurait pu Ă©videmment transposer autrement en parlant d’une rencontre avec un marabout, un psychologue, un Imam ou toute autre rencontre Ă©tonnante ou mystĂ©rieuse pourvu que ce soit une rencontre hors-norme, hors de nos habitudes et inattendue dans une pĂ©riode de notre vie oĂč l’on a besoin de changement mais oĂč on ne sait pas comment s’y prendre pour donner une autre direction Ă  notre vie.

 

 

Dans cette histoire du Tsadik qui est l’équivalent du Saint, je pense bien-sĂ»r Ă  la vallĂ©e des Saints qu’un ami m’a conseillĂ© d’aller dĂ©couvrir lors de notre sĂ©jour rĂ©cent en Bretagne. On trouvera facilement mon diaporama de la vallĂ©e des Saints sur mon blog. La VallĂ©e des Saints

 

Pour l’instant, je ne vois pas quelles retombĂ©es concrĂštes sur ma vie a pu avoir le fait d’avoir pris la dĂ©cision de me rendre avec ma compagne et ma fille Ă  la vallĂ©e des Saints. Et ma remarque fera sans doute sourire ou ne manquera pas de me faire envisager comme un candidat idĂ©al pour le programme subliminal de n’importe quel gourou foireux et vĂ©nal.

 

Alors, il reste le Tsadik, Ă©quivalent du Saint, qui, je crois, lui, sera plus difficile Ă  contredire et Ă  dĂ©loger, que l’on se moque de moi ou pas :

 

Religion juive ou pas, le soignant, infirmier ou autre, est souvent assimilĂ© au Saint ou Ă  la bonne sƓur. Lorsque l’on regarde les conditions de travail et les conditions salariales d’un infirmier et qu’on les compare Ă  ce que celui-ci donne de sa personne au cours d’une carriĂšre, on « sait Â» que le compte n’y est pas du tout. Et que les infirmiers, comme d’autres corps soignants, sont sous-payĂ©s et sous estimĂ©s comparativement Ă  ce qu’ils donnent. Mais aussi comparativement Ă  ce qu’ils endurent. J’ai dĂ©jĂ  entendu dire que, souvent, dans les ancĂȘtres des soignants, il y a eu un malade, une grande souffrance. Mais on peut aussi penser, Ă  travers l’exemple du Tsadik, qu’un soignant (infirmier ou autre) est un Tsadik et que, lui aussi, donnera sa protection Ă  un de ses descendants un jour ou l’autre.

 

Cette histoire-lĂ  me plait beaucoup et elle m’est inspirĂ©e en lisant la biographie de Magali Berdah. Pas en lisant l’ouvrage de Julia de FunĂšs. J’ai presque envie d’ajouter :

 

« Alors que cela aurait dĂ» ĂȘtre le contraire. A quoi sert-t’il d’avoir autant de connaissances- comme Julia de FunĂšs- si c’est pour plomber l’atmosphĂšre et le moral des gens alors que ceux-ci essaient de trouver des astuces pour s’allĂ©ger, respirer un petit peu mieux et s’octroyer un peu de rĂ©pit avant de devoir reprendre leur labeur ? Â».

 

RĂ©cemment, dimanche aprĂšs-midi, j’ai effectuĂ© un remplacement dans un service. La collĂšgue infirmiĂšre du matin, ai-je appris plus tard, se lĂšve Ă  3 heures du matin lorsqu’elle commence sa journĂ©e de travail Ă  6h45.

 

C’est sans doute rare qu’une infirmiĂšre se lĂšve aussi tĂŽt lorsqu’elle commence Ă  6h45 pour ĂȘtre Ă  l’heure au travail. Mais je l’aurais vu au moins une fois dans ma vie.

 

Ce qui est moins rare, c’est d’avoir appris que cette infirmiĂšre avait pu se faire « dĂ©foncer Â» en plein staff un matin parce-que le travail n’avait pas Ă©tĂ© fait en temps et en heure. Pour quelle raison ?

Peut-ĂȘtre parce qu’elle Ă©tait nouvelle dans le service. Et encore en CDD. Mais, aussi, parce-que le service manque de personnel infirmier. Quatre infirmiers en poste dans le service alors qu’il en manque sept autres. Il y a sept postes d’infirmier vacants dans ce service. Le service tourne donc rĂ©guliĂšrement avec des remplaçants.

 

Ce qui est aussi moins rare, c’est qu’en se faisant « dĂ©foncer Â» en plein staff, cette infirmiĂšre ait subi sans broncher. C’est une Ă©tudiante infirmiĂšre prĂ©sente lors des faits qui, ensuite, en a parlĂ© au collĂšgue infirmier qui m’a racontĂ© ça le dimanche aprĂšs-midi.

 

Ce qui est Ă©galement moins rare c’est d’avoir demandĂ© ce dimanche (j’étais alors prĂ©sent) Ă  cette mĂȘme infirmiĂšre de revenir travailler le lendemain matin sur son jour de repos. Parce qu’il manquait du personnel infirmier le lundi matin.  

 

 Pourquoi je parle de ça ? Le Covid a fait des soignants, officiellement, «  des hĂ©ros Â». Mais des personnes se font « dĂ©foncer Â» cette fois-ci physiquement, sur la place publique lorsqu’ils rappellent Ă  d’autres citoyens de porter- correctement- le masque de prĂ©vention anti-covid. Ou simplement d’un porter un.

 

Pendant ce temps, dans leur service, des soignants continuent de se faire « dĂ©foncer Â» en plein staff comme cette collĂšgue infirmiĂšre. On peut donc dĂ©foncer en plein staff une hĂ©roĂŻne. Et c’est normal.

 

Alors, qu’est-ce qu’il reste aux soignants hĂ©roĂŻques alors qu’ils continuent de se faire dĂ©foncer par leur hiĂ©rarchie ? Il leur reste la dĂ©pression ou le burn-out. Il leur reste les accidents de travail. Il leur reste les congĂ©s longue maladie. Il leur reste la dĂ©mission. Il leur reste la colĂšre ou la contestation. Il leur reste le Tsadik ou son Ă©quivalent. Et c’est en lisant la biographie de Magali Berdah, que je n’ai pas terminĂ©e, que je le comprends. Pas en lisant le livre sĂ»rement trĂšs cultivĂ© de Julia de FunĂšs.

 

Ce matin, ça a fait marrer une de mes jeunes collÚgues infirmiÚres lorsque je leur ai parlé de Magali Berdah. Elle était sans doute gentiment amusée par une de mes nouvelles bizarreries. Pourtant, je ne fais que prolonger à ma façon ce en quoi je crois depuis des années.

 

Miles Davis disait « My mind is not shut Â» : Mon esprit n’est pas fermĂ©. Dans la revue Yashima dont j’ai beaucoup aimĂ© les articles cette fois-ci, il y a entre autres une interview de Kacem Zoughari.

 

Kacem Zoughari est «  docteur en Histoire et Culture du Japon et adepte de Ninjutsu du plus haut niveau Â». J’ai dĂ©couvert l’existence de Kacem Zoughari il y a Ă  peine dix jours par ce magazine Yashima achetĂ© durant mes vacances.

 

Quel rapport entre la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, le monde du fric et du commerce de Magali Berdah et l’ascĂšse martiale Ă  laquelle se tient Kacem Zoughari que je devrais appeler au moins Sensei ou Maitre au vu de ses titres ?  A priori, Ă  la tĂ©lĂ©, ce n’est pas la mĂȘme chaine. Il n’y a aucun rapport si on oppose ces deux personnes et ces deux expĂ©riences selon leur image et leur parcours. Et puis, dans l’interview, Kacem Zoughari dit par exemple :

 

« Quand j’arrive lĂ -bas (au Japon), je pense ĂȘtre bon. J’ai reprĂ©sentĂ© la discipline Ă  Bercy et Ă  la tĂ©lĂ© et je suis ceinture noire. Mais au premier cours chez Ishizuka sensei, on me reprend. On me reprend gentiment, mais j’ai l’impression d’ĂȘtre giflĂ© ! Â».

 

On peut donc ĂȘtre « trĂšs bon Â», bosseur et expĂ©rimentĂ© comme le pense alors Kacem Zoughari et, comme Magali Berdah, dans son domaine professionnel échouer.

 

Or, que l’on Ă©volue dans le commerce ou dans le domaine des arts martiaux ou ailleurs, ce qui va importer, c’est notre rĂ©action par rapport Ă  « l’échec Â». Ce que l’on va ĂȘtre capable d’apprendre et d’accepter de cet Ă©chec.

 

Plus tard, Kacem Zoughari dit :

 

«  (
.) Hatsumi sensei dit parfois : « Tu veux ĂȘtre bon, shuraba ni ike Â». Va oĂč a lieu le carnage Â».

 

On peut penser au « carnage Â» de la guerre. Mais on peut aussi penser au « carnage Â» de la souffrance et de la violence auquel le soignant oĂč le travailleur social est rĂ©guliĂšrement exposĂ©. Et Magali Berdah parle aussi de certaines pĂ©riodes de «  sa vie chaotique Â».

 

Et j’ai particuliĂšrement aimĂ© lorsque Kacem Zoughari dit :

 

« Certains Ă©lĂšves copient le maitre jusque dans ses dĂ©formations de dos, de genou, etc. Au-delĂ  de l’aspect caricatural, c’est mĂȘme dĂ©lĂ©tĂšre pour leur santĂ© ! Ce type de pratiquants intĂ©gristes refuse souvent aussi de voir ce qui se fait ailleurs pour ne pas corrompre l’image qu’ils ont de leur maĂźtre. C’est une grave erreur Â».

 

Bien entendu, je n’attends pas que Kacem Zoughari verse dans l’univers de la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© et dans le monde de Cyril Hanouna. Mais on a compris que selon mes aptitudes et mon Ă©tat d’esprit, je peux trouver des parties de mes besoins et de mes rĂ©ponses tant dans ce qu’enseigne Kacem Zoughari que dans ce que raconte Magali Berdah.

D’autant que Kacem Zoughari confirme aussi :

 

« (
..) car beaucoup d’obstacles se dressent sur la voie d’un adepte. Il y a d’abord les dĂ©sillusions. Le monde martial, comme tout microcosme, comporte de nombreuses personnes Ă  la moralitĂ© douteuse. Il faut alors avoir foi dans les bĂ©nĂ©fices de la pratique pour trouver le recul de se dire que les actes d’un individu ne dĂ©finissent pas la valeur d’une discipline Â».

 

 

Il y aurait bien-sĂ»r davantage Ă  dire de l’interview de Kacem Zoughari et je le ferai peut-ĂȘtre un autre jour.

 

Mais l’article va bientĂŽt se terminer et je veux d’abord rĂ©pondre Ă  des questions que je crois possibles devant certaines des photos :

 

La voix du Raid Ă©crit par Tatiana Brillant (avec la collaboration de Christine Desmoulins), ancienne nĂ©gociatrice du RAID, parce-que je crois que son expĂ©rience peut aussi m’apprendre quelque chose dans mon mĂ©tier comme dans ma vie. Tatiana Brillant, dont, d’ailleurs, le pĂšre est pompier. Et la mĂšre
.infirmiĂšre. Tatiana Brillant qui dit, page 24 :

 

«  (
.) Ayant cette fois accĂšs Ă  mon dossier, j’ai appris que lors des prĂ©cĂ©dents tests j’avais Ă©tĂ© reçue premiĂšre avec l’observation suivante :

 

 Â«  PremiĂšre candidate. Impressionnante malgrĂ© son jeune Ăąge. Bonnes rĂ©actions, empathie naturelle Â».

C’est ainsi que je suis entrĂ©e au RAID le 1er mars 2004. A BiĂšvres, dans l’Essonne, mon rĂȘve se rĂ©alisait ! Tout cela validait Ă  jamais le mantra qui rythme ma vie :

 

« Il ne faut rien s’interdire Â».

 

« L’empathie Â» est une aptitude qui peut ĂȘtre dĂ©valuĂ©e dans un monde oĂč l’image, le statut social, la cĂ©lĂ©britĂ©, la rapiditĂ©, la rentabilitĂ© et le fric remportent souvent le gros lot.

 

Le personnel infirmier sait ce qu’est l’empathie mĂȘme s’il se fait rĂ©guliĂšrement enfler. Parce qu’il est plus dans le sacrifice et le don de soi que dans l’empathie me dira-t’on. Peut-ĂȘtre. Mais on voit Ă  travers Tatiana brillant, Magali Berdah mais aussi Kacem Zoughari, qui l’évoque d’une certaine façon dans un passage de son interview, que « l’empathie Â» est compatible avec la rĂ©ussite professionnelle et personnelle.

 

 

Tout bouge autour de moi de Dany Laferriere, membre de l’AcadĂ©mie française. Pour le titre. Pour la littĂ©rature. Parce-que je n’ai encore rien lu de lui. Parce qu’il parle d’HaĂŻti, oĂč il se trouvait, lors du tremblement de terre du 12 janvier 2010 :

 

  «  Des choses vues Â» qui disent l’horreur, mais aussi le sang-froid des HaĂŻtiens. Que reste-il quand tout tombe ? La culture. Et l’énergie d’une forĂȘt de gens remarquables Â».

 

 

Parce qu’HaĂŻti est une Ăźle oĂč j’aurais aimĂ© ĂȘtre allĂ© depuis des annĂ©es. Mais son rĂ©gime politique et sa pauvretĂ© m’ont jusque lĂ  trop inquiĂ©tĂ©. Je suis « entrĂ© Â» un peu Ă  HaĂŻti d’abord par le cinĂ©ma de Raoul Peck dans les annĂ©es 90 par son film, L’Homme sur les quais. J’ai vu d’autres films de lui. Et mĂȘme des sĂ©ries. Je l’ai aussi rencontrĂ© et interviewĂ© deux fois. Une fois lors du festival de Cannes au dĂ©but des annĂ©es 2010. Une autre fois, Ă  Paris.

 

Il y a quelques photos de nos vacances en Bretagne. A la vallĂ©e des Saints ( avec les statues en granit) et aussi Ă  Quiberon, du cĂŽtĂ© du port-Haliguen, oĂč nous sommes passĂ©s avant que le port du masque ne devienne obligatoire dans la rue.

 

Le titre que j’ai choisi sur l’album Nordub  rĂ©alisĂ© par Sly & Robbie et Nils Petter Molvaer feat Eivind Aarset and Vladislav Delay s’appelle :

 

European Express.

 

C’est le septiĂšme titre de l’album. AprĂšs avoir lu des critiques dithyrambiques sur cet album, je me suis dĂ©cidĂ© Ă  l’acheter. J’avais dĂ©jĂ  Ă©coutĂ© deux anciens albums de Nils Petter Molvaer. J’apprĂ©hendais qu’il soit trop prĂ©sent avec ses traversĂ©es Ă©lectroniques et sa trompette qui louche vers Miles mais sans l’attrait de Miles sur moi.

 

Sly and Robbie, depuis leur trajectoire Reggae avec Black Uhuru, Gainsbourg et beaucoup d’autres dans les annĂ©es 70 et 80 ont depuis longtemps dĂ©bouchĂ© dans d’autres atmosphĂšres musicales. J’attendais beaucoup de cet album. J’attendais du Dub. J’ai d’abord Ă©tĂ© dĂ©confit. Puis, en le reprenant en revenant de vacances, il s’est Ă  nouveau vĂ©rifiĂ© que certains albums nous demandent du temps pour entrer dedans.

 

European Express,  de par sa dynamique, est le titre qui m’a semblĂ© le plus appropriĂ© pour cet article.

 

 

Cet article est sans doute plus long qu’il n’aurait dĂ», une fois de plus. Alors, j’espĂšre qu’il ne sera pas trop fastidieux Ă  lire et que les photos qui l’accompagnent vous iront aussi.

Ici, si on le souhaite, on pourra Ă©couter cet article dans sa version audio :

 

 

AprĂšs un concert, il arrivait que Miles engueule certains de ses musiciens aprĂšs qu’ils aient, selon lui, mal jouĂ©. Sans doute estimait-il qu’ils n’avaient pas pris assez de risques. Il leur disait :

 

 Â«  Jouez ce que vous savez jouer ! Â».

 

J’ai Ă©crit ce que je sais Ă©crire. C’est le souffle qui nous tient. C’est Ă  dire : trois fois rien.

 

 

Franck Unimon, ce mercredi 5 aout 2020.

 

 

 

 

 

 

 


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