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Harcèlement et réseaux sociaux : la démocratisation et la sophistication des guillotines

Avenue Gabriel Péri, à Argenteuil, ce dimanche 14 mars 2021. L’Avenue Gabriel Péri est un des moyens d’accès et de sortie de la ville d’Argenteuil en prenant le pont d’Argenteuil, au bout, qui surplombe la Seine. C’est aussi une avenue qui traverse le centre-ville et qui mène, au bout ( derrière nous) vers la mairie actuelle d’Argenteuil. A gauche, sur la photo, on peut lire ” Alisha. Non, au harcèlement”. Sur la droite de la photo, la fresque que l’on voit orne un des bâtiments du conservatoire départemental d’Argenteuil. Ordinairement, l’Avenue Gabriel Péri est évidemment très passante d’autant que le dimanche est un jour de marché, le marché d’Héloïse, “derrière” le conservatoire. Enfin, en face de nous, au loin, on peut apercevoir sur le pont d’Argenteuil, le barrage policier réalisé pour la circonstance de la marche blanche d’Alisha. Rappelons qu’Argenteuil compte plus de 100 000 habitants.

 

 

 

 

Harcèlement et réseaux sociaux : la démocratisation et la sophistication des guillotines

 

 

« Harcèlement » était l’un des chaînons manquants dans mon article ( Alisha, 14 ans, morte dans la Seine ce 8 mars 2021). C’est en décidant finalement de me rendre hier à la marche blanche (ce dimanche 14 mars 2021)  que je l’ai « découvert ». Arrivé un peu après 14h, je suis reparti vers 14h40 avant le discours de la mère d’Alisha que j’ai partiellement entendu tout à l’heure.

 

Dans la ville d’Argenteuil, dont l’entrée par le pont vers l’avenue Gabriel Péri et quelques rues près du lycée étaient bouclées, le mot «  harcèlement » était affiché sur quelques murs. Mais aussi sur quelques tee-shirts comportant une photo d’Alisha. On pouvait aussi lire, inspiré de la phrase reprise après les attentats « de » Charlie Hebdo, ce qui suit :

 

« Je suis Alisha ».

 

Devant le lycée Cognac-Jay, ce dimanche 14 mars 2021. L’avenue Gabriel-Péri, qui traverse le centre-ville et mène à la mairie, passe derrière le lycée.

 

 

Des personnes des deux sexes, masculin et féminin, portaient ce tee-shirt. Il faut le souligner et l’encadrer dans une ville, ou, comme ailleurs, certains apparats religieux entendent marquer les frontières, les corps – et les esprits- entre les hommes et les femmes.

 

Il y avait foule hier devant le lycée Cognac-Jay  pour Alisha et ses parents. La foule était masculine et féminine. Adolescente et adulte. Il y avait même des enfants et quelques voisins qui regardaient depuis leur fenêtre ou leur balcon l’attroupement en « bas de chez eux ».

 

 

Dans la rue, j’ai entendu le chiffre de « 2000 personnes » concernant la foule. Il y avait des journalistes, des caméramen et aussi plein de smartphones qui prenaient des photos ou filmaient. Je n’ai pas aperçu de drones. Mais, peut-être étaient-ils cachés ?

 

Devant le lycée Cognac-Jay, toujours à Argenteuil, ce dimanche 14 mars 2021.

 

 

C’est une des curiosités de notre époque et aussi de notre espèce humaine que d’avoir la capacité de filmer et de prendre des photos de notre espace, comme à peu près de tout ce que l’on veut quand on le veut avec précision. Sans pour autant toujours nous sentir obligés de faire attention à celles et ceux que l’on filme.

 

Si une image peut aider à faire rêver, à libérer et à éduquer, il arrive aussi qu’elle opprime. Tout dépend du projet et de l’intention de celle ou de celui qui s’en sert et du public et de l’époque auxquels elle ou il s’adresse.

 

Au cinéma, il y a déja eu des débats concernant la responsabilité morale de celle ou de celui qui filme. Comme de ce que l’on a le droit de montrer. Quand et à qui.

Dans le monde de la photographie, aussi, cette question existe. En littérature, aussi. Chaque fois que l’on témoigne ou que l’on va rendre public une histoire ou une image sur un sujet sensible ou considéré comme sensible.

 

Il y a celles et ceux qui estiment que l’on peut pratiquement tout dire et tout montrer. Ou que seule «  la fin justifie les moyens ». Tant qu’une image peut faire vendre et donner de la renommée à son autrice ou à son auteur. D’autres qui sont là pour secouer les esprits. Ou pour les enterrer.

 

On pourrait reparler des caricatures puisque je fais le parallèle avec le journal Charlie Hebdo dans cet article. Sauf qu’une caricature, malgré ses défauts, ne lapide pas, ne jette personne au dessus d’un pont ou sous un train. Elle ne fait sauter aucun immeuble ni aucun squelette. Une caricature ne poursuit pas une personne nuit et jour jusqu’à chez elle. Elle ne commet pas non plus d’attentat suicide.

 

 

Notre caricature

 

 

Chaque fois que nous les employons, les réseaux sociaux peuvent devenir une caricature de certains de nos travers.

 

Ils ont aussi du bon. Ils permettent de rester en contact, de rencontrer ou de retrouver des personnes qui comptent. Ils sont le pivot ou la lance de rampement de certaines carrières artistiques et professionnelles.

 

Mais les réseaux sociaux peuvent aussi être le lance-flammes qui, à l’image du chien de combat, peut causer énormément de torts si son propriétaire ou son usager le jette sur une proie ou une cible qui ne peut faire le poids. Et qu’il ne lâche pas.

 

Ils peuvent aussi devenir la béquille sans laquelle nous nous effondrons si nous leur donnons toute notre vie.  

 

Si l’on parle de « harcèlement », alors il faut parler de « l’emprise ». Car les deux vont ensemble. Sauf que des situations « d’emprise », nous en connaissons tous. Certaines sont volontaires, d’autres moins. Certaines plus nocives que d’autres. Etre sous l’emprise de l’alcool ou de la peur n’a pas les mêmes effets que d’être sous l’emprise de la lecture.

 

Près de l’avenue Gabriel Péri, ce dimanche 14 mars 2021.

 

 

Edward Snowden, dans son livre Mémoires vives ( 2019) rappelle cette époque où, adolescent, il a découvert un internet permettant de « converser » avec n’importe qui à l’autre bout du monde partageant le même centre d’intérêt. Cet internet-là,  a été une école alternative ou parallèle et l’est peut-être resté pour certaines et certains. Sauf qu’à cette époque, internet « se méritait » en quelque sorte explique Snowden :

 

Il fallait avoir de sérieuses compétences informatiques pour parvenir à se connecter sur le net. C’était peut-être cette époque, avant l’essor de la téléphonie mobile, où les téléphones fixes à fil à domicile étaient La règle. Et où, chaque fois que l’on tentait de joindre une internaute ou un internaute à son domicile, cela était impossible si celle-ci ou celui-ci était « connecté(e). Car la ligne téléphonique restait alors systématiquement occupée. Aujourd’hui, il est banal de pouvoir être joint sur son smartphone alors que l’on navigue sur le net.

 

Snowden relate aussi certains travers que lui-même a pu avoir, sous couvert de pseudo, adolescent, sur certains forums, où il avait pu se permettre certains propos déplacés. Et, parce qu’il n’a a priori tué personne à cette époque, il explique que l’anonymat des internautes peut aussi permettre de donner une chance à certaines et certains de changer et de se racheter une conduite au lieu d’être fichés pour des conneries qu’ils ont pu faire « plus jeunes ».

 

Il est probable qu’un certain nombre des internautes, qui, aujourd’hui (ou hier) enfants, pré-adolescents ou adolescents ou même adultes se permettent d’écrire et de tenir des propos qu’ils regretteront d’eux-mêmes par la suite. Ne serait-ce, par exemple, que sur Youtube même si ce n’est pas un réseau social en tant que tel. Mais où le fait de visionner une simple vidéo et d’en « parler » suffit pour- très rapidement- voir surgir ici ou là des propos « extraordinaires » d’agressivité et de jugements personnels et définitifs. La façon dont ça peut très vite « dégoupiller » entre deux internautes peut me faire rire. Mais ces dérapages fréquents donnent une idée de ce que la facilité d’accès à internet a amené comme « pollution » dans les échanges entre internautes.  Comme la démocratisation de l’escalade de l’Everest ou de l’Himalaya a pu, dans une moindre mesure, contribuer à polluer une région du monde qui, « auparavant », était pratiquement immaculée ou réservée à quelques uns qui étaient prêts à donner de leur personne pour atteindre un certain sommet.

 

C’est que depuis l’adolescence de Snowden ( E.Snowden est né en 1983), le net et le Web se sont « démocratisés ». Désormais, en quelques clics, n’importe qui, n’importe quand, peut activer une ou plusieurs guillotines à distance. Mais aussi les programmer en s’allouant la complicité spontanée d’autres personnes trop contentes de participer et de faire appliquer leur sens de la justice. Tout en verrouillant leur cible.

 

Devant le lycée Cognac-Jay, ce dimanche 14 mars 2021.

 

 

Alisha est morte de ça, je crois : de la démocratisation et de la sophistication des guillotines.

 

 

Franck Unimon, ce lundi 15 mars 2021.

 

 

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