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Qui êtes vous ?

Piscine de Roubaix, juillet 2019.

Qui êtes-vous ?

 

La première fois, c’était à la médiathèque. Je venais d’arriver dans la ville. M…une bibliothécaire, partie à la retraite il y a quelques années, m’avait parlé de lui. De ce professeur de percussions d’origine antillaise, au conservatoire. C’était en Avril ou Mai 2007. La jeune Alisha ( Marche jusqu’au viaduc )était alors bébé ou pas encore née. Ses deux futurs camarades et  meurtriers qui , le 8 mars 2021, la piégeraient, la tabasseraient et la jetteraient dans la Seine, à Argenteuil, près du viaduc sous la A15, à une vingtaine de minutes à pied depuis chez moi, devaient alors à peine marcher. Bien-sûr, en 2007, j’ignorais tout de cette future histoire. J’avais bien d’autres histoires en tête que j’ai aujourd’hui oubliées pour la plupart.  

 

En 2007 ou 2008, j’étais allé le rencontrer au conservatoire. Et, nous avions sympathisé et discuté. Il m’avait parlé de son Maitre, Mamady Keita, décédé ce mois de juillet 2021 soit quelques semaines avant Jacob Desvarieux ( J’ai revu quelqu’un…). Par la suite, j’avais bien pris un ou deux cours de djembé avec lui. Mais je suis peu doué. Je rêve bien mieux la musique que je ne la joue. Je n’ai pas de bonnes mains ni les oreilles et le cerveau ou la patience et l’intelligence qu’il faut devant un instrument de musique. Ainsi que la constance et la consistance nécessaires à l’épuisement de mes défauts.

 

Par contre, j’écris comme d’autres jouent de la musique ou pratiquent un art martial ou de combat. A jeun. Au réveil. A peu près à n’importe quelle heure. De manière répétitive.

 

Même si mes articles sont ratés, mauvais, transportent des idées claironnées dans le désert ou donnent sur des impasses, cela ne me décourage pas. Je vais recommencer. Je vais repartir. Je ne peux pas faire autrement. Cela a peut-être à voir avec le fait qu’écrire me vient de ma jeunesse et que j’y ai concentré ce qu’il m’en reste.

 

Parler, c’est difficile. On peut raconter des histoires à l’oral mais il faut une bonne voix. Ou bien savoir s’en servir. La mienne ne porte pas. Elle endort et se mélange dans les détails, bétails incontrôlés rapidement hors de portée des fusils de l’attention de l’auditoire. Un auditoire a besoin d’être captif. Pas de se disséminer en partant à la chasse d’un fou qui court partout en même temps. 

 

Un fou, contrairement à ce que l’on croit, ça écoute. Ça écoute tout. Trop. Et ça croit beaucoup, aussi. C’est pour cela qu’il est fou. Il y a des gentils fous et des méchants fous.

 

Lorsque je lui ai envoyé un sms hier soir, cela faisait plusieurs mois que je ne lui avais pas parlé. La dernière fois, c’était quelques jours ou quelques semaines avant qu’il ne prenne sa retraite du conservatoire de musique. Si j’étais plus allé le voir de temps en temps de façon amicale et en amateur de musique, j’avais aussi pris la précaution d’emmener ma fille le voir deux ou trois fois. Elle devait avoir deux ou trois ans, lorsque, entre deux cours, alors qu’il était disponible, pour elle, il avait joué quelques airs au djembé. Plus tard, toujours entre deux cours, ou entre deux tours, il l’avait faite jouer un peu et lui avait donné une petite initiation musicale.

 

Mon sms à peine envoyé, hier soir j’ai reçu sa réponse par sms :

 

« Qui êtes vous ? ». Puis, j’ai vu qu’il avait essayé de me joindre. J’ai décidé de le rappeler. Après que je me sois présenté, il m’a presque engueulé.

 

« Pourquoi tu m’envoies un sms au lieu de m’appeler ?! Tu m’envoies un truc, il faut que je clique sur un lien ! Avec toutes les arnaques qu’il y a par téléphone ! ».

 

Je lui ai expliqué que je n’étais pas très disponible pour discuter. Il m’a répondu :

 

« Y’a pas de problème ! ».

 

Trente minutes plus tard, nous étions encore au téléphone. Il m’a appris qu’il continuait de donner des cours de musique dans une association où il enseignait depuis vingt ans. Il approche des 70 ans.

 

Il m’a appris comment, pendant plus de vingt ans, il avait fait deux heures de route à l’aller, deux fois par semaine, pour se rendre au conservatoire où je l’avais rencontré. Et comme il arrivait fatigué avant même de commencer à donner ses cours. Mais, aussi, là où il avait commencé à donner des cours dans la ville avant d’être embauché au conservatoire.

 

Parce qu’un fou, ça sait interroger et faire parler les gens.  Parce qu’un fou, ça permet à un autre fou de livrer une part de sa folie. Parce qu’entre fous, on se reconnaît, on se comprend et on se fait confiance. On se livre peu face à quelqu’un dont la folie correspond assez peu aux valeurs et aux détours de la nôtre.

 

Un professeur de conservatoire, c’est souvent une personne ou un professionnel, dont on imagine très peu la vie. A moins de le connaître. Sauf s’il en parle. Parce qu’en général, un professeur de conservatoire enseigne une discipline si rigoureuse que l’on a d’autres priorités que d’aller renifler son derrière afin de savoir ce qu’il a mangé, quand et avec qui. Mais, lui, m’a toujours parlé de quelques unes de ses expériences.

 

Hier soir, j’ai donc entendu qu’il avait été batteur à Pigalle pendant cinq ans dans un orchestre entre 1979 et 1984. Il m’a décrit une ambiance de Far west et dit que s’il écrivait un jour un livre, il raconterait ça plutôt que ce qu’il a pu apprendre des gens au travers de ses élèves du conservatoire. Moi, j’aurais bien aimé qu’il raconte aussi ce qu’il avait vu au conservatoire.

 

Far West à Pigalle ou histoires de conservatoire, deux histoires et deux mondes s’opposent. Je n’ai pas pû m’empêcher de penser qu’un éditeur ou un producteur de film opterait pour le Far West à Pigalle. C’est plus vendeur. C’est plus attractif.

 

Mais ça m’a fait réfléchir.

 

Parfois, nous racontons des histoires parce que ce sont celles qui nous ont le plus marquées et elles sont marquantes. Ce faisant, nous délaissons d’autres histoires qui finissent par disparaître. Alors qu’elles sont peut-être aussi marquantes que les autres que nous retenons ou préférons. Qui suis-je pour croire et décider qu’une histoire vaut autant ou plus qu’une autre ?

 

Un fou et un auteur.

 

Franck Unimon, ce samedi 14 aout 2021.

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