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Contrainte et motivation

 

                                                            Contrainte et motivation

 

J’étais en train de sortir mon vĂ©lo de son local lorsque j’ai entendu un bruit Ă©trange.  C’est peut-ĂȘtre ce son particulier- Ploc-ploc- qui m’a d’autant plus donnĂ©, instinctivement, l’idĂ©e de tĂąter mon pneu arriĂšre. Il Ă©tait crevĂ©. Je me suis dit :

 

Soit j’ai trĂšs mal mis ma chambre Ă  air arriĂšre la derniĂšre fois (il y ‘a deux ou trois mois tout au plus). Soit la nouvelle chambre Ă  air, un premier prix, que j’avais mise Ă©tait de trĂšs mauvaise qualitĂ©. J’ai un moment pensĂ© Ă  une de mes collĂšgues, qui, lors de la grĂšve des transports en DĂ©cembre, pour protester contre la rĂ©forme des retraites, avait crevĂ© deux fois en l’espace de quelques jours.

 

Fort heureusement, j’avais des chambres Ă  air de rechange, en principe de bonne qualitĂ© vu le magasin de cycles oĂč je les avais achetĂ©es. Du temps de la grĂšve des transports en DĂ©cembre. Ce magasin, aujourd’hui, est sĂ»rement dĂ©sormais fermĂ©  depuis le couvre-feu consĂ©cutif Ă  l’Ă©pidĂ©mie. 

 

Mais je ne pouvais pas me permettre de prendre le temps de changer la chambre Ă  air de mon pneu arriĂšre.

 

Le local oĂč je mets mon vĂ©lo est Ă  dix minutes Ă  pied de chez moi. En m’y rendant, je m’éloigne de la gare
de dix minutes. Il devait ĂȘtre entre 19h30 et 19h40. Je reprenais le travail Ă  21h. Avec la diminution des transports, le fait que je ne m’étais pas renseignĂ© sur les horaires de train, impossible pour moi de savoir quand j’aurais un train. Mais j’avais bon espoir.

 

J’ai laissĂ© mon casque, mes lunettes et mon bidon d’eau dans le local. Fort heureusement, j’avais toujours sur moi mon Pass Navigo. J’allais devoir prendre les transports en commun pour aller au travail.

 

A la gare, premiĂšre information aprĂšs avoir passĂ© les portes de validation « ouvertes Â» :

 

Le prochain train, direct pour Paris St Lazare arrivait trente minutes plus tard. Soit entre 20h15 et 20h20. Je pouvais donc, dĂ©sormais, ĂȘtre en retard alors qu’avec mon vĂ©lo en Ă©tat de marche, je serais arrivĂ© avec quelques minutes d’avance.

 

Je suis repassĂ© chez moi. J’ai expliquĂ© ce qui se passait Ă  ma compagne. Je me suis changĂ©. J’étais prĂȘt Ă  prendre mes baskets afin d’aller au travail en footing depuis St Lazare. J’avais commencĂ© Ă  enfiler mon collant de footing. Ma compagne m’en a dissuadĂ© : j’avais dĂ©jĂ  fait assez d’efforts physiques cette semaine en m’y rendant Ă  vĂ©lo. Et, lĂ , d’un seul coup, je me prenais pour « un grand sportif ?! Â».

Je lui ai rĂ©pondu : «  Mais je suis un sportif ! Â». Un ancien sportif, Ă©videmment. Qui a vieilli en plus.

J’ai Ă©coutĂ© ma compagne. Je me suis habillĂ© comme quelqu’un qui allait prendre toute la chaine des transports en commun depuis chez lui.  A aucun moment, je n’ai envisagĂ© de prendre ma voiture. Le temps moyen habituellement pour me rendre Ă  mon travail en transports en commun est d’environ 45 minutes. Contre 1h05 au mieux Ă  vĂ©lo. Si je ne traine pas. Si les feux de circulation sont «clĂ©ments».

Comme on me l’avait dit, assez peu de monde dans le train. Par contre, en approchant de St Lazare, le train se met  au ralenti. Cela fait quelques minutes que je suis devant les portes pour sortir lorsqu’un homme d’une trentaine d’annĂ©es vient se placer Ă  cĂŽtĂ© de moi, sur ma droite, sans vraiment donner l’impression de tenir compte de la distance de prĂ©vention sanitaire de un mĂštre. As usual. Cet homme qui a mis du  Â« sent-bon Â»  croit peut-ĂȘtre que le parfum le protĂšge du virus.  Alors que le train se rapproche un peu plus de St Lazare,  je me surprends Ă  sentir se dĂ©placer en moi une certaine agressivitĂ© :

Je pourrais frapper cet homme. Juste parce-que, lĂ , alors qu’il y a tout l’espace nĂ©cessaire pour respecter une certaine distance, il est venu se mettre lĂ , juste Ă  cĂŽtĂ© de moi. Je tourne ma tĂȘte dans le sens opposĂ© Ă  sa prĂ©sence et attends la dĂ©livrance.

Cette rĂ©action ne me ressemble pas. En temps ordinaire, mĂȘme dans un train ou dans un mĂ©tro bondĂ©, je fais avec. Mais lĂ , coronavirus Covid-19 + sentiment d’enfermement dans les transports en commun+ les contrĂŽles de police ou de contrĂŽleurs font que je suis montĂ© dans ce train, auquel je n’ai pu Ă©chapper ce soir, sans doute avec un certain Ă©tat de tension inhabituel.

 

Le train arrive Ă  quai. J’ouvre et je me porte sur le quai. Je redĂ©couvre la gare St Lazare aprĂšs quelques jours de trajet Ă  vĂ©lo. 

TrĂšs vite, je m’aperçois qu’il m’est impossible de choisir l’endroit oĂč je vais prendre les escalators. La gare est quadrillĂ©e. Des sorties habituellement « praticables Â» sont barrĂ©es par des bandes adhĂ©sives blanches et rouges. Nous sommes arrivĂ©s sur la voie 26 ou 27. Il nous faut tourner Ă  droite et aller jusqu’aux premiĂšres voies de la gare pour accĂ©der Ă  la sortie. Je comprends Ă©videmment les raisons sanitaires de ce parcours mais j’ai l’impression que nous sommes traitĂ©s comme du bĂ©tail.

 

Enfin, la sortie de la gare. Juste devant, quatre ou cinq policiers en bas des escalators en tenue. Des gorilles. Ils doivent bien faire entre 100 et 120 kilos chacun. Noirs, crĂąne rasĂ©, sans masque sur le visage. Ils sont dĂ©tendus et ont l’air trĂšs sĂ»rs d’eux. Pas de contrĂŽle. Tant mieux. En passant, je me dis que leur assurance est une erreur. MĂȘme si je sais que le port du masque n’est pas obligatoire dehors en l’absence de symptĂŽmes,  je sais aussi que l’on peut ĂȘtre un «  trĂšs beau bĂ©bĂ© Â» et se faire aplatir mĂ©chamment Ă  coups de massue par un tout petit virus de rien du tout.

 

Je suis obligĂ© de me presser pour prendre le mĂ©tro automatisĂ© et sans conducteur de la ligne 14 car le prochain arrive dans cinq minutes. Il y en a moins que d’habitude. Et je n’ai pas envie de prendre le prochain. Je suis dedans. Le mĂ©tro est Ă  peine parti qu’un homme vient me demander l’heure. Plus ou moins SDF, plus ou moins passager. Habituellement, je rĂ©ponds tranquillement. LĂ , je rĂ©ponds mais Ă  distance. Je suis mĂ©fiant. Pour raisons sanitaires.

 

AprĂšs lui, c’est une jeune femme d’une trentaine d’annĂ©es qui passe. Sac chargĂ© sur le dos, un ou deux autres sacs Ă  la main, elle non plus, n’est pas trĂšs angoissĂ©e comme celui qui m’a demandĂ© l’heure. Elle, ce qu’elle voudrait, c’est une petite piĂšce. Elle m’explique que les foyers n’ont pas voulu d’elle ou qu’il n y’a pas de place pour elle. Elle accepte mon refus de lui donner une piĂšce avec un sourire de comprĂ©hension et poursuit sa quĂȘte dans le mĂ©tro.

 

C’est Ă  la gare de Lyon, ou j’hĂ©site un peu entre les diffĂ©rentes sorties, en commençant Ă  marcher, que je m’aperçois que je suis comme la roue arriĂšre de mon vĂ©lo : crevĂ©.

En traversant la Seine, j’aperçois le mĂ©tro aĂ©rien de la ligne 5 qui se dirige vers la gare d’Austerlizt. Je me dis que je vais tenter le prendre vu mon Ă©tat de fatigue. Et mon retard. Car, oui, dans Ă  peine une ou deux minutes, je serai en retard au travail. J’avais prĂ©venu les collĂšgues qui m’avaient dit que ça allait aller. Dont une collĂšgue de jour qui m’a dit qu’elle pourrait attendre. NĂ©anmoins, j’aurais aimĂ© ĂȘtre Ă  l’heure.

 

En montant les marches pour prendre le mĂ©tro ligne 5, je croise Ă  nouveau un SDF, assis tranquillement. Je ne sais pas si c’est parce qu’il y a nettement moins de monde dehors et qu’on les voit plus mais ça donne l’impression que les transports en commun, Ă  cette heure, deviennent leur territoire.

 

 

Le temps de me changer, de remettre la tenue de bloc avant d’aller dans le service, j’ai bien prĂšs d’une demie heure de retard. La nuit se passe bien. Mais je vĂ©rifie Ă  nouveau que lorsque l’on est fatiguĂ©, le moral descend. Mon autodiagnostic se fait au petit matin :

Je suis dĂ©primĂ©. Lorsque l’intellect reste aussi affĂ»tĂ© alors que notre moral, Ă©moussĂ©, se fait poussif, c’est que l’on est dĂ©primĂ©.

 

Je me demande ce qui me dĂ©prime. Je ne crois pas ĂȘtre dĂ©jĂ  Ă©puisĂ© physiquement. Le contexte peut-ĂȘtre. Ce n’est pas une pĂ©riode festive. Oui, je crois que c’est ça. Le contexte. La charge anxiogĂšne massive  que l’on s’est tous pris dans la figure, tous azimuts, en quelques jours.

 

Je « sais Â» aussi qu’ĂȘtre dĂ©primĂ©, avoir un moment de dĂ©prime, fait partie de ces moments oĂč l’on est en train de s’adapter, corps et Ăąme, Ă  un stress important. Ce qu’il faut, c’est ne pas se laisser border depuis l’écume de la dĂ©prime vers l’enclume de la dĂ©pression.

 

En pĂ©riode de guerre ou d’épreuve, on s’attache beaucoup aux hĂ©roĂŻnes, aux hĂ©ros, Ă  celles qui ont du charisme, des gestes magnifiques et dĂ©finitifs mĂȘme si ces gestes, surtout si ces gestes Ă©chouent ainsi qu’Ă  celles et ceux qui accomplissent des exploits. Mais tout le monde compte dans un conflit comme dans cette Ă©pidĂ©mie. N’importe quelle action peut avoir son importance. Pour ma part, j’attache toujours beaucoup d’importance au fait de rester d’humeur Ă©gale. Et aussi de faire rire. Mais rester d’humeur Ă©gale ou faire rire lorsque votre moral Ă©choue voire vous « tue Â», cela demande beaucoup d’efforts.

 

Alors, je fais au mieux avec ma collĂšgue de nuit. Nous faisons notre travail. Nos relations restent correctes. Et, le matin, je prends sur moi lorsque notre premiĂšre collĂšgue de jour arrive. Je rĂ©ussis Ă  me dĂ©coincer question humour lorsque la deuxiĂšme collĂšgue de jour arrive. Contrairement Ă  ses habitudes, elle a lĂąchĂ© ses cheveux. Elle a un peu le visage serrĂ©. Peut-ĂȘtre la contrariĂ©tĂ© au vu du contexte, de son retard. Mais je m’entends bien avec elle. Alors, je la chambre avec ses cheveux lĂąchĂ©s : «  Caliente ! Caliente ! Â». Elle sourit. Nous rions tous. Je commence Ă  me dĂ©sengager un peu de cette dĂ©prime.

 

Avant de partir du service, je prends une bonne douche. J’ai dĂ©cidĂ© d’en faire un rituel depuis le couvre-feu. Que ce soit pour des raisons tant sanitaires que morales. Prendre une bonne douche avant de partir du travail. Et, comme d’habitude, avant la douche, prendre un petit-dĂ©jeuner. Je bois du thĂ© vert japonais depuis deux ou trois ans. Et depuis quelques mois,  du thĂ© Gyokuro en particulier. Ce n’est pas pour frimer. J’aime le thĂ© vert japonais. J’ai bien-sĂ»r lu que c’était bon pour la santĂ© : antioxydants etc


 

J’utilise aussi quelques huiles essentielles. Ma collĂšgue de nuit et moi commençons Ă  avoir un rituel. Une goutte d’huile essentielle de Tea-Tree sur un poignet. On frotte ensuite sur notre autre poignet. Et on respire aussi un peu l’odeur en faisant attention Ă  nos yeux. J’utilise aussi l’huile essentielle de Niaouli, de Ravintsara. Nous restons dans une pĂ©riode de l’annĂ©e oĂč les tempĂ©ratures sont fraĂźches. Et, bien-sĂ»r, se laver les mains avec du savon rĂ©guliĂšrement. Maintenir autant que possible la distance sociale du mĂštre. Mais ce n’est pas toujours possible lorsque l’on prend la tempĂ©rature d’un patient. Qu’on lui donne son traitement. Il y a la distance sociale de prĂ©vention sanitaire. Et il y a la distance sociale relationnelle. Les deux distances peuvent se gommer mĂȘme si nous ne sommes pas Ă   la distance d’un slow lors de nos Ă©changes avec les patients .

 

Ce matin-lĂ ,  en quittant le service, je suis ensuite allĂ© interroger silencieusement le PanthĂ©on :

” Aux Grands Hommes, La Patrie Reconnaissante”. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Et j’ai Ă  nouveau pris des photos comme j’en parle dans mon article Manu Dibango. Puis, je suis allĂ© prendre des photos de Notre Dame que je n’étais pas allĂ© revoir depuis des annĂ©es. MĂȘme lors de son incendie si mĂ©diatisĂ©.

 

J’aime prendre des photos car on peut dire beaucoup de choses avec une photo sans un seul mot.

J’aime prendre des photos car je trouve que c’est un bon anxiolytique.

J’aime prendre des photos car elles nous permettent de nous constituer une mĂ©moire de moments dont on ne mesure pas toujours l’importance.

Enfin, j’aime prendre des photos car en les revoyant ensuite, on voit souvent ce que l’on ne voit pas au moment prĂ©sent.

 

Je prends mon temps pour rentrer ce matin-lĂ . Je sais qu’une fois rentrĂ©, je resterai enfermĂ©. Peut-ĂȘtre que je prends mon temps aussi afin de continuer de me dĂ©toxiquer de mes Ă©motions nĂ©fastes. Bien-sĂ»r, j’ai prĂ©venu ma compagne. Je croise quelques policiers qui font des contrĂŽles. Personne ne m’arrĂȘte. Il fait trois degrĂ©s. 

 

En rentrant chez moi, je m’empresse de me rĂ©chauffer le plus possible. Je ne veux pas attraper froid.  Cela me contrariait de devoir rester chez moi pour cause de rhume ou de grippe surtout aussi tĂŽt dĂšs les premiers jours du couvre-feu pour rĂ©pondre Ă  l’Ă©pidĂ©mie. Pour une raison que je ne peux pas m’expliquer, je tiens particuliĂšrement Ă  “assurer” mes horaires de travail dans le service.Et, je dĂ©ploie tout un arsenal de boissons chaudes et autres : citron, cannelle, miel etc….Je mange mĂȘme les feuilles du thĂ© Gyokuro aprĂšs les avoir utilisĂ©es plusieurs fois. J’ai appris il y a environ deux mois lors d’un sĂ©jour dans la rĂ©gion d’Angers par le revendeur de thĂ© que les amateurs du thĂ© Gyokuro finissaient par en manger les feuilles.  Je mange d’abord quelques bouchĂ©es de feuilles de thĂ© Gyokuro comme ça. Puis, pendant notre dĂ©jeuner, j’essaie de les accommoder avec de la sauce de soja au citron. J’ai prĂ©fĂ©rĂ© sans. 

 

J’Ă©chappe au froid. Cette nuit-lĂ , Ă  3 heures du matin, j’entends ma fille en pleurs. Ces derniers temps, j’ai laissĂ© ma compagne s’en occuper. Je l’entends avant ma compagne.

Cette fois,  je vais voir notre fille. Pourquoi tu pleures ? Elle m’explique. Assez vite, je me montre ferme. Car j’estime qu’elle est capable d’autre chose que de pleurer et d’attendre que Ma-man ou Pa-pa monte pratiquement Ă  la moindre contrariĂ©tĂ© pour rĂ©soudre le problĂšme dont elle me fait part. Un problĂšme qu’elle a dĂ©jĂ  rencontrĂ© maintes et maintes fois. Pour lequel, sa mĂšre et moi, nous l’avons entraĂźnĂ©e maintes et maintes fois. Donc, moi, son pĂšre, j’estime que notre fille, au vu de ses multiples expĂ©riences, est capable d’autre chose que de pleurer et d’attendre que la solution vienne de nous. D’autant qu’en pareille situation, elle a dĂ©jĂ  « rĂ©ussi Â» bien des fois.

Résistance et refus de ma fille. Elle déploie son attirail : bras croisés, tape du pied, pleurs, mal-soudain- au genou.

Je commence Ă  me fĂącher vraiment.  Tu peux taper du pied, croiser les bras, donc, tu as l’énergie qu’il faut pour rĂ©soudre ton problĂšme. Ma fille avance au ralenti et commence Ă  s’engager. Finalement, sa mĂšre vient nous rejoindre. Vous allez rĂ©veiller “tout le monde” dans l’immeuble ! Moi, je m’en fiche de rĂ©veiller tout l’immeuble. D’une, je ne crois pas que nous allons rĂ©veiller tout l’immeuble. D’autre part, cĂ©der devant un enfant parce-que l’on a peur de faire du bruit ou de se faire remarquer, quelle erreur ! Ensuite, notre fille peut faire bien mieux que ce qu’elle fait. Elle n’est pas dĂ©bile. Elle n’est pas handicapĂ©e. Elle n’est pas un bĂ©bĂ©. Elle n’est pas une victime. Ce n’est pas une petite malheureuse abandonnĂ©e dĂšs sa naissance dans un orphelinat mal famĂ©. Et, ce n’est pas elle qui commande nos nuits !

Maman-sauveuse engueule tout de mĂȘme notre fille. Mais, pour moi, ça fait trop de bĂ©nĂ©fices vu le nombre de fois oĂč ce genre de rĂ©veils et de sollicitations nocturnes se rĂ©pĂšte. Et, cette nuit, en plus, deux parents pour une seule enfant ! Qui plus est pour une enfant capable de faire beaucoup mieux. Je le dis avant de quitter la scĂšne. Et je prĂ©dis Ă  ma fille que La fessĂ©e va arriver un de ces jours ! Que maman soit d’accord ou pas d’accord !

 

Ce qui s’est passĂ© cette nuit est une raison supplĂ©mentaire pour passer la journĂ©e du lendemain (hier) avec ma fille. Le matin, aprĂšs les retrouvailles affectueuses, ma fille se rappelle du pain au chocolat que je lui ai achetĂ© la veille pour le petit-dĂ©jeuner. Je le lui avais appris au moment du coucher aprĂšs lui avoir massĂ© le dos ainsi que les pieds. Notre fille avait Ă©tĂ© trĂšs contente d’apprendre que je lui avais achetĂ© un pain au chocolat. Elle m’avait embrassĂ© sur la tĂȘte et m’avait dit, contente : ” Tu penses Ă  tout !”. Ce matin, aprĂšs le bonjour affectueux,  je lui reparle du “cinĂ©ma” de cette nuit. Oui, elle s’en souvient un peu. Elle me dit de quoi elle se souvient. Je complĂšte et lui passe un savon. Ma fille marque d’abord le coup. Puis, aprĂšs quelques minutes,  elle commence Ă  soupirer et me dit :

«  Je m’ennuie
. Â». Je lui dis que cette nuit, c’est moi qui soupirais. Et qu’il aurait fallu qu’elle soit aussi grande qu’elle se montre maintenant. Tu t’ennuies ? Tu vas aller passer un peu de temps dans ta chambre. Tu as faim ? On verra aprĂšs.

 

AprĂšs le petit-dĂ©jeuner (environ cinq minutes plus tard) tout se passe bien. Jusqu’à ce qu’un moment, mademoiselle fasse traĂźner les choses lorsqu’il s’agit d’aller se brosser les dents. Quelques minutes plus tĂŽt, elle Ă©tait d’accord lorsque je l’ai prĂ©venue. LĂ , lorsque je l’appelle, il faut qu’elle ait prĂ©cisĂ©ment quelque chose Ă  faire. Jouer par exemple. Installer tel jouet comme ça. Et celui-ci comme ça. Je confisque. Et je mets ça en haut de l’armoire. Direction la salle de bain oĂč le brossage de dents se dĂ©roule sans trop de façons. Puis, dans quelques minutes, ce sera les devoirs. D’accord.

 

Je suis en train de repasser et j’entends un bruit suspect. J’appelle ma fille. Non, non, je ne touche Ă  rien ! Me dit-elle. Je me dis que j’ai peut-ĂȘtre imaginĂ© des choses. Que je suis trop dans le contrĂŽle.

 

Quelques minutes plus tard, je suis en train de me brosser les dents quand j’ai une « Ă©claircie Â». Je vais voir ce que j’ai confisquĂ©. Ce n’est plus en haut de l’armoire. A la place, il reste une trace du dĂ©lit par terre devant l’armoire. Saisie par mon interpellation quelques minutes plus tĂŽt, ma fille n’aura pas pensĂ©, ensuite, Ă  venir rĂ©cupĂ©rer ce qui restait du crime. Je rappelle ma fille. Je suis ferme et calme. Je la confonds sans problĂšme. Je lui demande de remettre en haut de l’armoire exactement ce que j’y avais mis. Elle s’exĂ©cute. Elle prend un tabouret, monte et remet tout en haut de l’armoire. Voyant l’ingĂ©niositĂ© ainsi que l’audace ( audace que je ne dĂ©couvre pas tant que ça) je lui dis :

« Tu vois, lĂ , tu n’as pas eu besoin de moi pour rĂ©cupĂ©rer tes jouets dĂšs que j’ai eu le dos tournĂ©. Et je ne t’ai pas entendu pleurer ! Tu as mĂȘme pu me mentir. C’est ça que je veux, la nuit ! Tu rĂšgles ton problĂšme sans nous solliciter ta mĂšre et moi ! Â».

 

Ce matin, au rĂ©veil, ma fille m’a sautĂ© dans les bras, trĂšs contente de me faire savoir que, cette nuit, elle avait su rĂ©gler son problĂšme toute seule, sans nous rĂ©veiller sa mĂšre et moi. Elle m’a rĂ©pondu que c’était facile et m’a expliquĂ© comment elle s’y Ă©tait prise. Je l’ai fĂ©licitĂ©e.

 

Par cet exemple, j’ai compris que devant une certaine contrainte, pour peu que ma fille ait la motivation et l’envie nĂ©cessaire d’atteindre son but, qu’elle savait dĂ©ployer son intelligence et son corps de maniĂšre adĂ©quate. Sans cette motivation et cette envie, la contrainte, voire le dĂ©couragement, prennent rapidement le dessus et son rĂ©flexe est de se dĂ©courager, de refuser de faire des efforts…et d’appeler au secours alors qu’elle est parfaitement capable de s’en sortir toute seule. Sa mĂšre et moi ne sommes pas des ThĂ©nardier : notre fille le sait plus que parfaitement. Elle est habituĂ©e Ă  pouvoir compter sur notre disponibilitĂ©. Voire, sur notre culpabilitĂ©, si nous la laissons trop dans la difficultĂ©, la pauvre petite ! 

 

 

Vis-Ă -vis de l’épidĂ©mie, nous sommes pareils. Chacun a un seuil personnel de contrainte et d’effort qu’il peut supporter. Et notre motivation et notre envie varient aussi afin d’atteindre notre but. Il convient donc, bien-sĂ»r, au besoin, de savoir s’entourer de personnes qui peuvent nous aider Ă  maintenir un niveau de motivation et d’envie suffisant afin d’accepter certaines contraintes, de rĂ©aliser certains efforts, en vue de surmonter un obstacle comme celui de l’épidĂ©mie.

Cet entourage peut faire montre de fermetĂ©. Mais il doit aussi ĂȘtre bienveillant. Associer les deux attitudes est difficile, surtout sur la durĂ©e.  Et je rappelle que chez l’ĂȘtre humain, selon ce que je comprends, la norme, c’est l’extrĂȘme : Donc, souvent, l’ĂȘtre humain fait montre soit  de trop de fermetĂ©, soit de trop de bienveillance.Il y a bien-sĂ»r des lois et des rĂšgles ou des protocoles. Mais celles et ceux qui les font appliquer sont des ĂȘtres humains. Il y a donc souvent du bon. Mais aussi du mauvais selon les circonstances.  Et je ne suis pas pressĂ© que l’informatique ou des robots prennent le contrĂŽle en ce qui concerne l’application des lois : certains ĂȘtres humains se comportent dĂ©ja suffisamment comme des robots borgnes et bornĂ©s. 

 

Au vu de ce que j’écris ce matin, on peut considĂ©rer que je vais mieux qu’avant hier soir. Sauf que l’épidĂ©mie est une Ă©preuve d’endurance. Il s’agit donc de savoir se mĂ©nager.  De rester prudent. De s’aĂ©rer la tĂȘte dĂšs qu’on le peut par des moyens autorisĂ©s qui sont compatibles avec les recommandations sanitaires. Faute de ne pas rĂ©ussir Ă  s’aĂ©rer, certaines personnes Ă©chapperont nĂ©anmoins au coronavirus covid-19, mais elles risquent d’ĂȘtre particuliĂšrement Ă©puisĂ©es moralement et physiquement aprĂšs l’épidĂ©mie. Un autre effet secondaire Ă  l’Ă©pidĂ©mie est le risque d’accoutumance Ă  cette pĂ©riode que nous vivons. Cela peut paraĂźtre paradoxal mais nous vivons quand mĂȘme une pĂ©riode qui nous engage d’une maniĂšre particuliĂšre et, mĂȘme si cela peut nous demander certains efforts, voire de grands efforts, certaines personnes peuvent trouver dans cette Ă©preuve un sentiment d’existence dĂ©cuplĂ© car il s’agit de donner le meilleur de soi.

 

Cette pĂ©riode de contrainte peut aussi ĂȘtre une pĂ©riode de grande crĂ©ativitĂ©. Je le perçois Ă  travers mes articles mĂȘme si je les trouve “trop” stimulĂ©s par l’omniprĂ©sence de l’Ă©pidĂ©mie dans nos pensĂ©es.

Notre vie habituelle peut nous empĂȘcher de donner le meilleur de nous-mĂȘmes car nous nous sommes parfois laissĂ©s enfermer dans un sillon dont on a du mal Ă  sortir. Alors, que, lĂ , au cours de cette Ă©pidĂ©mie, nous n’avons pas le choix et nous avons une cause Ă  dĂ©fendre qui est celle, en principe, du plus grand nombre : survivre. Jaillir hors du sillon tout tracĂ©. Ou que l’on soit.

MĂȘme s’il semble que l’Ă©pidĂ©mie du coronavirus covid-19 touche certaines rĂ©gions du monde mais pas toutes. Une aide-soignante intĂ©rimaire d’origine thaĂŻlandaise particuliĂšrement volubile m’a rĂ©cemment assurĂ© qu’il y avait peu de personnes touchĂ©es par le coronavirus covid-19 en ThaĂŻlande. Elle m’a mĂȘme donnĂ© le nom d’un traitement qui, Ă  l’entendre, serait trĂšs bon Ă  prendre de maniĂšre prĂ©ventive. Je n’ai pas su quoi faire de cette information. D’un cĂŽtĂ©, sa sollicitude m’a fait plaisir. D’un autre cĂŽtĂ©, je me suis dit qu’avec la peur de la mort, il devait sĂ»rement y avoir plein de personnes prĂȘtes Ă  tout prendre comme traitement si on leur garantissait que celui-ci pouvait les sauver. 

 

Il y a deux nuits, j’avais massĂ© ma fille et ma compagne. Le dos de ma fille, un peu son thorax, ainsi que ses pieds. Et le dos de ma compagne.  Une goutte d’huile essentielle de Niaouli et de Ravintsara dans de l’huile vĂ©gĂ©tale pour notre fille. Une goutte d’huile essentielle de girofle et de Niaouli ( dans de l’huile vĂ©gĂ©tale) pour ma compagne qui m’a ensuite rendu la politesse.

 

Je pense que se faire masser habillĂ©  (donc sans huile essentielle et sans huile vĂ©gĂ©tale) peut aussi ĂȘtre un bon moyen de s’aĂ©rer et de rĂ©cupĂ©rer physiquement et moralement. Ça fait du bien Ă  la personne massĂ©e, si elle est Ă  l’aise avec le fait d’ĂȘtre massĂ©e. Et ça peut aussi faire du bien Ă  la personne qui masse. Pour les personnes confinĂ©es, ça peut ĂȘtre un plus. En l’absence d’huile essentielle ou d’une huile vĂ©gĂ©tale dite de « massage Â», on peut utiliser un peu d’huile d’olive si possible bio. Le massage peut se faire en musique ou sans musique mais autant que possible dans une atmosphĂšre dĂ©tendue. Je parle Ă©videmment de massage bien-ĂȘtre. 

 

 

Franck Unimon, mercredi 25 mars 2020.

 

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