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Erykah Badu

 

           Erykah Badu

 

 

Ses albums sont placĂ©s derriĂšre les barreaux depuis plusieurs annĂ©es maintenant. Parfois vingt.  Pourtant, ils continuent de nous libĂ©rer. Pourtant leurs canons ont fait et continuent de faire la jeunesse d’artistes que l’on Ă©coute aujourd’hui.

 

Quand on est jeune.

 

Si le corps essuie et colmate avec des rythmes les gestes qui, dans la vie courante, nous manquent ainsi que les bruits que l’on cache et qui nous braquent, notre esprit, lui, dĂ©truit ou non, est la gomme qui efface les distances entre les Ɠuvres et nous.

 

Plus jeune, j’avais entendu parler d’Erykah Badu. Je l’avais Ă©coutĂ©e. SĂ»rement en regardant et en Ă©coutant d’autres plus jeunes qui Ă©coutaient les Fugees, Macy Gray, Kelis, Alicia Keys et sont probablement, aujourd’hui, passĂ©s Ă  autre chose.

 

Autre chose.

 

Moi, le vieux, depuis peu, je rĂ©Ă©coute ses albums. J’en ai empruntĂ© Ă  la mĂ©diathĂšque prĂšs de chez moi. J’en ai un achetĂ© un, neuf, vendredi, Ă  une femme d’une trentaine d’annĂ©es, enceinte de plus de six mois, Ă  Mairie de Montreuil, prĂšs d’un marchand de fleurs. Le lieu du rendez-vous avait Ă©tĂ© choisi par la vendeuse. Deux ou trois jours  plus tĂŽt, j’avais commis un impair. Trop attachĂ© Ă  ce que j’écrivais, j’avais pris trop de retard. Mais, cette fois, j’avais plus d’une demi-heure d’avance. Je lui ai de nouveau prĂ©sentĂ© mes excuses. Je lui ai donnĂ© un peu plus que ce qui Ă©tait prĂ©vu pour le disque. J’ignorais qu’elle Ă©tait enceinte.

 

Aujourd’hui, j’entends autrement les titres d’Erykha Badu. Je croyais pourtant qu’avec les ans, on devenait sourd. Peut-ĂȘtre pas. Je repense Ă  mon pĂšre, tiens. Le premier amateur de musique que j’ai connu. Pourquoi, vers ses quarante ans, a-t’il arrĂȘtĂ© d’acheter des disques comme d’écouter de la musique Ă  la maison ? Lui, qui Ă©tait allĂ© jusqu’à acheter des magazines de musique spĂ©cialisĂ©s tels Rock & Folk et Best. Des magazines dans lesquels des critiques, qui se dĂ©vouent Ă  la musique, passent leur vie Ă  en Ă©couter, Ă  aller Ă  des concerts, Ă  rencontrer des artistes. Puis, Ă  en parler et Ă  donner envie de les Ă©couter et d’en discuter avec d’autres.

 

La musique, ça a Ă  voir avec la vie mais aussi avec notre enfance et notre jeunesse. Alors, mon pĂšre a-t’il arrĂȘtĂ© de vivre vers ses quarante ans comme beaucoup d’autres ? Ou a-t’il considĂ©rĂ© que tout cela Ă©tait anecdotique et coĂ»tait trop d’argent pour si peu d’épanouissement ?

 

On arrĂȘte tous de faire quelque chose Ă  un moment ou Ă  un autre, de notre vie. Mentir. Vomir. Sucer son pouce. Faire du sport. Sortir. Rire de tout.

 

Certaines personnes nous expliqueront que cela correspondait Ă  une Ă©tape de leur vie. Et que tout cela appartient dĂ©sormais au passĂ©. Mais est-on toujours obligĂ© de le croire ?

 

A quarante ans, nĂ©anmoins, j’ai arrĂȘtĂ© d’aller danser. De danser. Je me sens un peu fautif. Surtout envers ma fille. Enfant et ado, j’ai des souvenirs de soirĂ©es antillaises (mariages, baptĂȘmes, communions) oĂč beaucoup de gens dansaient, discutaient et mangeaient pendant des heures dans des grandes salles. Et, parfois, deux ou trois se bagarraient. Je me suis racontĂ© des histoires, certains soirs, Ă  regarder tout ce monde. Mais j’ignorais que ce que je voyais et entendais Ă©tait exceptionnel. Ce que nous voyons et entendons peut ĂȘtre exceptionnel. C’est nous, qui l’oublions.

A ces soirĂ©es, je n’ai pas pris de notes. Je n’en prenais pas. Je n’ai rien filmĂ©. Je n’avais pas de camĂ©ra. Je n’ai pas pris de photos. Et les quelques photos qui ont Ă©tĂ© prises l’ont Ă©tĂ© par d’autres regards et d’autres intentions. Mais j’ai appris Ă  gesticuler. Ou à
danser.

 

 

J’ai Ă©tĂ© un peu triste, lorsqu’un jour,  un petit a demandĂ© Ă  sa mĂšre si, Ă  leur mariage, elle et son pĂšre, avaient dansĂ©. Elle a rĂ©pondu un peu gĂȘnĂ©e, intimidĂ©e par cette question posĂ©e en public, comme si le sujet Ă©tait osĂ© :

« Non, on n’a pas dansĂ© Â». Elle avait une trentaine d’annĂ©es et Ă©tait plutĂŽt d’un abord avenant. C’était au conservatoire d’Argenteuil, au Val d’Argenteuil. J’avais emmenĂ© ma fille Ă  son cours de danse. A son cours d’initiation Ă  la danse et au chant. On emmĂšne au conservatoire nos enfants pour qu’ils apprennent ce qui a pu et peut s’apprendre dans les soirĂ©es voire entre copains et copines. Ou chez la tante, le grand-pĂšre ou avec la cousine ou le cousin.

 

Je ne sais pas quoi penser de ma « dĂ©fection Â» Ă  propos de la danse. Si ce n’est que, certaines fois, je me dis que j’en ai assez de rĂ©pĂ©ter les mĂȘmes gestes. Pourtant, je n’aime pas penser que, pour moi, la danse, c’était l’armĂ©e. On danse aussi pour arrĂȘter d’ĂȘtre des bĂȘtes traquĂ©es.

 

J’ai peut-ĂȘtre eu moins besoin de m’échapper. Et, aussi, celles et ceux que je frĂ©quente dĂ©sormais sont plus installĂ©s dans leur vie et davantage portĂ©s sur la parole. Ou, souvent aussi, quand mĂȘme, nous parlons des mĂȘmes
. sujets.

 

J’imagine qu’Erykah Badu, mĂȘme si son dernier album a quelques annĂ©es, a continuĂ© de danser et de chanter. Si une Me’Shell NdĂ©geocello ou une Björk ont pu se mettre en danse sur scĂšne, cela se passait autrement pour Miles Davis. Par contre, j’ai appris qu’Erykah Badu avait dirigĂ© la rĂ©Ă©dition d’albums de Fela. Mon pĂšre avait un de ses albums Ă  la maison. Mais il ne le mettait pas souvent. Et il n’achetait plus de disques lorsque Kassav’ a Ă©mergĂ©. Et encore moins lorsque d’autres artistes de zouk sont ensuite arrivĂ©s tel Jean-Michel Rotin qui fait partie des anciens, maintenant.

 

Comme Erykah Badu.

 

Rimshot, en concert, a Ă©tĂ© le titre qui a reposĂ© Erykah Badu sur mon atlas musical. Et, tout cela, suite Ă  un stage d’apnĂ©e Ă  Quiberon, en Bretagne, avec mon club le mois dernier. Parce-que j’ai fait des photos. Et qu’ensuite j’ai fait deux  diaporamas, un long et un court, et qu’à chaque fois cette chanson d’Erykah Badu a Ă©tĂ© celle que j’ai mise au premier plan.

 

De l’apnĂ©e en Bretagne, et, aussi, de la chasse sous-marine, Ă  Erykah Badu. Nos directions et notre façon d’écouter la vie restent assez imprĂ©visibles. Notre façon d’écouter, surtout. Car, souvent, le reste suit. A plus ou moins long terme.

 

Franck Unimon, ce dimanche 6 juin 2021.  

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