Synonymes un film de Nadav Lapid ( Au cinéma le 27 mars 2019).
« On mâa tout pris ! ».
Yoav a pourtant tout pour lui : Jeune, beau, ancien soldat Ă©mĂ©rite, cultivĂ©, polyglotte, aimĂ© de ses parents et de sa petite amie, il est un des fleurons de lâutopie socialiste israĂ©lienne. Mais il se montre inapte Ă Ă©galer le modĂšle de Jason Bourne.
« On mâa tout pris ! ». Yoav, un des hĂ©ritiers de lâavenir dâIsraĂ«l, a dĂ©cidĂ© de quitter son pays, IsraĂ«l. « Que vas-tu faire ici ? » lui demande un de ses amis. « Je vais ĂȘtre Français » rĂ©pond tâil dans un Français littĂ©raire, bourgeois et datĂ©.
A lui seul, Yoav rĂ©siste Ă lâexpĂ©rience et Ă lâhĂ©ritage de celles et ceux qui « savent », telle Ruth Elias, rescapĂ©e de la Shoah, et qui, Ă la fin de son tĂ©moignage dans le documentaire Les Quatre SĆurs de Claude Lanzmann ( sorti en 2017) affirme :
« Je me sens en sécurité en Israël » ; « Je me battrai pour Israël et mes fils aussi ».
A lui seul, Yoav rĂ©fracte lâĂ©clat de ce miracle Ă©conomique et technologique israĂ©lien qui peut faire la couverture dâun hebdomadaire tel Challenges ( numĂ©ro 600 du 7 au 13 mars 2019).
Yoav, la trentaine Ă peine, veut couper les ponts avec son passĂ© et son pays car ils se sont emparĂ©s de son dĂ©sir. Et câest en redevenant animal, un animal en fuite, quâil espĂšre redevenir quelquâun.
En l’an 2000, dans le portrait quâelle fait du travail de Frantz Fanon sur les effets de la colonisation française sur les peuples opprimĂ©s, lâauteure Alice Cherki cite Lacan Ă la suite de Fanon :
« Leur inconscient nâĂ©tait pas celui de leurs souvenirs dâenfance, cela se juxtaposait seulement, leur enfance Ă©tait rĂ©troactivement vĂ©cue dans nos catĂ©gories familiales (françaises). CâĂ©tait lâinconscient quâon leur avait vendu en mĂȘme temps que les lois de la colonisation ».
Entre exil et voyage pathologique, Yoav essaie de fuir les effets de la colonisation de son propre pays, IsraĂ«l, sur son inconscient. Et pour cela, il va se donner du mal car, enfin, « ĂȘtre français » est son dĂ©sir.
La prĂ©sentation du film est alambiquĂ©e ? Difficile Ă suivre ? Allez voir le film, vous comprendrez. JâĂ©tais arrivĂ© avec quelques minutes de retard Ă la projection du film la premiĂšre fois. LâattachĂ©e de presse mâavait expliquĂ© un peu dĂ©solĂ©e : « Le film a commencĂ© depuis un moment. Je ne peux pas vous laisser entrer. Vous nâallez pas comprendre⊠». Je m’Ă©tais mis Ă rire devant elle, soudainement un peu embarrassĂ©e.
LâattachĂ©e de presse avait raison. Je lâai compris en arrivant, en avance cette fois-ci, lors dâune seconde projection de presse : Yoav ne comprend pas ce qui lui arrive. Le spectateur peut aussi avoir du mal Ă comprendre ce film ainsi que ces deux autres personnages, Emile et Caroline (les acteurs Quentin Dolmaire et Louise Chevillotte trĂšs bien dans leur genre), dont le jeu affectĂ©- au mĂȘme titre que celui de Yoav – interprĂ©tĂ© par Tom Mercier- en prime abord dĂ©range, puis Ă©tonne, puis captive. Car ces trois-lĂ , Yoav, Emile et Caroline se protĂšgent de la vie dans un cocon quâils se font sur mesure. Au mĂȘme titre que dâautres – juifs israĂ©liens et dâailleurs- que Yoav rencontre en plein Paris et qui sâaccommodent chacun Ă leur façon de la nĂ©vrose qui les occupe. Cela donne lieu Ă quelques scĂšnes que lâon qualifiera de dĂ©lirantes, comiques, tristes ou surrĂ©alistes selon la sensibilitĂ© qui nous instruit ou nous occulte. Mais, pour cela, il faudra tenir Ă ce film- comme Ă Yoav et aux autres protagonistes- jusquâau bout.
Synonymes, inspirĂ© de la « vie du rĂ©alisateur Ă Paris au dĂ©but des annĂ©es 2000 » est un film sans ambiguĂŻtĂ© : La France, malgrĂ© ses problĂšmes, reste selon Nadav Lapid un pays oĂč la vie est une chance pour celle ou celui qui parvient Ă sây intĂ©grer.
Franck Unimon, ce mardi 26 mars 2019.