Catégories
Cinéma Corona Circus

Bac Nord-un film de Cédric Jimenez

Bac Nord un film de Cédric Jimenez

 

 

Dans les bacs

 

Bac Nord, sorti cet été, marche plutôt bien. Ce film français où l’histoire se passe à Marseille, plutôt de nos jours, serait fasciste et raciste.

 

A Paris, où je suis allé le voir puisque je vis, suis né en région parisienne et y ai toujours vécu, je l’ai peut-être très très mal regardé. Car je vais essayer de démontrer le contraire.

 

Je vais essayer dans cet article de démontrer que Bac Nord, pour moi, ce mercredi 29 septembre 2021, est ni fasciste, ni raciste.

 

Je suis allé voir Bac Nord seulement vers la mi-septembre. Je ne pouvais pas aller le voir auparavant. Je n’avais pas de pass sanitaire. Et je n’étais pas pressé de me faire de nouveau pousser dans le nez une tige de dépistage en vue d’effectuer un test antigénique dont le résultat, se devait dans mon cas bien-sûr d’être négatif – puisqu’à ce jour je n’ai pas attrapé le Covid depuis le début officiel de la pandémie mi-mars 2020 en France- depuis moins de 72 heures. Finalement, avant ma première injection de Moderna contre le Covid, on m’a imposé un test antigénique préalable. Le test étant négatif, j’en ai profité pour aller au cinéma voir quelques films ( dont Dune-un film de Denis Villeneuve). A partir de ce 15 octobre 2021, les tests antigéniques deviendront payants. Mais à cette date, je devrais être vacciné contre le Covid comme cela nous a été….”demandé” ( imposé pour les soignants). Je fais cet aparté afin de marquer un peu l’époque où Bac Nord et d’autres longs métrages se sont faits connaître.

Les acteurs Karim Leklou et François Civil.

 

Dès sa sortie, Bac Nord faisait partie des films que j’avais envie d’aller voir. Pour le sujet de la Bac. Pour les acteurs, Karim Leklou et François Civil en tête. Des acteurs que j’ai vus et aimés voir dans plusieurs films, court métrage ou série (Marseille la nuit Le Monde est à toi ; Le Chant du Loup ; Dix Pour cent ; Made in France  ; Voir du pays).

 

L’acteur Gilles Lellouche.

 

Concernant l’acteur et réalisateur Gilles Lellouche, le plus expérimenté de ce trio d’acteurs comme dans le film Bac Nord du reste, mon avis est plus partagé. Je lui reconnais des intentions de jeu et beaucoup de travail pour ses rôles. Je lui reconnais une franchise et une sincérité (je double la mise) ainsi qu’un véritable capital sympathie lorsqu’il s’exprime lors des interviews.  Mais, en tant qu’acteur, je le trouve assez souvent voisin de la caricature.

 

Néanmoins, j’avais bien aimé son film en tant que réalisateur : Le Grand bain. Même si. Même si. J’en avais déjà assez qu’on surligne la présence de Philippe Katerine, un acteur et chanteur dont j’aime le jeu et la folie. Mais que l’on présente un peu trop désormais comme le tube de l’été. Un tube qui dure depuis quelques années maintenant. La sensibilité de Philippe Katerine. La personnalité borderline de Philippe Katerine. Je goûte bien sûr ces atouts de Katerine. C’est leur encensement répété qui m’ennuie. 

 

 

Bac Nord/ Les Misérables : Visions d’opposition ou visions complémentaires ?

 

Parlons maintenant un petit peu plus de Bac Nord après avoir jalousé le succès de Philippe Katerine.

La première question que je me suis posé lorsque j’ai commencé à voir des affiches du film a été :

Bac Nord est-il l’équivalent ou le complément du film Les misérables 2ème partie , prix de la mise en scène à Cannes en 2018 (ou 2019 ?) 

 

Avant d’aller trouver Bac Nord  dans une salle de cinéma,  au vu des tout petits échos qui me sont parvenus, j’ai eu l’impression que ces deux films s’adressaient à deux publics différents. Alors que l’on aurait pu penser que beaucoup les rapproche. Dans les deux films, les « héros » sont des policiers de la Bac. Et, ils forgent un trio. On pourrait se dire que les policiers de la Bac marchent toujours par trois. Depuis le début du procès des attentats du 13 novembre 2015, j’ai appris en lisant quelques articles que le commissaire de la Bac à être le premier à intervenir au Bataclan, de sa propre initiative, avait agi uniquement avec son « chauffeur ». Un chauffeur policier et armé également. Donc, ils étaient deux. Mais cette histoire de nombre de policiers au sein des unités de la Bac n’est pas prioritaire pour parler de Bac Nord. Sauf pour dire autrement que l’univers de la police fait partie des univers qui suscitent mon attention.

 

 

A ce jour, je n’ai pas rencontré ou pu discuter avec quelqu’un qui a vu les deux films : Les Misérables de Ladj Ly et Bac Nord de Cédric Jimenez. Qu’est-ce qui les oppose dans les grandes lignes ?

 

Pour moi, Les Misérables est un film bien plus renseigné socialement et plus subtil que Bac Nord. Et mieux filmé. C’est facile à dire après le prix de la mise en scène qu’a obtenu Les Misérables au festival de Cannes de 2019.

 

Dans Bac Nord, si l’on voit bien que les trois policiers donnent tout à leur métier – comme dans Les Misérables–  et qu’ils « l’aiment » et croient à leur utilité, on est aussi davantage avec des cow-boys. Dans ce que cela peut aussi avoir de plus grossier ; on est presque dans Starsky et Hutch. A la différence que, dans Bac Nord, le personnage de Huggy les bons tuyaux est interprété par une séduisante jeune beurette ou arabe qui aime beaucoup fumer son petit shit. Et qu’il y a dans le film le croquis d’une attirance du flic de la Bac (joué par François Civil qui s’y connaît aussi très bien en séduction : le revoir dans Dix pour cent ou dans Le Chant du Loup pour bien le comprendre) pour elle.

Une attirance faite de croissance érotique mais aussi de volonté de protection pour sa jeune indic. On n’avait pas cette attirance sexuelle entre David Starsky et Michael Hutch pour Huggy…

Hormis cela, dans Bac Nord, la jeune indic semble avoir très peu de perspectives comparativement à tous les risques qu’elle prend. Et, son shit, qu’elle obtient contre les informations qu’elle donne, en risquant sa vie mais aussi sa réputation, on a l’impression qu’elle passe son temps à le fumer en solo. Donc, c’est un peu difficile de comprendre comme elle peut être aussi souriante, séduisante et maline aussi pour, finalement, apparaître aussi seule et sans autre projet d’avenir que de rester dans les parages de celles et ceux qu’elle trahit. A fumer son shit. Mais, après tout, je n’y connais rien à la psychologie ou la temporalité des indics. Et très certainement qu’il existe toutes sortes de profils parmi les indics. Peut-être presqu’ autant de profils qu’il n’existe d’indics. Y compris les plus déroutants.

 

 

Stigmatiser Marseille ?

 

Pour moi, il n’y a pas de stigmatisation particulière à situer l’histoire à Marseille dans Bac Nord. D’abord, parce-que, même si cela m’a pris du temps, j’aime Marseille pour le peu que j’en connais. ( Marseille-Toulon-La Ciotat, octobre 2019 ) Ensuite, parce-que, par certains aspects il est des endroits populaires de Marseille qui me rappellent soit la ville où j’habite depuis quelques années, Argenteuil, soit Barbès ou même Nanterre où je suis né et ai grandi. Ensuite, ce qui peut se raconter de certains quartiers de Marseille peut tout aussi bien se transposer ailleurs. Si un titre comme Je danse le Mia du groupe I AM m’avait autant parlé, alors que le groupe de Rap I AM est de Marseille, c’est parce-que j’avais connu et voyais très bien de quoi cette chanson parlait alors que je vivais en région parisienne. Et le succès de ce titre était bien-sûr venu du fait que d’autres gens, dans d’autres cités et dans d’autres banlieues de France s’étaient reconnus dans ce que cette chanson racontait. Pour moi, cela peut être pareil avec le film Bac NordCela peut apparaître très rétrograde de citer un titre aussi ancien du groupe I AM mais le personnage de policier joué par Gilles Lellouche a certainement connu ce titre. 

 

Donc, pour moi, Bac Nord n’est pas un film de plus qui caricature la ville de Marseille. Ce n’est pas non plus un film qui porterait une opposition Nord/Sud. Le sud étant la ville de Marseille. Et, le nord étant Paris ou des villes au delà de Paris supposées être plus présentables et plus prestigieuses. Pour moi, Bac Nord ne regarde pas Marseille de haut. Mais je ne suis pas marseillais. Peut-être le prendrais-je autrement si j’étais marseillais.

Par contre, pour reparler de “l’opposition” Paris/Marseille ( une opposition que, pour ma part, je ne revendique pas), lorsqu’à la fin du film, les policiers réalisent un gros coup et qu’ils fêtent leur victoire, j’ai eu l’impression de voir, plutôt que des policiers, des joueurs de football qui étaient contents d’avoir gagné un match contre une grosse équipe. Que cette équipe soit le PSG ou une autre.

 

Garde-fou « ethnique »

 

Arrivons-en à ce qui serait raciste et fasciste dans le film. Ou dans ce qui a pu être considéré comme raciste et fasciste dans le film.

Dans Les Misérables, le trio de policiers compte un noir, le personnage de Gwada. Celui par lequel la bavure au flash-ball arrive suite à trop de montée de pression. Alors que Gwada, auparavant, on l’a vu, c’est plutôt un homme sympathique au sein du trio. Ce n’est pas le plus énervé. C’est plutôt un modérateur. Dans Les Misérables, que ce soit donc voulu par le réalisateur Ladj Ly, ou non, il existe un « garde-fou » ethnique au sein du trio de la Bac.

Il existe même une animosité « intéressante » entre le personnage de Gwada et celui du maire joué par Steve Tientcheu rencontré le mois dernier. ( Le cinema-A ciel ouvert avec Steve Tientcheu et Tarik Laghdiri). 

 

A droite, l’actrice Adèle Exarchopoulos, policière également dans le film, qui joue la compagne de Karim Leklou. A gauche, François Civil et Karim Leklou ( debout). Au centre, l’acteur Gilles Lellouche.

 

Dans Bac Nord, pas d’homme ou de femme noire au sein du trio des policiers de la Bac ? Et alors ? Bien-sûr, j’aurais accepté une touche de diversité supplémentaire au sein de ce trio. J’aurais bien aimé voir ce que cela aurait pu donner comme adversité si le trio de policiers de Bac Nord avait été constitué de trois noirs ? D’un asiatique, d’une femme arabe, d’un noir ? De deux arabes et un noir ? Etc…

 

Mais, pour moi, cette absence de diversité ou d’originalité éthnique ne fait pas de Bac Nord un film raciste et fasciste. Même si, le trio des policiers de Bac Nord étant majoritairement blanc, exception faite de Karim Leklou mais dont la couleur de peau a néanmoins la particularité d’être plus claire que foncée. Mon propos, ici, est-il raciste ? On pourra le penser. On le pensera. Ce sera peut-être en partie vrai. Pourtant, ici, ma véritable intention est surtout de redire que, très souvent, trop souvent, le cinéma français préfère faire l’impasse sur la «  couleur ». Et, ce faisant, certaines nuances, dans les situations passent à la trappe. Ainsi qu’un certain réalisme. On a donc compris que, si pour moi, Bac Nord n’est pas un film raciste et fasciste, je préfère évidemment la distribution des rôles dans Les misérables.

 

Dans Bac Nord, l’opposition entre « caïds » des cités et la police ressemble donc, par défaut ou par maladresse, à une énième opposition entre les basanés d’un côté. Et les blancs de l’autre. Malgré la présence de Karim Leklou, ici minoritaire parmi les policiers, pour représenter la diversité.

Mais j’accepte ce parti pris ou cette « négligence ». Et puis, l’alternance à ce parti pris ou à cette “négligence”, peut aussi être de passer soi-même à l’écriture de scénario, à la réalisation ou au jeu d’acteur dans le but de montrer autre chose. 

 

La France, ce n’est pas du tout ça : c’est impossible.

 

Reste, sans doute, cette description de certaines cités, d’une, en particulier, ou de plusieurs dans le film ( j’ai oublié ) où les policiers ne peuvent plus entrer désormais. Ce qui fait enrager le « chef » de l’équipée de la Bac joué par Gilles Lellouche qui compte vingt ans d’expérience de terrain. Et qui est donc la mémoire vivante de ce terrain perdu par la police au profit de la délinquance.  Sous un angle écologique, on pourrait comparer cette perte de terrain par la police ou la République, à des lacs qui se sont non seulement asséchés mais aussi lourdement pollués au fil des années. Cette vision là est-elle raciste et fasciste ? La perte du terrain ou du territoire dans certaines cités par la police. Comme la métaphore des lacs asséchés et lourdement pollués avec le temps.

 

Pour certaines personnes, il est évident que  cette vision et cette métaphore est raciste et fasciste. Car, pour ces personnes, la France, ce n’est pas du tout ça. C’est impossible. Donc, montrer ça dans Bac Nord où, d’un côté, il y aurait les policiers droits qui se mouillent. Et de l’autre, des délinquants qui les toisent d’autant plus qu’ils se sentent intouchables et chez eux dans leur cité, ce serait fasciste et raciste. Surtout à voir que les délinquants en question sont « bien-sûr » noirs et arabes. Aucun blond ou rouquin aux yeux bleus ou verts parmi eux.

 

Bac Nord n’est pas un atoll de finesse

 

Pourquoi, alors, je l’accepte aussi « bien » ou aussi facilement d’un film comme Bac Nord ? Peut-être parce-que je ne sens pas d’intention raciste dans le film du réalisateur. J’ai peut-être tort. Le film Bac Nord n’est pas un atoll de finesse, c’est vrai. Toutefois, lorsque je le regarde, je ne généralise pas ce que montre Bac Nord. Pour moi, que ce soit à Marseille ou ailleurs, toutes les cités et toutes les banlieues ne ressemblent pas à ce que montre le film. Pour moi, tout Marseille ne se trouve pas dans Bac Nord.

 

 Mais on peut néanmoins montrer des noirs et des arabes qui sont du « mauvais » côté. Même s’il est vrai qu’il existe aussi des blancs et des asiatiques qui sont du « mauvais » côté et que l’on ne montre pas dans le film. Ou autrement. Plutôt dans le versant politique. Par le coup de « pute » que vont connaître « nos » cow-boys de la Bac plus tard.

 

Ensuite, si on arrive à plus ou moins passer le cap de l’éventuel délit de faciès des « mauvais » dans Bac Nord, il nous reste à faire face à certains de ces endroits où la police n’entre pas, n’entre plus, ou, de moins en moins. Et, là, j’ai l’impression que pour pouvoir admettre un peu ce point là, plutôt que d’imagination et d’intellectualisation, il est peut-être nécessaire de faire appel, un peu, à la « pratique » de certains souvenirs ou de certaines expériences directes ou indirectes.

 

 

La pratique de certains souvenirs

 

Je n’ai pas de pratique ou d’expérience dans le grand banditisme ou dans le trafic de stupéfiants ou autres. Mon casier judiciaire est vierge. Je n’ai ni le vice, ni l’instinct, ni l’intelligence, ni la nécessité ou la furie de celles et ceux qui peuvent participer à des braquages, à des trafics ou à certaines actions meurtrières et barbares. Il y a quelques années, une de mes collègues, une jeune femme séduisante, séductrice, familière avec les codes de certains quartiers du Val Fourré à Mantes la Jolie m’avait appris qu’avec mon « Français soutenu », dans certaines situations, j’aurais des problèmes. Je l’avais crue sur parole, moi, pourtant né en banlieue parisienne et qui avais grandi dans une cité HLM. Ensuite, elle m’avait raconté comment il lui était arrivé de tenir tête à certains hommes qui lui avaient mal parlé. Et de s’en sortir. Là, aussi, je l’avais crue sur parole. Je n’ai aucun doute quant au fait qu’une femme puisse ou sache, dans certaines circonstances, si elle connaît certains codes de langage et de comportement, mieux s’en sortir en cas d’embrouille qu’un homme poli et propre sur lui, combien même, voire, surtout s’il a une stature physique qui, a priori, devrait lui éviter les ennuis. Et ce Savoir-là n’est pas exposé dans les écoles ou dans les vitrines des magasins. Ni dans les musées. Pas même dans les médiathèques ou les salles de cinéma. Encore moins en suivant des cours par correspondance. C’est une histoire de pratique, de modèle mais aussi d’instinct, d’instant. Une seconde après, c’est trop tard. Une seconde avant, c’est trop tôt. Pour répondre. Ou pour donner le regard qu’il faut avec l’intonation convaincante ou déstabilisante qui va faire que l’on échappe au couteau, au coup de boule, au passage à niveau ou que l’on va être accepté ou toléré.

 

 

Ceci étant dit,  je me rappelle du « petit » Enzo, dans mon collège Evariste Galois, à Nanterre. Lorsque, devant tout le monde, dans la cour, des policiers étaient venus le chercher. Il s’était laissé faire en se tenant droit comme un « bonhomme » que cela n’effraie pas. Enzo devait avoir 15 ans voire moins. Je le « connaissais » de vue depuis quelques années. Il m’était arrivé de discuter avec lui. Je n’avais jamais eu de problème avec lui. Nos quelques échanges avaient été « sympas ». Il faisait partie, avec d’autres, que je connaissais également, de la cité de la rue Greuse. Une cité pas très éloignée de la mienne qui avait une assez mauvaise réputation. Qu’avait-il fait pour être cueilli au collège ? Aucune idée. C’est la dernière fois que je me souviens l’avoir vu. J’avais quel âge ? 14 ans ou moins.

 

Je me rappelle il y a plus de vingt ans avoir appris un jour qu’un de mes anciens collègues de travail avait un Beretta. Par qui l’avais-je appris ? Par sa copine d’alors, également une de mes collègues. C’était à Pontoise.

 

 

Je me souviens de ce copain, natif d’Argenteuil, souvent sur le qui-vive au point qu’il me fait penser à Joe Dalton, qui m’a dit un jour que se sachant très en colère contre je ne sais qui, il avait préféré, avant de faire une bêtise, scier et démolir les armes à feu qu’il possédait. Etonné, je lui avais alors demandé comment il avait fait pour obtenir ces armes ? Ce copain m’avait alors regardé comme si j’étais une andouille ou que je débarquais d’une autre planète. Et ce regard signifiait sans ambiguïté mais aussi sans explications qu’il n’y avait rien de plus  facile que de se procurer des armes à feu. C’était il y a environ cinq ans.

 

Je me rappelle du père, policier, d’une des camarades de classe de ma fille, à la maternelle. Cet homme aime son travail. Et, ayant également grandi à Nanterre comme moi, mais dans une autre cité, il m’avait affirmé que cela s’était « dégradé ». Cet homme discutait de temps à autre avec un autre papa, également policier devant l’école en attendant la sortie de son enfant. Ce policier, devant moi, avait un jour raconté, en souriant, ce rituel qui consistait,  lorsqu’il entrait dans une cité avec ses collègues, à longer le mur des immeubles. Afin de ne pas se recevoir un réfrigérateur. C’était, aussi, il y a environ cinq ans. Je ne sais pas de quelle cité il parlait ni dans quelle ville. Je n’avais pas pensé à demander. A ce jour, en entrant dans une cité, je n’ai pas longé le mur des immeubles pour éviter de me prendre un réfrigérateur ou autre objet sur la tête. Mais, avant cette anecdote, j’avais ouï dire que cela pouvait arriver. Mais pas là où j’habitais.

 

Je n’ai pas oublié non plus que le très bon kiné que nous avons un temps consulté pour notre fille nous a appris un jour que les va et vient de sa clientèle, de toutes origines tant sociales que culturelles et religieuses, dérangeait le trafic de certaines jeunes du coin. Et, ils le lui avaient fait savoir.

 

Je n’ai pas oublié non plus que la mère d’une des bonnes copines de ma fille m’a dit un jour que sur le trajet de l’école, pas très loin, se trouvait un point de rencontre officieux pour trafic de stupéfiants. Dès lors, certains jeunes que j’aperçois régulièrement, en groupe, s’ils ne sont pas menaçants pour les enfants et les parents dont je fais partie,  et ne font que discuter entre eux, m’apparaissent aussi, comme étant là soit pour protéger un territoire. Soit pour « guetter ». Bien-sûr, nous ne sommes pas dans Bac Nord où, là, le sujet est poussé à son extrême. Mais je crois qu’il peut être concevable que dans certains endroits, désertés par les institutions publiques, ou soit pace-que certains modèles de vie aient été choisis ou privilégiés, par mimétisme ou par conviction, qu’il se soit développé des situations équivalentes à celles que l’on voit dans le film.

 

Je me rappelle aussi qu’une Argenteuillaise m’avait appris que le premier jour du Ramadan, un conflit avait eu lieu dans un quartier de notre ville et que cela s’était terminé par un mort par balles. Ces “anecdotes”, je les considère comme des évidences. Elles horrifieront peut-être certaines personnes. Elles en feront sourire d’autres qui vous diront : “Et, encore, ça, ce n’est pas grand chose….”. Et, là, aussi, je croirai ces dernières personnes sur parole sans pour autant raser les murs. Sauf que en certains endroits, à certaines heures, si je suis informé par quiconque du “coin” qu’il faut être prudent ou éviter de passer à tel endroit, je préfèrerai me montrer prudent ou éviterai de passer à tel endroit. Pour moi, ce n’est pas être raciste et fasciste de penser comme ça. Comme, pour moi, ce n’est pas être soumis et crétin, lors d’un contrôle de police, de rester aussi calme et poli que possible. C’est plutôt s’adapter à mon environnement et/ou à mon interlocuteur. 

 

Lorsqu’un reporter tel que Philippe Pujol, Marseillais, Prix Albert Londres pour un de ses ouvrages, écrit La fabrique du monstre : 10 ans d’immersion dans les quartiers nord de Marseille, la zone la plus pauvre d’Europe en 2018, s’il pointe, évidemment, les responsabilités politiques et sociales, mais aussi intellectuelles, pour expliquer et critiquer le délabrement prononcé de certains quartiers de Marseille, il n’en décrit pas moins certains endroits où l’accès n’est autorisé qu’à des personnes sélectionnées. Des personnes du quartier. Des personnes de confiance. Profil- des personnes de confiance- qui est loin de correspondre à des policiers de la Bac.

Dans cet ouvrage, Philippe Pujol indique bien que dans ces quartiers nords de Marseille, il reste des personnes étrangères au banditisme comme aux trafics.

 

De même que lors des attentats du 13 novembre 2015, c’est une juge belge qui a expliqué il y a quelques jours au tribunal que si plusieurs des terroristes islamistes se connaissaient depuis longtemps et avaient vécu à Moolenbeek, que, par ailleurs, c’était dans certains quartiers, minoritaires, de Moolenbeck que s’était développé l’activité terroriste islamiste de ces dernières années. Mais, qu’autrement, Moolenbeek était aussi une commune très agréable où la plupart des habitants n’avaient rien à voir avec le terrorisme et l’islamisme.

 

 

Un métier de conviction :

Ce qui passe peut-être mal avec le film Bac Nord, c’est qu’il magnifie des policiers. Et que beaucoup de monde entretient une certaine ambivalence faite à la fois de méfiance/crainte/haine/ admiration envers la police et celles et ceux qui la représente. Ambivalence qui avait été décrite dans les média où, lors de la période des attentats islamistes, les policiers étaient devenus très populaires. Pour, ensuite, à nouveau, être perçus de travers. 

Je ne discute pas les raisons, justifiées ou injustifiées, de cette ambivalence. Cette ambivalence envers la police peut, finalement, être la jumelle de ce racisme envers certaines catégories de personnes :

 

On peut avoir des raisons personnelles et concrètes qui expliquent que l’on en veut à telle catégorie de personnes. Parce qu’elles nous ont fait du mal, à nous ou à des proches. Mais on peut aussi très bien en vouloir à certaines catégories de personnes et de professions sans avoir eu de mauvaise expérience réelle avec elles. On ne fait alors que « répéter » ce qui se dit dans notre environnement et dans notre entourage depuis des années ou des générations. Sans prendre la peine de peser le pour et le contre. Puisque l’on fait corps avec celles et ceux qui font partie de notre environnement et de notre entourage. Et que l’on s’en remet à eux tous les jours. Se faire sa propre expérience demande une certaine capacité d’initiative. Mais aussi de pouvoir accepter de faire et vivre d’abord seul (e ) certaines expériences contradictoires. Certaines personnes n’ont ni cette volonté ni ce courage. 

 

Malgré cette ambivalence envers la police ou malgré l’aversion assumée que certaines personnes peuvent avoir envers elle, en regardant Bac Nord, je me suis demandé comment font ces femmes et ces hommes policiers pour avoir envie de faire ce métier. Ou, plutôt, pour continuer d’avoir envie de le faire. Que ces femmes et ces hommes travaillent pour la Bac ou non. Car le film rappelle bien aussi qu’être policière ou policier, c’est exercer un métier de conviction :

 

Il faut être convaincu de l’utilité de ce que l’on fait. Et de ce que l’on est. Ce qui peut être déjà très difficile au vu des risques mais aussi, surtout peut-être, des désillusions que font vivre- de façon répétée- ce métier. Et, en plus, il faut pouvoir apporter des preuves indiscutables que le travail effectué a été bien effectué. Et, tout cela, sans s’enrayer soi-même. Sans se vomir soi-même.

C’est montré dans le film : A part le personnage joué par Karim Leklou qui a pour lui la très large compensation d’avoir une femme aussi attractive, honorable et honorante que l’actrice Adèle Exarchopoulos, les deux autres policiers joués par Gilles Lellouche et François Civil n’ont pas de vie personnelle valide ou valable. Donc, leur métier leur fait payer un très lourd tribut. Et, dans ces conditions, je m’étonne que des femmes et des hommes tiennent encore à vouloir devenir policières et policiers. Tout en essayant, aussi, de concilier une vie de couple et de famille.

Or, pourtant, il y en a. Bien-sûr, je pourrais faire la même remarque pour des personnels soignants. Mais le métier de policier, de par ses armes, et la manière dont il confronte directement des femmes et des hommes à d’autres femmes et hommes me semble porteur de bien des échecs qu’aucun uniforme,  grade ou ultimatum ne peut contrer.

 

L’acteur Gilles Lellouche de face. De dos, l’acteur François Civil.

 

Casseur de rêve exotique :

 

 

Pour ces quelques raisons, pour moi, Bac Nord n’est pas un film fasciste et raciste. Mais on peut lui reprocher, oui, d’être assez caricatural sur certains aspects.

Néanmoins peut-être que ce qui lui est fondamentalement reproché, c’est de casser le rêve exotique marseillais avec l’accent, la mer, la sensualité et le soleil. Pour, au contraire, envoyer dans les yeux du spectateur du sable et bien des écueils. Comme si, au plein milieu d’une comédie qui se déroule bien, on se mettait d’un seul coup à reparler de la pandémie du Covid ou du réchauffement climatique. Comme si, à parler de la Guadeloupe, au lieu de parler de plages, cocotier, zouk, ti-punch, sexe et Francky Vincent, on en arrivait à reparler de l’esclavage, du Covid, de l’obésité, du Sida, de chômage, de maltraitances conjugales, de chlordécone, d’alcoolisme et de diabète. Ça casse un peu l’ambiance.

 

 

Franck Unimon, ce mercredi 29 septembre 2021.

 

 

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.