
Deux jours avant la tournĂ©e du Black Friday ( + deux milliards dâeuros pour Jeff Bezos « dâAmazon», premiĂšre fortune du monde, lors du Black Friday 2017 selon Le Canard EnchaĂźnĂ© de ce mercredi 27 novembre 2019) , regarder le sixiĂšme film de Rabah Ameur-ZaimĂšche depuis son Wesh Wesh de 2002 Ă Montfermeil ( oĂč il a grandi) nous donne des allures dâhomme de conscience. Scions cette illusion : mĂȘme si nous faisons maintenant partie de la petite « confrĂ©rie » qui aura vu ce film qui sera beaucoup moins validĂ© que Les MisĂ©rables de Ladj Ly ( Les misĂ©rables 2Ăšme partie,) nous ferons partie du gibier dont le galop, dans deux jours, se rĂ©pandra dans la caverne des clicks et des boutiques.

Le mal semble incurable. Parce quâil est Ă©tendu et difficile Ă apprĂ©hender. On ne sait pas par quel dĂ©but commencer. Comme dans Terminal sud oĂč Ramzy BĂ©dia, dans le rĂŽle dâun chirurgien, a beau soigner Ă tour de bras, pourtant, partout autour de lui, la gangrĂšne continue de prendre.

Dans son Terminal sud tout en rĂ©sistance, comme dans la plupart des films de Rabah Ameur-ZaimĂšche, il est difficile de savoir si nous sommes exactement en France ou en AlgĂ©rie, maintenant. Par contre, nous savons que lâĂ©poque est trouble. Que des groupes armĂ©s supposĂ©s protĂ©ger peuvent tuer de maniĂšre aveugle. Et que des journalistes, les clairvoyants et parmi les derniers maquisards, sont assassinĂ©s ou enlevĂ©s.
« Du haut de ma potence, je regarderai la France ! » Ă©tait une partie du chant qui clĂŽturait son quatriĂšme film, Le Chant de Mandrin sorti en 2012. Ramzy BĂ©dia pourrait changer les paroles et remplacer les mots « ma potence » par les mot « ma conscience ». Fils dâun rĂ©sistant lors de la guerre dâAlgĂ©rie, sa conscience mĂ©dicale lui ordonne de continuer de soigner sans faire de tri entre ses patients. Pendant que dâautres, armĂ©s, cagoulĂ©s ou Ă visage dĂ©couvert, tranchent dans le vif. A lâhĂŽpital ou devant un blessĂ©, le « chirurgien » Ramzy BĂ©dia semble toujours savoir quelle dĂ©cision prendre. Dans la vie, il est dans un Ă©tat second, davantage le conjoint du whisky que celui de sa femme Hazia (la chanteuse lyrique Amel Brahim-Djelloul, pour la premiĂšre fois comĂ©dienne dans un film). Il peut ĂȘtre plus facile dâaffronter les plaies des autres que celles de sa propre vie.

« Tu es dans notre collimateur ». Lorsquâil lit en pleine nuit cette menace anonyme, ou cette ordonnance, Ă son domicile, le chirurgien Ramzy BĂ©dia est seul. Sa femme est ailleurs. On est sans doute toujours seul lorsque lâon se fait menacer. Son ami Moh (lâacteur Slimane Dazi), le lendemain, ressemble Ă un rĂ©pit, dans la rue, un jour de fin de marchĂ© alors que les Ă©boueurs nettoient la place. Rabah Ameur-ZaimĂšche prend le temps de filmer le travail des Ă©boueurs. On se demande si câest pour nous rappeler leur importance. Son film semble chercher le temps rĂ©el entre anachronismes, comĂ©diens plus ou moins amateurs, « fidĂšles » de ses films et choix particuliers de mise en scĂšne comme lorsque le chirurgien et sa femme Hazia sont plus tard filmĂ©s Ă contre-jour chez eux.
Dans Le Chant de Mandrin, Rabah Ameur-ZaimĂšche portait secours Ă un « mourant » qui avait besoin de soins et lâacteur Jacques Nolot faisait partie des rĂ©sistants. Dans Terminal sud, soigner (tous) les autres ne suffit pas pour sauver sa peau. On peut ĂȘtre un chirurgien engagĂ© et charismatique et ĂȘtre mal entourĂ©. Câest peut-ĂȘtre pour cela que Rabah Ameur-ZaimĂšche entoure, lui, son film de mystĂšre, un mystĂšre protecteur fait dâune certaine pudeur (la scĂšne Ă contre-jour entre Ramzy BĂ©dia et Amel Brahim-Djelloul) mĂȘme si la violence peut aussi transparaĂźtre dans toute sa laideur. Un film quâil fait bien sien en y mettant quelques insignes de ses films prĂ©cĂ©dents (acteur, chevalâŠ)

A la fin, ce film est peut-ĂȘtre lâhistoire dâune dĂ©livrance. Mais celle-ci sâobtient dans la souffrance et aussi dans la fuite.
Franck Unimon, ce mercredi 27 novembre 2019.