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Pour les Poissons Rouges

Jay-Z, Basquiat et Beyoncé à Paris, au Châtelet

Paris, 19 octobre 2021, le matin.

 

                          Jay-Z, Basquiat et Beyoncé à Chatelet, ce mois d’octobre 2021

C’est un petit peu une histoire de boulangerie. Non pas que je vous roule dans la farine. Mais parce qu’après une nuit de travail, il y a quelques jours, j’ai repris mon vélo pour bifurquer jusqu’à celle qui est ma boulangerie préférée. Mais aussi mon secret. Pour les croissants au beurre et les pains au chocolat. Je vous en dirai moins sur elle que « sur » Jay-Z et Beyoncé. Bien que je la connaisse davantage que ces deux-là. Je connais davantage l’image de Jay-Z et Beyoncé que ce qu’ils sont véritablement ou ont réalisé en tant qu’artistes, commerçants ou citoyens. C’est le propre des « stars» d’être beaucoup connues pour et par leur image à la suite d’un ou de plusieurs événements auxquels ils ont contribué ou participé. Par ailleurs, c’est sans doute souvent comme ça aussi :

 

On parle beaucoup mieux et plus longtemps de ce que l’on ne connaît pas. Ce que l’on connaît vraiment, c’est d’une telle évidence pour soi qu’on ne le mentionne que très rarement. Et puis, parler seulement de ce que l’on ne connaît pas permet de distraire celles et ceux qui nous regardent et nous écoutent tout en conservant nos secrets que ceux-ci voudraient pourtant peut-être bien connaître.

 

Après un passage dans « ma » boulangerie où tout est fait sur place, les pâtisseries originales, le pain avec de la farine de kamut, d’épeautre et les brioches, j’ai choisi de repasser devant le palais de la justice de l’île de la Cité. Nous avons un palais pour goûter les bonnes choses. Nous avons aussi des palais pour écouter, regarder, commenter, pleurer, endurer, juger et condamner.

Paris, 19 octobre 2021, au matin.

Pendant encore quelques semaines, tous les jours (même le samedi et le dimanche ?), quinze victimes des attentats islamistes du 13 novembre 2015 à Paris viendront témoigner.

Je suis déjà passé une première fois devant ce grand palais. Je suis ce matin-là repassé devant car j’ai le projet de venir assister au moins à une audience. Les tribunaux, comme mon travail d’infirmier en psychiatrie, sont ces endroits où l’envers des corps et des comportements nous montrent un autre monde que celui des jolies vitrines ou, parfois, des fortes poitrines qui nous attirent. Nous avons besoin de jolies vitrines. Du moins sommes-nous éduqués et entraînés pour rechercher pratiquement en exclusivité leur contact et leur proximité. Cela nous anime. Même si chaque fois que nous tombons un peu trop amoureuses et amoureux de nouvelles vitrines, nous nous éloignons toujours un peu plus de nos origines. 

Paris, 19 octobre 2021, le matin.

 

J’avais passé la « frontière » le long de ces barrières de sécurité et des forces de police engagées et je me dirigeais vers Chatelet lorsque j’ai d’abord vu la grosse tête de Jay-Z. Je l’ai toujours trouvé moche. Le phénomène était amplifié avec les locks qu’il portait.

Jay-Z n’est pas le seul moche au monde et dans la vie qui, une fois qu’il a réussi, est devenu très beau et irrésistible. Cela fait au moins vingt ans que Jay-Z, maintenant, est devenu beau et irrésistible. Grâce à sa maestria dans le Rap. Aujourd’hui, on parle moins de lui qu’il y a dix ou quinze ans. Mais il fait partie de ces artistes bien implantés dans le décor. Avoir sa tête surdimensionnée sur une affiche gigantesque à Chatelet, en plein Paris, à quelques minutes à pied d’un tribunal où sont en train de se juger des attentats mondialement connus, n’est pas donné à n’importe qui ! Les personnages Vore et Tina/Reva du très bon film Border d’Ali Abassi ne bénéficieront jamais de tout cet éclairage public.

 

Même s’ils racontent une histoire qui a pu être celle de Jay-Z.

 

C’est de leur faute ! Ils n’avaient qu’à faire du Rap et à se sortir du lot !

 

Mais j’avais mal regardé. Sur l’affiche, Jay-Z n’est pas seul. A côté de lui, il y a Beyoncé. La belle Beyoncé. Sa femme ou sa compagne dans la vraie vie.

 

Une autre affiche, sur le côté, montre le couple autrement. Lui, Jay-Z, assis qui la regarde ou semble la regarder et elle, toute en formes, dans une longue robe noire près du corps, face à nous. Elle fait un peu « potiche », Beyoncé. Sauf que quelques indices nous dissuadent de le penser.

Paris, 19 octobre 2021, le matin.

 

D’abord, Beyoncé est debout alors que lui, Jay-Z, est assis. Donc, elle le domine. Ensuite, en observant un peu mieux le « look » de Sieur Jay-Z mais aussi le fond de l’affiche, on comprend que nous sommes dans une reproduction d’un tableau du peintre Basquiat, d’origine haïtienne. Peintre mort avant ses trente ans et devenu célèbre. Madonna avait connu Basquiat et avait peut-être, ou sûrement, été un moment sa maitresse ou une de ses maitresses.

 

C’était il y a longtemps.

 

Avant que le Rap ne devienne ce qu’il est maintenant aux Etats-Unis et en France. Bien avant que le monde, et Chatelet, n’entendent parler de Jay-Z et de Beyoncé.

Basquiat, de son vivant, avait souffert du racisme. Les poches remplies du pétrole des billets de dollars, il s’attristait de ne pouvoir prendre simplement un taxi dans New-York. Les chauffeurs ne s’arrêtant pas parce qu’il était….noir comme le pétrole. 

Photo d’une des oeuvres de Basquiat, prise fin décembre 2018, lors de l’exposition à la Fondation Louis Vuitton.

 

 

Les locks portées par Jay-Z ont à voir avec celles que portaient Basquiat mais aussi avec celles portées par les Rastas. Si l’on parle des Rastas, alors, on parle du Reggae. De Bob Marley, bien-sûr, l’icône Reggae en occident et dans le monde (même Miles Davis avait joué un titre, My Man’s Gone now , en hommage à Bob Marley après la mort de celui-ci en 1981).

 

De Bob Marley, l’amateur fidèle de vitrines retient souvent qu’il était l’adepte d’un Peace & Love universel. Mais les titres de Bob Marley et le Reggae en général temporisent aussi des violences et des contestations.

 « Europeans stay in Europe and Africans rule Africa ! » avait pu chanter le groupe Black Uhuru dans son titre Wicked Act. Black Uhuru fut un court temps  supposé,  par la voix de Michaël Rose, pouvoir devenir ce qu’avait été Bob Marley. La référence du Reggae dans le monde. Mais le groupe n’a pas résisté à son succès. Et puis, une fois de plus, la musique a changé mais aussi la façon de l’écouter.

 

Le Reggae, mais aussi sa version Dub, est donc une musique qui a la particularité de mettre une bonne ambiance, détendue, faite de Ah-Ah-Ah, et de danse auto-berçante. Alors qu’elle chante souvent la tristesse, une mémoire traumatique, la colère et l’espoir. Le Rap, dans sa constitution et ses origines, lui devrait beaucoup.  Billie Eilish et Aurora ?  

Photo d’une des oeuvres de Basquiat, prise fin décembre 2018, lors de l’exposition à la fondation Louis Vuitton.

 

On est loin de se douter de ce qui compose le Reggae si on ne le sait pas. Ou si personne ne nous l’a raconté lorsque l’on peut voir, par exemple, un Tiken Jah Fakoly, « un ancien », danser sur sa musique.  Je me suis déjà  interrogé sur ce paradoxe qui consiste à danser et à créer une musique dansante pour parler de sujets graves. Mais c’est certainement seulement comme ça que ça peut « marcher » pour attirer et toucher un plus grand auditoire.

 

Danser et sourire

 

 

Presqu’autant que par la pauvreté, la faim, la douleur ou la peur, on devient infirme lorsque l’on devient inapte à danser, à rêver comme à sourire. Mais, au départ, on ne fait pas particulièrement attention à ça, lorsque l’on perd la faculté de danser, de rêver et de sourire ou que celle-ci diminue. Tant que l’on peut continuer à se déplacer de différentes façons et que l’on a à effectuer un certain nombre de tâches qui nous occultent. 

Paris, 19 octobre 2021, le matin.

 

Ces deux grandes affiches de Jay-Z et de Beyoncé ne m’ont ni fait sourire ou danser. Du reste, elles ne sont pas là pour ça. J’ai fini par voir aussi que c’était une pub pour les bijoux Tiffany’s. Et, qui mieux que Beyoncé pouvait porter un collier de la joaillerie de luxe Tiffany’s ? Je n’imagine pas le même collier autour du cou de Jay-Z.

Jay-Z et Beyoncé font partie, depuis plusieurs années, des multimillionnaires. Moi, je fais partie des personnes qui ont régulièrement, depuis des années, un découvert bancaire. Aucun producteur, aucun artiste mais aussi aucune célébrité ou spécialiste de n’importe quel type n’a besoin de mes services. Ma vie et celle de Jay-Z et Beyoncé sont incomparables. Des bijoux de haute valeur, une réussite sociale, artistique et économique, sont des trophées de guerre pour celle ou celui qui, à l’origine, aurait dû se contenter de rester le témoin ou le spectateur des victoires sociales des autres. Avec cette pub, on est très loin du constat amer fait dans le film Retour à Reims de Jean-Gabriel Périot – d’après l’ouvrage de Didier Eribon- où la plus grande partie des personnes issues d’un milieu social modeste et moyen sabordent d’elles-mêmes leurs aptitudes et leurs ambitions. Jay-Z et Beyoncé ont su inverser le processus. Et, sur cette affiche, plus grande que l’endroit où j’habite,  lorsque l’on lève la tête, on voit donc deux pilotes d’essai qui se sont rendus aux bons endroits, au bon moment, avec les bonnes cargaisons, les bonnes munitions et les bonnes intuitions. Celles qui permettent de s’installer, d’être acceptés, de durer, et d’être recherchés pour des facultés particulières : des qualités artistiques et/ou une célébrité maintenue.

 

Ma sœur a néanmoins souligné le paradoxe de la perruque blonde pour Beyoncé. Elle que tant de jeunes femmes noires prennent pour modèle. 

 

Une mesquinerie entre filles, aussi, peut-être. Je n’avais pas remarqué cette perruque blonde. J’ai alors essayé d’expliquer que cette perruque blonde est une mise en scène. La perruque blonde, cela permet d’imiter et de se moquer de la femme parfaite, souvent blonde, dans l’idéal esclavagiste et raciste au moins américain :

« Regardez-moi, une femme noire, une descendante d’esclave ! Je suis devenue plus que votre égale maintenant. Je peux même poser sur ma tête l’attribut de votre féminité dont je fais un postiche si je le veux ».

 

J’ai ajouté que cette robe moulante qui met en avant les  formes désirables de l’assurée Beyoncé peut aussi vouloir dire aux hommes qui la « voudraient » qu’elle leur est incessible. Elle tient toute seule bien que sous le regard de Jay-Z, qui, malgré tout son génie (vu que le peintre Basquiat est désormais considéré comme un génie. Une exposition de ses œuvres s’est d’ailleurs tenue il y a environ deux ans dans la fondation….Louis Vuitton , voir Basquiat   et aussi L’exposition )      est un peu à la renverse devant elle.

Photo d’une des oeuvres de Basquiat, prise fin décembre 2018, lors de l’exposition à la fondation Louis Vuitton.

 

Ma sœur n’a pas été très convaincue par mon analyse. Et, je ne vais pas me faire plus intelligent que je ne le suis. On peut projeter tout un tas d’intentions dans ce que l’on regarde et ce que l’on entend. On peut se raconter tout un monde qui n’existe pas, finalement. J’ai choisi le titre de cet article en mettant Jay-Z devant car si j’avais mis le prénom de Beyoncé au début, nous aurions buté un peu sur le son “B” de son prénom. ( J’avais d’abord intitulé cet article Jay-Z et Beyoncé…avant de finalement rajouter plusieurs plusieurs photos des oeuvres de Basquiat ainsi que son nom au titre). 

Alors qu’en mettant le son de Jay-Z, d’abord, ça glisse mieux. Je le précise en vue de répondre à d’éventuelles critiques “féministes” ultérieures de mon titre. Lorsque je serai “connu”.   

Bien-sûr, je n’ai pas pensé à tout ça, dehors, devant ces affiches. J’ai juste été happé par leur vision imprévue. On se rappelle qu’au début, tout ce que je voulais, c’était, après une nuit de travail, reprendre mon vélo, changer d’itinéraire afin de pouvoir retourner dans une boulangerie ; repasser devant le tribunal où se jugent les attentats du 13 novembre 2015. Puis, prendre mon train de banlieue afin de rentrer chez moi.  Je me suis trouvé subitement devant une image agrandie d’un rappeur que j’ai reconnu. Je me suis arrêté. J’ai pris des photos. Ensuite, le lendemain matin, je suis revenu pour reprendre en photo une de ces deux affiches sous un autre angle, le long de la Seine, car, la veille en retournant au travail par un trajet inhabituel, j’avais remarqué que l’on pouvait la voir différemment. Voici les faits. Peut-être que dans les jours qui viendront, je me ferais poser des rajouts pour avoir des locks ou adopterais-je une perruque blonde, ceci est une supposition. 

Paris, le 20 octobre 2021, le matin.

 

Franck Unimon, dimanche 24 octobre 2021.

 

 

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