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Une autre fin du monde est possible

 

 

 

 

 

 

 

  • Les revoilĂ  ! 

 

Il y a maintenant deux ou trois ans, la lecture de leur livre Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie Ă  l’usage des gĂ©nĂ©rations prĂ©sentes m’avait assommĂ©. Et puis, sous l’effet du dĂ©ni sans doute, la vie avait continuĂ©.

 

Mais les revoilĂ  avec un nouveau livre :

Une autre fin du monde est possible ( vivre l’effondrement et pas seulement y survivre) et, cette fois, Pablo Servigne et RaphaĂ«l Stevens sont rejoints par Gauthier Chapelle pour la rĂ©daction de ce livre. Et j’ai remis ça. J’ai Ă©galement lu cet ouvrage. Cela m’a pris plus d’un mois. Bien que ce livre puisse se lire en moins d’une semaine.

Tout autant fourni en bibliographies et rĂ©fĂ©rences diverses, Une autre fin du monde est possible ( vivre l’effondrement et pas seulement y survivre) est typiquement le genre de livre dont vous ne parlez pas autour de vous Ă  moins de vouloir prendre le risque de passer pour fou, parano, extrĂ©miste, sĂ©ropositif, nĂ©gatif, pessimiste ou pour celle ou celui qui a subitement pĂ©tĂ© plusieurs plombs ou plusieurs cĂąbles en mĂȘme temps. Le sujet a trĂšs mauvaise haleine et transmet des trĂšs trĂšs mauvaises vibrations. Et cela ne se perçoit peut-ĂȘtre pas dans mes articles mais, dans la vie, j’aime plutĂŽt rire et faire rire.

 

  • obĂ©ir

 

 

C’est vraisemblablement pour ces quelques raisons que depuis la fin de sa lecture il y a plusieurs jours maintenant, je me suis abstenu d’en parler. Et que je me suis lancĂ© dans la lecture de Leçons de danse, leçons de vie de Wayne Byars, un ouvrage plus rassurant et pourtant complĂ©mentaire avec le rĂ©cent ouvrage de Pablo Servigne, RaphaĂ«l Stevens et Gauthier Chapelle.

Une autre fin du monde est possible est typiquement le genre de livre dont vous ne parlez pas autour de vous, lorsque vous vivez parmi des gens «normaux », mais qui vous rĂ©veille en pleine nuit pour Ă©crire Ă  son sujet. C’est ce qui est en train de m’arriver. Cela m’est bien sĂ»r arrivĂ© pour d’autres articles diffĂ©rents et plus joyeux, mais c’est ce qui m’arrive pour ce livre. Il est 4h35 et tout Ă  l’heure, ce livre m’a en quelque sorte dit ( oui, certains livres et certains mots me parlent) :

« Franck, le moment est arrivĂ© pour toi de parler de moi. C’est mon tour ! J’ai suffisamment attendu ». Et j’ai dĂ©cidĂ© d’obĂ©ir. 

 

  • Le SymptĂŽme Take Shelter

 

 

Le réalisateur Jeff Nichols, au festival de Cannes en 2011.

 

 

 

J’aimerais encore que ma façon de rĂ©agir Ă  la lecture de ce livre soit dĂ» au symptĂŽme Take Shelter, titre du film du rĂ©alisateur Jeff Nichols oĂč l’acteur Michael Shannon, pĂšre de famille et fils d’une schizophrĂšne, commence Ă  avoir des visions d’une catastrophe Ă  venir. Et, malgrĂ© la dĂ©sapprobation gĂ©nĂ©rale de la communautĂ© et l’incomprĂ©hension de sa femme (l’actrice Jessica Chastain), celui-ci dĂ©cide, en s’endettant, de construire un abri pour sa fille et sa femme.

Dans Take Shelter, il s’agit d’une catastrophe naturelle qui touche leur rĂ©gion ( au Texas, je crois) et non d’un effondrement mondial. Mais Ă  Cannes, alors que mon collĂšgue journaliste, Johan, et moi l’interviewions- je faisais l’interprĂšte- pour le magazine cinĂ©ma Brazil, Jeff Nichols nous avait expliquĂ© qu’en devenant pĂšre lui-mĂȘme, il avait commencĂ© Ă  percevoir le monde comme pouvant ĂȘtre particuliĂšrement menaçant.

Lorsque j’avais lu le prĂ©cĂ©dent ouvrage de Pablo Servigne et RaphaĂ«l Stevens Comment tout peut s’effondrer, j’étais moi-mĂȘme devenu pĂšre. Et les trois auteurs de Une autre fin du monde est possible prĂ©cisent aussi ĂȘtre malgrĂ© tout devenus pĂšres. L’ñge des enfants n’est pas prĂ©cisĂ© mais je suppose que nous parlons Ă  chaque fois d’enfants de moins de dix ans, soit un Ăąge oĂč, dans l’espĂšce humaine, les enfants sont particuliĂšrement vulnĂ©rables. Et leurs parents aussi sans doute. Cette prĂ©cision « psychologique » permettra peut-ĂȘtre de mieux faire comprendre mon Ă©tat d’esprit alors que j’écris sur cet ouvrage.

 

  • Nous sommes peut-ĂȘtre des oies

 

Pour le reste, selon Pablo Servigne, RaphaĂ«l Stevens et Gauthier Chapelle, ainsi que pour d’autres (scientifiques, auteurs et militants
.), l’espĂšce humaine, en 2019, devant l’effondrement serait Ă  peu prĂšs Ă©quivalente Ă  celle de ces oies qui, la veille du repas de NoĂ«l, estimeraient que tout va pour le mieux car elles sont particuliĂšrement choyĂ©es. Ou Ă  ces proies et ces victimes qui, alors qu’elles se rendent Ă  un Ă©vĂ©nement heureux ou anodin, vivent peu aprĂšs une trĂšs mauvaise expĂ©rience qui se rĂ©vĂšlera dĂ©finitive ou traumatisante.

 

  • Plusieurs types de rĂ©actions d’oies

 

Devant de telles suggestions d’avenir que nos trois auteurs ( et d’autres) justifient largement, on a le choix entre plusieurs types de rĂ©actions :

DĂ©ni, colĂšre, dĂ©pression, renoncement, acceptation
.. et Pablo Servigne, RaphaĂ«l Stevens et Gauthier Chappelle le savent pour l’avoir vĂ©cu eux-mĂȘmes. Dans Comment tout peut s’effondrer, ils expliquaient par exemple que leurs relations avaient pu se tendre avec plusieurs de leurs proches.

Dans Une autre fin du monde est possible, ils évoquent un moment cette conséquence relationnelle et affective, page 264 :

« Qui n’a pas dĂ©jĂ  Ă©prouvĂ© des difficultĂ©s Ă  trouver oreille attentive lorsqu’il s’agit de parler d’un possible effondrement ? Lorsqu’on dĂ©couvre tout cela, surtout si c’est dans la solitude, le premier rĂ©flexe est de vouloir le partager rapidement avec des proches pour se sentir moins seul, ou parce qu’on les aime et qu’on estime que cette information est capitale pour leur sĂ©curitĂ©. Mais attention, lorsque les autres ne sont pas prĂȘts Ă  entendre (et c’est souvent le cas) les rĂ©actions sont souvent dĂ©sagrĂ©ables tout comme le sentiment de solitude et d’incomprĂ©hension qui peut en dĂ©couler. La premiĂšre chose Ă  faire est peut-ĂȘtre de prendre le temps d’intĂ©grer tout cela pour soi. Ceux qui n’ont pas la chance d’avoir des proches sensibles Ă  cette thĂ©matique peuvent Ă©changer facilement Ă  travers les rĂ©seaux sociaux. Lire un article, un commentaire, un livre ou un documentaire sur un sujet que l’on croyait tabou, et en parler librement, redonne du baume au cƓur ».

 

  • Une oie tĂąte du doigt deux groupes d’entraide

 

J’ai lu et voulu que ce livre soit moins « bon » que le prĂ©cĂ©dent. A un moment, en allant voir deux des sites de groupes d’entraide qu’ils citent, je me suis dit qu’il y avait un cĂŽtĂ© sectaire tout de mĂȘme dans leur façon de rĂ©agir. Mais cela fait aussi partie du dĂ©ni de vouloir voir le mal et des sectes dĂšs qu’il s’agit de changer de comportement et de vision sur notre vie et sur le monde.

 

  • En coloc au colloque

 

RĂ©cemment, un spĂ©cialiste des addictions qui intervenait lors d’un colloque organisĂ© sur le thĂšme de « SpiritualitĂ© et addictions » m’a donnĂ© cette rĂ©ponse simple afin de faire la diffĂ©rence entre un groupe ou un lieu bienveillant et une secte ou un groupe jihadiste (ou extrĂ©miste) qui proposeraient leur « aide » :

 

Liberté, Gratuité et Charité.

 

  • Dans l’arrondissement de la brĂšche

 

Il peut en effet ĂȘtre difficile Ă  la fois de continuer de vivre sa vie en s’abstenant de raser les murs tout en se disant- en mĂȘme temps- que ce monde que nous voyons et que nous avons toujours connu- et construit mentalement- malgrĂ© ses apparences de perpĂ©tuitĂ© toute puissante, a en son foyer une brĂšche d’éphĂ©mĂšre et d’illusoire et que celle-ci grandit de jour en jour que l’on s’en aperçoive ou non. Pour moi, le suicide de Christine Renon, la directrice d’Ă©cole maternelle publique de Pantin dans le 93 rĂ©cemment, la dĂ©gradation des conditions de travail dans l’Ă©cole publique,  la dĂ©gradation continue des conditions de travail dans l’hĂŽpital public depuis plus d’une vingtaine d’annĂ©es, la dĂ©gradation des conditions de travail dans la police font partie de l’effondrement. 

Servigne et Stevens l’avaient dĂ©jĂ  bien expliquĂ© dans Comment tout peut s’effondrer :

L’effondrement a dĂ©jĂ  commencĂ©. Que l’on parle du rĂ©chauffement climatique ou de la dĂ©tĂ©rioration de notre monde dans les domaines sociologiques, culturels, politiques, Ă©conomiques et militaires. Avant la grande catastrophe que tout le monde pourra « voir » Ă  l’Ɠil nu ou subir Ă©ventuellement, l’effondrement est avant tout une succession de disparitions, de dĂ©gradations et de tragĂ©dies dont on s’est accommodĂ© ou dont on s’accommode jour aprĂšs jour.

 

  • Les vers puissants

 

Les hommes politiques ( et j’écris « hommes » parce qu’à ce jour, hormis quelques exceptions, les principaux dirigeants politiques de notre monde sont et ont Ă©tĂ© des hommes) et les « Puissants » resteront sur la lancĂ©e de leur vision archaĂŻque du monde comme ils le font depuis des siĂšcles. Au mieux, ils rĂ©agiront dans l’urgence.

Servigne, Stevens et Chapelle nous expliquent ( aprĂšs d’autres sans doute) que «Les trente glorieuses » qui ont suivi la Seconde Guerre Mondiale et qui nous ont toujours Ă©tĂ© dĂ©crites comme une pĂ©riode de grande croissance Ă©conomique seront peut-ĂȘtre surnommĂ©es plus tard « Les trente affreuses » d’un point de vue Ă©cologique. Or, nous sommes toujours calĂ©s sur ce modĂšle de dĂ©veloppement Ă©conomique et industriel qui consiste Ă  asservir et exploiter la terre, les ĂȘtres (humains et non humains), leur vitalitĂ© et leur richesse comme si celles-ci Ă©taient illimitĂ©es et nĂ©gligeables et qu’elles pourraient ĂȘtre remplacĂ©es par des innovations technologiques ou Ă©ventuellement ĂȘtre retrouvĂ©es en abondance sur une autre planĂšte.

 

  • Compost de pommes et solutions

 

Dans Une autre fin du monde, vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre) Servigne, Stevens et Chapelle s’attachent à proposer des solutions.

 

Parmi elles, l’entraide, la solidaritĂ©, ĂȘtre dans l’art et dans la culture, le retour Ă  une certaine spiritualitĂ© mais aussi rĂ©apprendre Ă  vivre avec la nature et selon la nature.

Les trois auteurs nous rappellent comme nous sommes devenus des citadins forcenĂ©s de plus en plus connectĂ©s et, pourtant, nous sommes de plus en plus coupĂ©s de nous-mĂȘmes et des autres humains et non-humains.

On peut les trouver paradoxaux- peut-ĂȘtre afin de nous rassurer- comme ils peuvent Ă  la fois envisager le pire et dire qu’il y aura beaucoup de morts et de souffrance, Ă©voquer la possible Ă©mergence de bandes armĂ©es, et, en mĂȘme temps, donner l’impression , Ă  les lire, qu’en cas de catastrophe, il nous « suffira » de rester des personnes civilisĂ©es et de faire un travail sur nous-mĂȘmes pour nous en sortir. Alors que ce sera vraisemblablement, un « peu » la panique et la barbarie Ă  certains endroits :

 

  • Nomade’s land 

« L’avenir risque d’ĂȘtre en grande partie nomade » Ă©crivent-ils par exemple (page 264, encore apparemment).

 

  • Superbe parano orientĂ©e sud-ouest avec vue dĂ©gagĂ©e sur la mer, proche de toutes commoditĂ©s

 

RĂ©sumĂ© comme je viens de le faire, ce livre continuera peut-ĂȘtre de passer pour l’ouvrage rĂ©sultant d’un « complot » de survivalistes bobos permettant, il est vrai, l’essor lucratif d’une Ă©conomie de la survie au mĂȘme titre que le Bio, dĂ©sormais, est devenu une trĂšs bonne niche Ă©conomique- et un trĂšs bon investissement comme la fonte de la banquise- pour certains entrepreneurs, certains politiques, certains financiers et certains meneurs religieux ou sectaires. 

 

  • Les premiĂšres impressions…

 

On peut aussi rester sur l’impression premiĂšre qui consiste Ă  voir dans ces «histoires » d’effondrement l’expression d’une certaine parano affirmĂ©e qui ferait son coming out. La parano, on le sait, Ă©tant cette logique, qui, Ă  partir de certains faits rĂ©els, se confectionne et affectionne une seule vĂ©ritĂ©, la sienne, et repousse voire assujettit ou dĂ©truit sans pitiĂ© les autres vĂ©ritĂ©s.

Franck Unimon, ce vendredi 18 octobre 2019.

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