Donât Forget Me un film de Ram Nehari (Sortie en salles ce 30 janvier 2019)
Nation prĂ©maturĂ©e â au sens oĂč un bĂ©bĂ© nait prĂ©maturĂ©ment- entraĂźnĂ©e par son instinct de survie, IsraĂ«l est devenue une grande Puissance Ă©conomique, politique, culturelle et militaire. Refuge, prodige et espoir pour certains, elle est aussi cet Etat exterminateur qui en confine dâautres dans la colĂšre et le dĂ©sespoir. Pour cela au moins, IsraĂ«l a le visage de lâHumanitĂ©. On peut classer les films qui nous montrent certaines facettes du visage dâIsraĂ«l comme des Ćuvres de propagande et les condamner. On peut aussi les regarder. Car quâon les aime ou quâon les rejette, ils nous parlerons de nous.
Dans Donât Forget Me, ce visage situĂ© entre les consciences du passĂ©, du prĂ©sent et de lâavenir, entre celles de lâOrient et lâOccident, entre celles de la vie et la mort, est principalement celui de Tom et Neil ( ou Niel). Tom ( l’actrice Moon Shavit), prĂ©nom ou surnom dâhomme sur un corps de femme, et Neil ( l’acteur Nitai Gvirtz), prĂ©nom du premier astronaute- et du premier homme- Ă prendre pied sur la lune sont les guirlandes qui vont nous guider Ă travers certains orifices de lâEtat dâIsraĂ«l. Ce sont deux ĂȘtres Ă la lisiĂšre de plusieurs mondes. Tom le dit Ă un moment du film : « Je suis un millier de choses ».
IsraĂ«l, de par son statut gĂ©opolitique, est un monde Ă part. Tom et Neil essaient dâincruster leurs univers Ă lâintĂ©rieur de ce monde. Une fois passĂ©s les check-points et les faux-semblants de la rĂ©ussite de la sociĂ©tĂ© israĂ©lienne. Ce film dĂ©plaira donc Ă toutes celles et Ă tous ceux qui prĂ©fĂšrent donner ou exporter dâIsraĂ«l lâimage exclusive dâun pays glamour ou exotique. Mais ce film heurtera aussi toute personne qui recherche une comĂ©die facile.
Jâavais faim en entrant dans la salle. Je venais pourtant de prendre mon petit-dĂ©jeuner. La faim mâest passĂ©e pendant le film. Lâaffiche sentimentale du film est trompeuse. Il yâa bien une histoire dâamour. Mais câest Ă©videmment la reprĂ©sentation de lâange dominant un dĂ©mon Ă lâarriĂšre-plan qui illustre le mieux la routine de Tom et Neil. Lâune est aux arrĂȘts dans un centre pour troubles alimentaires aprĂšs avoir Ă©tĂ© identifiĂ©e/diagnostiquĂ©e comme anorexique. Le second est en rĂ©mission. AprĂšs un passĂ©- que lâon devine plus ou moins long- dans un Ă©tablissement psychiatrique, Neil essaie de rattraper les notes du Temps. Sur la lune, ce serait peut-ĂȘtre possible. Mais nous sommes en IsraĂ«l.
Disque rayĂ©, le sourire de Tom et celui dâautres protagonistes du film font dâelles (ce sont majoritairement les femmes, dans ce film, qui sâankylosent dans le sourire) des cousines de Lara-Victor dans le film Girl de Lukas Dhont. Sauf que plusieurs de leurs simulacres sont dĂ©masquĂ©s par une camĂ©ra qui se fait parfois la traĂźne des soignants qui, ici, font plutĂŽt penser Ă des matons emmurĂ©s dans le protocole. Devant certaines scĂšnes et certaines rĂ©pliques, on criera peut-ĂȘtre au film « glauque ». Jâai prĂ©fĂ©rĂ© y trouver un certain humour noir- jubilatoire et cathartique- comme Nehari renverse plusieurs fois le schĂ©ma des normes et de la biensĂ©ance.
Il est connu que les personnes ( ce sont majoritairement des adolescentes ou des femmes) anorexiques ont des corps de rescapĂ©s d’espaces concentrationnaires alors quâelles vivent gĂ©nĂ©ralement dans des conditions matĂ©rielles leur permettant de « bien » sâalimenter. Donât Forget Me, plutĂŽt rĂ©aliste pour restituer le climat dâun centre de troubles alimentaires, nous en donnera un aperçu dans une scĂšne qui est le contre-pied total de bien des scĂšnes Ă©rotiques et romantiques de la vie et du cinĂ©ma.
Plus dâune heure trente dans cet environnement aurait Ă©tĂ© quelque peu Ă©touffant. Aussi, Ram Nehari nous fait-il sortir de tout ça en permettant Ă Tom et Neil de se retrouver Ă lâextĂ©rieur. Cela nous apporte, comme Ă eux, une bouffĂ©e dâair. Mais Ram Nehari, contrairement Ă Tom et Neil, est en rĂšgle avec le rĂ©el. Le repas de famille chez les parents de Tom est un des “sommes-mets” les plus dĂ©lectables  ( TrĂšs bonne prestation de l’actrice Rona Lipaz-Michael dans le rĂŽle de la mĂšre de Tom) de ce film qui, sâil indisposera, est pourtant plus quâĂ consommer. On doit bien pouvoir trouver dans celui-ci quelques correspondances avec le cinĂ©ma dâun Yorgos Lanthimos, dâun Robert Altman ou dâun Todd Solondz.
Jeunes adultes IsraĂ©liens, Tom et Neil sont en exil dans leur vie et dans leur pays qui leur sont des mondes interdits. Ram Nehari nous dit que malgrĂ© toute sa puissance et ses succĂšs, plusieurs gĂ©nĂ©rations aprĂšs la Shoah, IsraĂ«l a des enfants et des parents qui ne savent pas vivre. Ensemble comme sĂ©parĂ©ment. Lâintelligence sur-effective, mais aussi affective, dâune Tom et lâoptimisme naĂŻf dâun Neil nây suffisent pas. Et ceux qui, Ă lâinstar dâAlon ( l’acteur Eilam Wolman), incarnent ces jeunes IsraĂ©liens aisĂ©s, insouciants et cosmopolites sont guettĂ©s par les addictions, le vide et la violence.
MĂȘme le langage est une terre de dĂ©ception. Il est tantĂŽt une bande qui tourne Ă vide et quâil faut faire semblant dâĂ©couter- pour ne pas blesser lâautre- ou un organe plutĂŽt propice au dĂ©veloppement de sentiments dâabandon et de dĂ©solation en donnant de mauvaises nouvelles. Ram Nehari ne parle pas de la Palestine. Ou pas directement.
Mais le sourire de Tom est bien fait de ce mĂ©tal hurlant jusquâau soleil couchant. Celui d’un certain inconscient qui refuse d’ĂȘtre oubliĂ© et de disparaĂźtre.
Franck Unimon, ce vendredi 18 janvier 2019.
Ps : le film est bien meilleur que la bande annonce et les photos.
4 rĂ©ponses sur « Don’t Forget Me un film de Ram Nehari »
Je trouve que tu as Ă©crit un beau texte sur ce film que jâai hĂąte de voir. Le rĂ©alisateur Ram Nehari prĂ©sente une histoire bouleversante qui contient de lâamitiĂ© et de lâamour, voilĂ ce qui me touche.
Bonjour Emmanuelle,
Je suis content que mon texte t’ait plu. Merci!
Bonjour Balistique du quotidien đ
Je trouve que tu Ă©cris trĂšs bien et j’adore le film !
De plus, tu as un super blog et je t’encourage Ă continuer dans cette voie đ
A bientĂŽt !
Bonjour Emmanuelle,
Je suis content que le film t’ait plu. Et Merci- beaucoup- pour tes encouragements. J’espĂšre continuer Ă te donner plaisir Ă lire mes articles.
A bientĂŽt
Franck