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Combats de boxe

« Les combats de boxe, la grande diversitĂ© des sports de combats, ainsi que tous les films, les    « idoles », les Ă©missions ou les documentaires qui les ont prĂ©cĂ©dĂ©s ou en dĂ©coulent sont une activitĂ© de bourrins pour des gogos qui ont de l’argent Ă  dĂ©penser et des corps Ă  estropier ».

C’est Ă  peu prĂšs ce que pensent, ont pensĂ© ou penseront des gens « biens », rĂ©flĂ©chis
et « non-violents ». Les combats de boxe, la grande diversitĂ© des sports de combats, c’est, d’un commun accord, de la sueur, des corps des deux sexes qui se confrontent et se choquent, de la souffrance, quelques fois des hĂ©matomes et un peu de sang, parfois des blessures et aussi des destructions irrĂ©versibles pour certaines et certains pratiquants. Mon mĂ©decin du sport m’a parlĂ© d’un boxeur qui avait pris tellement de coups qu’à partir de la trentaine, celui-ci Ă©tait obligĂ© de prendre des notes chaque fois qu’on lui parlait afin de se remĂ©morer ce qu’on venait de lui dire : « ChĂ©ri, je te quitte avec ton meilleur ami. RĂ©ponse type : Attends ma puce, je vais chercher mon cahier et un stylo pour noter tout ce que tu viens de me dire ». On pourrait penser au film Memento de Christopher Nolan mais dans le film de Nolan, le hĂ©ros n’est pas un boxeur. Ou alors j’ai dĂ©jĂ  reçu tellement de coups que je l’ai oubliĂ©.

 

La boxe et les sports de combat ont une mauvaise image auprĂšs d’un certain public. Voire le sport tout court. Chaque sport, de combat ou non, comporte des risques et il est nĂ©cessaire d’en respecter et de savoir en faire respecter les rĂšgles. Pour cela, il existe des MaĂźtres, des professeurs, des Ă©ducateurs, des formateurs, des mĂ©decins, des fĂ©dĂ©rations, des arbitres, des rĂšgles. Et, avant cela, il existe des parents, des tuteurs. Et des pratiquants conscients d’eux-mĂȘmes, de leurs possibilitĂ©s comme de leurs limites et de leurs erreurs, car ils auront appris Ă  se connaĂźtre au travers des Ă©preuves, des apprentissages et des instructions diverses – y compris thĂ©oriques- qu’elles et ils auront reçus ou seront allĂ©s chercher. Personnellement, j’ai fini par comprendre qu’une grande partie des blessures physiques liĂ©es au sport survient souvent alors que l’on a une vulnĂ©rabilitĂ© affective particuliĂšre. PrĂ©sentĂ©s comme cela la boxe et les sports de combats ressemblent dĂ©jĂ  un peu moins Ă  des pratiques de bourrins et de fanatiques pour gogos. MĂȘme s’il s’y trouve des bourrins, des fanatiques et des gogos comme ailleurs. Mais, au moins, ces bourrins et ces fanatiques-lĂ  se dĂ©ploient-ils Ă  visage dĂ©couvert et acceptent de se retrouver seuls face Ă  des adversaires plus ou moins prĂ©venus et plus ou moins prĂ©parĂ©s : un jour, la dĂ©faite de ces bourrins et fanatiques peut ĂȘtre aussi violente- dans les rĂšgles- que n’a pu l’ĂȘtre leur carriĂšre victorieuse si celle-ci l’avait Ă©tĂ©.

 

Si l’on a besoin d’un peu plus de « preuves » intellectuelles et littĂ©raires de ce que la boxe ou les sports de combat peuvent permettre comme rĂ©flexion sur la condition humaine, des ouvrages comme De La Boxe de Joyce Carol-Oates, Un GoĂ»t de rouille et d’os de Craig Davidson (dont le rĂ©alisateur Jacques Audiard s’est inspirĂ© pour son film), ceux de F.X Toole dont on se souvient du Million Dollar Baby adaptĂ© au cinĂ©ma par Clint Eatswood donneront un certain aperçu.

 

Pour la suite de cet article, ma conviction est que, de toute façon, qu’on le veuille ou non, notre quotidien est fait de ces combats de boxe que nous perdons ou que nous gagnons. Mais aussi de ceux que nous Ă©vitons sciemment- Ă©galement avec raison- et de beaucoup d’autres dont nous subissons les coups et les consĂ©quences parce-que nous les ignorons : nous n’avons pas ou plus connaissance de leur existence depuis si longtemps.

Aujourd’hui, c’est le premier jour (l’article a commencĂ© Ă  ĂȘtre rĂ©digĂ© ce 9 janvier 2019) des soldes dans notre pays. Nous serons des milliers ou des millions Ă  nous demander s’il y’a une petite affaire Ă  en tirer. Hier, je me suis ainsi rendu dans un magasin de chaussures afin de bĂ©nĂ©ficier de trente pour cent de rĂ©duction grĂące Ă  un code promotionnel utilisable en vente privĂ©e. Au lieu de me repĂ©rer et de m’insulter – encore toi ?!- comme on le ferait avec un poivrot qui, toujours, croit voir pousser son avantage dans le prochain verre, le vendeur m’a reçu et        « conseillĂ© ». Ensuite, sa collĂšgue, Ă  peu prĂšs la moitiĂ© de mon Ăąge, a fait de mĂȘme. Souriante et disponible, elle avait sĂ»rement le sentiment de me rendre service. Toutes les dĂ©marches ont Ă©tĂ© enregistrĂ©es sur un Ipad 3 (j’ai demandĂ©, sĂ©duit par l’ergonomie du clavier. Mais je n’ai pas cherchĂ© Ă  l’acheter) afin que le modĂšle de chaussures que j’ai choisi – et payĂ©- me soit livrĂ© dans quelques jours Ă  mon domicile. AprĂšs avoir Ă©tĂ© joint par tĂ©lĂ©phone par l’entreprise de livraison. Cette façon de consommer Ă©tait inconcevable lorsque j’étais enfant et que mes parents m’emmenaient essayer des chaussures dans le magasin Bata ou AndrĂ© du coin.

Hier, cette nouvelle façon de procĂ©der avait bien-sĂ»r quelque chose de pratique : Je suis reparti satisfait, avec l’assurance de bientĂŽt recevoir l’objet de mes dĂ©sirs. Si celui-ci ne me convient pas, je pourrai toujours le retourner et me faire rembourser. C’est donc moi qui ai tout pouvoir de dĂ©cision. En plus, j’ai bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un tarif promotionnel avant le dĂ©but des soldes : mĂȘme si je sais que tant d’autres en ont Ă©galement bĂ©nĂ©ficiĂ© dans ce magasin ou un autre, cela me donne de prĂšs ou de loin le sentiment d’ĂȘtre privilĂ©giĂ©. Car, bien-sĂ»r, je suis persuadĂ© d’avoir besoin de cette nouvelle paire de chaussures. MĂȘme si notre sociĂ©tĂ© cultive le manque, en extrait et en exploite la quintessence et me l’implante rĂ©guliĂšrement dans l’aorte. Si bien que, mĂȘme si je suis prĂ©occupĂ© par l’avenir Ă©cologique, j’ai assez rĂ©guliĂšrement la sensation – presque dĂ©lirante et hallucinatoire- d’ĂȘtre privĂ© ou d’avoir Ă©tĂ© privĂ© de quelque chose. Soit en regardant les autres, soit en voyant tout ce que la sociĂ©tĂ© nous « offre ». Du fait de cette sensation de manque, certains de mes achats sont sans doute et ont sans doute Ă©tĂ© des achats « de revanche », une revanche illusoire Ă©videmment, plutĂŽt que des achats de rĂ©elle nĂ©cessitĂ©. Et comme n’importe quelle personne dĂ©pendante, j’ai souvent cru avoir le contrĂŽle sur ma consommation.

Il y’a quelques mois encore, alors que j’étais en plein entretien professionnel en vue d’obtenir un poste dans un service spĂ©cialisĂ© dans les addictions, cette question, sans doute rituelle, est tombĂ©e :

« Avez-vous des addictions ? ».

Je me suis empressĂ© de rĂ©pondre : « Non, non, je n’ai pas d’addiction
. ». J’étais alors dans l’ignorance et dans le dĂ©ni, persuadĂ© que le mot « addiction » Ă©tait une part de moi honteuse Ă  mĂȘme de me faire Ă©chouer Ă  l’entretien. J’étais aussi mal prĂ©parĂ© Ă  cet entretien car un tout petit peu de rĂ©flexion m’aurait facilement permis de rĂ©pondre diffĂ©remment.

Car, au sujet de nos addictions ou dépendances, les faits sont plus durs et aussi imparables que certains uppercuts:

L’image pĂ©jorative du boxeur, c’est celle du bourrin attardĂ© dont les traits du visage et les pensĂ©es sont des dessins abĂźmĂ©s. Celle, pĂ©jorative, de la personne dĂ©pendante ou addict, c’est, Ă  l’extrĂȘme, celle du toxicomane peut- ĂȘtre celle du junkie qui se prostitue et est prĂȘt Ă  prostituer son perroquet, sa grand-mĂšre ou son enfant pour une dose. Alors que sans en arriver Ă  cette situation extrĂȘme, je le rĂ©pĂšte, la personne dĂ©pendante, ce peut aussi ĂȘtre celle ou celui qui fixe en permanence l’écran de son ordinateur, de sa tablette ou de son smartphone mĂȘme lorsqu’il est en prĂ©sence de son collĂšgue, conjoint, ami, enfant ou semblable.

Bien-sĂ»r, il n’y’a pas de dĂ©lit Ă  cette dĂ©pendance – ou addiction- sociale, Ă  celle-ci et Ă  d’autres telles que le recours au crĂ©dit et au dĂ©couvert bancaire. Car ces addictions- sociales et Ă©conomiques- sont lĂ©gales, encouragĂ©es, et nous sommes consentants ou supposĂ©s ĂȘtre en mesure de disposer de tout notre discernement lorsque nous nous y adonnons. Car, officiellement, nous sommes des individualitĂ©s et des ĂȘtres libres. Tel est l’intitulĂ© de notre naissance. Nous sommes libres et Ă©gaux en droits. Aussi, notre usage d’une certaine consommation est-il le rĂ©sultat de notre vocation : Nous sommes faits pour ce produit, cette paire de chaussures, ce smartphone, cet ordinateur, ce crĂ©dit, cet Ă©cran de tĂ©lĂ©viseur, et, pourquoi pas, pour cette femme-ci plutĂŽt qu’une autre, pour cette Ă©cole-lĂ  pour notre enfant. Nous sommes faits pour cela car c’est ce que nous « choisissons » et peu importe si nos choix sont trĂšs influencĂ©s par nos moyens – supposĂ©s- du moment.

Le terme de « vocation » est ici trĂšs trouble, peut-ĂȘtre fourbe, car il suggĂšre une prĂ©destination vertueuse alors que pour beaucoup, une vocation se prĂ©sente ou se dĂ©cide parce-que l’on a Ă©tĂ© privĂ© dĂšs l’enfance, parfois ou souvent avant mĂȘme notre naissance, de la capacitĂ© consciente et Ă©conomique de comparer afin d’arrĂȘter notre vĂ©ritable choix.

Pour ce qui est des soldes, je peux sans doute me rassurer en me disant que je consomme moins qu’avant d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale et, aussi, que, quitte Ă  le faire, autant que ce soit durant les soldes dĂšs lors que c’est mesurĂ©, rĂ©flĂ©chi, et , si possible, Ă  la baisse. C’est peut-ĂȘtre, ce que dans un service d’addictologie, on appelle une rĂ©duction des risques. AprĂšs tout, celles et ceux qui suivent un rĂ©gime amincissant continuent bien de manger. Mais c’est leur façon de manger, leurs habitudes de vie et alimentaires, qui changent.

 

La vraie richesse et la vĂ©ritable libertĂ© consistent sans doute Ă  disposer de maniĂšre Ă©quilibrĂ©e de ses capacitĂ©s conscientes- donc morales, intellectuelles, psychologiques, physiques- et Ă©conomiques avant de faire des choix. Il y’a donc trĂšs peu de personnes libres contrairement Ă  ce qui se dit.

 

Nous sommes des millions voire des milliards ultra-connectĂ©s et nous sommes presque tout autant Ă  ĂȘtre ultra-isolĂ©s. Cela nous fait perdre bien des combats. Ce 7 janvier, cela faisait quatre ans que l’attentat de Charlie Hebdo avait eu lieu. Le 8 Janvier, cela faisait quatre ans que la policiĂšre Clarissa Jean-Philippe- « alors qu’elle Ă©tait appelĂ©e pour un banal accident de la route »- Ă©tait abattue Ă  Montrouge par le terroriste qui, le lendemain, le 9 janvier 2015, allait attaquer l’Hyper-Casher de Vincennes. En janvier 2015, des gens se battaient en faisant la queue pour se procurer le numĂ©ro de Charlie Hebdo de l’aprĂšs-attentat. Des millions de gens dĂ©filaient le 11 janvier 2015 « pour » Charlie et aussi, sans doute, pour l’Hyper-Casher. Y compris des chefs d’Etat et des personnalitĂ©s politiques cherchant Ă  se placer au bon endroit afin d’ĂȘtre bien vus des photographes et des mĂ©dia.

Assez vite, des dissonances sont apparues : un compatriote m’expliquait qu’en Guadeloupe, la marche du 11 janvier « pour » Charlie avait plutĂŽt Ă©tĂ© perçue comme une marche « raciste » car rien n’avait Ă©tĂ© dit ou fait ce jour-lĂ  en mĂ©moire de la policiĂšre Clarissa Jean-Philippe, noire et antillaise.

Des « Je suis Charlie » cessaient de l’ĂȘtre car en dĂ©saccord avec l’humour et des articles de l’hebdomadaire. Certains de ces ex « Je suis Charlie » regrettant que les terroristes aient mal accompli leur travail le 7 janvier 2015.

Certains intellectuels et journalistes, aussi, ont critiqué et critiquent Charlie Hebdo pour sa persistance à aborder certains sujets : Les intégrismes religieux islamistes et catholiques par exemple.

Des membres de Charlie Hebdo ont quittĂ© le journal depuis. J’ai d’abord cru que c’était dĂ» aux effets- trĂšs comprĂ©hensifs- du traumatisme post-attentat. J’ai compris rĂ©cemment que des dissensions parmi les membres du journal aprĂšs l’attentat Ă©taient peut-ĂȘtre la cause principale de certains de ces dĂ©parts. Et que certains de ces ex-confrĂšres, lorsqu’ils se croisent dĂ©sormais, ne « se disent plus bonjour ».

Et puis, il y’a eu cette intervention rĂ©cente de Zineb El Rhazoui, « la journaliste la plus menacĂ©e de France » (ou du monde ?) dans l’émission tĂ©lĂ©visĂ©e de Thierry Ardisson. J’en ai eu connaissance hier soir, par hasard, en tombant sur un post d’un « ami Facebook » et ex-collĂšgue du mensuel Brazil.

Zineb El Rhazoui, une des rescapĂ©es de l’attentat du 7 janvier 2015, ex-journaliste de Charlie Hebdo Ă©galement, a aussi Ă©crit sur l’attentat du Bataclan le 13 novembre 2015 (13 Zineb raconte l’enfer du 13 novembre avec 13 tĂ©moins au cƓur des attaques, Ă©ditions Ring). Livre que j’ai achetĂ© et sur lequel j’écrirai sĂ»rement comme j’ai parlĂ© du film Utoya dans la rubrique CinĂ©ma. Cela m’a un peu dĂ©rangĂ© que Zineb El Rhazoui passe dans l’émission de Thierry Ardisson car je le perçois, lui, un peu comme un animateur tĂ©lĂ© opportuniste ( autant que les autres ?). Mais le principal Ă©tait sans doute que Zineb El Rhazoui puisse venir s’exprimer sur un plateau tĂ©lĂ©. Et sans doute qu’il valait mieux venir s’exprimer dans l’émission de Thierry Ardisson plutĂŽt que dans celle d’un autre animateur tĂ©lĂ©…ou dans le vide.

Dans cet extrait d’intervention d’environ deux minutes, j’ai regardĂ© et Ă©coutĂ© cette jeune et belle femme dire comment, en tant que rescapĂ©e de l’attentat du 7 janvier 2015, elle avait personnellement ressenti ce 7 janvier 2019, ce « mĂ©pris » du PrĂ©sident Macron. Ce mĂ©pris que les gilets jaunes (8 Ăšme ou 9 Ăšme samedi de mobilisation de suite) ont Ă©voquĂ© pour expliquer leur colĂšre et leur mouvement. Zineb El Rhazoui Ă©tait visiblement Ă©mue. Elle en a expliquĂ© les raisons. Sur le plateau tĂ©lĂ©, la sympathie et l’empathie Ă©taient prĂ©sentes. Je me suis pourtant demandĂ© dans quelle solitude elle allait se retrouver ensuite, une fois qu’elle aurait quittĂ© ce plateau tĂ©lĂ©. Comme plusieurs des survivants de Charlie Hebdo, Zineb El Rhazoui vit dĂ©sormais sous escorte. Ce qui comprime beaucoup sa vie personnelle et sociale Ă  l’image sans doute d’un Roberto Saviano. Ou, dans un autre registre, d’un Edward Snowden ou d’un Julian Assange.

Je n’ai pas le courage – et sans doute ni l’extra-luciditĂ©- d’une Zineb El Rhazoui. Lequel courage (libertĂ©, tĂ©mĂ©ritĂ©, tĂ©nacitĂ© ou inconscience) s’était manifestĂ© bien avant qu’elle rejoigne la rĂ©daction de Charlie Hebdo. Je ne la connais pas. Je ne la rencontrerai sans doute jamais. Et si je la rencontrais, je ne vois pas ce que je pourrais lui dire Ă  elle comme Ă  d’autres -qui risquent leur vie avec leur culture et leur intelligence pour leurs idĂ©es- de consistant. Mais je peux la nommer elle et d’autres. Ce que je viens de faire. Et, ce faisant, je contribue un peu moins Ă  sa mort directe ou indirecte, car ne pas ou ne plus nommer les ĂȘtres, ne pas ou ne plus penser Ă  eux, c’est, d’une façon ou d’une autre, les faire disparaĂźtre ou les laisser disparaitre.

 

Avant le 7 janvier 2015, je ne lisais pas Charlie Hebdo. J’avais essayĂ©, une fois, plusieurs annĂ©es auparavant, alors que Philippe Val dirigeait encore le journal. Je n’avais pas aimĂ© le style ainsi que le contenu. Si j’ai un peu de chance, vu que je garde beaucoup de choses, je retrouverai ce numĂ©ro un jour. Depuis le 7 janvier 2015, je lis Charlie Hebdo. Je trouve un certain nombre de leurs articles trĂšs bien Ă©crits et instructifs. Il s’y parle bien-sĂ»r de l’intĂ©grisme islamiste puisque c’est celui-ci qui constitue leur Hiroshima mĂ©moriel. En cela, pour moi, Charlie Hebdo est le journal d’un deuil impossible. Mais dans Charlie Hebdo, on y parle aussi beaucoup d’autres actualitĂ©s telles que les gilets jaunes, l’écologie, les migrants, la souffrance infirmiĂšre dans les hĂŽpitaux ( il y’a quelques mois, le journal avait sollicitĂ© les tĂ©moignages de personnels exerçant dans les milieux de la santĂ©), la politique en France et ailleurs
.

En commençant Ă  Ă©crire cet article, je n’avais pas prĂ©vu de parler autant de Charlie Hebdo. De L’hyper-casher, de Clarissa Jean-Philippe (qui « a » depuis ce 11 janvier 2019 une allĂ©e qui porte son nom dans le 14Ăšme arrondissement de Paris). Il ne s’y trouvait d’ailleurs aucune ligne mentionnant Charlie Hebdo, Zineb El Rhazoui, Edward Snowden, Roberto Saviano, Julian Assange. Tout au plus avais-je prĂ©vu de mentionner, tout de mĂȘme, l’attentat de Charlie Hebdo le 7 janvier. Il est tellement de situations immĂ©diates, quotidiennes, qui nous Ă©prouvent et nous prennent. Mais nous sommes aujourd’hui le lundi 14 janvier 2019. Presqu’une semaine est passĂ©e depuis que j’ai commencĂ© la rĂ©daction de cet article. Nous sommes nombreux Ă  ĂȘtre assignĂ©s trĂšs tĂŽt Ă  une fonction, un statut, une façon de penser ou une particularitĂ© et Ă  croire que cela est dĂ©finitif. PlutĂŽt que de m’en tenir dĂ©finitivement Ă  la premiĂšre version de cet article, j’ai prĂ©fĂ©rĂ© l’ouvrir Ă  ce qui m’avait ouvert, moi, entre-temps.

 

Sur un ring, le boxeur a une acuitĂ© maximale. Car il sait et sent intuitivement que sa vie en dĂ©pend. La vie de Zineb El Rhazoui et d’autres personnalitĂ©s – y compris parmi leurs adversaires idĂ©ologiques- ressemble Ă  cela. Sauf que certains coups que l’on reçoit dans la vie sont tellement vicieux. Tellement imprĂ©visibles. Tellement protĂ©gĂ©s derriĂšre des armĂ©es de diffĂ©rentes espĂšces. DerriĂšre de vastes immunitĂ©s. Il nous faut apprendre Ă  les encaisser et Ă  les esquiver dĂšs qu’on le peut. Mais dans la vie de tous les jours, on ne peut pas tout le temps vivre aux aguets, les poings fermĂ©s et les yeux ouverts. MĂȘme un boxeur professionnel et expĂ©rimentĂ© ne peut pas le faire indĂ©finiment sur un ring. Alors, dans la vie de tous les jours, certaines et certains en profitent. D’autres donnent des coups sans le savoir et aussi parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement avant d’apprendre Ă  avoir une conscience et Ă  changer de comportement. Et aussi, parce-que, mĂȘme s’ils feront du mal Ă  quelques uns, ils feront du bien Ă  beaucoup d’autres.

D’oĂč l’importance de (savoir) bien s’entourer, de disposer de lieux de rĂ©sidences- et de retraits- sĂ»rs et de savoir entretenir des relations de bon voisinage et en bonne intelligence y compris avec des personnes que notre instinct premier nous donnerait plutĂŽt envie de rejeter ou de dĂ©fier. Cette façon de raisonner contredit ce que j’ai pu Ă©crire plus haut ou est une maniĂšre lĂąche et hypocrite de se dĂ©filer ?

Je repense Ă  Christophe, mon ex-rĂ©dacteur en chef de Brazil alors qu’au festival de Cannes, j’avais Ă©tĂ© content de lui montrer des photos que je venais d’acheter. Parmi elles, une photo de Jet Li. Christophe avait eu une mine dĂ©pitĂ©e. Lui, dĂ©fenseur d’un cinĂ©ma d’auteur indĂ©pendant, face Ă  un de « ses » journalistes lui montrant une photo d’un acteur de cinĂ©ma grand spectacle a priori sans fondement. Mais Jet Li est un artiste martial. Et, aussi bon soit-il, et il l’est, toute personne qui s’y connaĂźt un tout petit peu en films d’art martiaux sait qui est Bruce Lee. Dans son dernier film, Operation Dragon, alors qu’il se rend, mandatĂ© par le gouvernement britannique, Ă  un tournoi d’art martial, Bruce Lee croise un combattant teigneux prĂȘt Ă  se bagarrer Ă  tout bout de champ. ProvoquĂ© par celui-ci, Bruce Lee lui rĂ©pond : « Disons que mon art consiste Ă  combattre sans combattre ».

 

Mais on peut prĂ©fĂ©rer cette conclusion qui reprend mot pour mot les propos d’un manager, Thibaut Griboval, sur son site sixty-two.be, bien qu’au dĂ©part, son orientation libĂ©rale me crispe. Car celle-ci a souvent tendance Ă  mettre dans la lumiĂšre celles et ceux qui « rĂ©ussissent » et Ă  gommer tous les autres qui se sont fracassĂ©s en cours de route en essayant de rĂ©ussir :

« Nous entrons plutĂŽt dans une Ă©conomie de la crĂ©ativitĂ©, oĂč le leader est celui qui sait ouvrir des portes, voire des avenues, dans un espace surchargĂ© d’informations, difficilement lisible ».

On peut aussi s’en tenir Ă  Ă©prouver une certaine culpabilitĂ©. Comme celle que j’ai ressentie ce samedi, en croisant deux gilets jaunes, alors que je me rendais Ă  nouveau dans un magasin pour profiter des soldes. Ou hier soir en Ă©coutant et en voyant Zineb El Rhazoui parler du « mĂ©pris » du PrĂ©sident Macron lors de l’émission tĂ©lĂ©visĂ©e de Thierry Ardisson.

Quoiqu’il en soit, aujourd’hui ou demain, un ou plusieurs combats de boxe avec soi-mĂȘme auront lieu.

Franck Unimon, ce lundi 14 janvier 2019.

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