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Au Palais de Justice

Extorsion en bande organisée : suspension de séance

Paris, photo prise le 16 novembre 2021.

                 Extorsion en bande organisée : Suspension de séance

 

Dix minutes. C’est la durée de la suspension de séance décidée par le président.

 

Une musique d’ambiance pourrait être mise pour « relâcher » l’atmosphère. Mais nous sommes dans la cour d’assises d’un tribunal en plein Paris. Et non dans une discothèque. Un plaignant s’est exprimé et a aussi été interrogé. 87 500 euros ont été exigés de lui. Il a raconté un « calvaire » qui a duré six mois. Jusqu’à ce qu’il décide de porter plainte. ( Lire Extorsion en bande organisée : Des hommes dans un garage et les avocats de la Défense ) 

 

Six accusés ont assisté à ces échanges. Trois dans le box, gardés par des gendarmes qui se sont relayés. Trois assis de profil devant la ligne des avocats de la défense.

 

Sitôt la durée de la suspension de séance prononcée, la salle Georges Vedel se vide.

Les personnes assises devant et derrière moi, mais aussi sur le côté, sortent. Il est un peu plus de 13h45. Lorsque je suis arrivé vers 10h, l’audience avait déja commencé.  

 

J’ai faim. Mais dix minutes, c’est court. Je décide de rester. Je me sens très bien, assis. Si personne ne me demande de sortir, je reste assis. En sortant, l’avocat de la Défense aux cheveux gominés, le premier des avocats de la Défense à s’être adressé au plaignant, celui que j’avais ensuite vu passer son bras autour du cou de la femme à qui il avait parlé dans le creux de l’oreille, me sourit. Je dissèque ce sourire comme l’adresse du séducteur d’expérience plus que comme une marque de sympathique. C’est mon parti pris. Je sors une des compotes de mon sac et la bois.

 

Je n’attends rien de particulier. Cependant, dans la salle, pendant ces dix minutes où tout le monde est sorti, à quelques mètres devant moi, il se passe quelque chose.

Je me dis que j’ai bien fait de rester. Manger, aller aux toilettes, passer ou recevoir un coup de téléphone, fumer une cigarette, discuter, cela peut être nécessaire en dix minutes et important pour la suite. Mais, ici, aussi, ce que je vois maintenant est important.

Un des accusés dans le box, assez grand, peut-être le plus grand des trois, s’est retourné. Debout, il parle à un des gendarmes. On dirait une discussion. Du moins dirait-on que cet homme, parmi les accusés, parle à ce gendarme comme s’il était ailleurs que dans un tribunal. L’homme est assez volubile, détendu. Le gendarme qui l’écoute, aussi, bien qu’une certaine distance physique subsiste. Non loin de là, ses deux autres collègues gendarmes sont bien présents.

 

Je ne sais si le gendarme écoute le prévenu par intérêt. Ou s’il l’écoute par curiosité et par politesse. Le prévenu, lui, semble chercher à convaincre de sa bonne foi ce gendarme qui ne le juge pas.

 

La jeune avocate de la défense, celle que dans la vie courante j’aurais plutôt eu envie de protéger, revient avec à manger et deux petites bouteilles d’eau. Le genre de nourriture (sandwich avec du pain de mie ou autre) que l’on achète dans des distributeurs. Elle le tend aux prévenus dans le box.

Le prévenu « parlant », remet aussitôt au gendarme ce qu’il vient de recevoir afin que celui-ci l’inspecte. Un seul coup d’œil suffit au gendarme pour donner son accord.

 

Peu après, le même prévenu, parle à l’avocate de la Défense qui a donné « chaud » au plaignant en l’acculant avec ses questions. Dès que la suspension de la séance avait été prononcée par le juge, je l’avais vue sortir en souriant alors qu’elle discutait, en toute décontraction, avec un des avocats de la Défense. Peut-être celui des « colorations » ou celui qui avait évoqué un vice de procédure parce-que le plaignant lui avait donné l’impression de lire des notes.

 

Cette avocate «  qui donne chaud » est revenue avant plusieurs de ses collègues de la Défense mais aussi avant la fin des dix minutes.

 

Toujours le même prévenu, qui semble le meneur des trois, parle maintenant à cette avocate. Il pose sa main sur sa manche de l’avocate. La vitre du box des accusés mais aussi trente bons centimètres de hauteur les séparent tant il est plutôt grand. Et, elle, plutôt petite. Cependant, à nouveau, elle est souriante et très détendue. Même sans cette vitre entre eux, on comprend que seule, avec lui, elle n’aurait pas peur. Une relation de grande confiance, voire de complicité, est visible entre les deux.

 

Je n’ai pas du tout perçu ça entre le plaignant et son avocat. Il est vrai que je n’ai pas entendu l’avocat du plaignant beaucoup s’exprimer. Mais un autre avocat, apparemment du plaignant, présent, lui, dans la salle, ne m’a pas fait une impression aussi mémorable lorsqu’il a pris la parole.

 

En constatant ce contraste, le prévenu apparaît être un gentil garçon ; ou l’avocate, une personne très rouée pour pouvoir être aussi à l’aise avec un homme ( l’accusé) qui, lorsqu’il est libre, est sûrement beaucoup moins affable lors de certaines circonstances.

Je me fais des idées. Car je m’imagine que réclamer de l’argent, faire pression sur quelqu’un, lorsque l’on est ni banquier, ni percepteur des impôts, cela se fait autrement qu’au moyen d’un courrier que l’on envoie. Le destinataire de cette réclamation ou le débiteur désigné est, je crois, susceptible d’accuser corporellement réception de quelques coups. Ou d’apprendre concrètement à les envisager dans un avenir toujours trop immédiat.

 

Toute cette trame est absente de ce que je vois. Sans cette cour d’assises et ces gendarmes, je pourrais penser qu’il y a juste quelques personnes qui restent là à discuter comme partout ailleurs. On pourrait remplacer cet endroit par la terrasse d’un café ou d’un restaurant. Et ces gens que je regarde seraient alors des gens comme il y en a tant. Ordinairement. Quotidiennement.

Paris, gare St Lazare, mercredi 16 novembre 2021.

 

Franck Unimon, mercredi 17 novembre 2021.

 

 

 

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