Extorsion en bande organisée : Des hommes dans un garage et les avocats la Défense
( On peut lire avant cet article Extorsion : Trouver la salle d’audience )
Une dette à payer
Ce lundi matin, l’audience a déjà commencé. Six accusés sont présents. Trois sont dans le box. Derrière eux, autant de gendarmes. Devant eux, la ligne des avocats de la défense. Cinq ou six avocats de la défense sont assis à une table. Deux ou trois ordinateurs portables sont en marche devant eux. A côté de chaque avocat, sa pile de dossiers et de documents. Trois femmes. Autant d’hommes ou presque. Devant les avocats de la défense : trois autres accusés assis de profil, les uns derrière les autres. Ces prévenus ont entre 30 et 40 ans de moyenne d’âge. Le plaignant est également dans cette moyenne d’âge.
On le regarde et l’entend – le plaignant- en hauteur sur deux écrans. Celui-ci est assis devant une table. A ses côtés, son avocat en robe noire.
Le plaignant répond aux questions du juge. Et raconte. Un jour, des hommes sont venus dans le garage auto qu’il dirige alors. Ils lui ont appris qu’il devait 87 500 euros à une de ses connaissances, K ( la lettre du prénom a été changée pour des raisons d’anonymat).
L’un des avocats de la défense intervient et évoque un vice de procédure : il fait remarquer que le plaignant semble lire des notes sur la feuille posée devant lui ! Le plaignant dément. Son avocat prend la feuille et vient la rapprocher de la caméra. A part la date du jour, il n’ y a rien d’écrit sur la feuille. Le juge fait savoir que rien n’interdit au plaignant d’avoir des notes.
A la suite de ce « racket », le plaignant est amené à se rendre dans diverses villes de la région parisienne ( où le plaignant réside) à la demande de ceux qui le pressent de payer. Celui-ci explique qu’il a aussi dû effectuer des réparations à « l’œil ».
La première visite de ses agresseurs remonterait à décembre 20…. Le juge parle de « l’épisode relativement violent où vous êtes frappé ». Le plaignant acquiesce. Après avoir donné une certaine somme d’argent, il s’est mis d’accord avec ceux qui lui forcent la main de rembourser 5000 euros par mois. « Des ponctions ». Ainsi que pour accepter de faire des réparations gratuites pour eux, leurs amis. Il raconte qu’il a aussi été sollicité pour ouvrir une ligne de crédit. Afin que ceux qui le molestaient puissent avoir accès à ses fournisseurs gratuitement et, ce, aux frais de son garage.
Le plaignant raconte qu’il est allé chercher ses économies en espèces chez ses parents pour un montant de 9000 euros. Qu’il a obtenu qu’un de ses amis lui prête 3000 euros alors que celui-ci avait besoin de cette somme pour partir à l’étranger. Des collègues ont pu lui prêter 35 000 euros. Et il a réussi par ailleurs à récupérer 20 000 euros.
Il lui a été dit « Si on vient, c’est pour K…. ». Le juge constate :
« Vous avez lâché K très tard. Avec beaucoup de difficultés… ».
Porter plainte
Le juge : « On s’interroge tous. Pourquoi vous avez attendu pour déposer plainte ? »
Le plaignant : « J’ai tenu jusqu’au moins de juin. Ça a sûrement été une grosse erreur ».
« Comment expliquez-vous que cette menace ne se soit jamais matérialisée ? ».
Nous apprenons que le plaignant est surnommé Madoff. Celui-ci raconte avoir été obligé de se rendre dans un bar à chicha. D’avoir reçu un coup de tuyau à Chicha derrière la tête. De s’être fait frapper par plusieurs personnes. De s’être retrouvé au sol, replié en boule. « Ne serre pas la main à ce fils de pute, il n’y a pas d’argent ! ». Un homme l’a sommé de trouver une solution dans les dix minutes, autrement, une pince à chicha dans la main :
« Je te crève les yeux avec ! ».
Le plaignant raconte que lorsque l’un de ses agresseurs l’appelait chez ses parents, il était obligé de répondre dès la première sonnerie. « Comment va ton père ? ». Ensuite, son interlocuteur lui demandait de l’argent. « J’comprends pas » commente le plaignant.
Il y a eu un incendie dans son garage. Il aurait été suspecté. Il répond :
« Suspect ? Non. Je suis témoin assisté ». Le plaignant explique qu’il y a eu un non-lieu. Un appel. « Je suis toujours témoin assisté ».
« Comment ces individus ont pu vous convaincre de les payer ? ».
« C’est pas des enfants de chœur. Ça se voit directement. N’importe qui aurait réagi comme moi ».
« Est-ce que vous avez vu un psychiatre ensuite ? ».
Oui, il a vu une psychologue.
L’Avocat général
L’avocat général prend la parole :
« D’abord, je voudrais dire que je vous trouve plutôt courageux. Je le dis comme je le pense. Vous avez maintenu ce que vous avez dit. C’est important pour moi ».
L’avocat général précise que lorsque l’on entend parler de la première fois où ces hommes sont venus dans son garage, que l’on a l’impression que cela a duré peu de temps :
« Est-ce que vous pouvez nous dire combien de temps ça a duré ? ».
« ça a duré longtemps. Deux à trois heures ». Le plaignant dit que le bornage des téléphones permet de le savoir.
L’avocat général : « Qu’est-ce qui se passe pendant ces deux heures trente de temps ? ».
Le plaignant : « Déjà, on voit sa vie défiler. Après, j’ai appelé tout mon répertoire pour ramasser de l’argent…ça prend du temps. Il fallait que je laisse le haut parleur quand j’appelais….des gens que je n’avais pas eus au téléphone depuis un p’tit moment. Donc, il fallait d’abord prendre des nouvelles…. ».
L’avocat général : « Comment on arrive à se souvenir ? Qu’est-ce qui est marquant ? Est-ce que vous pouvez le dire à la cour d’assises ? ».
Le plaignant : « Monsieur, tout est marquant. Pendant six mois, c’est un calvaire. C’est un traumatisme. Plus j’en reparle et plus il y a des choses qui reviennent ».
L’avocat général : « Ma question est un peu provocatrice. Quel serait votre intérêt d’avoir inventé tous ces détails ? De donner de tels détails ? Sauf si vous avez une déficience ou une maladie nosographiquement répertoriée par la psychiatrie ».
Le plaignant : « Oui, je suis encore traumatisé. Sinon, je serais avec vous en salle. J’ai même peur de sortir. J’ai peur d’être suivi. Je suis redevenu salarié. Je veux plus les voir. Même voir leur visage, j’ai pas envie. Ils m’ont bousillé ma vie. Je veux être tranquille ».
Un des jurés (vraisemblablement) se lève et l’interroge.
Le plaignant : « Je n’ai pas fait Sciences Po mais on voit que c’est des professionnels. Ce n’est pas leur premier coup (….).
L’avocat général ? : « Je suis désolé, j’ai fait Sciences Po…mais j’ai eu du mal à calculer le préjudice…. ». « S’il n’y a pas de dettes, pourquoi ils viennent vers vous ? Vous avez expliqué qu’ils étaient bien renseignés sur vous. En juin 20… ( six mois après le début des faits), vous avez déposé plainte. Comment se fait-il qu’ils arrivent avec cette somme de 87 500 euros ? ».
Le plaignant : « Mr B…savait même que le garage n’était pas encore à mon nom. Donc, ce sont des gens très professionnels. Très bien renseignés ».
Du flouze et des flous
S’ensuivent des interrogations sur l’identité de Mr K qui se serait plaint que le plaignant ait une dette envers lui. Ce que le plaignant dément. Selon lui, il aurait remboursé Mr K de la somme qu’il lui devait (20 000 euros). Et il ne voit pas la raison pour laquelle Mr K serait mêlé à cette histoire. Le plaignant affirme aussi ne pas connaître le nom et l’identité de ce Mr K qu’il a pourtant rencontré à plusieurs reprises. Le plaignant peut dire de Mr K, qu’il l’a toujours vu « sale ». Pour le présenter comme quelqu’un de très travailleur.
L’avocat général prend la parole pour affirmer :
« S’il y a quelqu’un qui doit donner l’identité de Mr K, c’est les accusés et pas vous ! ».
Le plaignant souligne qu’il y avait un litige entre les deux recouvreurs de dettes qui faisaient pression sur lui. Comme s’il y avait une compétition entre eux. A qui obtiendrait le premier les remboursements qu’ils lui réclamaient. « Ils parlaient de dossiers ». Le plaignant en déduit que ces deux hommes exerçaient du racket sur d’autres personnes.
Mes impressions :
Je suis en totale empathie avec le plaignant. Je suis aussi agréablement surpris : pour une fois que le procureur est sympa. Je n’ai pas aimé l’intervention de l’avocat de la défense au début avec cette histoire de feuilles et de notes. J’ai vu ça comme une tentative de déstabilisation du plaignant.
Mais je retrouve déja ce fossé entre, d’une part, les principaux acteurs de la cour qui s’expriment bien, qui ont fait de hautes études et qui appartiennent à une classe sociale élevée. Et le plaignant qui, malgré ses efforts et son entreprise ( il a l’air d’être bon en mécanique) est un homme d’un milieu social « limité ».
C’est ensuite au tour des avocats de la défense.
Les avocats de la Défense
Après quelques regards et quelques échanges, les avocats de la défense se décident rapidement entre eux afin de savoir lequel d’entre eux va prendre la parole le premier.
C’est finalement un avocat aux cheveux noirs gominés, qui porte des lunettes, d’une quarantaine d’années qui, pour commencer, s’adresse au plaignant, en s’avançant jusqu’à l’un des micros.
Le premier avocat de la défense récapitule :
« Le 1er décembre 20…, une incursion a lieu dans votre garage. Des gens vous disent qu’ils sont bien renseignés sur vous. Que vous disent-ils exactement ? ».
Le plaignant :
« Ils me disent que mon frère va ouvrir un restaurant à A…ce que j’ignorais. Ils connaissent l’adresse de mes parents. Ils savent aussi que je suis propriétaire ( à l’étranger) ».
L’avocat de la défense :
« C’est quoi, aujourd’hui, les raisons de vos craintes ? Il y a 15 gendarmes ! ».
Le plaignant : « Ce sont des gens très professionnels. J’ai dû changer d’adresse ».
L’avocat de la défense :
« Depuis votre plainte, il n’y a jamais eu de problèmes ? ».
Le plaignant : « Non ».
L’avocat de la Défense : « C’est finalement vous qui pensez….c’est votre ressenti ».
Mes impressions
Avec ses cheveux gominés, et sa façon de gommer les aspects de la violence de la situation, je vois cet avocat de la défense comme un roublard. En le voyant ensuite assis devant moi, son bras passé autour du cou de la femme à qui il parlera dans l’oreille avec aisance, il me fera d’autant plus l’effet de celui qui parade. Plus tard, lors de la suspension de séance, en quittant la salle, il m’adressera en passant un sourire que je prendrai davantage comme une attache de séduction que pour un réel geste de bienveillance et de sympathie.
La seconde avocate de la défense :
La cinquantaine, les cheveux quelque peu ébouriffés, elle se lève et s’approche du micro. Après le « Bonjour Monsieur » d’usage comme son confrère précédent, elle commence.
« Vous nous avez dit que vous êtes un honnête travailleur….depuis 2013, pouvez-vous nous dire votre CV ? »
« A combien estimez-vous votre revenu déclaré en 2016 ? ».
« Est-ce que vous avez un joli véhicule ? Une belle montre ? ».
Le plaignant répond que sur les réseaux sociaux, il a pu se montrer en photo près de sa belle voiture.
L’avocate de la défense pointe que sa société n’était pas à son nom. « C’est un ami » explique le plaignant.
L’avocate de la défense demande s’il a un compte bancaire. Oui.
« Ce n’est pas ce que vous avez déclaré, mais ce n’est pas grave ». Le plaignant conteste. Pendant trois à quatre bonnes minutes, l’avocate de la défense cherche dans son dossier la déclaration à laquelle elle fait référence. Puis, elle annonce la cote du document à la cour.
« Le diable se cache dans les détails » poursuit l’avocate de la défense. Celle-ci dit devant la cour que cet ami dont le nom se retrouve sur sa société « est connu pour avoir renversé une personne âgée ».
« Pour quelqu’un qui menait grande vie, vous n’aviez pas de compte bancaire. Donc, vous aviez menti au juge d’instruction » avance l’avocate de la défense.
Le plaignant répond avoir acheté une Bentley 32 800 euros. Mais elle était « en très mauvais état ». Il ajoute : « Je suis toujours en procédure ». Le véhicule , qui a été revendu, a été immobilisé.
Le policier qui était son conseil, Mr M, « a été condamné » informe l’avocate de la défense. Celle-ci continue. D’après ses recherches, il est décrit comme
« Un très mauvais gestionnaire » ; « Un puits sans fond » ; « avec une montre de merde ». Elle demande au plaignant :
« Comment vous vous définiriez ? ».
Le plaignant : « Comme un très bon gestionnaire ».
L’avocate de la défense : « Ce n’est pas ce qui ressort de votre dossier, je vous le dis ! ». « Vous ne le savez peut-être pas ! ».
L’avocate de la défense : « Ces gens s’en prennent rarement à des personnes qui n’ont pas d’argent. En général, ils s’en prennent à des patrons de boites de nuit. Alors que vous, vous n’avez rien ! ».
Le plaignant : « Vous avez l’air très bien renseignée, peu importe ».
Mes impressions :
Je suis partagé. Avec son style ébouriffé et apparemment bordélique, cette avocate de la défense a d’abord l’air à côté de ses pensées. Alors qu’elle s’entortille autour de son dossier tel du lierre, se resserre, puis se montre particulièrement opiniâtre. D’un côté, son style « fripé » un peu à la Columbo me plait. D’un autre côté, comme je suis encore en empathie avec le plaignant, je vois dans son attitude un certain manque de respect mais aussi beaucoup d’agressivité déplacée envers celui que je continue de voir comme innocent. Et plus à protéger qu’à attaquer.
C’est ensuite au tour d’un troisième avocat de la défense.
Le troisième avocat de la défense :
Cheveux très courts. Il a à peine la quarantaine mais, néanmoins, un aplomb certain.
A nouveau, cela commence par un bonjour d’usage poli puis :
« J’ai peu de questions. Avant, je faisais un peu de Droit des affaires….ces 20 000 euros ( que le plaignant affirme avoir rendu devant témoins à Mr K), vous les avez déclarés au fisc ? ».
Le plaignant reconnaît que non.
L’avocat de la Défense : « A partir de 750 euros, vous êtes obligé de les déclarer ».
Le plaignant :
« Je ne savais pas ».
L’avocat de la Défense : « Pourquoi vous ne les avez pas empruntés à la banque ? ».
Le plaignant explique qu’il avait dépassé les 33% de son taux d’endettement en créant et en ouvrant son garage.
L’avocat de la défense :
« Celui qui prétend qu’il a payé doit prouver qu’il a payé. Il y a un écrit ? On trouve des formulaires sur internet. C’est très bien fait sur google. Vous savez ce que c’est, une facture ? ».
Le plaignant répond et affirme avoir remboursé sa dette.
L’avocat de la défense : « Non. Ce n’est pas vrai. On n’a pas lu le même dossier ». « Tout va bien depuis que tout le monde est en prison ? ». « Je n’ai pas envie de vous embêter avec ça….(….) vous sortez un peu dans Paris ? (….) vous longez les murs….(….) Si je vous donne le Libertalia, vous connaissez ? ».
Le plaignant connaît cet endroit. Il y est déjà allé. L’avocat de la défense lui demande quand il y est allé pour la dernière fois. Le plaignant peine à se souvenir. 3 ans ? 5 ans ?
L’avocat de la Défense annonce qu’il a une preuve attestant qu’il s’y est rendu….
Le juge intervient alors à l’encontre de l’avocat de la défense :
« Vous n’êtes pas aux Etats-Unis ! Si vous abordez le sujet, vous devez verser la pièce au dossier ! C’est tout à fait déloyal ! »
Mes impressions :
Je suis heurté par le manque d’empathie de l’avocat de la défense pour le plaignant. Tout est bon pour le bousculer. Y compris le fait de faire passer le plaignant pour un abruti.
4ème avocate de la Defense, 2ème conseil d’un des accusés :
Si mes souvenirs sont bons, il s’agit d’une jeune femme, d’à peine trente ans, dont l’allure, dans la vie réelle, la ferait passer pour une personne douce faisant partie des espèces que l’on aurait plutôt envie de protéger ou d’escorter.
Après un bonjour poli d’usage, elle prévient :
Elle est en total désaccord avec ses déclarations….” comme vous allez très vite vous en rendre compte “.
« Vous avez une propension à aller au commissariat… ». (….) « Dommage que vous ne l’ayez pas dit au juge d’instruction » (….) « Est-ce que c’est normal, pour une victime traumatisée, d’être entendue 11 fois par la SDPJ ( Sous-direction de la Police Judiciaire )? ».
Le plaignant : « Je n’en sais rien ».
L’avocate de la défense : « Alors, je vais vous l’apprendre, Monsieur…. ».
L’avocate s’appuie un moment sur le bornage de la téléphonie mobile pour affirmer que, contrairement à ses dires, un des accusés était absent lors d’une des transactions de racket.
Le juge intervient de nouveau :
« Non, Maitre ! Vous ne pouvez pas dire ça ! La téléphonie n’est pas une preuve incontestable de l’absence de quelqu’un ».
L’avocate de la Défense reprend :
« C’est assez impressionnant, le nombre de vos versions, Monsieur. Mais vous allez nous l’expliquer ». (….) « Vous venez vous adapter, si vous me le permettez, aux questions que l’on vous posait…moi, je ne comprends plus…. » (….) « Il n’y a pas de bonne réponse,monsieur ! ». (….)
Mes impressions :
Cette impression que les avocats de la défense, par tous les moyens qu’a leur inspiration, tentent d’imposer au plaignant la reconstitution du puzzle qu’ils se sont faites mais, aussi, qui les arrange. Je prise peu, cette mauvaise foi et aussi ces coups de griffe qu’ils adressent au passage, l’air de rien, au plaignant, et qui imposent un certain mépris à celui ou celle qui n’est pas de leur « race ». Leur « race » étant leur bord et celles et ceux qui défendent. On peut bien-sûr voir leurs remarques et leurs astuces comme une mise en scène. Mais ce n’est pas eux qui jouent leur vie ou leur moral ou leur réputation. J’ai l’impression qu’ils disposent d’un certain droit de tuer peut-être aussi meurtrier ou plus meurtrier que celles et ceux qui commettent des meurtres de chair et de sang. Sauf que leur droit de tuer est récompensé et salué par la société.
Je n’aime pas non plus le fait qu’ils jouent sur le temps et l’usure dont ils semblent disposer à leur gré pour faire plier ou supplicier celle ou celui qu’ils ciblent. Plusieurs fois, un avocat ou une avocate de la défense a lancé « j’ai encore une avant dernière question. Non, finalement, trois… ». Il y a une sorte de sadisme de leur part, je trouve, dans leur façon d’interroger. Une certaine manière de séquestrer psychologiquement celle ou celui qu’ils confrontent en vue de le posséder. On dit que le but d’un jugement est de se rapprocher de la vérité. Mais je me demande si tout cela est un prétexte. L’autre but est peut-être aussi de tenter de disposer de la destinée d’autrui et de la faire se déplacer vers un trajet autre que celui de sa propre volonté.
L’avocate-lierre ( pour la défense) aux cheveux ébouriffés reprend la main :
« J’ai cru ne pas comprendre….vous m’avez dit quoi ? pour votre activité plus ou moins occulte…. ».
Le juge intervient de nouveau :
« Vous avez mal entendu, Maitre ».
L’avocate-lierre (pour la défense) :
« Je ne peux pas prendre de notes quand je suis à la barre, Monsieur le Président ».
La cinquième avocate de la Défense :
C’est une femme brune d’une trentaine d’années, plutôt ronde. Jusque là, elle s’est peu fait remarquer. Elle doit à peine mesurer 1m65. Spontanément, si je l’avais croisée dehors, je lui trouverais une certaine douceur. Peut-être le cliché dû aux rondeurs. Car de tous, ce sera celle qui cognera, le plus fort et le plus longtemps, le plaignant dans les angles.
Elle commence par un « Bonjour » comme d’habitude. Puis :
« Est-ce que vous suivez l’actualité ? ». L’avocate de la Défense enchaîne ensuite sur un article récent du journal Le Parisien sur le logiciel Orion que la gendarmerie envisage d’utiliser pour détecter les mensonges en recoupant les propos employés dans les déclarations.
« Si on avait passé vos auditions au logiciel Orion, on ne s’en sortirait pas ». (…..) . Avec un grand sourire, l’avocate parle de « suivre le menteur jusqu’à sa porte ».
« Comment vous expliquez la somme de 87 500 euros ? ».
Le plaignant : « Je vais répondre pour la troisième fois ».
L’avocate de la Défense : « Même une quatrième fois, s’il le faut ! ». (….) « C’est quand vous avez été acculé que vous avez daigné… » ( ….) « Vous avez répondu plus ou moins jusque là…. » (….) « Comme vous dites, tout et son contraire, on ne sait plus ! ». (….) « Je sais, vous avez chaud ! ».
Le plaignant : « Je n’ai pas du tout chaud, Madame. Vous me donnez chaud ! ».
Grand sourire- presque sympathique- de l’avocate de la Défense :
« Je vous ai un petit peu bousculé » ( ….) « On a prouvé que vous avez menti…. » (…) « Je suis désolée » (…..) « Chaque fois que l’on vous demande de prouver quelque chose, il n’y a pas de traces… » (….) « Je ne suis pas dans votre vie ! ».
Il est expliqué (par le plaignant ?) qu’il avait eu le projet de vendre un véhicule 83 000 euros. Ce véhicule a été réquisitionné par le policier qui aurait été en cheville avec les personnes qui l’ont racketté.
Agacé d’être « un petit peu bousculé », le plaignant lâche à l’avocate de la Défense :
« Lisez le Parisien, vous avez raison, Madame ! ».
L’avocate de la Défense :
« J’ai une question sur X…vous dites quoi sur X ? Il a quoi à faire dans notre affaire ?! » (….) « ça s’apparente à des menaces. Vous faites la différence entre violences et menaces ? ». (….) « Je veux juste comprendre votre psychologie, c’est ça qui m’intéresse ! » (…..) « Vous êtes quelqu’un d’intelligent, c’est pas possible de me dire ça ! »
Lorsque cette avocate de la Défense a débuté, il était 12h55. Son intervention devait être assez courte. D’autant que le plaignant avait répondu au juge qu’il devrait partir à 13h. Etant donné qu’on lui avait dit de prendre « sa demi-journée ». Il travaille à 14h et, pour être l’heure, il lui fallait impérativement partir à 13h. Or, il est 13h30 lorsque cette confrontation se termine. A plusieurs reprises, cerné, dépité, débouté, le plaignant a soit tardé à répondre, soit lâché : « Si vous le dites ! ». Un moment, se tournant vers son avocat, il a voulu refuser de répondre tant il se sentait agressé par l’avocate de la Défense. Son avocat l’a alors enjoint à répondre. Le plaignant s’est alors plié à l’exercice devant une avocate de la Défense le pressant crescendo. « C’est trop facile de ne pas répondre ! ».
Plus tôt, concernant les coups ( avant ceux « portés » par l’avocate de la Défense) que le plaignant dit avoir reçus dans le bar à chicha, l’ami chez qui il s’est refugié quelques jours ensuite en Belgique a affirmé aux enquêteurs ne pas avoir remarqué de traces de coups sur lui. Le plaignant maintient sa version. Les coups ont été portés sur son thorax (« Je ne me déshabille pas devant mon ami ») et derrière la tête. Ce qui, selon lui, ne se voit pas forcément. Et, il n’est pas allé voir un médecin car, autrement, avec le certificat médical, il serait parti « porter plainte ». « Bonne réponse » avait alors dit l’avocate de la Défense. Mais cela, c’était dans les débuts de leur « échange ». A la fin de celui-ci, le plaignant finit par lâcher :
« Hé bien, le jour où vous aurez vécu ce que j’ai vécu, vous comprendrez…. ».
Mes impressions :
Encore une fois, l’agressivité frontale et les insinuations- en termes de jugement mais aussi de domination- de l’avocate de la Défense m’ont dérangé. Cependant, dans les propos, cette avocate de la Défense, peut-être plus que les autres, fait corps à corps avec le plaignant. Des expressions comme « Je ne suis pas dans votre vie ! » ou « je veux juste comprendre votre psychologie, c’est ça qui m’intéresse ! » laissent penser que nous sommes plus dans une relation intime et passionnelle que dans une salle d’audience. Une relation intime, passionnelle et publique qu’elle impose au plaignant et qui ne peut que, en tant qu’homme hétérosexuel et marié, l’embarrasser et lui faire perdre une partie de ses moyens comme de ses défenses. Par moments, que ce soit avec cette avocate de la Défense et/ou une autre, je perçois dans certains propos des allusions à la supposée impuissance virile du plaignant. Ce n’est jamais dit comme tel. Mais glissé dans les expressions par petites touches. Et on appuie.
La démonstration de cette avocate de la défense, à la suite des interventions des autres avocats de la défense, est si imposante qu’elle me marque plus que les éventuels mensonges du plaignant. A ce stade-là, je ne me dis pas encore que le plaignant a tout faux. Je remarque surtout la prestation de cette avocate de la Défense. Et, même si j’ai du mal avec toute cette agressivité et ces insinuations qu’elle déverse après ses consoeurs et confrères je me dis qu’en cas de nécessité, j’aimerais bien avoir cette personne comme avocate. Mais surtout pas comme compagne : Maitre Keren Saffar.
Quant à L’avocat de la Défense aux cheveux gominés, il s’agit de Maitre Raphaël Chiche.
Il est donc 13h30. Le plaignant aurait dû partir à 13h pour arriver à l’heure à son travail où il est désormais salarié. Et, c’est là que s’avance un dernier avocat de la Défense. Il s’était déjà un petit peu exprimé. Cet avocat de la Défense a une bonne cinquantaine d’années. Il a l’aura-et le verbe élégant- de l’avocat qui étincelle. Ses phrases sont des mouchoirs à la ponctuation fine et délicate repassée de près. Mais elles s’emparent de tout ce qu’elles approchent. Le plaignant proteste. Il est déjà en retard pour son travail. Il est aussi trop tard pour échapper à l’avocat de la Défense qui, dans la facilité et le sourire, l’entourloupe et lui fait comprendre qu’il va rester pour répondre à quelques questions. Il en a juste « pour cinq minutes » assure-t’il.
Les « cinq minutes » du Sixième avocat de la Défense :
Je croyais avoir bien entendu son nom lorsqu’il l’a prononcé. J’avais entendu Maitre Viguier. Mais je n’en suis pas sûr. Celui-ci commence par :
« Que faisait votre femme dans le garage ? » (….) « Avez-vous fait des photos ? » (…) « J’ai une dernière question ou peut-être une avant dernière ? ».
Soulagé par le « tact » de cet avocat de la Défense, le plaignant dit « à vous, je vais vous répondre ».
Le plaignant répond que sa femme s’occupait de la gestion (ou de le comptabilité) du garage.
L’avocat de la Défense qualifie les réponses ou les affirmations du plaignant comme étant « les plus alourdissantes en termes de coloration ». L’avocat de la Défense ajoute :
« Je ne suis pas d’emblée convaincu par ce que vous venez de dire ». Rappelant au plaignant que son courage avait été salué par l’avocat général, l’avocat de la Défense conclut :
« Moi, j’ai surtout l’impression que vous n’avez peur de rien ».
Mes impressions :
L’avocate précédente de la défense a opéré un très beau travail au corps du plaignant. Pour la première fois, celui-ci a eu du mal à répondre comme il le faisait jusqu’alors en étant concentré, sûr de lui , et fournissant force détails. Il ne reste plus beaucoup de temps avant que celui-ci s’en aille. D’autant qu’il a répondu qu’il n’avait pas de disponibilité dans l’immédiat pour être à nouveau interrogé. Donc, autant s’engouffrer pendant qu’il reste quelques minutes, dans le travail de brèche réalisé dans la défense du plaignant.
Ensuite, c’est au tour de l’avocat qui avait fait « un peu de Droit des affaires » de reprendre la parole. Celui qui s’est cru aux Etats-Unis d’après la remarque du juge.
Le plaignant proteste à nouveau. Il est alors plus de 13h30. Il devait partir à 13h.
L’avocat de la Défense qui avait fait « un peu de Droit des affaires » justifie le fait de retenir et de retarder encore un peu plus le plaignant par un « Il me reste 30 secondes sur les 5 minutes » dit avec un discret sourire.
Cet avocat de la Défense reste sur son parcours au Libertalia. ( Un lieu dont je n’avais jamais entendu parler. Je m’attendais à un endroit quelconque ou plutôt à éviter. Mais en regardant sur le net, j’ai vu que c’était plutôt assez select). Il poursuit :
« Mr Z (un des accusés)…a été physionomiste au Libertalia. Il vous a laissé entrer gratuitement. Vous avez pu échanger tranquillement. Vous avez été filmé. Vous avez un beau verre à la main ».
Le plaignant ne semble pas plus dérangé que cela par cette “révélation” lorsqu’il prend congé et quitte l’écran.
Ensuite, cet avocat de la Défense s’adresse à la greffière. Le juge intervient :
« Faisons les choses simplement. Pourquoi vous vous adressez à ma greffière ? Passez par moi ».
L’avocat de la Défense s’exécute. Puis, le juge traduit à la greffière la demande de l’avocat de la Défense de joindre au dossier telle preuve relative à la vidéo montrant le plaignant devant le Libertalia.
Le plaignant s’en va à 13h35.
Le juge répond à l’avocate de la Défense-Lierre aux cheveux ébouriffés et qui semble à côté de ses pensées:
« Non ! Ce n’est pas possible d’avoir une suspension d’audience par correction pour le témoin qui attend »
L’entrée du témoin :
Mr V a été associé du plaignant. Le plaignant a plusieurs fois cité cet homme comme étant présent lorsqu’il a remboursé Mr K. Mais aussi comme pouvant témoigner de certains faits de violence qui se sont déroulés dans son garage (celui que dirigeait alors le plaignant).
Il est pratiquement 13h45 lorsque le témoin, Mr V, entre dans la salle d’audience.
Il est demandé au témoin de décliner/confirmer son identité. Ce qu’il fait. Le juge s’adresse à lui :
« Cela fait deux heures et demie que vous attendez. Vous est-il possible d’attendre encore un petit peu avant de témoigner ? ». Le témoin répond que c’est possible. Le juge le remercie et prononce une suspension de séance de dix minutes. Le témoin retourne dans la pièce où il attendait.
Mes impressions :
Coupable ou innocent, je me dis que passer dans le tamis des questions et des remarques des avocats de la Défense, du procureur, des juges, et, avant eux, des officiers de police ou de nos propres avocats est une épreuve éreintante qui peut détruire. J’ai bien-sûr au moins pensé aux victimes des attentats du 13 novembre 2015 dont le procès a débuté début septembre jusqu’en avril ou mai 2022. Je comprends que certaines des victimes de ces attentats du 13 novembre 2015 aient préféré éviter de venir témoigner au tribunal. Dans mon prochain article, qui sera plus court, je parlerai du témoignage de Mr V après la reprise de l’audience.
Franck Unimon, ce vendredi 12 novembre 2021.