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MĂȘme si je n’en parle pas

                                          MĂȘme si je n’en parle pas

 

 

Mieux vaut apprendre Ă  bien connaĂźtre son propre regard. Car il est le maitre dont chaque lueur – mĂȘme indistincte- lui permettra de mesurer sa valeur.

D’oĂč me viennent ce regard, cette voix, cette gestuelle, cette posture, ces volontĂ©s, ces mots que je prononce et par lesquels je m’ensemence ? S’agit-il de sĂ©quelles, de parcelles, de dĂ©faites, de victoires ou d’illusions qui m’ont Ă©tĂ© lĂ©guĂ©es, que j’ai conquises, que j’ai commises, et avec lesquelles je me scarifie et me glorifie, moi et mon entourage ?

« Je t’aime dans le fond du cƓur Â» ; « Je te manque Â».

Le pouvoir terrifiant de mon regard sur lui m’amĂšne bien des fois Ă  des (t)erreurs de jugement. A des exigences et des craintes sans contraintes. Moi qui suis le plus sĂ»r et le plus grand, je manque souvent de hauteur. Seule la mĂ©moire, l’apprentissage, le remords ou le reproche me permettront, peut-ĂȘtre, un jour de le savoir. Mais il me sera impossible de retourner en arriĂšre comme de rembourser.

J’avance, dĂ©masquĂ©, poussĂ© perpĂ©tuellement, parfois grisĂ©, parfois bouffi, d’autres fois dĂ©couragĂ© ou amusĂ©. Le spectre des Ă©motions qui me dĂ©crypte et me partage ne tient pas en place et il me faut, Ă  partir de ça, parce-que je suis le plus grand, donner une direction tout en acceptant que s’expriment les contours et les particularitĂ©s d’une certaine improvisation.

Un comĂ©dien ou un musicien aura plus de facilitĂ©s pour aborder les complexitĂ©s d’un personnage ou d’une partition. Car aucun des deux ne viendra lui demander des comptes ou se plaindre d’avoir Ă©tĂ© sous-estimĂ© ou emprisonnĂ© en pleurant ou en faisant une crise Ă  toute heure de la journĂ©e comme de la nuit.

Il pourra subsister un sentiment d’inachevĂ© ou d’insatisfaction aprĂšs la performance d’une comĂ©dienne, d’un danseur ou d’une musicienne mais il sera peut-ĂȘtre plus « facile Â» de se convaincre que l’on a tout essayĂ© et que le temps – et la comprĂ©hension-qui nous Ă©taient accordĂ©s Ă©tait limitĂ©s.

 

Devant lui, la limite du temps -et sa comprĂ©hension- se fondent quotidiennement dans l’éternitĂ©. Je sais Ă  peine quand ça commence. MalgrĂ© mes meilleures intentions, je reste le serviteur aussi zĂ©lĂ© qu’Ă©tonnĂ© de ma ponctuelle impatience.  Officiellement, j’ai bien sĂ»r une date et un horaire de dĂ©part dĂ©finis et enregistrĂ©s Ă  l’Etat civil. Mais, souvent, cela a toujours commencĂ© avant cette date. Quant Ă  la date de fin, elle est variable, selon les humeurs, les Ă©vĂ©nements, les ententes, la loi, les disputes et les croyances. Je ne suis pas devin.

 

 

Autrefois, Ă  lire les interviews de certaines personnalitĂ©s, une de mes obsessions consistait Ă  m’interroger sur la teneur de leurs relations avec leurs parents. Depuis que je suis devenu pĂšre, une nouvelle obsession est arrivĂ©e.

 

J’aime toujours dĂ©couvrir, regarder, tenter de dĂ©coder les prouesses de telle personnalitĂ© – mĂ©diatisĂ©e ou non- dans un domaine donnĂ©, sportif, artistique ou autre. Mais depuis que je suis devenu pĂšre, c’est plus fort que moi. MĂȘme si je n’en parle pas.

J’assiste par exemple Ă  la dĂ©monstration d’un artiste martial et je me dis :

« J’aimerais bien savoir s’il ou si elle est aussi fluide et aussi Ă  l’aise lorsque son enfant se rĂ©veille en pleine nuit en pleurs ou lorsque son enfant, subitement, fait une crise alors que tout s’est bien passĂ© jusque lĂ  ; que l’on a ƓuvrĂ© pour que cela se passe bien et que, soi-mĂȘme, on est plutĂŽt fatiguĂ© et qu’on aspire au calme Â». Parce-que tout le monde sait bien-sĂ»r qu’effectuer un coup de pied retournĂ© sautĂ©, un Rap en freestyle, le Moonwalk , un triple salto , un solo de guitare de dix huit minutes ou sauter du haut de la Tour Eiffel en rollers les yeux bandĂ©s et les deux mains attachĂ©s dans le dos, aura trĂšs vite trĂšs peu d’effet pacificateur sur les crises ou les pleurs de son enfant.

 

Pareil, avec une personnalitĂ© politique ou autre. J’aimerais aussi savoir. Car disposer de la bombe atomique, si l’on est le papa d’un ( e ) petit( e) Hulk – et tous les enfants peuvent ĂȘtre des petits Hulk – lui certifier : « Tu sais, je possĂšde des milliards
 Â» ou pratiquer la langue de bois aura trĂšs peu d’effet , ou l’effet contraire suivi d’autres d’effets secondaires, sur sa crise comme sur ses pleurs.

 

 

Je ne regrette rien. Je suis parfois curieux, mĂȘme si des Ă©lĂ©ments de rĂ©ponse sont dĂ©jĂ  sous mes yeux, de connaĂźtre la personne que ma fille va devenir. Et, malgrĂ© mes ratĂ©s, je suis rassurĂ© de constater que ma fille m’aime encore. Pour l’instant. Les enfants ont un si gros rĂ©servoir d’affection, de discernement, d’intuition et de pardon pour leurs parents que je m’avise que ces derniers ont dĂ» beaucoup manquer de chance et/ou avoir Ă©tĂ© particuliĂšrement endommagĂ©s plus jeunes pour qu’une fois adultes, leurs propres enfants se dĂ©tournent d’eux.

 

 

Franck Unimon, ce jeudi 3 janvier 2019.