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Rentrée des classes

 

                                                    Rentrée des classes

La rentrée des classes s’est bien passée ce matin. Il y avait du givre sur le pare-brise de certaines voitures. Il faisait plus froid que ce à quoi je m’attendais.

 

Nous sommes arrivés avec environ cinq minutes d’avance. D’autres parents, une majorité de mamans, étaient déjà présents.

 

Hébété devant l’école, et sûrement aussi par mes pensées alors que je regardais ma fille s’éloigner dans la cour, je n’ai pas tout de suite entendu lorsque la maman d’une des copines de ma fille m’a salué et souhaité «  Bonne année ! ». La petite était également là, souriante. J’ai remercié la maman et lui ai aussi adressé les mêmes vœux. J’avais oublié ce rituel social auquel je suis pourtant attaché.

 

C’est également par surprise que la maitresse de ma fille m’a en quelque sorte adressé ses meilleurs vœux. Je voulais juste lui dire bonjour et, comme elle avait eu quelques mots pour ma fille venue à sa rencontre, m’assurer que tout allait bien. Et puis, devant moi, avec son sourire et son attention amplifiées, à en être illuminée, j’ai compris que mes quelques mots de politesse étaient pour elle une extraordinaire source d’encouragement et de sympathie. C’était le premier jour de la rentrée des classes, ce lundi 6 janvier 2020, après les vacances de Noël, et, déjà, par son attitude, la maitresse de ma fille signalait qu’elle était présente au poste et prête à repartir à l’assaut de l’enseignement avec le sourire. Quelles que soient les difficultés ! Quel que soit le mal infligé et refait à l’école publique !

 

Je me suis tu. Je me suis contenté d’acquiescer en souriant. Et de partir. En rentrant, j’ai retrouvé la longue file de voitures qui attendait au feu rouge en bas de chez nous. Et j’ai vu filer sur la gauche vers le feu, en short, casque et sac à dos, sur son vélo, un homme noir qui partait sans doute au travail.

 

 

J’avais prévu d’écrire la troisième partie ( Crédibilité 2 )  de Crédibilité : A L’assaut des Pyrénées   tout en me demandant si cela aurait un intérêt particulier pour d’autres. Il a suffi de cette rentrée de classe de tout à l’heure pour que j’opte de parler d’abord du livre New York Vertigo  de Patrick Declerck que j’ai pris le temps de terminer hier soir avant de me coucher.

Ce qui venait de se passer en ramenant ma fille à l’école m’avait peut-être donné ma réponse devant son pessimisme envers l’Humanité ( «  L’espèce est pourrie ») qu’il justifiait- à nouveau- simplement et magistralement dans les 120 petites pages de son dernier ouvrage à ce jour.

 

 

 

Avant de lire New York Vertigo  paru en 2018 que j’avais acheté sans doute à sa sortie, j’avais lu quelques commentaires sur le net sur plusieurs de ses livres. Le dithyrambe côtoyait le sarcasme et la menace fantôme.

 

 

Patrick Declerck fait partie des personnalités que j’ai très vite pensé interviewer pour mon blog balistiqueduquotidien.com. Mais je me suis aussi rapidement dit qu’avant d’essayer de le faire, qu’il faudrait d’abord que mon blog ait du fond. Et, du fond, pour moi, cela peut-être autant bien étudier l’œuvre et la vie de la personne que l’on souhaite interviewer que, soi-même, poser sur la table une partie de son bagage personnel qui va donner envie à la personne interviewé(e) de nous rencontrer et de se livrer. Beaucoup trop d’interviews voire de rencontres se résument à un échange de balles de ping-pong, où, d’un côté, une personne répond à des  demandes et à des sollicitations formulées par des centaines ou des milliers d’anonymes, qui, dans les grandes lignes, malgré toute leur sincérité et leurs efforts d’originalité, restent des stéréotypes. Cet échange, plutôt qu’une rencontre, se limite donc souvent à une fonction promotionnelle. Si toute campagne de promotion compte pour la réussite de nos projets (pour être embauché quelque part ou pour aborder et séduire une personne qui nous plait, il faut bien d’abord commencer par réussir sa promotion personnelle) les véritables rencontres, pour s’établir, et durer, ont besoin de plus que des compliments, des promesses et des sourires.  Mais, bien-sûr, tout est affaire de moment, de tempérament et de priorité : certaines personnes préfèrent privilégier, en toutes circonstances, leur promotion et leur satisfaction personnelle. D’autres, peut-être par ignorance ou par faiblesse, vont chercher à bâtir des rencontres. Y compris, parfois, dans les pires conditions.

 

 

Patrick Declerck avait pu faire « parler » de lui en 2001 avec son livre Les Naufragés de la terre- avec les clochards de Paris. Psychanalyste et anthropologue, il consacrait alors une grosse partie de son temps à la question des SDF. Il a écrit d’autres livres :

Garanti sans moraline, Socrate dans la nuit, ou Crâne sur son intervention chirurgicale, alors qu’il était éveillé, pour exfiltrer une tumeur.

 

New York Vertigo est le seul livre que j’ai lu de lui. Les Naufragés de la terre et Garanti sans moraline sont pourtant dans ma bibliothèque depuis des années. Plus de dix ans en ce qui concerne son livre Les Naufragés de la terre. Depuis, sur le sujet des SDF, un médecin-psychiatre spécialisé dans le traitement des addictions m’a conseillé l’ouvrage De la précarité sociale à l’auto-exclusion : une conférence debat écrit par Jean Furtos. Je l’ai aussi acheté mais je ne l’ai pas encore lu.

 

 

«  C’est trop tard ! » avait dit Patrick Declerck. 

 

 

Ce jour-là, Patrick Declerck, grand et massif, avait mis dans le magnétoscope une cassette VHS. Sur le téléviseur, avec lui, nous avions découvert un entretien. Un SDF était interviewé par quelqu’un. Sitôt l’interview lancée, Patrick Declerck s’était installé par terre, devant le téléviseur, nous tournant pratiquement le dos. Déjà crâne rasé, Il portait un long manteau en laine épaisse de couleur sombre. Sortant un calepin, il avait commencé à prendre des notes. C’était la première fois que je voyais ça. C’était sûrement la première fois que nous voyions, tous, quel que soit notre âge un des intervenants venant nous faire cours avoir ce genre de comportement. Ordinairement, tous les autres intervenants nous faisaient cours en nous faisant face. La plupart du temps, assis sur une chaise ou debout.

 

C’était il y a trente ans. Peut-être un peu plus. Et nous étions une vingtaine d’élèves-infirmiers (âgés de 18-19 ans à 30 ans) avec lui dans la salle de cours de l’hôpital de Nanterre qui s’appelait encore la Maison de Nanterre et qui était une ancienne prison pour femmes à ce que m’avait dit ma mère. La Maison de Nanterre, où ma mère et deux de mes tantes ont travaillé comme femmes de ménage (ASH) puis comme aides-soignantes, a longtemps été sous la tutelle de la Préfecture de Paris. Je l’ai connue dès mon enfance avec ses SDF stationnés à l’arrêt du bus 304 mais aussi avec ses SDF devenus « résidents » permanents à l’hôpital. Avec son pain qui était fait sur place et auquel nous avions droit pendant des années alors que ma mère y travaillait.

 

 

«  C’est trop tard ! ».

 

 

 

C’était trop tard selon Patrick Declerck parce-que l’intervieweur avait trop attendu pour poser au SDF la bonne question.

 

Il me reste peu de souvenirs du contenu du cours de Patrick Declerck. Je crois l’avoir recroisé ensuite, ou avant,  lors de mon stage de quelques semaines au CASH dirigé alors par le Dr Patrick Henry et qui proposait des soins, une consultation sociale et un hébergement aux SDF qui le souhaitaient. Je me rappelle que la majorité des SDF rencontrés, transportés depuis Paris dans des bus de la RATP, préféraient retourner à la rue. Et aussi que l’un d’entre eux qui portait des lunettes, d’origine vietnamienne pour moitié, avait à son poignet une montre à aiguilles de grande valeur. Cet homme « présentait » plutôt bien. Il n’avait rien du pochtron ambulant. Il n’était pas- encore- marqué physiquement par l’alcool ou par la vie dans la rue. J’avais alors entre 19 et 21 ans et avant ces études d’infirmier, je venais du lycée, Bac B, option Economie.  

 

 

Maintenant, et, depuis des années, pour Patrick Declerck, «  l’espèce (humaine) est pourrie ». Il ne parle pas des SDF. Je sais qu’il a écrit «  Je les hais autant que je les aime ». Je sais aussi qu’il dit préférer leur proximité et celle de bien des marginaux à celle de tant de personnes bien propres sur elles. Son humour noir à la Cioran ou à la Pierre Desproges est une carie morale pour d’autres. Trop de pessimisme et de cynisme dépriment et découragent. La princesse Leïa le rappelle dans le dernier Star Wars épisode IX : l’Ascension de Skylwalker de J.J Abrams, film où mon passage préféré est celui sur l’étoile morte.

Bien des survivalistes affirmeront sûrement aussi que pour s’en sortir, garder le moral fait partie des conditions nécessaires. Par l’humour, par l’art, par toute activité et récréation morale, intellectuelle, spirituelle ou physique qui permet de maintenir tout élan vital et toute forme d’espoir.

Mais avec son aplomb, son expérience de professionnel de terrain underground et sa culture de phacochère, les arguments de Patrick Declerck nous encornent plusieurs fois. Et, à ce jour, je ne connais pas de matador, qui, dans l’arène ou dans la jungle, se soit présenté face à un rhinocéros.

 

 

La Religion ? «  Une illusion pleine d’avenir » selon Freud, son maitre à penser. Et dans son New York Vertigo, Patrick Declerck, à travers le 11 septembre 2001, nous reparle, précisément et techniquement, voire de façon balistique, des attentats islamistes.

De mon côté, même s’il est parfaitement autonome, je peux l’aider question religion en tant qu «  illusion pleine d’avenir ».

Ce week-end, alors que j’écrivais Crédibilité 2,  ma compagne m’a appris « l’histoire » de « Madame Desbassayns » ou Marie Anne Thérèse Ombline Desbassayns née Gonneau-Montbrun de l’île de la Réunion.

 

Riche héritière, cette demoiselle Gonneau-Montbrun, en devenant la femme de « Monsieur Desbassayns », est ensuite devenue, une fois veuve, «  une grande propriétaire foncière de l’île de la Réunion ». Grâce aussi à ses esclaves.

 

Selon le site wikipédia, on peut lire que son image est controversée à la Réunion.

Elle aurait été une féroce esclavagiste. Pourtant «  Dès le XIXème siècle, ses invités et ses proches politiques la couvrent d’éloges. Le gouverneur Milius la surnomme même «  la seconde providence ». Et, toujours sur le site wikipédia, on peut lire que «  Madame Desbassayns » était «  d’une ferveur religieuse intense ».  Mais aussi qu’elle a connu le privilège supplémentaire de décéder (à 91 ans !) deux ans avant l’abolition de l’esclavage à la Réunion ainsi qu’aux Antilles. En lisant ça, comme Patrick Declerck, je me suis aussi dit que «  la religion est une illusion pleine d’avenir » et que «  l’espèce (humaine) est pourrie ».

 

Je crois que la religion ou internet sont, j’allais dire, de très bonnes inventions. Et que la science, aussi, permet de très bonnes inventions. Mais qu’ensuite, malheureusement, ça tourne mal car ce qui fait la différence, c’est ce que l’on en fait. Ce qui fait la différence, c’est nos intentions lorsque l’on dispose de tels instruments de pouvoir et de contrôle.

 

 

«  Pouvoir et contrôle » sont les deux carburants, les deux aimants, du tueur en série m’avait en quelque sorte résumé un jour Stéphane Bourgoin, spécialiste des tueurs en série. Mais, contrairement à des chefs religieux, à des industriels ou à des hommes politiques, les tueurs en série sont généralement privés de projets pour le monde et la société. Pour ce que j’ai compris des tueurs en série, leur priorité est leur « petite » entreprise de destruction qui a déjà suffisamment de répercussions douloureuses sur leurs victimes et leurs proches.

 

Les chefs religieux, les industriels et les hommes politiques, eux, prévoient leurs projets sur une grande échelle : une échelle de masse. Et ça marche. Ça a marché et ça marchera encore, nous affirme Patrick Declerck dans son New York Vertigo. Et on est obligé de le croire. Car on « sait » qu’il a des arguments. Et les quelques uns dont il nous fait l’obole dans son livre sont intraitables et incurables.

 

Patrick Declerck, homme de connaissances autant que d’expériences de l’être humain, me fait penser à des personnalités comme les avocats Jacques Verges (qui était réunionnais) et Eric Dupont-Moretti. Des personnes qui, à un moment de leur vie, me donnent l’impression d’avoir vécu l’expérience «  de trop » qui les a déroutés de manière définitive de certaines illusions concernant l’espèce humaine. Peut-être que mes comparaisons sont mauvaises et que cela me sera reproché par les deux vivants qui restent (Declerck et Dupont-Moretti) par leurs détracteurs, par leurs proches ou  leurs admirateurs.

 

« L’espèce humaine est pourrie ». Et, pourtant, j’aimerais savoir, si un jour je rencontre Patrick Declerck et Eric Dupont-Moretti, ce qui les maintient encore en vie. Et dans le plaisir. J’imagine facilement Patrick Declerck me répondre laconiquement qu’il lui manque tout simplement le courage de se suicider. Ou qu’il cultive une sorte de léthargie et de jouissance morbide, sorte de protubérance parallèle à sa conscience, à être témoin de cette « débauche générale ».

 

Et puis, j’ai emmené ma fille à l’école tout à l’heure. Puis, je suis revenu de l’école.

 

 

 

Dans New-York Vertigo, Patrick Declerck se moque aussi, étude clinique à l’appui, du président américain actuel, Donald Trump et «  l’exhorte » à appuyer sur le bouton rouge car il y aura bientôt dix milliards d’êtres humains en 2050. Soit dix milliards de représentants de cette espèce, notre espèce, qui détruit la planète, tue, viole, massacre.

 

L’humour du désespoir.

 

Si Patrick Declerck avait écrit son livre ce mois-ci, il aurait sûrement parlé de la fuite récente, méprisable et cocasse du Japon de Carlos Ghosn, PDG de Renault-Nissan, alors qu’il était libéré sous caution en attente de son jugement là-bas. Pendant ce temps-là, en France, le gouvernement Macron-Philippe manœuvre pour détruire la résistance sociale. Oui, «  l’espèce est pourrie ».

 

 

Il y aura donc dix milliards d’êtres humains sur Terre en 2050. Et la Chine sera peut-être alors la Première Puissance mondiale incontestée. Pour l’instant, les Etats-Unis sont encore cette Première Puissance mondiale. S’il y a encore une Terre dans trente ans. S’il y a encore des êtres humains vivants sur Terre dans trente ans. Si je suis aussi obsédé par la Chine depuis quelques temps, c’est parce-que j’ai perdu ce regard fasciné et sentimental que je pouvais avoir avant sur la Chine et sa culture. Si la culture de la Chine existe bien-sûr et est aussi admirable que bien d’autres cultures, je perçois aujourd’hui davantage ce que la Chine recèle comme capitalisme et régime politique et social effrayants.

 

Pourtant, je crois ça : face à ces horreurs dont est capable l’être humain, les enfants sont les champions du moment présent. Nous, les adultes, à force d’extrapoler, de penser au passé et à ce qui pourrait arriver de pire, nous en arrivons à détruire notre propre présent. Parce- que nous nous faisons déformer et tabasser en permanence dès notre enfance. Et même avant. Parce-que c’est un combat titanesque que de sauvegarder, quotidiennement, une once d’enfance saine en soi et de lui éviter la spéculation financière et commerciale comme la benne à ordures. Et qu’une fois adultes, il arrive que nous perdions ce combat titanesque. Aucun adulte ne peut s’exclamer, comme quelques rares boxeurs, qu’il compte uniquement des victoires dans son parcours personnel.

 

Et je crois aussi que si nous continuons à vivre, à faire des enfants, à nous multiplier sur la Terre, malgré tous les signaux alarmants qui proviennent de nos propres comportements, c’est parce qu’il existe une raison- qui nous dépasse- qui fait de nous des êtres doués pour la vie quelles que soient les conditions.

 

Ce qui est très difficile à accepter pour l’être humain d’aujourd’hui, c’est le tri sélectif.

 

Malgré ou à cause de toute sa science, de toute son érudition, de toutes ses solutions, l’être humain voudrait pouvoir décider de tout et avoir le choix absolu. Or, il doit continuer d’apprendre que ses possibilités de choix et de libertés restent fugaces, volatiles, imprécises et limitées.  Qu’il suffit parfois d’une rue, d’une décimale, d’une seconde, d’une virgule, d’un regard, d’un mot, pour qu’un tri s’impose à lui  violemment.

A ses choix,  à sa vie ou à celles et ceux de ses voisins et de ses proches. Et, cela,  selon des critères pour lesquels, rien ni personne ne lui demandera son avis.  Notre vie moderne nous fait oublier constamment cet enseignement : nous sommes des corps soumis à un tri plutôt que des fantômes et cela a un prix.

 

Ce prix peut être insupportable. Car nous croyons en cette illusion que, forts de nos savoirs, de nos connaissances et de notre puissance, que nous pouvons décider de ce prix ou le négocier. Parce-que, d’une certaine façon, nous nous croyons éternels ou irremplaçables sur Terre. Et, ça, c’est aussi une sacrée illusion humaine pleine d’avenir. Contre ça, crier et pleurer peut peut-être soulager pendant quelques temps. Puis, il faudra vivre, si on le peut, parce-que c’est tout ce qui nous restera.

 

 

Franck Unimon, ce lundi 6 janvier 2020.

 

 

 

 

 

 

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Certaines personnes sont payées pour tuer et en sont fières. Le personnel infirmier est généralement payé pour s’exécuter.

 

J’écris et je pense parce que je ne peux pas m’en passer. Mais mes moyens sont limités. L’envie, la bonne volonté, le travail, l’humour- noir- et le sens du devoir peuvent être insuffisants pour convaincre.

En certaines circonstances, ces dispositions pourraient même empêcher de convaincre.

 

 

Les deux premières banques mondiales sont chinoises. La troisième est HSBC, une banque britannique, avant que le Brexit devienne bientôt effectif. Je l’ai appris par notre future conseillère bancaire qui a travaillé une dizaine d’années à HSBC. J’aurais probablement pu l’apprendre par moi-même en lisant un journal comme Les Echos par exemple ou un site qui parle d’économie. Mais ce genre d’informations me passe souvent au dessus de la tête. Je fais partie de toutes ces personnes qui ignorent à quel point les changements et les évolutions dans le monde de l’économie et de la finance ont une conséquence directe à court et moyen terme sur ma propre vie. Au lycée, j’avais pourtant suivi des cours d’économie. Et, dans ma propre vie, je connais et  ai pourtant plusieurs fois rencontré et croisé des gens qui l’avaient très bien et très tôt compris. Au point de décider d’en faire un métier et/ou une priorité. Mais je suis aussi le passager de mes alarmes personnelles. Et une fois que ces alarmes m’ont estimé à l’abri en termes de sécurité de l’emploi, de satisfaction au travail, et de salaire pour subvenir à mes « besoins », une fois adulte célibataire parti de chez de ses parents, ces alarmes se sont tues. Pendant des années. Et je suis dans l’impossibilité d’affirmer si cet article est une alarme que je m’adresse à moi-même.

 

 

Pendant ce premier rendez-vous avec notre future conseillère bancaire, une femme d’une cinquantaine d’années, celle-ci avait voulu savoir ce que nous attendions d’une banque. Et si ma compagne et moi étions le genre de clients qui exigent un contact et une réponse rapides par mail ou par sms et capables de quitter une banque au bout d’un ou deux ans sitôt qu’ils ont trouvé de meilleures conditions bancaires ailleurs. C’était la première fois pour ma part qu’une conseillère bancaire m’entreprenait de cette manière.

« Notre » autre conseillère bancaire dans cette agence que nous allons quitter est une femme d’à peine une trentaine d’années, arrivée à l’agence il y a bientôt deux ans, avec laquelle notre relation est lapidaire. J’ai toujours eu l’impression d’être un dossier, une fonction, un protocole ou un chiffre bas lors de nos quelques « contacts » que ce soit en direct ou par mail. Et, même de cette façon, ses compétences en termes de « conseil » me semblent assez insolites. Elles pourraient peut-être inspirer une étude comportementale ou ethnographique.

 

Ma compagne et moi avons un compte commun depuis sept ans dans cette banque que nous allons quitter. Cette banque nous avait fait la meilleure offre pour un prêt immobilier destiné à durer vingt ans à l’origine. Le prêt immobilier classique du couple qui se forme, s’officialise, décide de faire vie commune et d’avoir un enfant. J’écris que c’est le « prêt immobilier classique » en essayant de me mettre à la place du conseiller bancaire voire de l’agent immobilier lambda qui prendrait connaissance notre projet.

 

Depuis la création de notre compte commun dans cette banque il y a bientôt sept ans, nous avons eu trois conseillers bancaires. L’actuelle conseillère est la troisième. A part peut-être la première conseillère bancaire qui nous avait « obtenu » notre prêt bancaire, le second conseiller, avec lequel les relations étaient correctes et qui faisait montre d’une compétence franche et tranquille, avait quitté l’agence sans nous en informer.

 

Je suis dans cette banque que nous allons quitter depuis 1987. Nous allons la quitter parce qu’en passant par une femme courtier recommandée par un couple d’amis, « notre » nouvelle banque va nous permettre de gagner un an sur notre prêt immobilier. Bien-sûr, au préalable, j’avais à nouveau sollicité notre banque actuelle. De par le passé, j’avais pu obtenir une renégociation de notre prêt immobilier. Pas cette fois.

 

L’homme le plus riche du monde s’appelle encore Jeff Bezos et il est Américain. C’est le PDG du site de vente en ligne, Amazon. Pendant quelques heures ou quelques jours, un Français (Pinault ou Arnault, je les confonds et je n’ai même pas envie de vérifier la bonne orthographe de leur nom de famille) a été l’homme le plus riche du monde. C’était son ambition suprême dans sa vie, alors: devenir l’homme le plus riche du monde.  C’est peut-être encore sa plus grande ambition. Devenir le plus grand Picsou de la terre.

 

Pinault ou Arnault (que je « sais » être deux ennemis jurés) a aujourd’hui  été « rétrogradé » à la troisième place de l’homme le plus riche du monde derrière Jeff Bezos et Bill Gates. Bill Gates, également américain, est devenu également riche grâce à la forte croissance ces vingt ou trente dernières années de l’industrie et de l’économie numérique.

 

La richesse de ces trois hommes se compte en milliards d’euros ou de dollars. Celles et ceux qui les « suivent » dans ce classement des plus riches du monde, aussi. Leur niveau de « richesse » et de puissance dépasse mon entendement. En terme de salaire, lorsque je commence à penser à une somme de 4000 à 4500 euros par mois, environ, je perds un peu « pied » :

Je ne sais pas ce que cela ferait de « toucher » autant d’argent. Je « sais » et m’imagine qu’en gagnant autant d’argent -et plus- que l’on peut « accéder » à certaines expériences particulières et que l’on peut aussi « acquérir » d’autres objets plus chers et aussi habiter dans de meilleurs quartiers. Bénéficier, quand ça se passe bien, de meilleurs conseils – pour soi comme pour les siens- dans différents domaines.

Je « sais » qu’il y a un certain nombre de personnes riches qui gagnent bien plus que 4000 euros par mois que ce soit par des moyens légaux ou illégaux. Mais, pour moi, actuellement, en France, ce samedi 4 janvier 2020, si l’on venait m’apprendre- ça n’arrivera pas- qu’à partir de maintenant, je toucherais 4000 euros au minimum tous les mois, j’aurais besoin d’un peu de temps pour bien saisir. Aujourd’hui, ce samedi 4 janvier 2020, si je cherche, en faisant un certain effort, je crois que je peux compter sur les doigts de mes mains, le nombre de personnes, parmi mes proches, que j’estime ou imagine toucher 4000 euros au minimum tous les mois. C’est ce que j’imagine. Ces personnes ne me le diront pas. Je ne le leur demanderai pas. Et ça me va très bien comme ça.

 

 

«  Vous savez combien gagne une infirmière ? » demande  une infirmière hilare et saoule, agenouillée près de lui, au flic ripoux qui vient de se réveiller dans le dernier film du Japonais Takashi Miike : First Love. Le Dernier Yakuza.

J’ai vu le film hier. Après Cats réalisé par Tom Hooper. Après avoir vu la veille, Star Wars, épisode IX : l’Ascension Skylwalker, réalisé par J.J Abrams.

 

J’aurais pu répondre – gratuitement- à l’infirmière du dernier film- très féministe- de Takashi Miike mais elle ne m’aurait pas entendu. Et les spectateurs dans la salle (j’ai été surpris qu’il y ait autant de femmes) auraient été surpris.

Il y a quelques jours, une de mes collègues m’a appris qu’une de nos collègues plus jeune, diplômée depuis dix ans, touche 1600 ou 1700 euros par mois. Une autre, diplômée depuis cinq ou six ans : 1500 euros.

Comme j’en parlais déjà un peu dans la première partie de cet article ( Crédibilité ) pour lequel je n’avais pas prévu de suite, il est des heures de travail qui tardent à être payées par notre hôpital employeur :

 

Des heure de travail effectuées durant les week-end ou en heures supplémentaires.

 

Notre collègue qui fait fonction de cadre-infirmier a appris à une de mes collègues qu’il en était pour l’instant à devoir solliciter à nouveau l’administration de notre hôpital pour qu’elle paie des heures de travail supplémentaires effectuées en aout de l’année dernière. Cela fait donc deux ou trois mois, facilement, dans notre service que nous sommes plusieurs à voir notre salaire amputé chaque mois de cent à trois cents euros en moyenne.

 

A cela s’ajoute la grève des transports en commun ( Jours de grève ) en région parisienne depuis ce 5 décembre pour protester contre la réforme de la retraite telle que tient à la faire le gouvernement Macron-Philippe : une « retraite universelle », « pareille » pour « tous » quel que soit le type de travail que l’on aura effectué si j’ai bien compris. Désormais, on parle bien plus de la grève des transports dans les média et entre nous que du mouvement des gilets jaunes qui a débuté il y a plus d’un an.

 

Le gouvernement actuel Macron-Philippe (Emmanuel Macron, pour le Président de la République/ Edouard Philippe, pour le Premier Ministre), comme d’autres gouvernements avant eux, entend à la fois repousser l’âge du départ à la retraite mais aussi, avec sa « retraite universelle », éliminer les avantages dont disposent certaines professions concernant l’âge de départ à la retraite. Ainsi que la façon dont est calculée le montant des pensions de retraite. Ce serait selon eux ( Macron et Philippe) une retraite plus « juste ».

 

Si on est infirmier en catégorie B, en catégorie  » active » , on pouvait auparavant partir à la retraite, si on le souhaitait, à partir de 57 ou 59 ans, à condition d’avoir accompli un certain nombre de trimestres travaillés (180 ?). Cet âge de départ à la retraite a été repoussé ou va l’être à 62 ans. Puis, à 63 ou 64 ans. Si l’on est infirmier en catégorie A, en catégorie « sédentaire », ce qui est le cas pour tout (es) les jeunes infirmier(es) diplômé(es) ou pour celles et ceux qui avaient choisi d’être dans cette catégorie, le départ à la retraite est plutôt prévu pour…67 ans.

Chaque métier a ses contraintes et ses pénibilités spécifiques. Je n’aimerais pas être caissier, manutentionnaire, ouvrier sur un chantier ou policier comme « agent de la paix » dans la rue depuis vingt ans.

 

Le métier d’infirmier consiste à manger de la souffrance et de la violence en permanence lors de nos heures de travail.  Qu’est-ce que tu manges ? De l’avocat ? Non, des angoisses de mort dont la date de péremption est illisible.

Et toi ? Moi ?  Juste une petite guimauve paranoïaque incestueuse récidiviste. 

 

Dans les offres de poste d’infirmier en psychiatrie , il est fréquent de lire les mises en garde suivantes:

 » Risque d’agression physique et verbale lors d’un contact avec certains patients en situation de crise et d’agitation et/ou des familles en état d’agressivité.

Risque de contamination par contact avec des virus lors de la manipulation du matériel souillé (piqûre, coupure, projection, griffures, morsures….)

Risque de contamination parasitaire du fait des soins quotidiens auprès des patients ( poux, gale…)

Développement de troubles musculo-squelettiques ( TMS) par non-respect ou méconnaissance des manutentions, gestes ou postures…. » 

 

 

 

En retranscrivant partiellement et en relisant cette offre d’emploi récente ( novembre 2019) sur laquelle je suis tombé hier, j’ai l’impression de lire l’affiche d’un film d’horreur à l’entrée d’une centrale nucléaire, d’un lieu d’expérimentations médicales ou de tout autre lieu dangereux. On pourrait presque exiger de notre part de signer une décharge lorsque l’on accepte d’aller travailler dans ce genre de service.  On a l’impression que les infirmières et les infirmiers qui s’aventurent dans ces endroits sont des intrépides aguerris. Or, la raison principale, à  l’hôpital et en clinique, du métier d’infirmier consiste à assurer une présence et une compétence tous les jours et toutes les nuits au cours de l’année, jours fériés inclus.

Pour cela, je considère que ce métier devrait, comme pour une carrière militaire auparavant, faire partie de ces professions où après 15 ou 20 ans de service, la professionnelle ou le professionnel  qui le souhaite peut prendre sa retraite et être aidé(e) à une reconversion professionnelle.

Depuis trente ans, je lis et entends dire que la « durée de vie d’un infirmier » serait de 6 ou de 7 ans. Je ne sais toujours pas d’où vient ce chiffre, à quoi il correspond et ce qu’il veut dire. J’en ai encore discuté avec des collègues il y a quelques mois. Certains m’ont dit connaître ou avoir connu des infirmiers qui avaient changé de profession. En trente ans, la majorité des personnes que j’ai connues infirmières, si elles sont encore en activité- et vivantes- aujourd’hui, le sont toujours….

 

Le dernier film de Takashi Miike, First Love. Le Dernier Yakuza est au moins une critique du conservatisme de la société japonaise. Le gouvernement Macron-Philippe, et d’autres avant eux, et celles et ceux qui exécutent leurs décisions, sont aussi faits d’un certain conservatisme en ce qui concerne, au moins, la retraite et la profession infirmière. Mais il y a trente ans, un Emmanuel Macron et un Edouard Philippe, même s’ils en avaient peut-être déjà l’ambition, étaient très loin du Pouvoir qu’ils ont aujourd’hui. Il y a au moins trente ans, puis, année après année, car suffisamment rassuré, rassasié  et entouré par d’autres priorités, je m’en suis laissé conter dans certains domaines sans entrevoir le reste. Pendant ce temps-là, d’autres, formés, auto-didactes et payés pour ça, inventaient de grands projets pour le monde et la société.

 

En 2002 ou 2003, comme mes collègues dans mon service d’alors,  nous avons vu partir « Georgette » à la retraite, notre cadre-infirmière, avant ses 60 ans : Ce qu’elle avait vu se profiler pour l’avenir de la profession l’avait décidée à prendre sa retraite. Cela restait pour moi abstrait. Georgette a vingt ans de plus que moi. Et je garde de son pot de départ plutôt le souvenir d’une grande et très agréable fête dans un jardin d’un des services de l’hôpital qui m’employait alors.

 

Cinq ans plus tard, dans un autre service et dans un autre hôpital, j’étais à nouveau présent lors du pot de départ de notre cadre-infirmier. La soixantaine et également en bonne santé, G…  dans son discours, avait dit être embarrassé. A la fois, il savait  partir au bon moment car que ce qui se dessinait comme conditions de travail à l’hôpital était très sombre. Mais  nous, avait-il ajouté, nous restions-là.

 

Il y a bientôt cinq ans maintenant, dans mon service actuel, notre cadre sup infirmière partait, elle, à la retraite, en affirmant à des collègues : «  Protégez-vous ! ». Elle ne parlait ni du Sida, ni du réchauffement climatique, ni du terrorisme islamiste ou de la catastrophe de Fukushima. Elle parlait des projets futurs pour le service et l’hôpital.

Popeyette, une de mes anciennes collègues infirmières, d’un précédent service, aujourd’hui à la retraite, ne me parlait pas non plus de Fukushima ou des attentats terroristes lorsqu’elle m’a affirmé:

 

« Si tu peux, change de métier ! ».

 

De son côté, Milotchka, ancienne collègue retraitée, et amie, veuve de l’ami Scapin décédé d’un cancer deux ou trois ans avant sa retraite, a été obligée de continuer de travailler en tant qu’infirmière pour des raisons financières. Elle semble plutôt bien s’ y faire.

 

Dans mon service, la grève des transports en commun depuis le 5 décembre, a contraint certaines et certains à rester chez eux. Ou à s’adapter. Plusieurs sont venus et viennent à vélo, en trottinette, en voiture,  en bus  quand il y en a, à pied depuis une gare ou une station de métro stratégique lorsqu’y circule un engin roulant et habilité à transporter des passagers.

 

 

 

Cette semaine, une de nos collègues est arrivée dans le service plusieurs jours de suite à 5h30. Elle commençait à 6h45. Le dernier jour de la semaine, pour venir au travail, elle a fini par prendre un UBER. Coût de la course : 29 euros. «  Les prix ont baissé » lui a dit une de nos collègues.

Une autre collègue nous a parlé d’une application, blabla line,  qui permet le covoiturage. Le conducteur est rétribué par la région d’île de France.

 

 

L’allocution présidentielle d’Emmanuel Macron était visiblement attendue à la fin de l’année ou au début de l’année. Je l’ai appris il y a quelques jours au travail, en discutant avec deux jeunes hospitalisées et scolarisées. L’une d’elle a expliqué qu’Emmanuel Macron s’était dit décidé à faire appliquer cette réforme des retraites. Une autre a dit qu’il s’était exprimé comme celui qui «  va faire le bien de tous même si tout le monde l’ignore ».

Je me suis abstenu d’ajouter que j’avais lu ailleurs que le projet sous-jacent du gouvernement Macron/Philippe était d’offrir au secteur privé des assurances le marché juteux des retraites complémentaires. Car même si soigner- et éduquer- est aussi souvent un engagement politique, même si on l’envisage autrement, il y a des limites à ce que l’on peut dire et expliquer à des patients.

 

Par contre, je peux écrire dans cet article que « l’admiration » souvent portée au personnel infirmier est un sentiment très différent de celui du «  respect ».

 

Dans notre pays et dans notre culture, en France, quoiqu’on en dise, on respecte en priorité celles et ceux qui gagnent beaucoup d’argent : les deux premières banques mondiales qui sont chinoises, HSBC, Pinault, Bezos, Gates…

 

Le métier d’infirmier ne fait pas partie des métiers qui permettent de gagner beaucoup d’argent. Même si le salaire d’une infirmière ou d’un infirmier est supérieur au salaire d’autres métiers et professions. Et, je crois que, généralement, lorsque l’on décide de faire ce métier, c’est rarement pour gagner beaucoup d’argent. Cela se passe bien ou plutôt bien tant que l’on reste célibataire et sans enfant ou que l’on peut se contenter de projets qui nécessitent un engagement financier moyen ou modéré. Par contre, dès que l’on devient mère ou père,  dès que l’on aspire à acheter un appartement ou une maison, ou à se loger dans certains endroits, on s’aperçoit très vite que malgré toute l’admiration qui nous est prodiguée ici ou là,  cela ne suffit pas à la fin du mois.

 

 

Offrez comme salaire à un Bill Gates, un Jeff Bezos, un Emmanuel Macron, un Edouard Philippe ou aux cadres dirigeants des premières banques mondiales le salaire d’une infirmière ou d’une infirmier et multipliez-le par deux ou trois. Malgré toute leur admiration pour le métier d’infirmier, il est plausible qu’ils ne voudront et ne pourront pas l’exercer :

On devient riche et puissant lorsque l’on réussit à faire faire par d’autres un métier ou un travail que l’on serait incapable de réaliser soi-même, que l’on refuserait de faire ou que l’on n’a plus envie de faire.

 

Franck Unimon, ce samedi 4 janvier 2020.