Catégories
Moon France

Balistique des élections législatives 2024

Le journal Les Échos du 3 juillet 2024 et le journal Charlie Hebdo du 3 juillet 2024 également.

Balistique des élections législatives 2024

Avoir un blog qui s’appelle balistique du quotidien m’oblige un « peu Â» Ă  parler de ces Ă©lections lĂ©gislatives quelques heures avant leur second tour dĂ©cisif.

Cela fait plusieurs jours que je pense à écrire un article. Et, il me reste désormais peu de temps avant mon départ pour mon second séjour au Japon.

En 1999, annĂ©e de mon premier sĂ©jour au Japon, j’étais parti un an après la victoire de l’équipe française « Black, Blanc, Beur » de Jaquet, Zidane, Blanc, Deschamps, Thuram, Desailly et d’autres  Ă  la coupe du Monde de Football. Cette annĂ©e, je partirai après le rĂ©sultat de ces Ă©lections lĂ©gislatives oĂą le RN, beaucoup plus hĂ©ritier des pointes du FN que de celles de l’équipe de France de  de 1998, joue un autre genre de football.

Dans le journal Le Canard Enchainé du 26 juin 2024.

Dans une histoire de Hugo Pratt que j’ai relue récemment, un Indigène, allié du héros Corto Maltese, reçoit trois balles. Lorsque Corto Maltese lui demande :

« Tu ne vas pas mourir, quand mĂŞme ? Â», celui-ci lui rĂ©pond « Peut-ĂŞtre bien que oui, peut-ĂŞtre bien que non Â». L’homme, car il s’agit bien d’un homme, s’en sort finalement. Car, par sa propre volontĂ©, l’Indigène – qui est un puissant sorcier- a pu arrĂŞter son hĂ©morragie interne. Le mĂ©decin qui l’opère ensuite, raconte cela plus tard, mĂ©dusĂ©, Ă  Corto Maltese. Lequel Ă©coute ça sans s’en Ă©tonner. Nous sommes ici dans les reflets d’une bande dessinĂ©e.

Je n’ai pas les pouvoirs anesthésiants et puissants de ce sorcier dans cette nouvelle aventure de Corto Maltese afin d’arrêter cette hémorragie interne que peut être le RN.

Dans le journal Les Échos du jeudi 4 juillet 2024.

Pour moi, les élections législatives d’aujourd’hui s’apparentent aussi à une sorte de toile d’araignée ne serait-ce que mentale. Et, je n’aimerais pas rester englué dans cette toile.

Dans le journal Les Échos du mercredi 26 juin 2024

Je n’ai pas Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© par la rĂ©ussite du RN lors des Ă©lections europĂ©ennes le 9 juin dernier. J’avais Ă©tĂ© plus dĂ©concertĂ© il y a  une dizaine d’annĂ©es en apprenant que de plus en plus de soignants votaient pour le FN avant que celui-ci ne devienne le RN :

Parce qu’il y a environ 25 ans, un soignant ou une soignante qui votait FN, c’était plutĂ´t un spĂ©cimen. Je me souviens d’une collègue infirmière rĂ©putĂ©e voter pour le FN qui travaillait dans le service de psychiatrie du dessus dans l’hĂ´pital de banlieue parisienne, dans le Val d’Oise, oĂą je travaillais alors :

Elle était blonde aux yeux bleus et portait sur elle les codes vestimentaires de la catholique traditionnelle un peu ou assez bourgeoise. On était dans le cliché. Et dans le paradoxe. Infirmière, plutôt attachée à son travail auprès des patients, et capable de partir en séjour thérapeutique avec des patients en compagnie d’un de ses collègues infirmiers antillais.

En vitrine d’une librairie parisienne, ce vendredi 5 juillet 2024. Photo©Franck.Unimon

Cela fait maintenant un demi siècle que la dynastie Le Pen poursuit son ascension vers les sommets politiques en voie d’extinction et, qui, comme l’Everest, sont devenus une destination touristique et rentable. En termes de Pouvoir et d’enrichissement économique personnel.

En vitrine de la même librairie parisienne, ce vendredi 5 juillet 2024. Photo©Franck.Unimon

Les Le Pen ont aussi pour eux l’endurance, la persistance, un besoin de revanche et de jouissance médiatique et se nourrissent de toutes les crises mais aussi de toutes les audaces.

 

En face, on a eu principalement des hommes politiques- et quelques femmes- qui se sont comportĂ©s comme des rentiers, d’autres qui ont ratĂ© le train ( Rocard, Jospin, JuppĂ©…), quelques uns qui se sont dĂ©sistĂ©s ( Delors),  et d’autres qui n’ont fait que passer :

J’avais déjà oublié qu’Elizabeth Borne avait été la Première Ministre précédant Gabriel Attal pourtant nommé seulement depuis six mois. J’ai du mal à me rappeler de la Ministre socialiste du travail , Myriam El Khomri. Mais aussi de certains ministres du Président Nicolas Sarkozy.

Par contre, les Le Pen, on les « connait Â». Il leur manque juste une Ă©mission de tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ© pour boucler le Tour de France des mĂ©dia. Les Le Pen sont devenus familiers. Et ce qui devient familier inspire sympathie, accoutumance et confiance.  En plus, Marine Le Pen est une femme. La seule femme, en France, Ă  pouvoir rester au premier plan en politique sans faire partie du gouvernement prĂ©sidentiel. Tout le contraire du PrĂ©sident Macron devenu le pire VRP pour son propre parti aussi « justes Â» ses causes soient-elles lorsqu’elles le sont.

 

J’écris cela de façon humoristique mais je souriais peu il y a encore deux semaines. Et je sourirai sûrement peu ce soir. Ou alors seulement parce-que je saurai que bientôt, je partirai pour quelques semaines au Japon.

Parce-que, pour moi, quel que soit le résultat des élections législatives ce dimanche 7 juillet, le RN a gagné.

Car il a ensorcelé une partie des esprits et des serpents. Ne serait-ce que provisoirement. Pour éviter que Marine Le Pen ne soit à ce point triomphante aujourd’hui, il aurait fallu la nommer Ministre il y a quelques années ou médiatiser son refus. Marine Le Pen est aussi forte aujourd’hui car ses adversaires politiques de gauche et de droite ont été plus suffisants et intéressés avec elle. Il était facile de se montrer très digne en sa présence en s’opposant à elle.

 

Une affaire de dignitĂ© :

 

L’homme politique Eric Ciotti, Président des Républicains, a été critiqué et rejeté par les membres de son parti pour avoir ouvertement donné sa préférence à Marine Le Pen après le résultat des élections européennes du 9 juin. Mais le choix de ces mêmes Républicains de s’abstenir de se désister en faveur de la « Gauche » au second tour de ces élections législatives me confirme qu’il est d’autres femmes et hommes politiques, de droite mais aussi de gauche, qui seront prêts à aller faire la bise à Marine Le Pen si celle-ci devenait Présidente de la République ou ne serait-ce que Présidentiable.

 

Je reste aussi très prudent devant les rĂ©serves exprimĂ©es par certains mĂ©dia Ă©conomiques ou autres envers les compĂ©tences du RN. Parce-que si le RN venait Ă  se montrer « compĂ©tent Â» Ă©conomiquement ou si des Ă©minences Ă©conomiques et politiques reconnues venaient Ă  accepter de faire partie d’un gouvernement RN, il nous serait très certainement expliquĂ© ultĂ©rieurement que c’est avant tout pour le bien de la France.

 

C’est ce qui nous est très bien résumé dans l’article Partir ou résister, le dilemme des hauts fonctionnaires de Nicolas Sèze dans le journal La Croix de ce jeudi 4 juillet 2024, page 4. Extraits:

« (….) Certains prĂ©fets chargĂ©s de mission, pour qui nous n’y allons pas assez fort, attendent leur heure. Et beaucoup d’ambitieux voient dĂ©jĂ  l’opportunitĂ© de gravir rapidement des Ă©chelons Â».

Monter dans la hiĂ©rarchie sera d’autant plus facile que le RN aura besoin de cadres Â».

« (….) Chez nous, personne ne pense qu’il se fera mettre Ă  la porte dĂ©but juillet Â» reconnait le fonctionnaire du ministère de la justice pour qui un futur gouvernement RN devra aussi «  se confronter au rĂ©el Â» « Un certain nombre de leurs projets sont irrĂ©alistes et je crois possible de les faire Ă©voluer en les confrontant Ă  la rĂ©alitĂ©. Cela nĂ©cessitera de suivre de très près les discours politiques pour identifier les marges de manĹ“uvre, mais aussi fixer nos lignes rouges, conclut-il. Si celles-ci Ă©taient franchies, Ă©videmment je partirai. Mais je ne pense pas que ce sera le cas Ă  court terme Â».

 

Cette stratĂ©gie de l’évitement ou du dĂ©ni fait la force du RN. Croire ou penser qu’il sera possible de « faire Ă©voluer Â» un reprĂ©sentant du RN revient Ă  dire qu’il a Ă©tĂ© possible de « faire Ă©voluer Â» un Emmanuel Macron, lorsque celui-ci, devenu PrĂ©sident de la RĂ©publique, inflexible, a dĂ©cidĂ© de faire passer en force certaines dĂ©cisions telles que le recul du dĂ©part de l’âge de la retraite. Si certains fonctionnaires prĂ©fèreront partir en cas de gouvernement du RN , ils seront selon moi une minoritĂ© :

A moins de se sentir menacĂ©s directement ou personnellement, ces fonctionnaires feront comme la plupart d’entre nous. Ils resteront Ă  leur poste, Ă©voquant un ensemble de raisons et d’obligations qui les empĂŞchent de partir tout en « condamnant Â» moralement le gouvernement du RN.

Ce qui nous enferme et nous rend aussi dépendants des aléas d’un emploi, d’un gouvernement, d’un pays, d’une situation, d’un statut ou d’un régime c’est peut-être aussi notre attachement forcené à notre sédentarité et aux endroits que nous connaissons, à ce que nous appelons notre enracinement ou notre identité. Ou, plus simplement, notre sécurité.

Si nous étions plus nomades à l’image de Corto Maltese ou de ces migrants regardés de travers, nous aurions sans doute plus de facilités pour relativiser ce qui nous arrive mais aussi pour partir ou changer de vie afin de rester plus libres. Mais pour cela, il faut accepter de s’exiler.

Devant le tribunal de la Cité, à Paris, ce vendredi 5 juillet 2024. Photo©Franck.Unimon

Ou rester sur place et rĂ©sister. C’est ce que j’ai vu ce vendredi 5 juillet, sur les marches du tribunal de la CitĂ©, avec ces drapeaux du Syndicat des avocats de France. Deux personnes (une jeune femme noire et un homme se prĂ©sentant comme magistrat) qui ont assistĂ© Ă  cela m’ont expliquĂ© que cela Ă©tait relatif Ă  une remarque rĂ©cente sur les rĂ©seaux sociaux attribuĂ©e au  RN estimant qu’il y avait trop d’avocats en France. 

 

Ce n’est pas contre toi

 

Pour la première fois, il y a quelques jours, après le rĂ©sultat des Ă©lections europĂ©ennes et, surtout, après celui du premier tour des Ă©lections lĂ©gislatives, il m’est arrivĂ© de me dire qu’il se trouvait parmi les personnes que je cĂ´toie, collègues, connaissances, « amis Â», voisins, des Ă©lectrices et des Ă©lecteurs du RN.

Lorsqu’après les précédentes élections, les scores du FN/RN augmentaient, je ne me disais pas comme certains que tous les électeurs du FN/RN sont des racistes et des fascistes. Mais, désormais, je me le dis un peu plus. Ou, je commence à le croire un peu plus.

Je me dis en tout cas que je suis devenu ou redevenu une cible potentielle comme n’importe quelle minoritĂ© ostracisĂ©e ou pointĂ©e du doigt :

L’étranger sans papiers, le transgenre, l’homosexuel, la prostituée, le ou la toxicomane, la femme battue, l’alcoolique, le malade psychiatrique, le pervers, le jeune de banlieue, l’homme noir ou arabe, le Juif, le musulman, l’Asiatique….

Certaines personnes qui ont votĂ© pour le RN auraient beau essayĂ© de m’expliquer « Ce n’est pas contre toi Â», il n’empĂŞche que, quelque part, quelqu’un, un jour, en France, soudainement, dĂ©cidera ou pourra dĂ©cider que ma tĂŞte est mise Ă  prix ou ne vaut rien simplement parce-que le RN/FN se sera davantage rapprochĂ© des sommets du Pouvoir.

Le RN est l’équivalent d’une Ă©quipe de Foot qui a ses ultras parmi ses supporters. Et, il y a de plus en plus d’Ultras parmi les supporters de l’équipe de Foot que reprĂ©sente le RN. Et, ce que recherchent ces Ultras, c’est une certaine dose d’adrĂ©naline. Quant au RN, il aime faire peur. Il a toujours aimĂ© faire peur. Le climat anxiogène qu’il libère fait partie de son oxygène. Je comprends donc en grande partie les propos tenus dans un entretien par la cinĂ©aste Alice Diop en première page du journal LibĂ©ration le mercredi 26 juin 2024 :

Alice Diop Face Au RN « Pour les gens comme moi, C’est la vie ou la mort Â».

Le journal Libération de ce mercredi 26 juin 2024.

La France, pays de la discordance

 

Et, ce qui n’arrange rien avec cette ambiance, c’est cette façon qu’ont certains d’agir comme si de rien n’était. De ne pas en parler. Lorsque j’ai revu récemment en consultation le pneumologue qui me suit depuis mon embolie pulmonaire l’année dernière, c’était étonnant de le voir et de l’écouter me parler comme si rien n’avait changé et comme si rien n’allait changer dans ce pays depuis le résultat des élections européennes puis ce premier tour des élections législatives.

Je suis très peu allĂ© sur les rĂ©seaux sociaux. J’imagine facilement que bien des amis et des personnes que je connais se sont Ă©panchĂ©s sur le sujet dans les rĂ©seaux sociaux. Mais dans la vraie vie, autour de moi, rien. Ou, en tout cas, pas devant moi. Je n’attendais pas que quelqu’un me dise :

« Franck, si , un jour, tu es poursuivi par des émanations du Ku Klux Klan, sache que j’aurais toujours pour toi une place chez moi entre le palier et les toilettes ainsi qu’un emploi d’homme à tout faire (je te paierai au black)…. ».

Mais ce silence est isolant. C’est un peu comme si, en tant qu’homme noir, en France, on était plus ou moins parvenu à se fondre dans la masse puis que les résultats de ces votes vers le RN agissaient comme du détachant et que l’on se retrouvait d’un seul coup clairsemé ou tout nu en pleine lumière.

Enfant, j’ai assez tôt appris que j’étais Noir. Ne serait-ce que de par mon éducation afin d’être préparé un minimum au racisme anti noir. Mais en vivant à mon époque en région parisienne et en étant employé dans un milieu professionnel et dans des fonctions où je ne détone pas particulièrement, j’ai pu plus ou moins l’oublier. Parce-que vivre en se répétant matin et soir que l’on est un homme noir est un petit peu fatigant. Mais il va peut-être falloir que je révise mes classiques.

 

Franck Unimon, ce dimanche 7 juillet 2024, à quelques heures du second tour des élections législatives.