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Embolie pulmonaire : balle de vie ?

 

Photo©Franck.Unimon

Embolie pulmonaire : balle de vie ?

Hier soir, pour la première fois depuis un an et demi, après une concertation avec le pneumologue qui me suit dans le service de consultation d’un hĂ´pital parisien, je n’ai pas pris de comprimĂ© d’Eliquis :

Un traitement que je continuais de prendre de manière préventive contre la récidive d’une embolie pulmonaire.

Fin novembre 2023, j’ai fait une embolie pulmonaire.

«  Vous avez fait un infarctus pulmonaire » avait tenu Ă  me dire le jeune pneumologue (il est plus jeune que moi d’environ une dizaine d’annĂ©es) qui me suit.

Photo©Franck.Unimon

Une embolie caractéristique

Une embolie pulmonaire « caractéristique » avait-il insisté. Il avait affuté son vocabulaire. Pour à la fois me faire comprendre et bien me faire entrer dans la tête que cette embolie pulmonaire qui avait créé sa boite dans mon corps afin d’y développer son chiffre d’affaires jusqu’à ma mort était grave :

J’avais alors 55 ans, j’étais plutôt sportif et non -fumeur. Jusque- là, j’avais plutôt été une personne en bonne voire en très bonne santé sans facteurs de risque me prédisposant à faire une embolie pulmonaire aussi jeune. Je n’avais pas le profil des patients qu’il suivait après une embolie pulmonaire. Car les patients dont il s’occupait suite à une embolie pulmonaire avaient généralement entre 70 et 80 ans et disposaient d’une santé moins bonne ou plus précaire que la mienne.

Hier, comme il y a un an et demi, il n’a pas su me dire ce qui avait pu causer mon embolie pulmonaire «caractéristique». Selon lui- nous en avions parlé- le fait d’avoir attrapé le Covid deux mois avant mon embolie pulmonaire n’était pas une raison suffisante.

L’ examen sanguin poussé réalisé dernièrement confirme que je n’ai aucune modification génétique de mes facteurs de coagulation. Une modification génétique de mes facteurs de coagulation aurait pu expliquer mon embolie pulmonaire. Mais j’aurais été très étonné d’apprendre que j’étais porteur de cette modification génétique. J’ai plutôt toujours été en bonne santé. Et, dans ma famille, où l’on vit vieux ( ma mère a 77 ans, mon père 81 ans, et ils vivent tous les deux dans leur maison en Guadeloupe depuis des années), je ne connais personne qui ait une modification génétique des facteurs de coagulation.

Avec Maman, fin décembre 2023, en Guadeloupe, à la Pointe des Châteaux. Photo©Franck.Unimon

Je ne vois pas qui, non plus, aurait fait une embolie pulmonaire dans ma famille même du côté de mes grands-parents ou alors ils avaient déja 80 ans ou davantage.

Et je n’ai pas fait de phlébite.

Les premiers symptĂ´mes de l’embolie dĂ©but novembre 2023

Je me rappelle encore des premiers symptĂ´mes ressentis au dĂ©but de mon embolie pulmonaire :

Exposition Chiharu Shiota au Grand Palais, Paris, 2025. Photo©Franck.Unimon

Un essoufflement en montant quelques marches dans le mĂ©tro alors que je me rendais au pot de dĂ©part de Zara, une amie et ancienne collègue de nuit. 

Un essoufflement anormal en effectuant des efforts de la vie quotidienne. Pour monter les marches des escaliers pour rentrer à mon domicile au quatrième étage sans ascenseur ; monter les marches en prenant le métro ; une douleur persistante, un peu comme un coup de poignard, à droite de mes côtes.

Il m’est arrivé de remonter l’équivalent de quarante à cinquante kilos de courses ou plus chez moi et je n’avais jamais ressenti ça.

Ni cette sensation d’avoir perdu- d’être privé- d’à peu près la moitié de mon amplitude et de mon aisance respiratoire habituelle.

Du côté de Loctudy, Mai 2025, avec le Subaquaclub de Colombes.

Je pratique l’apnĂ©e depuis quelques annĂ©es et je suis assez sportif depuis l’adolescence. Un sportif sait ĂŞtre un minimum attentif Ă  son souffle ainsi qu’à « l’état Â» de certaines de ses capacitĂ©s physiologiques.

 

Chez le médecin

 

Si je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, je n’avais pas Ă©tĂ© particulièrement angoissĂ© malgrĂ© mon progressif affaiblissement physique. Les trois ou quatre mĂ©decins consultĂ©s en deux semaines avaient Ă©tĂ© encore moins angoissĂ©s que moi :

La première, consultée à la maison médicale hospitalière de ma ville deux à trois jours après le début des symptômes, avait suggéré que j’étais peut-être stressé ou angoissé.

Exposition Chiharu Shiota au Grand Palais, Paris. Photo©Franck.Unimon

Le deuxième médecin, consulté dans un centre médical Cosem à Paris, que j’avais rencontré deux fois à quelques jours d’intervalle m’avait déclaré- après avoir regardé la radio pulmonaire qu’il m’avait demandé de faire- que j’avais sûrement une bronchiolite:

« Il n’y a que ça en ce moment ! ».

Je n’avais pas d’antécédents de bronchiolite ou de crise d’asthme mais j’avais néanmoins commencé à prendre le bronchodilatateur qu’il m’avait prescrit. En étant quelque peu dubitatif.

Faire des recherches sur internet :

Faire des recherches sur internet n’avait servi à rien. A part pour trouver des réponses différentes et contradictoires et, bien-sûr, des métastases de réponses de plus en plus repoussantes.

Ce que j’Ă©cris ici est un tĂ©moignage. Je peux avoir oubliĂ© des dĂ©tails ou certaines informations mais j’ai un dossier mĂ©dical.

Et quelques personnes ( des proches voire des anciens collègues)  pourront attester un minimum de ce que je raconte. Internet n’atteste de rien. Il est mĂŞme courant, sur internet, que les auteurs d’un article Ă  contenu mĂ©dical prĂ©viennent que ce qu’ils Ă©crivent ne dispense pas de prendre avis auprès d’un professionnel de la santĂ© agréé et que leur article ne remplace pas l’avis d’un professionnel de la santĂ© que l’on part consulter. 

Une des rĂ©ponses que j’avais dĂ©nichĂ©e sur internet me suggĂ©rait que j’avais peut-ĂŞtre un cancer.  Les recherches sur internet peuvent peut-ĂŞtre aiguiller lorsque l’on sait prĂ©cisĂ©ment ce que l’on cherche. Voire, elles peuvent confirmer ce que l’on a dĂ©jĂ  trouvĂ© ou compris ou conclu. (Les examens mĂ©dicaux faits depuis le diagnostic et le traitement de mon embolie pulmonaire n’ont retrouvĂ© Ă  ce jour  aucun cancer dans mon organisme).

Gare de Paris St Lazare, Paris. Mai ou juin 2025. Photo©Franck.Unimon

Epanchement pleural

Fin novembre 2023, deux bonnes semaines après le dĂ©but de l’histoire de mon embolie pulmonaire, et après ĂŞtre dĂ©jĂ  allĂ© consulter des mĂ©decins Ă  trois reprises,  sur la suggestion de Florence-Jennifer, une de mes collègues de nuit d’alors, je m’étais fait ausculter par la mĂ©decin de garde pendant ma nuit de travail Ă  l’IPPP. Quelques heures plus tĂ´t, avant de revenir travailler de nuit avec elle et d’autres collègues, j’avais appelĂ© Florence-Jennifer, cette collègue infirmière de l’IPPP, pour la prĂ©venir de mon Ă©tat de mĂ©forme. Un Ă©tat de mĂ©forme qui durait depuis deux bonnes semaines donc et qui s’accentuait. Je ne venais plus au travail Ă  vĂ©lo depuis plusieurs jours. Je marchais au ralenti dans le mĂ©tro. J’étais fatiguĂ©. J’Ă©tais rapidement et constamment essoufflĂ©.

A l’IPPP, La mĂ©decin de garde m’avait auscultĂ© et avait entendu « un Ă©panchement pleural Â» au stĂ©thoscope. Puis, en souriant, elle avait ajoutĂ© :

« Je pense que, ce soir, on ne te demandera pas de travailler Â».

«Un Ă©panchement pleural Â», cela ne m’évoquait rien de particulier Ă  part le fait que c’était un « Ă©panchement pleural Â». Mais c’était dĂ©jĂ  quelque chose. C’était donc ça qui m’épuisait et me faisait mal comme ça ?!

Ligne 14 du métro, Paris, Juin 2025. Photo©Franck.Unimon

Florence-Jennifer, ma collègue infirmière de nuit donc, avait demandĂ© Ă  notre collègue ADS (adjoint de sĂ©curitĂ©) de m’emmener aux urgences de l’hĂ´pital le plus proche. Des urgences qu’elle avait prĂ©venues au prĂ©alable par tĂ©lĂ©phone de mon arrivĂ©e. Florence-Jennifer, toujours, m’avait dit de demander Ă  notre mĂ©decin de garde de me faire un courrier Ă  destination du mĂ©decin des urgences. Merci, Florence-Jennifer. Quand tu veux, tu peux. 

Aux urgences

Le jeune collègue ADS m’avait déposé à environ une vingtaine de mètres de l’entrée des urgences. Puis, il était reparti :

Pour nous rendre en voiture jusqu’au parking rĂ©servĂ© aux vĂ©hicules d’urgences, il lui aurait fallu faire des dĂ©tours. Car cette nuit-lĂ , la route Ă©tait barrĂ©e. Et, lui, il avait sans doute eu une grosse journĂ©e de travail. Il devait ĂŞtre près de 23 heures. Il aurait dĂ» terminer sa journĂ©e de travail Ă  19h ou 20 heures.  

J’avais parcouru les quelques mètres  Ă  pied, seul dans la rue, jusqu’à l’accueil des urgences. Tout Ă©tait tranquille. Pas de panique. 

Puis, après m’être prĂ©sentĂ© Ă  l’accueil, je m’étais assis sur une chaise et m’étais adossĂ© Ă  une colonne. Et je m’étais rapidement endormi dans la salle d’attente plutĂ´t calme pour un samedi soir. Je dormais très très bien. 

La Pointe des Châteaux, Guadeloupe, fin décembre 2023. Photo©Franck.Unimon

A peu près une demi-heure plus tard, j’avais Ă©tĂ© reçu dans un box. J’avais rĂ©expliquĂ© Ă  la femme mĂ©decin des urgences :

« Un essoufflement anormal pour des efforts de la vie quotidienne, une douleur, là…. ».

Une médecin que je voyais impliquée, travailleuse.

On m’avait écouté. On m’avait pris mes constantes, fait un bilan sanguin, fait un ECG. J’étais resté allongé sur le brancard dans le box quelques heures. Puis, en fin de nuit, on m’avait orienté vers une autre partie des urgences où j’avais attendu un peu dans une autre salle d’attente. Puis, nouveau box, nouveau brancard.

Vers 7 ou 8 heures du matin, petit-dĂ©jeuner.  Une soignante qui commençait sa journĂ©e m’avait appris que je restais afin que l’on puisse ponctionner mon Ă©panchement pleural. Elle avait Ă©tĂ© Ă©tonnĂ©e d’être celle qui me l’apprenait. 

Ensuite, direction un service d’hospitalisation dans ce même hôpital où j’avais été accompagné aux urgences.

Je n’étais pas emballé par une ponction pleurale. Je n’en n’avais jamais eue. Mais, pour moi, cela faisait plutôt mal.

Photo©Franck.Unimon

A la recherche de l’épanchement pleural

Une jeune médecin, sans doute interne, était arrivée pour me faire une échographie pleurale. Pour savoir où ponctionner. Mais elle ne parvenait pas à bien voir l’épanchement pleural. Alors, elle m’avait envoyé passer un scanner ou une IRM.

Lorsque l’interne était venue m’annoncer le résultat de l’examen dans la chambre d’hôpital où j’étais retourné entre-temps, dans son regard, j’avais changé de catégorie.

Depuis l’Arc de Triomphe, Paris, fin 2024. Photo©Franck.Unimon

Ce fut peut-être l’une des seules fois de ma vie où je devins une espèce de VIP. Et cela était dû au degré d’inquiétude que suscitait désormais mon état de santé.

Elle était restée calme en m’apprenant que je faisais « une embolie pulmonaire » et en m’informant des précautions d’usage. Mais c’était parce qu’elle se maitrisait. Mon sentiment de surprise contrastait avec, sûrement, le scénario catastrophe qui était en train de s’ériger dans sa tête. Je me souviens lui avoir dit, assis sur le rebord du lit face à elle :

«Une embolie pulmonaire ? Vraiment, je suis Ă©patĂ© ! Â».

Je n’ai jamais envisagé qu’un jour, je puisse faire une embolie pulmonaire. Et je n’ai pas davantage entrevu que je pourrais y passer malgré mon épuisement physique de plus en plus affirmé.

Sauf que, jusque là, je ne trouvais pas la porte d’entrée ou de sortie du bon diagnostic. Et en entendant parler « d’embolie pulmonaire », j’avais compris que, cette fois, on tenait la véritable identité de mes ennuis de santé.

La Pointe des Châteaux, Guadeloupe, fin décembre 2023. Photo©Franck.Unimon

Transporté comme une bombe à neutrons

On m’avait transportĂ© en lit roulant jusqu’à un autre service. Avec autant de prĂ©cautions que possible.  Et une certaine fĂ©brilitĂ©. Comme si j’étais une bombe Ă  neutrons pouvant exploser Ă  n’importe quel moment.

On m’avait injectĂ© un anticoagulant Ă  dose curative en m’informant que j’aurais d’autres injections. Deux par jour. On m’avait posĂ© une perfusion. Je devais rester allongĂ©, en position demi-allongĂ©e. DĂ©sormais, j’urinerais dans un « pistolet Â» sans quitter mon lit.

Je resterais à l’hôpital.

La vue, la nuit, depuis ma chambre, Ă  l’hĂ´pital, fin novembre 2023. Un endroit qui fait rĂŞver. Photo©Franck.Unimon

Une hospitalisation courte et un Ă©tat d’ahurissement

L’hospitalisation fut courte. Et cela me surprit beaucoup. Durant ces trois jours, j’eus de la visite de plusieurs de mes proches, particulièrement inquiets. Et de Florence-Jennifer, ma collègue infirmière de l’IPPP.

Ma fille, Ă  peine dix ans, fut peut- ĂŞtre l’une des personnes les plus touchĂ©es surtout qu’elle Ă©tait en train d’arriver dans le service avec sa mère, ma compagne, alors que du personnel exclusivement fĂ©minin Ă©tait en train de me changer de service en dĂ©plaçant mon lit comme si j’Ă©tais  la bombe Ă  neutrons. 

Mon état d’épuisement avancé explique peut-être cette espèce d’état de somnolence lors des visites que je reçus. Je me souviens des personnes. De leur visage. Du fait que l’on s’est parlé. De mon ahurissement devant ce qui m’était arrivé. Mais je dois aussi faire un certain effort pour bien me rappeler d’elles. Ma mémoire de ces trois jours me revient moins spontanément que pour d’autres circonstances.

Fin novembre 2023, Ă  l’hĂ´pital. On m’avait autorisĂ© Ă  me lever de nouveau.

Sortie d’hôpital

Je sortis après trois jours d’anticoagulants par injection Ă  des doses curatives et une prescription d’anticoagulant oral, l’Eliquis, Ă  prendre deux fois par jour. Je fus en arrĂŞt de travail jusqu’à mon dĂ©part de l’IPPP car, deux ou trois mois avant de faire cette embolie pulmonaire, j’avais demandĂ© et obtenu ma mutation pour partir travailler dans un nouvel Ă©tablissement oĂą j’exerce maintenant depuis un an et demi sans avoir connu de problème de santĂ©. Bien-sĂ»r, la mĂ©decine du travail de mon nouvel employeur avait Ă©tĂ© informĂ©e avant mon embauche. 

La colère

Tu piges ?!, une de mes amies et ancienne collègue infirmière, m’a fait comprendre par la suite qu’à ma place, elle aurait Ă©tĂ© en colère. Et qu’elle serait par exemple retournĂ©e voir au centre Cosem, ce deuxième mĂ©decin qui m’avait vu Ă  deux reprises en moins de cinq minutes, sans jamais m’ausculter, et qui m’avait diagnostiquĂ© une bronchiolite.

Je ne peux pas donner tort Ă  Tu Piges ?!. Et, je comprendrais que quelqu’un d’autre Ă  ma place fasse ce genre de dĂ©marche. Mais j’avais d’autres prioritĂ©s. D’abord, celle de bien me faire soigner et de faire le nĂ©cessaire pour cela. Donc, de m’Ă©conomiser d’autant que, par ailleurs, ma vie continuait et elle ne se rĂ©sumait pas Ă  aller mieux et Ă  repartir travailler. 

Pratiquer la médecine

Et, puis, ce qui m’a beaucoup marqué dans cet itinéraire médical, c’est principalement l’absence de réflexion intellectuelle, d’ouverture d’esprit et de curiosité des médecins consultés malgré leur nombre d’années d’études supérieures.

Le nombre d’années d’études, véritablement, n’est pas un gage absolu.

Je n’ai jamais aspiré à devenir médecin. Mais j’ai été amené et je suis amené à en rencontrer un certain nombre soit comme patient soit comme professionnel de la santé.

Lorsque j’avais discutĂ© plus tard avec le mĂ©decin du sport qu’il m’arrive de consulter ou avec celui qui Ă©tait encore mon mĂ©decin traitant avant son dĂ©part Ă  la retraite, tous deux s’étaient montrĂ©s plutĂ´t ironiques envers leurs confrères mĂ©decins consultĂ©s qui n’avaient pas fait le bon diagnostic. Sauf que lorsque je leur avais parlĂ© de cette mĂ©saventure, le diagnostic avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© trouvĂ©. J’Ă©tais sorti de l’hĂ´pital et j’Ă©tais « sous » Eliquis. 

Je sais que des mĂ©decins auraient rapidement fait le bon diagnostic ou « suspectĂ© » une embolie pulmonaire et donc orientĂ© leurs recherches dans ce sens. Mais je sais aussi que les mĂ©decins peuvent aussi avoir des relations très conflictuelles entre eux et se dĂ©nigrer les uns, les autres, avec une violence ou une dĂ©testation dont le public n’a pas idĂ©e. En cela, les mĂ©decins sont très semblables aux femmes et aux hommes politiques ou Ă  certains sportifs de haut niveau qui sont en compĂ©tition. Le thrash talk, les coups de pute, les dĂ©lations mutilaloires ou les phrases gorgĂ©es de poison Ă  la Game of Thrones sont des prescriptions que certains mĂ©decins savent parfaitement dĂ©livrer Ă  destination de leurs confrères et consoeurs.

Et la mĂ©decine, en tant que telle, est une très vaste discipline. Je crois que c’est le mĂ©decin du sport- ou mon thĂ©rapeute- qui me l’a rappelĂ©. Il y a tellement de maladies, de symptĂ´mes, de façons de dĂ©cliner ou « d’exprimer » un mĂŞme symptĂ´me selon l’âge, le sexe, la culture et le contexte ou l’environnement du patient. Il  peut exister tellement de variantes personnelles entre deux patients.

Certains diagnostics sont Ă©vidents aussi parce-que l’on se spĂ©cialise dans une discipline donnĂ©e et que l’on s’y « connait Â» un peu ou beaucoup dans cette discipline ou que l’on a entendu parler de tel cas. Ou parce-que que l’on peut demander conseil Ă  une collègue ou un collègue plus expĂ©rimentĂ© ou suffisamment expĂ©rimentĂ© qui peut nous faire des suggestions.

Loctudy, Mai 2025, avec le Subaquaclub de Colombes. Photo©Franck.Unimon

Mais lorsque l’on est « seul Â» face Ă  un patient, et, surtout, face Ă  ses symptĂ´mes et, peut-ĂŞtre aussi face Ă  son comportement et Ă  son « profil Â», il peut nous arriver de passer Ă  cĂ´tĂ© du bon diagnostic :

Parce-que l’on a rencontré peu de fois ce genre de situations. Parce-que cette situation ou ce profil de patient est dit « atypique». Parce-que l’on voit beaucoup de patients différents, et que l’on reçoit beaucoup d’informations à chaque fois. Et, aussi, parce-que, par moments ou souvent, on fait de l’abattage ou on est à côté de la plaque pour diverses raisons.

On travaille peut-ĂŞtre mĂ©caniquement. Par habitude. Sans trop s’interroger. Ou en pensant Ă  autre chose. Surtout si le patient ou la patiente est calme, coopĂ©rante voire se fait oublier. Ou se plaint trop ou souvent. 

Exposition Chiharu Shiota, au Grand Palais, Paris. Photo©Franck.Unimon

Des Médecins devant un tableau

Dans ma situation, ce qui me marque, d’abord, c’est que, plusieurs médecins sont passés devant le tableau. Le tableau, c’est moi. Et devant le tableau, tous ne peuvent pas avoir pour explication ou excuse le fait d’avoir été dans l’urgence ou d’avoir eu beaucoup de difficultés pour m’examiner car j’aurais été très agité, non-coopérant ou mutique.

A chaque consultation mĂ©dicale, j’avais Ă©tĂ© calme, j’avais parlĂ©, j’avais coopĂ©rĂ© et j’avais dĂ©crit. Sans dĂ©verser des litres de voyelles et de consonnes comme je peux le faire dans cet article. 

Ensuite, même lorsque la piste de l’épanchement pleural a été trouvée par une femme médecin qui se destine à travailler en psychiatrie, il n’y a pas eu d’interrogation derrière. On s’est contenté de regarder « épanchement pleural » sur le tableau et de suivre.

La femme mĂ©decin des urgences, aussi professionnelle, travailleuse et compĂ©tente soit-elle par exemple, ne s’est pas demandĂ©e suffisamment ce qui avait pu provoquer cet Ă©panchement pleural. Si elle m’a Ă©coutĂ©, et je crois vraiment qu’elle a pris le temps de m’écouter, mon « profil » cadrait si peu avec le profil des personnes qui font une embolie pulmonaire qu’elle n’y a pas pensĂ©. Et l’interne de mĂ©decine derrière, le lendemain matin, a continuĂ© de suivre la mĂŞme logique sans trop s’interroger non plus. Peut-ĂŞtre parce-qu’elle n’Ă©tait « que » interne et que ce n’Ă©tait pas Ă   » une petite interne » de remettre en question les conclusions Ă©mises par la collègue mĂ©decin des urgences vraisemblablement plus expĂ©rimentĂ©e qu’elle ne l’Ă©tait. 

Il a nĂ©anmoins fallu que cette mĂŞme interne se trouve devant son incapacitĂ© technique et/ou personnelle Ă  localiser mon Ă©panchement pleural et que l’hĂ´pital oĂą nous nous trouvions dispose d’un scanner ou d’une IRM pour que, enfin, on dĂ©couvre que je faisais une embolie pulmonaire et que celle-ci Ă©tait dĂ©jĂ  magnifique ou «très caractĂ©risĂ©e ».

Deux tasses Hagi Ware, du Sencha, un shiboridashi, un plateau. Photo©Franck.Unimon

L’impossibilité de l’action oblige à chercher

Sans scanner ou IRM et sans cette impossibilité pour cette interne de faire son travail, c’est à dire réaliser son geste technique, la ponction pleurale, je serais peut-être reparti ensuite chez moi ponctionné de mon épanchement pleural mais en ayant toujours mon embolie pulmonaire suspendue à mes crochets.

Je suis marquĂ© par cette absence de pensĂ©e ou de rĂ©flexion personnelle qui peut sĂ©vir Ă  hautes doses chez des gens mais aussi chez des soignants :

Dans toutes ces disciplines médicales ou autres ou des divisions de soignants ( de l’aide-soignant au médecin) se donnent et sauvent des gens, sauvent des vies et en soignent par millions depuis des générations.

Photo©Franck.Unimon

Déserter le monde des non-êtres et des non-dits

C’est parce-que l’on attendait trop de nous d’être des non-ĂŞtres, d’être des agents aussi dociles et disponibles que des ustensiles, des ĂŞtres humains stĂ©riles, que j’ai bifurquĂ© vers la psychiatrie trois ans après l’obtention de mon diplĂ´me d’Etat d’infirmier. C’Ă©tait il y a plus de trente ans.

Il y a des professionnels qui pensent dans les soins gĂ©nĂ©raux, dans les services de mĂ©decine et autres. Malheureusement, durant mes Ă©tudes d’infirmier et lors de mes premières annĂ©es de pratique dans les hĂ´pitaux et les cliniques, j’ai peu eu accès Ă  eux. J’ai plutĂ´t fait l’expĂ©rience d’un univers clos. 

Et, vu ma petite histoire vĂ©cue avec mon embolie pulmonaire, il va ĂŞtre difficile de me convaincre que les mĂ©decins que j’ai rencontrĂ©s ont une capacitĂ© de rĂ©flexion personnelle très poussĂ©e en dehors de cet univers clos. 

De son côté, la psychiatrie n’est pas si belle. Elle a mauvaise presse. C’est à la fois là où partent travailler les personnels infirmiers fainéants et ratés, les charlatans, celles et ceux qui ne savent pas réaliser des gestes techniques et qui passent leur temps à discuter ou à boire du café.

Il est vrai que cela fait des années que je n’ai pas fait de prise de sang ou eu à poser une perfusion.

Mais la psychiatrie est aussi l’endroit oĂą se trouvent des patients dangereux ou très bizarres qu’il faudrait dĂ©barrasser de leurs perversions; qu’il faudrait dĂ©capiter, fusiller, castrer ou incarcĂ©rer Ă  vie. C’est aussi en psychiatrie que se trouvent des soignants sadiques et maltraitants qui privent des ĂŞtres humains de leurs libertĂ©s les plus simples et les plus fondamentales. Je relate ici ce que certains comprennent ou prĂ©fèrent croire Ă  propos de la psychiatrie qui ne servirait Ă  rien. A part ĂŞtre une sorte d’ambassade qui accorderait une immunitĂ© diplomatique Ă  toutes sortes de dĂ©viants, patients comme professionnels, tandis que, bien sĂ»r, tous les gens modèles, frĂ©quentables, respectueux et irrĂ©prochables se trouveraient eux hors des murs et des services de consultation de psychiatrie.

Se faire domestiquer et museler

Et puis, la psychiatrie, dans son ensemble, comme la mĂ©decine et toutes ses spĂ©cialitĂ©s, s’est aussi faite domestiquer par la semence  de l’abattage, de la dĂ©forestation intellectuelle et de la maitrise technologique, comptable et administrative.

Pour ne pas parler de maitrise décorative ou maitrise bling-bling.

En psychiatrie, aujourd’hui, un bon infirmier, c’est d’abord un infirmier qui sait allumer l’ordinateur du service, y entrer ses codes d’accès personnels afin d’y trouver le dossier du patient et les informations confidentielles qu’il comporte et qui sait faire de la bonne saisie informatique pour y entrer des paramètres de surveillance. Pour bien montrer qu’il a bien pris les constantes, bien distribué les médicaments, qu’il était bien présent à l’entretien, qu’il a fait telle activité avec tel patient.

Il faut faire. Et il faut montrer que l’on fait ou que l’on a fait. Cela ressemble un peu Ă  une comĂ©die ou Ă  du fayotage. MĂŞme si je sais que beaucoup d’infirmiers sont sincères et vĂ©ritablement impliquĂ©s dans leur travail. 

La grosse boule blanche

La psychiatrie, comme dans la série Le Prisonnier, s’est aussi faite rattraper par la grosse boule blanche. Et, il faut désormais se contorsionner et bien choisir les services de psychiatrie où l’on part travailler, ainsi que nos collègues, si l’on veut pouvoir préserver un peu de notre horizon mental, intellectuel et personnel sans que celui-ci soit constamment zappé par des injonctions institutionnelles diverses qui pratiquent la destruction de pensée et estiment faire leur travail.

Je me dis aujourd’hui que la destruction de la pensĂ©e a quelque chose Ă  voir aussi avec la destruction totalitaire du passĂ© un peu comme en Chine sous Mao ou dans n’importe quel pays oĂą l’intĂ©grisme s’est installĂ© et oĂą tout ce qui a existĂ© au prĂ©alable est soit pourchassĂ© soit idĂ©alisĂ©. Il n’y a pas de nuance. Il n’existe pas d’entre deux. Pas ou peu de mise en perspective en fonction du contexte. Soit c’Ă©tait parfait avant, soit tout le passĂ© est dĂ©suet. 

Le pneumologue et la boule blanche

Le pneumologue qui me suit peut-ĂŞtre un peu telle la boule blanche dans la sĂ©rie Le Prisonnier n’aborde pas ce genre de sujet avec moi. Mais sans doute que, moi, en tant que patient et « professionnel » de la santĂ©, je pense aussi Ă  ça lorsque je le regarde, l’Ă©coute.  Et lorsque je croise d’autres « confrères » qu’ils soient mĂ©decins ou autres. Ils pensent symptĂ´me, diagnostic et traitement. Je pense aussi Ă  ce qu’il y a autour. Mais peut-ĂŞtre aussi que nos doutes passent par des routes diffĂ©rentes.

Depuis l’Arc de Triomphe, fin 2024. Photo©Franck.Unimon

C’est « bien » de me dire que j’ai fait une (grave) embolie pulmonaire. Et d’ajouter, comme il l’a fait hier, que les mĂ©decins que j’ai consultĂ©s ne sont pas responsables du  fait que j’ai dĂ©veloppĂ© une embolie pulmonaire.  Mais c’est bien, aussi, de (lui) rappeler que durant deux semaines, nos confrères mĂ©decins consultĂ©s sont passĂ©s Ă  cĂ´tĂ© du diagnostic. Et si je me permets devant lui qui est mĂ©decin, alors que je ne suis qu’infirmier, de dire « nos confrères mĂ©decins », c’est par volontĂ© de rester diplomate. Mais aussi parce-que mon expĂ©rience dans le milieu de la santĂ© me fait relativiser cette aura de toute puissance et d’omniscience Ă  laquelle un certain nombre de mĂ©decins, femmes comme hommes, est abonnĂ©e. Ce qui leur permet aussi de passer rapidement sur certains de leurs ratĂ©s professionnels ou personnels.

Je l’ai dit encore récemment à Hagi Ware, une de mes collègues médecins que j’aime bien et celle-ci en a plutôt convenu :

Un certain nombre de personnes deviennent mĂ©decins ou « font mĂ©decine » plutĂ´t pour accĂ©der Ă  un certain prestige. Leurs motivations humanistes sont secondaires ou dĂ©risoires. Ils peuvent ĂŞtre (très) compĂ©tents en tant que mĂ©decins et, par ailleurs, ĂŞtre humainement dĂ©lĂ©tères. Peut-ĂŞtre que les mĂ©decins que j’ai consultĂ©s Ă©taient-ils tous plutĂ´t humanistes. Hormis peut-ĂŞtre celui qui m’a vu moins de cinq minutes Ă  chaque fois sans jamais m’ausculter. 

J’ai du mal Ă  savoir si le pneumologue que je vois est humaniste. Il s’y essaie en tout cas.  

J’aurais dĂ» le revoir un mois plus tĂ´t.  Au dĂ©but du mois de juin.

Mais la secrétaire m’avait contacté pour décaler notre rendez-vous à hier. Dans son message par téléphone et par mail, la secrétaire m’informait de la nouvelle date de rendez-vous et du nouvel horaire. A moi de m’y faire ou de rappeler pour demander une autre date et un autre horaire. J’ai eu de la chance.

Paris, 13ème arrondissement. Photo©Franck.Unimon

Mon planning, qui n’est pas fixe, et que je découvre entre le milieu et la fin de chaque mois pour le mois suivant, s’accordait bien avec cette nouvelle date de rendez-vous avec le pneumologue.

Pourtant, hier, j’ai failli rater mon rendez-vous avec le pneumologue. Car je m’étais d’abord trompé d’horaire. J’ai failli arriver avec une heure et demie de retard. Si je l’avais raté, j’aurais peut-être dû prendre un autre rendez-vous. Et continuer de prendre de l’Eliquis.

Humaniste ou alambiquĂ© ?

Depuis le dĂ©but, je trouve que le pneumologue fait des phrases alambiquĂ©es pour me dire les choses. Je le crois compĂ©tent et dĂ©sireux de bien faire comme de bien formuler les choses. Mais c’est alambiquĂ© :

« Je ne peux pas vous dire si vous faites partie des 20% qui peuvent refaire une embolie pulmonaire ou des 80% qui n’en referont pas Â». « Aujourd’hui, tous les rĂ©sultats de vos examens m’indiquent que nous pourrions arrĂŞter l’Eliquis. Les rĂ©sultats de votre dernière Ă©preuve d’effort sont mĂŞme meilleurs que ceux de l’annĂ©e dernière et sont très bons. Il n’y a plus, aujourd’hui, de sĂ©quelles de votre embolie pulmonaire. Mais c’est une discussion que nous avons Ă  deux. Si vous me dites que vous prĂ©fĂ©rez continuer l’Eliquis pour Ă©viter de refaire une embolie pulmonaire, je le comprendrais. Si vous continuez, je n’aurais pas de raison ensuite pour arrĂŞter de vous en prescrire. Donc, vous aurez de l’Eliquis pour un moment…(note de la rĂ©daction moment = Ă  vie) ».

Ce que je vis avec ce pneumologue me semble très typique :

Pendant des semaines, j’ai consulté des médecins qui ne se sont pas beaucoup inquiétés de mon état de santé. Et, désormais, parce-que, dans mon fichier médical, il est spécifié que, un jour, j’ai fait une embolie pulmonaire tout ou beaucoup de ma santé médicale mais aussi de mon avenir personnel semblent désormais être conditionné par cet événement. Il faudrait presque que je pense en permanence à cette embolie pulmonaire. Voire peut-être que j’expie jusqu’à ma mort pour ma faute qui consiste à avoir fait une embolie pulmonaire.

D’un côté, lorsque je l’ai faite et qu’elle a été diagnostiquée, le discours médical a consisté à chercher à me convaincre que ce qui m’arrivait était bien connu et donc que l’on savait comment s’y prendre avec. Maintenant que mon embolie pulmonaire a disparu et que j’ai bien ou très bien récupéré, ce qui a été attesté par divers instruments de mesure médicaux auxquels je me suis appliqué à me conformer, il faudrait presque que je m’inquiète davantage.

La mĂ©decine n’aime pas qu’on lui Ă©chappe ou que l’on puisse se passer d’elle. Mais c’est aussi vrai de la psychiatrie.

Mai ou Juin 2025. Photo©Franck.Unimon

La science et l’ignorance des avions de chasse

Peut-ĂŞtre parce-que le pneumologue ignore la cause de mon embolie pulmonaire. Celle-ci reste un mystère. S’il avait rapidement Ă©liminĂ© comme cause possible, le fait que j’aie attrapĂ© le Covid deux mois avant de la faire, Ă  aucun moment, il n’a mentionnĂ© le fait que la vaccination anti-Covid pourrait ou pouvait, chez certaines personnes, provoquer, peut-ĂŞtre, dans certaines circonstances, une embolie pulmonaire. Hier, je n’ai mĂŞme pas pensĂ© Ă  lui en parler. Il existe un tel interdit de la pensĂ©e Ă  ce sujet. Aller dans cette direction, c’est comme ĂŞtre le diable qui tenterait un homme de foi scientifique. C’est comme ĂŞtre un homo qui essaierait de dĂ©tourner un hĂ©tĂ©ro du droit chemin. Et ce n’est sĂ»rement pas lui, mĂ©decin de formation et de profession, qui peut prendre l’initiative de ce genre de doute ou de rĂ©flexion personnelle. On frĂ´lerait l’hĂ©rĂ©sie. La dĂ©chĂ©ance Ă©thique. 

Lors de la pandĂ©mie du Covid, il y a eu une diffĂ©rence très nette entre l’adhĂ©sion des mĂ©decins, quasiment unanime en faveur des vaccins anti-Covid, et la dĂ©fiance des personnels infirmiers par exemple envers les vaccins anti-Covid. J’ai maintenant oubliĂ© les pourcentages et mes sources, mais autant on avait plus de 90 pour cent des mĂ©decins qui Ă©taient favorables aux vaccins anti-Covid, autant, du cĂ´tĂ© des infirmiers, on Ă©tait, je crois, plutĂ´t dans les 50 pour cent d’adhĂ©sion Ă  la lĂ©gitimitĂ© de ces vaccins anti-Covid. 

Pour certains collègues médecins avec lesquels il m’est arrivé d’en parler un peu « après » la pandémie du Covid, seuls l’obscurantisme, l’ignorance et l’imbécilité peuvent expliquer la défiance qui a pu exister à l’encontre des vaccins anti-Covid.

Lors de la pandĂ©mie du Covid, j’avais croisĂ© deux mĂ©decins, qui ne se sont pas faits vacciner contre le Covid. Ils exercent en libĂ©ral et j’avais commencĂ© Ă  les consulter avant l’obligation vaccinale.

J’en avais un peu discutĂ© avec eux. Une femme, un homme.

L’ une et l’autre m’avait donnĂ© leurs arguments. Ce sont des mĂ©decins qui exercent toujours dans des quartiers de Paris plutĂ´t bien rĂ©fĂ©rencĂ©s et qui, lorsque je les avais consultĂ©s, m’ont toujours donnĂ© le sentiment de s’y connaĂ®tre en mĂ©decine. J’Ă©vite Ă©videmment de donner plus d’indices pour prĂ©server autant que possible leur anonymat. Ils passeront et sont sĂ»rement passĂ©s pour de dangereux irresponsables et pour des professionnels indignes de la profession mĂ©dicale.  

Car il y a, je trouve, chez un bon nombre de nos collègues médecins vis-à-vis de la question des vaccins anti-Covid, un mélange de conviction sincère et inébranlable dans les bienfaits de la science, et, ici, des bienfaits des vaccins anti-Covid. Mais il y a aussi, chez un certain nombre d’entre eux, ce sentiment féroce, voire impitoyable, d’appartenir à une élite qui pense toujours ou souvent beaucoup mieux, beaucoup plus vite et beaucoup plus haut que la masse de péquenauds ou de dégénérés qui se cramponne frénétiquement ou désespérément, pour ne pas dire avidement, et toujours de manière réflexe, à des superstitions et à des conneries aussi manifestes que supersoniques.

Il peut y avoir chez les mĂ©decins la mĂŞme certitude que pouvait avoir le colon, religieux ou non,  lorsqu’il apportait la civilisation aux peuples et aux populations regardĂ©es comme attardĂ©es et reculĂ©es et qui rĂ©sistaient. Et qui s’accrochaient Ă  leurs gris-gris malgrĂ© leur faible bĂ©nĂ©fice thĂ©rapeutique.  

Les mĂ©decins sont Ă  la pensĂ©e et au Savoir ce que les avions de chasse et les fusĂ©es sont Ă  l’aviation et aux programmes spatiaux. Ce sont des explorateurs de l’univers et des couches supĂ©rieures de l’intelligence hors des frontières de la terre et du cadastre  commun. Et tous les autres, les presque cadavres , sont tolĂ©rĂ©s selon nos humeurs tant qu’ils restent sympas, nous font le cafĂ©, nous obĂ©issent et nous admirent. 

Tout scientifique qu’est le pneumologue qui me suit, Ă  ce jour, il n’a aucune explication rationnelle pour « justifier Â» mon embolie pulmonaire. Et cela fait maintenant un an et demi qu’il me suit et m’étudie. Il a donc eu toute latitude, au grĂ© de divers examens et de plusieurs observations pour trouver la cause de cette embolie pulmonaire.

Photo©Franck.Unimon

Sortir de certains standards de pensée

Je ne crois pas qu’à sa place une ou un autre pneumologue puisse faire « mieux Â» ou plus que lui en termes de recherche scientifique ou d’examens. Sauf si cette professionnelle ou ce professionnel est capable de penser par elle-mĂŞme ou par lui-mĂŞme et se permet de sortir de certains standards de la pensĂ©e comme on peut se sortir de certains guĂŞpiers.

A mon avis, d’autres hommes aussi jeunes que moi, et en aussi bonne santé que moi, ont fait ou feront des embolies pulmonaires dans des conditions similaires à la mienne. Ils n’auront pas le profil type. On n’aura ou on a eu aucune explication rationnelle concernant la survenue de leur embolie pulmonaire.

A aucun moment, le pneumologue n’a suggĂ©rĂ© ou envisagĂ© que, peut-ĂŞtre, dans certaines circonstances, on pouvait penser ou qu’il avait Ă©tĂ© Ă©crit dans «  la littĂ©rature scientifique » (mĂ©dicale) que certaines personnes qui avaient Ă©tĂ© vaccinĂ©es contre le Covid avaient pu faire une embolie pulmonaire. Ou que certains lots de vaccins anti-Covid avaient pu avoir cet effet-lĂ  pour des raisons que l’on ne savait pas trop expliquer dès lors qu’une personne attrapait le Covid. Mais que, Ă  choisir entre une assez forte probabilitĂ© que des vaccins anti-Covid favorisent la survenue d’embolies pulmonaires et le fait de dĂ©cĂ©der du Covid, qu’il avait Ă©tĂ© « dĂ©cidé» (par qui ?) de « prendre le risque ».

J’ai reçu trois injections de Moderna contre le Covid. J’ai attrapé le Covid en été 2023, alors qu’il faisait particulièrement chaud. Plusieurs mois après mes injections de vaccin Moderna contre le Covid qui m’avaient permis d’éviter ma suspension professionnelle. Ce sont les seuls événements notables et objectifs dont je me souvienne qui auraient pu perturber la routine de ma santé avant de faire cette embolie pulmonaire. Avant d’attraper le covid en été 2023 et de faire cette embolie pulmonaire deux à trois mois plus tard, j’avais traversé la pandémie du Covid sans affection médicale particulière.

Cependant, le mois dernier, en se fiant Ă  certains Ă©lĂ©ments de ma vie d’avant mon embolie pulmonaire mais aussi Ă  mon exposition Ă  la psychose, Ă  la souffrance et Ă  la violence, de par mon travail d’infirmier en psychiatrie, un psychologue m’a suggĂ©rĂ© que j’avais peut-ĂŞtre somatisĂ© mon embolie pulmonaire.

Il n’y a, ici, aucune dĂ©monstration scientifique et rien qui puisse se mesurer objectivement au travers d’une prise de sang, une IRM, un ECG ou un autre type d’exploration fonctionnelle. C’est donc Ă©videmment une piste vers laquelle le pneumologue ne s’est Ă  aucun moment dirigĂ©. Et qu’il n’a jamais formulĂ©. Puisque la psychologie n’est pas son domaine. Et qu’il y accorde sans doute peu d’importance en tant que facteur qui pourrait influer sur la santĂ© physique d’une personne. Sait-il en quoi consiste la somatisation ? Y croit-il  ? En est-il convaincu ?

Il y a des mĂ©decins qui sont très sceptiques quant aux bĂ©nĂ©fices thĂ©rapeutiques de l’hypnose. Ce ne sont pas ces mĂ©decins qui vont prĂŞter une attention particulière Ă  ces histoires de somatisation. Vous rigolez.  

Pourtant, la somatisation est plutĂ´t courante.

Il nous arrive de supporter certaines charges personnelles, Ă©motionnelles, psychologiques, sans nous plaindre, jusqu’Ă  ce jour oĂą l’on se rompt. Aujourd’hui, on parle assez souvent du burn-out voire de la dĂ©pression qui peuvent survenir après que l’on se soit « brĂ»lĂ© intĂ©rieurement » et Ă©motionnellement. Mais le burn-out et la dĂ©pression sont la consĂ©quence de cette « brĂ»lure intĂ©rieure et Ă©motionnelle » lente et profonde.

Et, exceptĂ© le fait, peut-ĂŞtre, que l’on voit (lorsqu’on peut le voir)  chez la personne des signes de fatigue, d’irritabilitĂ©, de perte de poids, l’apparition de comportements, de propos ou d’idĂ©es plutĂ´t inquiĂ©tantes ou inhabituelles qui ne lui ressemblent pas trop, il n’existe pas de dosage sanguin, de signe sur un ECG ou Ă  l’IRM qui permettent de dĂ©pister un burn-out ou une dĂ©pression en cours de constitution. 

Il existe d’autres Ă©quivalents physiques de la dĂ©pression ou du burn-out. 

Il y a quelques annĂ©es, je me suis rompu un tendon d’Achille en pratiquant de la boxe française que j’avais dĂ©butĂ©e depuis quelques semaines. Il y a l’explication mĂ©canique de la rupture du tendon d’Achille : il est des sports qui prĂ©disposent ( souvent les hommes) Ă  une rupture du tendon d’Achille Ă  partir d’un certain âge lorsqu’ils s’approchent de la quarantaine. Tennis, boxe, football, basket, sports de combat, athlĂ©tisme…. tous les sports qui nĂ©cessitent beaucoup d’appuis toniques au sol avec des impacts et des changements brutaux de dĂ©placement.

J’avais l’âge et j’avais pratiquĂ© un de ces sports. Classique.

Mais cela m’Ă©tait aussi arrivĂ© Ă  une Ă©poque de ma vie oĂą, cĂ©libataire, je me trouvais Ă  un moment de rupture personnelle entre mon passĂ©, et mon prĂ©sent, et oĂą je voulais ĂŞtre partout. 

Il y a encore quelques annĂ©es, après l’accouchement difficile de ma compagne et la naissance prĂ©maturĂ©e et difficile de notre fille, j’ai fait une infection urinaire et j’ai aussi traĂ®nĂ© une hypotension pendant plusieurs mois. Je n’avais jamais fait d’infection urinaire auparavant, une affection plutĂ´t rĂ©servĂ©e Ă  la gente fĂ©minine. Et c’est la première hypotension aussi persistante dont je me rappelle.

J’avais aussi perdu du poids.

Le mĂ©decin que j’avais consultĂ© et qui m’avait diagnostiquĂ© mon infection urinaire ne m’a jamais dit que j’avais probablement somatisĂ©. A mon avis, il l’ignorait ou ne s’Ă©tait mĂŞme pas posĂ© la question. Il avait fait une règle de quatre:

symptĂ´me, diagnostic, traitement,  addition.

J’ai compris tout seul, rĂ©trospectivement, que j’avais probablement somatisĂ© après la naissance de notre fille. Je n’ai pas besoin que cela me soit « objectivé » et confirmĂ© par des examens mĂ©dicaux. Et cela n’a rien Ă  voir avec de la superstition. Certains Ă©vĂ©nements affectent ou Ă©branlent notre psychĂ© plus que d’autres. MĂŞme si voire surtout peut-ĂŞtre si nous avons souhaitĂ© ces Ă©vĂ©nements. Et cela peut ensuite se rĂ©percuter sur notre corps. 

Parce-que ces Ă©vĂ©nements sont une rupture dĂ©cisive avec notre vie d’avant. Parce-qu’ils nous inquiètent particulièrement. Parce-que l’inquiĂ©tude et l’anxiĂ©tĂ©, ça peut nous galvaniser pour nous mettre en Ă©tat d’alerte afin que beaucoup de nos forces mentales et physiques soient rapidement disponibles pour affronter l’Ă©preuve ou l’Ă©vĂ©nement. Mais cela peut aussi nous user ou nous dĂ©figurer.   

Lorsqu’une personne connue pour ĂŞtre solide ou inĂ©branlable, un beau jour, se suicide, c’est souvent un choc pour son « entourage ». Mais que croit-on ?! Qu’on peut toujours tout encaisser sans jamais, Ă  un moment ou Ă  un autre, s’abĂ®mer ? Que celle ou celui qui ne se plaint et qui ne pleure jamais ne dĂ©guste jamais ?! 

Parce-que seuls les coups physiques et les maladies peuvent nous faire flancher ?!

La somatisation, pour mon embolie pulmonaire, me paraĂ®t ĂŞtre une bonne piste. Et, je me suis aussi dĂ©jĂ  demandĂ© ce que devenait toute cette souffrance et toute cette violence que je recevais en tant qu’infirmier psychiatrique sans avoir trouvĂ© de  rĂ©ponse complète. 

Cette embolie pulmonaire est peut-être un signe de fragilité et de vieillesse intérieure. Si extérieurement, je fais plus jeune que mon âge, peut-être que mon organisme, ou mon moral, surtout, lui, s’est détérioré ou brûlé plus vite.

Sortir de l’angoisse

Hier, j’ai répondu au pneumologue que je préférais arrêter l’Eliquis car je refusais de vivre dans l’angoisse. Le pneumologue m’a répondu qu’il comprenait ma décision. Je ne suis pas sûr qu’il ait compris que je refusais aussi de continuer de vivre (dans) son angoisse.

Je n’ai pas eu besoin, moi, de lui faire passer un scanner, d’épreuves d’efforts, d’examens sanguins, de lui faire prendre un traitement, pour le trouver, assez rapidement, quelque peu anxieux voire angoissĂ© mĂŞme si, devant moi, il a toujours tenu un discours très cohĂ©rent et a toujours suivi une logique protocolaire.  MathĂ©matique.

Celle de la prudence, officiellement.

Et moi, de mon côté, je ne suis ni un irresponsable ni un optimiste béat. Puisque, j’ai ajouté que, bien-sûr, j’étais d’accord pour continuer de venir le consulter mais aussi pour effectuer les examens nécessaires.

Depuis hier soir, je suis donc redevenu libre de l’Eliquis.

Ou en sursis. Je reverrai le pneumologue dans six mois puis, si tout va bien, une fois par an.

Prendre de l’Eliquis deux fois par jour pendant un an et demi n’a pas Ă©tĂ© très contraignant. Deux petits comprimĂ©s par jour. C’est rien du tout comparativement Ă  des mĂ©dicaments qui ont certains effets secondaires dĂ©sagrĂ©ables.

Mais je pense aussi aux personnes diabĂ©tiques insulino-dĂ©pendantes. RĂ©cemment, dans un service de pĂ©dopsychiatrie oĂą j’ai fait une nuit en heures sup, j’ai croisĂ© une jeune fille de 14 ans, diabĂ©tique, obligĂ©e de contrĂ´ler sa glycĂ©mie plusieurs fois par jour, de se faire au minimum quatre injections d’insuline par jour, deux injections d’insuline rapide, deux injections d’insuline lente. A quatre heures du matin, elle a fait une une hypoglycĂ©mie qui l’a rĂ©veillĂ©e alors que deux heures plus tĂ´t, sa glycĂ©mie Ă©tait un peu au dessus de la normale. Près d’une demie-heure a Ă©tĂ© nĂ©cessaire pour qu’elle retrouve une glycĂ©mie « normale » en reprenant du sucre Ă  deux reprises ( c’Ă©tait la prescription mĂ©dicale). 

Ces ennuis médicaux se rajoutaient à une situation sociale et personnelle délicate.

J’ai eu de la peine pour cette jeune fille. 

Blade Runner

Le pneumologue n’a pas menti. Dans la salle d’attente, hier, avant qu’il ne me reçoive en consultation, j’ai regardé les patients présents. Deux couples en particulier âgés de 70 à 80 ans en moyenne.

J’ai vu une femme anxieuse s’adressant pratiquement toutes les 60 secondes à son mari. Pour avoir la bouteille d’eau. Pour lui demander combien il avait acheté les cadres de tableau au magasin Action. Pour connaître le trajet pour se rendre à tel endroit. Au départ, l’homme expédiait ses réponses et les répétait plusieurs fois tout en regardant son téléphone portable. Elle aussi avait son téléphone portable à la main mais elle n’en faisait rien. C’était à lui qu’elle parlait.

Par la suite, l’homme s’est vraiment mis à lui parler. Il a même fait un peu d’humour. Ils ont rigolé ensemble tous les deux.

L’ autre couple était plus discret. Le monsieur se déplaçait avec un appareil roulant qui lui fournissait manifestement de l’oxygène. La jeune femme médecin s’est avancée vers eux en souriant en leur disant « A nous ! ». La femme médecin leur a demandé si ça allait. Le couple lui a répondu par l’affirmative. L’ homme s’est levé. Tandis que sa femme commençait à soulever son sac, lui s’est aperçu qu’une partie du tuyau de sa sonde s’était quelque peu entortillée autour d’une des deux roues de l’appareil. La jeune femme médecin et son sourire étaient déja hors de vue.

J’ai un moment envisagé de me lever pour aller aider le monsieur mais il est finalement parvenu plutôt facilement à résoudre son problème. Puis, le couple assez âgé est parti à la suite de la jeune femme médecin.

Je suis plus jeune et a priori en meilleure condition physique que ces personnes. Et mon premier réflexe serait de penser que je suis de passage et que je n’ai rien à voir avec ces personnages âgées. De refuser de vieillir.

De refuser de me voir vieillir.

Cependant, un jour, je serai comme eux. Et comme d’autres. Car être jeune, se sentir jeune, c’est peut-être d’abord se sentir différent des autres même si l’on est souvent comme beaucoup d’autres.

J’ai un peu essayé d’imaginer comment ces couples étaient lorsqu’ils étaient plus jeunes sans pouvoir vraiment le deviner.

Je ne suis pas parvenu Ă  m’imaginer plus vieux, plus affaibli.  Mais hier, avant de rentrer chez moi, j’ai tenu Ă  partir acheter le polar Balanegra de Marto Pariente et je me suis mis Ă  la recherche de 1275 âmes de Jim Thompson. Pour cela, je suis allĂ© Ă  la librairie Delamain, près de la ComĂ©die Française. J’aime bien y aller de temps en temps ou passer par lĂ  lorsque je sors du cinĂ©ma UGC des Halles.

L’idée d’aller voir Burning Spear en concert au Kilowatt m’était passée.

Hier soir, j’ai commencĂ© Ă  lire Balanegra. Et ce matin en me levant, j’ai commencĂ© Ă  Ă©crire cet article. Un article qui sera peut-ĂŞtre lu Ă  20 % ou par 20 % de personnes. Je n’ai pas encore 1275 âmes de Jim Thompson parce qu’il est en rupture de stock. La libraire m’a rĂ©pondu hier qu’il me fallait le chercher en seconde main. Je vais le trouver. 

Franck Unimon, samedi 5 juillet 2025.

 

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Pour les Poissons Rouges

L’Amour vu par un homme

Photo©Franck.Unimon

L’ Amour vu par un homme

C’est une connaissance. Nous n’avons jamais été proches. Mais un jour, je serai comme lui.

Il semble descendre vers la gare. Au volant de ma voiture, arrêté au stop, je le regarde marcher. Lui ne peut que marcher. Une voiture, ça pollue et c’est un objet de luxe et de consommation.

Il porte des sandales de merde. Il a désormais une petite bedaine qui enfle sous sa chemise à carreaux à manches courtes. Il a toujours son catogan. Sauf qu’il a un début de calvitie. La dernière fois que je l’avais vu sourire, c’était au festival d’Avignon, il y a plus de dix ans. C’était l’ami d’une amie comédienne et metteure en scène. Il était sur scène. Je l’avais trouvé bon comédien.

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Lui et sa femme forment un couple socialement et culturellement engagé depuis une bonne vingtaine d’années. Il m’est sûrement impossible d’avoir une idée exacte du nombre d’heures et de jours qu’ils ont données et continuent de donner ensemble ou séparément en tant que femme et homme de théâtre et de culture.

 Je les ai aperçus quelques mois plus tĂ´t dans le train. Assis face Ă  face ou cĂ´te Ă  cĂ´te, ils ne souriaient pas voire ne se parlaient pas.

Ils ne m’ont pas vu. Ils ne m’ont pas reconnu. J’en ai profitĂ© pour aller plus loin. Je ne voulais pas les dĂ©ranger et, aussi, avoir Ă  leur rappeler qui j’étais ou pire :

 Je ne voulais pas ĂŞtre pour eux une sorte de divertissement.

Photo©Franck.Unimon

C’est un couple qui dure. Ils ont au moins deux enfants. Je l’ai aperçu lui, une fois, dans le bus, avec un de leurs fils. Mal fringué, les cheveux longs, longiligne, presque sale. Mais sans aucun doute très brillant à l’école et très cultivé. Du moins, je l’espère.

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Cet homme que j’aperçois à quelques mètres de moi (et sa femme) se contrefiche des apparences. C’est un homme libre. Et moi qui fais le malin en le décrivant, je suis beaucoup moins libre que lui. Parce-que je m’accroche encore aux apparences comme je m’accroche à mon volant. Alors que les apparences, c’est surtout dans les débuts d’une relation qu’elles comptent. Ensuite, on peut s’en débarrasser une fois que l’on est bien installés et que l’autre est en quelque sorte devenu notre propriété. Lorsque l’on est à peu près convaincu qu’elle ou qu’il restera autant qu’on le pensera.

Je repense à cet homme. A son allure. A l ’espèce de poids mais aussi de combat éternel auxquels il a semblé se consacrer entièrement au point de ne rien voir d’autre que ce point qui le menait vers la gare. Car c’est un homme entier.

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Puis, je dĂ©marre et je me rends jusqu’à aujourd’hui, ce lundi 30 juin 2025. Depuis quelques jours, c’est la canicule. 34 ou 35 degrĂ©s aujourd’hui en rĂ©gion parisienne, je crois. Je m’attarde peu sur les chiffres comme sur les titres que j’ai pu voir sur un des tĂ©lĂ©viseurs de mon lieu de travail oĂą l’on se demandait s’il fallait fermer les Ă©coles plus tĂ´t. Rachida Dati, 60 ans cette annĂ©e, Ministre de la Culture, et Maire du 7ème arrondissement de Paris depuis le 29 mars 2008, veut devenir Maire de Paris. Bruno Retailleau, 65 ans cette annĂ©e, Ministre de l’IntĂ©rieur, PrĂ©sident du parti des RĂ©publicains, marche « bien » depuis quelques mois. 

J’ai aperçu Ă  la tĂ©lĂ© le PrĂ©sident de la RĂ©publique, Emmanuel Macron, 48 ans cette annĂ©e, avant un match de Rugby rĂ©cemment. Il saluait les joueurs qui le dĂ©passaient tous de plusieurs tĂŞtes ainsi qu’en envergure. Il Ă©tait enthousiaste, assez excitĂ©. Je ne l’ai pas reconnu tout de suite. Il avait pris un coup de vieux. Son double mandat de PrĂ©sident de la RĂ©publique et certains de ses mauvais choix l’auront usĂ©.

On nous parle aussi régulièrement du conflit en cours entre les Etats-Unis et l’Iran à la suite de l’attaque militaire d’Israël sur des sites stratégiques militaires afin d’empêcher l’Iran islamiste de fabriquer la bombe nucléaire.

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En France, c’est l’étĂ©. C’est le dĂ©but des grandes vacances scolaires. Les gens partent se changer les idĂ©es. On les voit avec leur valise. C’est le dĂ©but des soldes. Le marchĂ© immobilier a repris de la vigueur. Les gens ont recommencĂ© Ă  acheter.  Il y a aussi plein de festivals de musique. Et comme il fait beau (ou trop chaud), il convient d’être lĂ©ger ; de se distraire ; d’entreprendre ;  de voir la vie du bon cĂ´tĂ© ; de « chiller » ; «  d’être fun » ;  de-trouver- sa- moitiĂ©- ou- de partir- quelque- part- avec- elle- dans- l’harmonie- puisque- c’est- la- saison- et- aussi- parce- qu’une- existence- accomplie- se- doit- de- toutes- façons- de- se- dĂ©rouler- de- cette- manière.

Si nous sommes plus de soixante millions d’habitants en France, il y a sur terre Ă  peu près 7 ou 8 milliards d’êtres humains. Et parmi ces 7 Ă  8 milliards de personnes, il s’en trouve un certain nombre pour lesquels la France est le pays ou l’un des pays de l’Amour et du « romantisme Â».

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« Est-ce que tu l’aimes ? Â» C’est souvent une femme qui continue de poser ce genre de question Ă  une autre personne. Je peux me rappeler d’une amie me posant cette question. Je ne me rappelle pas qu’un homme, ami, copain ou connaissance, me l’ait posĂ©.

C’est aussi plutôt une femme qui va décider de rester parce qu’elle aime son prochain ou sa prochaine. Quel que soit ce qu’elle peut endurer au sein du couple.

L’Amour semble donner des forces voire certaines certitudes aux femmes. Il semble davantage opprimer les hommes. Je parle ici de relations hĂ©tĂ©rosexuelles.  Et je ne compte pas beaucoup sur les hommes pour s’exprimer librement et en toute dĂ©contraction sur le sujet car ils ont plutĂ´t tendance Ă  le fuir. Et ça, c’était bien avant d’entendre parler de :

« charge mentale », « travail invisible », « déconstruire », « féminisme », « féministe », « patriarcat », « être assigné à son genre », « conditionnement social »  » viols systémiques », « viols », « pervers narcissique », «procès de Mazan », « porc », « culture du viol », « la drogue du viol », « GHB », « grossophobie », « féminicides », « plafond de verre pour les femmes », « haine des femmes », « précarité des femmes », « injonctions patriarcales », « L’ Amour dure trois ans », « L’ Amour peut tout ».

J’ai répété certains termes pour donner un peu une idée de la façon dont ils peuvent nous être rappelés ou dictés.

 Je ne conteste pas la lĂ©gitimitĂ© de ces termes. Je ne conteste pas non plus leurs contradictions.

 Je les ai restituĂ©s ici (j’en ai sĂ»rement oubliĂ©) pour donner un aperçu des paradoxes qui peuvent s’imbriquer dans les relations amoureuses en France, pays de « l’Amour » voire du « romantisme». Car toutes les personnes qui se quittent ou qui se trompent ou qui sont maltraitĂ©es se sont souvent aimĂ©es au dĂ©part. Au moins en apparence.

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Ma perception de l’Amour a bien sûr changé depuis mon adolescence. Même si mon adolescence a duré longtemps. Ma vision de la masculinité a aussi changé depuis mon adolescence.

Plutôt socialement et extérieurement.

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Adolescent et jeune adulte, j’étais sans aucun doute plus attachĂ© aux regards des autres. Je le redoutais aussi sans doute davantage. Car, adolescent, et mĂŞme plus tard, il peut ĂŞtre très difficile de se sĂ©parer du regard et du jugement du groupe auquel on appartient ou auquel on tient Ă  appartenir. Qu’il s’agisse de la famille, d’un groupe de copains, de camarades de classe sociale, de collègues, des gens du quartier ou du village, d’une culture, d’une religion ou, aujourd’hui, d’un rĂ©seau social sur internet ou ailleurs.

Et cette « règle Â» vaut aussi pour les jeunes femmes. La crainte de dĂ©cevoir, d’être rejetĂ©e par un certain groupe d’appartenance, d’être dĂ©considĂ©rĂ©e si l’on adopte un certain type de comportements. Ou, plus simplement, le fait d’être attachĂ© (e), cramponnĂ© (e ) – comme j’ai pu l’être au volant de ma voiture au dĂ©but de ce texte- par loyautĂ©, par facilitĂ© et/ou par conditionnement aux rites, croyances, habitudes et certitudes d’un certain groupe qui semble correspondre le mieux Ă  ce que l’on est, Ă  notre identitĂ© en tant qu’individu.

Adolescent et jeune adulte, j’Ă©tais assez Ă©tranger Ă  mon intĂ©rioritĂ©. Je pouvais mĂŞme me mĂ©fier ou douter d’elle puisqu’autour de moi s’affichaient, se perpĂ©tuaient et s’imposaient certains modèles, certaines supposĂ©es rĂ©ussites mais aussi certains stĂ©rĂ©otypes. Des modèles qui avaient pour eux l’avantage de l’assurance, de la certitude, de l’expĂ©rience…et du nombre. 

Photo©Franck.Unimon

En tant qu’homme d’origine antillaise, j’aurais par exemple peut-ĂŞtre « dĂ» » avoir au minimum trois ou quatre enfants aujourd’hui et « avoir » deux ou trois maitresses qui se battent en duel pour ĂŞtre un « vrai » homme antillais. Cela aurait peut-ĂŞtre contribuĂ© Ă  me rendre encore plus attirant auprès de certaines femmes ( antillaises ou non)  car elles auraient ainsi eu la certitude que je suis bien fertile mais aussi fait d’une matière hĂ©tĂ©rosexuelle. En Ă©tant cĂ©libataire quelques annĂ©es et en devenant père plutĂ´t tardivement, j’ai peut-ĂŞtre brouillĂ© les cartes pour certaines femmes. Etais-je homosexuel ? Avais-je un problème sexuel ou une tare quelconque ? J’Ă©tais bien difficile Ă  dĂ©chiffrer.

L’ humour noir ne convient pas Ă  tout le monde.

Je pense que des hommes se sont aussi posĂ©s la question voire se la posent encore Ă  mon sujet. Suis-je homo ? Est-ce que j’aime – sexuellement- les femmes ? Puisque l’on ne me voit pas et l’on ne m’entend pas vraiment « m’exprimer » :

Employer le vocabulaire et le comportement du mec qui drague ou qui joue au moins ce rĂ´le-lĂ  en tenant certains propos  Â«Â rassurants » ( pour certains hommes) Ă  propos des femmes.

« J’ai envie de lui monter dessus » m’a ainsi dit un de mes collègues à propos d’une de mes collègues ». A mon travail, personne ne m’a entendu parler comme ça.

J’ai aussi pris trop de plaisir à lire Les couilles sur la table de Victoire Tuaillon dans mon précédent service, un service de «mecs ». Et à le redire et à le réécrire.

 Je suis suspect. Mais je me souviens encore de l’identitĂ© du collègue Ă  cĂ´tĂ© duquel je venais de m’asseoir et , qui, après avoir aperçu le titre, s’était levĂ© en silence pour s’éloigner.

Je commence Ă  parler ici de sexualitĂ© alors que le titre de dĂ©part est celui de l’Amour. Mais finalement, aujourd’hui, je me suis dit que beaucoup de monde se fourvoyait en parlant d’Amour ou mĂŞme de sexualitĂ©. Je crois aujourd’hui que le mot principal dans une relation, son fondement, c’est plutĂ´t :

L’intimité.

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Un couple sans intimitĂ©, Ă  mon avis, ne peut pas ou ne peut plus exister. L’ intimitĂ©, pour moi, c’est ce que l’on vit avec l’autre parce-que l’on se sent bien avec elle ou lui. En toute confiance. Cela peut ĂŞtre un voyage, le fait d’éduquer un enfant, de faire une promenade, de regarder un film. C’est un moment privilĂ©giĂ© oĂą l’on se sent bien et en sĂ©curitĂ© avec quelqu’un d’autre. Sans nĂ©cessairement ĂŞtre l’un sur l’autre ou avec l’autre Ă  perpĂ©tuitĂ©. Cela peut durer dix minutes, une heure, trois quarts d’heure. Davantage.

Mais ce n’est pas une permanence. C’est une aptitude.

L’ aptitude Ă  se retrouver avec quelqu’un que l’on a choisi et qui nous a choisi ou acceptĂ©. Parce-que, de part et d’autre, il y a la volontĂ© que cela ait lieu et existe Ă  un moment donnĂ©. Et ce moment rĂ©pĂ©tĂ© d’intimitĂ© satisfait vĂ©ritablement les deux personnes qui sont alors ensemble.

Je crois que si l’on est capable de veiller sur l’intimité – et de la défendre si besoin – que l’on vit avec une personne, que l’Amour entre deux personnes peut plus facilement subsister.

Car l’Amour, tout seul, ne tient pas. Et la sexualité, même lorsqu’elle se passe très bien et donne beaucoup de plaisir ne suffit pas pour faire vivre un couple.

L’ écrire ici ne m’empêchera pas pour autant d’avoir une bedaine comme de marcher vers une gare un jour de canicule.

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Franck Unimon, ce lundi 30 juin 2025.