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Pour les Poissons Rouges

L’Amour vu par un homme

Photo©Franck.Unimon

L’ Amour vu par un homme

C’est une connaissance. Nous n’avons jamais Ă©tĂ© proches. Mais un jour, je serai comme lui.

Il semble descendre vers la gare. Au volant de ma voiture, arrĂȘtĂ© au stop, je le regarde marcher. Lui ne peut que marcher. Une voiture, ça pollue et c’est un objet de luxe et de consommation.

Il porte des sandales de merde. Il a dĂ©sormais une petite bedaine qui enfle sous sa chemise Ă  carreaux Ă  manches courtes. Il a toujours son catogan. Sauf qu’il a un dĂ©but de calvitie. La derniĂšre fois que je l’avais vu sourire, c’était au festival d’Avignon, il y a plus de dix ans. C’était l’ami d’une amie comĂ©dienne et metteure en scĂšne. Il Ă©tait sur scĂšne. Je l’avais trouvĂ© bon comĂ©dien.

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Lui et sa femme forment un couple socialement et culturellement engagĂ© depuis une bonne vingtaine d’annĂ©es. Il m’est sĂ»rement impossible d’avoir une idĂ©e exacte du nombre d’heures et de jours qu’ils ont donnĂ©es et continuent de donner ensemble ou sĂ©parĂ©ment en tant que femme et homme de théùtre et de culture.

 Je les ai aperçus quelques mois plus tĂŽt dans le train. Assis face Ă  face ou cĂŽte Ă  cĂŽte, ils ne souriaient pas voire ne se parlaient pas.

Ils ne m’ont pas vu. Ils ne m’ont pas reconnu. J’en ai profitĂ© pour aller plus loin. Je ne voulais pas les dĂ©ranger et, aussi, avoir Ă  leur rappeler qui j’étais ou pire :

 Je ne voulais pas ĂȘtre pour eux une sorte de divertissement.

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C’est un couple qui dure. Ils ont au moins deux enfants. Je l’ai aperçu lui, une fois, dans le bus, avec un de leurs fils. Mal fringuĂ©, les cheveux longs, longiligne, presque sale. Mais sans aucun doute trĂšs brillant Ă  l’école et trĂšs cultivĂ©. Du moins, je l’espĂšre.

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Cet homme que j’aperçois Ă  quelques mĂštres de moi (et sa femme) se contrefiche des apparences. C’est un homme libre. Et moi qui fais le malin en le dĂ©crivant, je suis beaucoup moins libre que lui. Parce-que je m’accroche encore aux apparences comme je m’accroche Ă  mon volant. Alors que les apparences, c’est surtout dans les dĂ©buts d’une relation qu’elles comptent. Ensuite, on peut s’en dĂ©barrasser une fois que l’on est bien installĂ©s et que l’autre est en quelque sorte devenu notre propriĂ©tĂ©. Lorsque l’on est Ă  peu prĂšs convaincu qu’elle ou qu’il restera autant qu’on le pensera.

Je repense Ă  cet homme. A son allure. A l ’espĂšce de poids mais aussi de combat Ă©ternel auxquels il a semblĂ© se consacrer entiĂšrement au point de ne rien voir d’autre que ce point qui le menait vers la gare. Car c’est un homme entier.

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Puis, je dĂ©marre et je me rends jusqu’à aujourd’hui, ce lundi 30 juin 2025. Depuis quelques jours, c’est la canicule. 34 ou 35 degrĂ©s aujourd’hui en rĂ©gion parisienne, je crois. Je m’attarde peu sur les chiffres comme sur les titres que j’ai pu voir sur un des tĂ©lĂ©viseurs de mon lieu de travail oĂč l’on se demandait s’il fallait fermer les Ă©coles plus tĂŽt. Rachida Dati, 60 ans cette annĂ©e, Ministre de la Culture, et Maire du 7Ăšme arrondissement de Paris depuis le 29 mars 2008, veut devenir Maire de Paris. Bruno Retailleau, 65 ans cette annĂ©e, Ministre de l’IntĂ©rieur, PrĂ©sident du parti des RĂ©publicains, marche « bien » depuis quelques mois. 

J’ai aperçu Ă  la tĂ©lĂ© le PrĂ©sident de la RĂ©publique, Emmanuel Macron, 48 ans cette annĂ©e, avant un match de Rugby rĂ©cemment. Il saluait les joueurs qui le dĂ©passaient tous de plusieurs tĂȘtes ainsi qu’en envergure. Il Ă©tait enthousiaste, assez excitĂ©. Je ne l’ai pas reconnu tout de suite. Il avait pris un coup de vieux. Son double mandat de PrĂ©sident de la RĂ©publique et certains de ses mauvais choix l’auront usĂ©.

On nous parle aussi rĂ©guliĂšrement du conflit en cours entre les Etats-Unis et l’Iran Ă  la suite de l’attaque militaire d’IsraĂ«l sur des sites stratĂ©giques militaires afin d’empĂȘcher l’Iran islamiste de fabriquer la bombe nuclĂ©aire.

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En France, c’est l’étĂ©. C’est le dĂ©but des grandes vacances scolaires. Les gens partent se changer les idĂ©es. On les voit avec leur valise. C’est le dĂ©but des soldes. Le marchĂ© immobilier a repris de la vigueur. Les gens ont recommencĂ© Ă  acheter.  Il y a aussi plein de festivals de musique. Et comme il fait beau (ou trop chaud), il convient d’ĂȘtre lĂ©ger ; de se distraire ; d’entreprendre ;  de voir la vie du bon cĂŽtĂ© ; de « chiller » ; «  d’ĂȘtre fun » ;  de-trouver- sa- moitiĂ©- ou- de partir- quelque- part- avec- elle- dans- l’harmonie- puisque- c’est- la- saison- et- aussi- parce- qu’une- existence- accomplie- se- doit- de- toutes- façons- de- se- dĂ©rouler- de- cette- maniĂšre.

Si nous sommes plus de soixante millions d’habitants en France, il y a sur terre Ă  peu prĂšs 7 ou 8 milliards d’ĂȘtres humains. Et parmi ces 7 Ă  8 milliards de personnes, il s’en trouve un certain nombre pour lesquels la France est le pays ou l’un des pays de l’Amour et du « romantisme Â».

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« Est-ce que tu l’aimes ? Â» C’est souvent une femme qui continue de poser ce genre de question Ă  une autre personne. Je peux me rappeler d’une amie me posant cette question. Je ne me rappelle pas qu’un homme, ami, copain ou connaissance, me l’ait posĂ©.

C’est aussi plutĂŽt une femme qui va dĂ©cider de rester parce qu’elle aime son prochain ou sa prochaine. Quel que soit ce qu’elle peut endurer au sein du couple.

L’Amour semble donner des forces voire certaines certitudes aux femmes. Il semble davantage opprimer les hommes. Je parle ici de relations hĂ©tĂ©rosexuelles.  Et je ne compte pas beaucoup sur les hommes pour s’exprimer librement et en toute dĂ©contraction sur le sujet car ils ont plutĂŽt tendance Ă  le fuir. Et ça, c’était bien avant d’entendre parler de :

« charge mentale », « travail invisible », « dĂ©construire », « fĂ©minisme », « fĂ©ministe », « patriarcat », « ĂȘtre assignĂ© Ă  son genre », « conditionnement social »  » viols systĂ©miques », « viols », « pervers narcissique », «procĂšs de Mazan », « porc », « culture du viol », « la drogue du viol », « GHB », « grossophobie », « fĂ©minicides », « plafond de verre pour les femmes », « haine des femmes », « prĂ©caritĂ© des femmes », « injonctions patriarcales », « L’ Amour dure trois ans », « L’ Amour peut tout ».

J’ai rĂ©pĂ©tĂ© certains termes pour donner un peu une idĂ©e de la façon dont ils peuvent nous ĂȘtre rappelĂ©s ou dictĂ©s.

 Je ne conteste pas la lĂ©gitimitĂ© de ces termes. Je ne conteste pas non plus leurs contradictions.

 Je les ai restituĂ©s ici (j’en ai sĂ»rement oubliĂ©) pour donner un aperçu des paradoxes qui peuvent s’imbriquer dans les relations amoureuses en France, pays de « l’Amour » voire du « romantisme». Car toutes les personnes qui se quittent ou qui se trompent ou qui sont maltraitĂ©es se sont souvent aimĂ©es au dĂ©part. Au moins en apparence.

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Ma perception de l’Amour a bien sĂ»r changĂ© depuis mon adolescence. MĂȘme si mon adolescence a durĂ© longtemps. Ma vision de la masculinitĂ© a aussi changĂ© depuis mon adolescence.

PlutÎt socialement et extérieurement.

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Adolescent et jeune adulte, j’étais sans aucun doute plus attachĂ© aux regards des autres. Je le redoutais aussi sans doute davantage. Car, adolescent, et mĂȘme plus tard, il peut ĂȘtre trĂšs difficile de se sĂ©parer du regard et du jugement du groupe auquel on appartient ou auquel on tient Ă  appartenir. Qu’il s’agisse de la famille, d’un groupe de copains, de camarades de classe sociale, de collĂšgues, des gens du quartier ou du village, d’une culture, d’une religion ou, aujourd’hui, d’un rĂ©seau social sur internet ou ailleurs.

Et cette « rĂšgle Â» vaut aussi pour les jeunes femmes. La crainte de dĂ©cevoir, d’ĂȘtre rejetĂ©e par un certain groupe d’appartenance, d’ĂȘtre dĂ©considĂ©rĂ©e si l’on adopte un certain type de comportements. Ou, plus simplement, le fait d’ĂȘtre attachĂ© (e), cramponnĂ© (e ) – comme j’ai pu l’ĂȘtre au volant de ma voiture au dĂ©but de ce texte- par loyautĂ©, par facilitĂ© et/ou par conditionnement aux rites, croyances, habitudes et certitudes d’un certain groupe qui semble correspondre le mieux Ă  ce que l’on est, Ă  notre identitĂ© en tant qu’individu.

Adolescent et jeune adulte, j’Ă©tais assez Ă©tranger Ă  mon intĂ©rioritĂ©. Je pouvais mĂȘme me mĂ©fier ou douter d’elle puisqu’autour de moi s’affichaient, se perpĂ©tuaient et s’imposaient certains modĂšles, certaines supposĂ©es rĂ©ussites mais aussi certains stĂ©rĂ©otypes. Des modĂšles qui avaient pour eux l’avantage de l’assurance, de la certitude, de l’expĂ©rience…et du nombre. 

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En tant qu’homme d’origine antillaise, j’aurais par exemple peut-ĂȘtre « dĂ» » avoir au minimum trois ou quatre enfants aujourd’hui et « avoir » deux ou trois maitresses qui se battent en duel pour ĂȘtre un « vrai » homme antillais. Cela aurait peut-ĂȘtre contribuĂ© Ă  me rendre encore plus attirant auprĂšs de certaines femmes ( antillaises ou non)  car elles auraient ainsi eu la certitude que je suis bien fertile mais aussi fait d’une matiĂšre hĂ©tĂ©rosexuelle. En Ă©tant cĂ©libataire quelques annĂ©es et en devenant pĂšre plutĂŽt tardivement, j’ai peut-ĂȘtre brouillĂ© les cartes pour certaines femmes. Etais-je homosexuel ? Avais-je un problĂšme sexuel ou une tare quelconque ? J’Ă©tais bien difficile Ă  dĂ©chiffrer.

L’ humour noir ne convient pas Ă  tout le monde.

Je pense que des hommes se sont aussi posĂ©s la question voire se la posent encore Ă  mon sujet. Suis-je homo ? Est-ce que j’aime – sexuellement- les femmes ? Puisque l’on ne me voit pas et l’on ne m’entend pas vraiment « m’exprimer » :

Employer le vocabulaire et le comportement du mec qui drague ou qui joue au moins ce rĂŽle-lĂ  en tenant certains propos  Â«Â rassurants » ( pour certains hommes) Ă  propos des femmes.

« J’ai envie de lui monter dessus » m’a ainsi dit un de mes collĂšgues Ă  propos d’une de mes collĂšgues ». A mon travail, personne ne m’a entendu parler comme ça.

J’ai aussi pris trop de plaisir Ă  lire Les couilles sur la table de Victoire Tuaillon dans mon prĂ©cĂ©dent service, un service de «mecs ». Et Ă  le redire et Ă  le réécrire.

 Je suis suspect. Mais je me souviens encore de l’identitĂ© du collĂšgue Ă  cĂŽtĂ© duquel je venais de m’asseoir et , qui, aprĂšs avoir aperçu le titre, s’était levĂ© en silence pour s’éloigner.

Je commence Ă  parler ici de sexualitĂ© alors que le titre de dĂ©part est celui de l’Amour. Mais finalement, aujourd’hui, je me suis dit que beaucoup de monde se fourvoyait en parlant d’Amour ou mĂȘme de sexualitĂ©. Je crois aujourd’hui que le mot principal dans une relation, son fondement, c’est plutĂŽt :

L’intimitĂ©.

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Un couple sans intimitĂ©, Ă  mon avis, ne peut pas ou ne peut plus exister. L’ intimitĂ©, pour moi, c’est ce que l’on vit avec l’autre parce-que l’on se sent bien avec elle ou lui. En toute confiance. Cela peut ĂȘtre un voyage, le fait d’éduquer un enfant, de faire une promenade, de regarder un film. C’est un moment privilĂ©giĂ© oĂč l’on se sent bien et en sĂ©curitĂ© avec quelqu’un d’autre. Sans nĂ©cessairement ĂȘtre l’un sur l’autre ou avec l’autre Ă  perpĂ©tuitĂ©. Cela peut durer dix minutes, une heure, trois quarts d’heure. Davantage.

Mais ce n’est pas une permanence. C’est une aptitude.

L’ aptitude Ă  se retrouver avec quelqu’un que l’on a choisi et qui nous a choisi ou acceptĂ©. Parce-que, de part et d’autre, il y a la volontĂ© que cela ait lieu et existe Ă  un moment donnĂ©. Et ce moment rĂ©pĂ©tĂ© d’intimitĂ© satisfait vĂ©ritablement les deux personnes qui sont alors ensemble.

Je crois que si l’on est capable de veiller sur l’intimitĂ© – et de la dĂ©fendre si besoin – que l’on vit avec une personne, que l’Amour entre deux personnes peut plus facilement subsister.

Car l’Amour, tout seul, ne tient pas. Et la sexualitĂ©, mĂȘme lorsqu’elle se passe trĂšs bien et donne beaucoup de plaisir ne suffit pas pour faire vivre un couple.

L’ Ă©crire ici ne m’empĂȘchera pas pour autant d’avoir une bedaine comme de marcher vers une gare un jour de canicule.

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Franck Unimon, ce lundi 30 juin 2025.