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BlacKkKlansman : J’ai infiltré le Ku Klux Klan

BlacKkKlansman : J’ai infiltré le Ku Klux Klan, le dernier film de Spike Lee, est sorti en salle ce 22 août 2018. En plus du Grand Prix du jury obtenu au festival de Cannes cette année, ce film a pour lui d’être inspiré du livre-témoignage de Ron Stallworth traduit en français sous le titre Le Noir qui infiltra le Ku Klux Klan.

Je suis allé le voir deux à trois jours après sa sortie. Il y’a deux semaines maintenant, mon petit frère m’a demandé mon avis sur ce dernier film de Spike Lee. J’ai eu du mal à être enthousiaste comme à lui en parler et m’en suis désolé : je me suis empressé de l’encourager à aller le voir afin de se faire sa propre idée.

 

Spike Lee, c’est ma jeunesse et mes premières années de cinéphile. J’avais vu à leur sortie en salles la plupart de ses premiers films qui, au moins en France, permettaient à des jeunes français non-blancs de se voir à l’écran dans des œuvres originales, bien réalisées, drôles et militantes. She’s Gotta have it sorti en 1986 (qui avait sans aucun doute beaucoup inspiré le Métisse de Matthieu Kassovitz d’avant La Haine) Do The Right Thing (1989), Mo’ Better Blues (1990), Malcolm X (1992), Jungle Fever ( 1991) :

Je les avais pratiquement tous connus et aimés en salle à leur sortie. A cette « époque-là », il était bien plus rare de voir des Français non-blancs dans des bonnes réalisations au cinéma. Comme dans des séries télévisées.

Afin de donner des repères, j’ai découvert beaucoup plus tard le très bon Le Thé au Harem d’Archimède réalisé en 1984 par Mehdi Charef. Alors qu’en 1984, j’avais à peu près l’âge des acteurs principaux. Et, c’est à mon avis en 1995 (j’avais 27 ans) que pour la première fois, j’ai découvert en la personne de Roschdy Zem, un acteur français d’origine arabe qui disposait, enfin, dans un bon film, d’un véritable rôle comme d’un crédible jeu d’acteur. C’était pour le film N’oublie pas que tu vas mourir de Xavier Beauvois. Et j’assistais, là, sans m’en apercevoir au début d’une collaboration qui allait se renouveler entre les deux hommes (Beauvois et Zem) mais aussi au commencement d’une carrière cinématographique plus que confirmée pour tous les deux, aujourd’hui.

Et en 1995, il était inconcevable qu’un acteur français d’origine arabe dispose d’un rôle comme celui de Reda Kateb, Samir Guesmi et Mehdi Nebbou dans des très bonnes séries françaises telles que Engrenages (année 2008 pour la Saison 2) ou Le Bureau des Légendes (année 2015 pour la première saison).

 

En deux ou trois ans, Spike Lee, lui, nous avait livré trois acteurs noirs américains du futur :

Denzel Washington, Wesley Snipes et Samuel Jackson. A celles et ceux qui feront la grimace quant aux capacités de jeu de Wesley Snipes, je les invite à le découvrir dans Mo’ Better Blues et dans Jungle Fever.

 

Mais j’ai du mal à parler de BlacKkKlansman : J’ai infiltré le Ku Klux Klan. Pour débuter, ce film a pu être présenté comme une « comédie policière ». Il ne m’a pas fait rire. We Are Four Lions réalisé en 2010 par Chris Morris avec entre autres l’acteur Riz Ahmed m’avait fait rire bien qu’il aborde le sujet tout autant sensible du terrorisme islamiste. Pas le film de Spike Lee. Je ne peux pas dire que j’ai aimé le film : je suis allé le voir par Devoir. Il est des films que l’on va voir pour le plaisir et d’autres par Devoir.

Et, je pense que ce film de Spike Lee est nécessaire.

L’image d’une personne adhérente du Ku Klux Klan, c’est une personne cagoulée qui dissimule son visage. Peut-être que je n’ai pas envie ou plus envie de voir ce genre de présence cagoulée, raciste et meurtrière tandis que je dois, malgré tout, faire l’effort de me rappeler qu’elle persiste. Au lieu de vivre le plus librement et de mon mieux, avec le Ku Klux Klan, je dois continuer d’insérer dans ma conscience que des prédateurs d’un certain type pourraient en vouloir à ma personne pour des motifs raciaux dont ils ont fait des lois et des justifications. On peut dire que le sujet du film me touche de près. Mais je ne crois pas que ce soit la seule raison pour laquelle je me suis modérément enthousiasmé devant ce film.

 

Si le film de Spike Lee restitue aussi une ferveur militante touchante au sein d’une certaine communauté noire américaine dans les années 60, il prend aussi le parti de nous présenter les adeptes du Ku Klux Klan comme des abrutis. Peut-être parce-que cela défoule Spike Lee : il est vrai que cela peut faire du « bien » de se convaincre que des adeptes d’une pensée raciste et homicide sont principalement des attardés. Il suffirait donc d’être une femme ou un homme intelligent pour se garder de toute affinité avec le Ku Klux Klan ou toute organisation ayant une idéologie voisine. Malheureusement, ce raisonnement est démenti par les faits. Il se trouvait parmi les nazis des personnes très intelligentes et très cultivées. Raison pour laquelle le nazisme a pu « s’exprimer » comme il l’a fait. Il existe parmi les extrémistes (en France et ailleurs) des personnes très intelligentes et très cultivées. Et certains des membres du Ku Klux Klan sont sans aucun doute très intelligents et très cultivés. Et, cela, le film Get Out (2017) de Jordan Peele le dévoile à mon sens de façon particulièrement convaincante même si les protagonistes principaux n’ont pas forcément leur carte d’adhérent au Ku Klux Klan.

 

Foncièrement, je crois que ma réserve envers le film de Spike Lee provient du fait qu’il me semble qu’il reste à la surface de son sujet. L’action de Ron Stallworth est bien sûr héroïque et cela rassure, si cela s’est véritablement déroulé de cette manière, de constater dans le film qu’il a pu s’entourer de collègues flics blancs fiables et bienveillants.

Mais nous en restons au même point qu’avant le film pour comprendre ce qui pousse certaines et certains à choisir un camp et s’y tenir quelles que soient les horreurs planifiées et exécutées par leur camp.

Et puis, je crois que Spike Lee, comme d’autres figures militantes noires américaines, répète une certaine erreur ou omission que j’avais retrouvée dans le très bon livre Une colère noire : lettre à mon fils de Ta-Nehisi Coates :

Pour créer les Etats-Unis d’Amérique, Première Puissance Mondiale depuis un bon demi-siècle maintenant, des Blancs ont massacré des millions d’Indiens (J’ai lu ou entendu le chiffre de 15 millions d’Indiens tués par les Européens aux Etats-Unis) puis ont conclu des accords avec ceux qui restaient voire les ont parqués comme des sortes de déchets sur les terres de leurs ancêtres. Bien-sûr, il est probable que des noirs américains, descendants d’esclaves, enrôlés dans l’armée américaine aient participé, de gré ou de force, au massacre de ces Indiens « d’Amérique » : chaque nation sait solliciter ses êtres « inférieurs » lorsqu’elle a besoin de bras et de viscères pour accomplir certaines entreprises.

 

Dès lors que ce génocide originel a pu être mené à bout portant et que les Etats-Unis sont ensuite devenus cette Grande Puissance que nous « savons », il me semble que le reste, malheureusement, suit : Malgré tout ce que peuvent représenter les Etats-Unis d’Amérique en matière de démocratie et d’avancée pour l’humanité, son existence repose sur un génocide validé et accepté par la majorité de ses habitants

(les noirs américains inclus apparemment ). Il me semble de ce fait à peu près évident que parmi ces habitants et citoyens américains, il doit bien s’en trouver quelques uns qui considèrent le génocide inaugural des Indiens « d’Amérique » comme une mémorable victoire militaire et raciale au moins de l’homme blanc sur l’homme « non-blanc ».

A partir de là, pour des adeptes du Ku Klux Klan par exemple, les quelques millions de noirs présents aux Etats-Unis peuvent être considérés comme des encombrants dont on doit pouvoir se débarrasser comme « on » l’a fait des Indiens. L’issue de la Guerre de Sécession est souvent exhibée comme l’explication première voire principale de la création du Ku klux Klan. Mais le génocide des Amérindiens irrigue sûrement ce sentiment de légitimité et d’invincibilité qu’ont visiblement bien des adeptes du Ku Klux Klan. Spike Lee n’en parle pas. Et à la fin de son film, la « victoire » (pardon, si j’en dis trop) de son héros ressemble à une tarte à la crème. Du fait, aussi, d’une absence de volonté politique d’aller plus loin dans la lutte du Ku Klux Klan. Ce qui signifie que les Etats-Unis d’Amérique sont une grande nation ambivalente qui continue d’hésiter sur la « nature » de son vrai visage ou de sa véritable identité : cagoulée, ou non, démocrate ou raciste, chrétienne ou autre. En cela, le personnage de Rorschach dans le comics Watchmen du Britannique Alan Moore adapté ensuite au cinéma par Zack Snyder (en 2009) est peut-être le prolongement de cette tourmente identitaire propre aux Etats-Unis d’Amérique.

A moins qu’il faille voir les Etats-Unis comme une nation déjà beaucoup trop gangrénée par son histoire pour pouvoir être sauvée. Pessimisme que Spike Lee semble observer et interroger à travers le personnage joué par Harry Belafonte. Harry Belafonte est ici un messager qui traverse l’écran et le temps. Il était déjà un acteur – et un chanteur- reconnu lors de cette période où l’histoire de Ron Stallworth prend forme. Il était également un militant en faveur des droits civiques des noirs et a côtoyé diverses personnalités de l’époque telles que Martin Luther King. (A)Voir Harry Belafonte , en 2018, déja témoin et acteur de ces mouvements civiques des noirs dans les années 60, après la double élection passée de Barack Obama, donne d’autant plus d’envergure au sujet du film de Spike Lee.

 

Le Pessimisme de Spike Lee est aussi justifié et présent avec ces images récentes d’émeutes raciales à Charlottesville, dans le sud des Etats Unis, en aout 2017.

 

Quelques signes d’optimisme continuent néanmoins de clignoter si on les regarde bien :

Pour parvenir à infiltrer le Ku Klux Klan, le héros, Ron Stallworth, doit d’abord faire corps avec la police qu’il intègre. Dans les années 60, les militants noirs américains qualifiaient les policiers de « pigs » ( « cochons, porcs ») et s’en défiaient du fait de la quantité de bavures policières à caractère raciste ( dont le film nous donne un aperçu) portées par un certain nombre d’agents de police. Avant d’infiltrer le Ku Klux Klan, Ron Stallworth réussit à se faire accepter de la police, ce qui, a priori, était plutôt antinomique.

Et, d’après le film, Ron Stallworth trouve ses premiers alliés parmi des blancs. Ce qui pouvait, d’abord, en apparence, apparaître irréalisable.

 

Franck, ce lundi 24 septembre 2018.

 

 

 

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