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Apnée self-défense/ Arts Martiaux

Je ne suis pas un aventurier

 

Port Haliguen, Quiberon. Mai 2021.

 

 

 

                                               Je ne suis pas un aventurier

 

Je ne suis pas un aventurier. En janvier de cette annĂ©e, j’ai prononcĂ© cette phrase, parmi d’autres, lors de mon discours de dĂ©part de mon prĂ©cĂ©dent service. Service oĂą, Ă  ce jour, je suis restĂ© ancrĂ© le plus longtemps : 11 annĂ©es. Trois ans de jour pour commencer, puis huit de nuit pour finir.

 

J’ai fait trois fois mon pot de dĂ©part en effectifs rĂ©duits du fait de la pandĂ©mie du Covid. J’ai dit trois fois mon discours. J’ai donc rĂ©pĂ©tĂ© cette phrase trois fois :  » Je ne suis pas un aventurier ». Certaines phrases, comme les vagues, se rĂ©pètent. Mais nous ne les Ă©coutons pas toutes. Parce-qu’elles sont trop nombreuses. Parce-qu’elles se ressemblent toutes. Parce-que nous sommes des araignĂ©es emportĂ©es par les sillons de nos propres toiles. Les vagues, aussi, sont des toiles. Elles accumulent les jours et les nuits plus qu’elles ne reculent devant elles.

 

J’avais dĂ©jĂ  travaillĂ© de nuit ailleurs, auparavant. 

 

Dans les logements oĂą j’ai vĂ©cu, toujours en ville, Ă  ce jour, toujours en banlieue parisienne, j’ai un peu oubliĂ© la moyenne, mais j’y suis restĂ© six ou sept annĂ©es. Toujours dans des appartements,  exception faite du pavillon que mes parents avaient achetĂ© Ă  Cergy-Pontoise et oĂą nous avions emmĂ©nagĂ©. J’avais 17 ans. Et, pour moi, alors, quitter Nanterre et notre immeuble de 18 Ă©tages, dans notre citĂ© HLM, cela avait Ă©tĂ© l’exil. M’éloigner d’une trentaine de kilomètres de ma rĂ©gion natale, les Hauts de Seine, pour cette rĂ©gion du Val-d’Oise, alors dĂ©crĂ©tĂ©e « ville nouvelle Â».

 

 

Depuis l’esplanade de Paris, à quelques minutes à pied du pavillon de mes parents, par temps clair et ciel dégagé, je pouvais apercevoir la grande Arche de la Défense. C’était tout ce qui me restait à peu près, visuellement, comme contact, de Nanterre.

 

Il suffit de quelques kilomètres de diffĂ©rence par rapport Ă  notre pĂ©rimètre familier pour avoir l’impression d’être en quelque sorte « excommuniĂ© Â» du paradis oĂą, pourtant, plus d’une fois, on s’est senti Ă  l’étroit. Plus que la distance que l’on met entre soi et les autres, mais aussi entre certains Ă©vĂ©nements et nous, ce qui compte, c’est le choix que l’on fait et le moment de ce choix. Et, je n’avais pas choisi de partir de Nanterre. Pourtant, Ă  17 ans, j’y partageais ma chambre avec ma petite sĹ“ur et mon petit frère. Il y a mieux comme intimitĂ©. D’autant que j’avais Ă©tĂ© fils unique pendant les neuf premières annĂ©es de ma vie.

 

A Cergy-Pontoise, et jusqu’à mon dĂ©part de chez mes parents, un dĂ©part choisi après mon service militaire, j’allais, de nouveau, avoir ma chambre pour moi. J’allais aussi dĂ©couvrir le calme. Le silence. Le calme et le silence d’une maison, d’un quartier pavillonnaire, d’une presque campagne, contre le tintamarre commun de la citĂ© et de l’immeuble HLM :

 

Le jeune qui rĂ´de sa mobylette dans la rue et qui enfile les tours de la citĂ© en augmentant graduellement la vitesse de son engin motorisĂ© avec, bien-sĂ»r, le pot d’échappement pĂ©taradant. Le voisin qui attaque son appartement Ă  la chignole pour du bricolage. Les autres qui claquent la porte de leur appartement car celle-ci se ferme mal. Les gens qui s’engueulent. Les reprĂ©sentants qui Ă©lectrisent subitement l’atmosphère dans l’appartement au moyen de la sonnette de la porte. Comme s’ils Ă©taient chez eux. Les enfants/ les copains qui, depuis la rue, crient pour appeler leur copain afin qu’il descende jouer avec eux. La musique forte :

MĂŞme si, Ă  la maison, on Ă©coutait aussi de la musique Ă  un volume sonore plus ou moins Ă©levĂ©, le tube OĂą sont les femmes ? De Patrick Juvet, mis et remis en selle, par la plutĂ´t jolie fille aĂ®nĂ©e ( plus âgĂ©e que moi) de nos voisins directs, fait partie, Ă  jamais, de mes souvenirs de Nanterre.

 

Je ne peux mĂŞme pas dire si j’ai aimĂ© entendre cette chanson : je n’avais tout simplement pas le choix. C’était comme ça. C’était normal. Et, Ă  Cergy-Pontoise, dans ce pavillon achetĂ© par nos parents, c’était exactement le contraire. Bien qu’il s’agissait d’un coin « civilisĂ© Â», avec marchĂ©, mĂ©diathèque, piscine et centre commercial Ă  proximitĂ© ( mĂŞme si, comparativement aux Quatre Temps de la DĂ©fense, le centre commercial Les Trois Fontaines a d’abord fait un peu « pitiĂ© Â»), j’ai d’abord eu l’impression d’être arrivĂ© dans un coin paumĂ©. Pourtant, il y avait des gens. Et des jeunes de mon âge. Mais je ne les connaissais pas. Et la densitĂ© Ă©tait moindre qu’à Nanterre.

 

Depuis mon enfance, je n’ai pas trop de problème pour sympathiser avec les autres. C’est peut-être un trait de mon tempérament. Ou, aussi, une résurgence des colonies de vacances et des centres de loisirs où je suis allé dès mes six ans voire plus tôt. Dans la ville de Cergy-Pontoise, en plus de vingt ans, je ne me suis fait aucun ami en dehors du travail. Tous mes amis de Cergy-Pontoise ont un rapport avec mon travail. J’ai en grande partie rejeté cette ville et ce qu’elle pouvait m’offrir dans le domaine associatif, sportif et autre. Pourtant, j’y ai croisé des gens en bien des circonstances.

 

Si j’avais été un aventurier, en six mois à Cergy-Pontoise, je me serais reconstitué un réseau d’amis pour remplacer celui dont j’avais été séparé à Nanterre. J’aurais fait le tour du monde à vélo ou à la voile. Je serais parti vivre plusieurs années à l’étranger.

Je serais venu habiter dans Paris lorsque les prix, dans l’ancien, Ă  l’achat, Ă©taient encore supportables : avant l’an 2000.

 

Je suis prudent. Je peux ĂŞtre mĂ©ticuleux. Et, je peux ĂŞtre, aussi, particulièrement…. lent.  Mais je suis, aussi, assez curieux dans les deux sens : un personnage Ă©trange, pas tout Ă  fait conforme, qui n’avance pas au mĂŞme rythme. Et qui ne pense et ne s’exprime pas toujours comme on pourrait s’y attendre. Ou l’exiger. Qui semble- et qui est- en retrait des autres mais qui, contre toute attente, peut ĂŞtre attentif aux autres de façon plutĂ´t surprenante.

 

Cela n’est pas calculé. Les horaires des marées hautes et basses de mes pensées suivent des lunes qui, sans doute, sont peut-être moins communes mais sont aussi faites d’écume. Ce qui peut les rendre plus difficiles à cerner comme à prévoir sur le comptoir des échanges relationnels. Or, ce qui est incompréhensible peut dérouter ou faire peur.

 

Et dans quel domaine, je travaille ? En psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie. Soit un domaine oĂą les personnes, les patients mais aussi les collègues, que l’on rencontre peuvent ĂŞtre susceptibles d’agir comme de penser de manière….incomprĂ©hensible. On dirait presque que je le fais exprès, de dĂ©router mon entourage. 

 

Mais, dans la vie, aussi, nous assistons à bien des phénomènes incompréhensibles.

 

Incompréhensibles. Mais, aussi, parfois, incompressibles.

 

 

Il m’a fallu plus de dix ans entre le moment où je me suis intéressé à la plongée avec bouteille. Et le moment où je me suis lancé en Guadeloupe jusqu’à y passer mes deux premiers niveaux. Pour l’instant, j’ai effectué 39 plongées avec bouteilles dont deux ou trois à quarante mètres.

 

Il m’a fallu à peu près le même temps ( plus de dix ans) pour me décider à prendre des cours de théâtre et jouer sur scène mais aussi dans des courts-métrages. Idem pour le roller etc….

 

 

Mon univers est sans doute celui d’un homme Ă  l’envers. Pourtant, je sais ce qu’est le fait d’avoir des Devoirs et des engagements. Je n’ai pas beaucoup de leçons Ă  recevoir des autres en matière de Devoirs et d’engagements. Pour cela, il me suffit de considĂ©rer ma vie, certains de mes sacrifices, mĂŞme si je ne les ai d’abord pas toujours reconnus comme tels, et regarder un peu comme d’autres vivent autour de moi, pour savoir que je suis très en règle avec mes Devoirs et mes engagements. Voire, peut-ĂŞtre trop.

 

 

La pratique de l’apnĂ©e, en club, est devenue concrète pour moi il y a quatre ou cinq ans, maintenant. Après d’autres expĂ©riences tant personnelles que professionnelles. LĂ , aussi, il s’est passĂ© un certain nombre d’annĂ©es entre le moment oĂą j’ai dĂ©cidĂ© de  faire les dĂ©marches pour m’inscrire dans un club d’apnĂ©e et le jour oĂą je l’ai fait. Evidemment, avant de faire ça, j’avais dĂ©jĂ  lu, ou vu, sur des professionnels de l’apnĂ©e. Des « professionnels Â» au sens commun :

 

Des pratiquants de l’apnĂ©e mĂ©diatisĂ©s pour leurs performances hors-normes lors de certaines compĂ©titions. Des gens que l’on surnomme souvent « L’homme-poisson Â», « L’homme-dauphin Â» etc….

Il y avait des femmes, aussi. Audrey Mestre, en particulier.

 

Si l’aspect « performance Â» de l’apnĂ©e a pu me sĂ©duire, comme un mannequin, un beau blouson Ă©clairĂ© en vitrine ou une vedette de cinĂ©ma peut aussi nous sĂ©duire, il est un autre aspect qui m’a, je crois, le plus « draguĂ© Â» dans l’apnĂ©e :

 

La maitrise de soi. Le calme. La contemplation. L’apprentissage et la découverte de mes capacités. L’adaptation à un autre environnement. Adaptation, qui, ensuite, sans même y penser, se transpose, dans ma vie terrestre.

 

Des aptitudes requises mais qui peuvent aussi être développées, sollicitées, par la pratique de la plongée avec bouteille, de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie, du théâtre, du massage bien-être, de la lecture, du journalisme cinéma, de l’écriture, du judo et de tout art martial mais aussi de tout sport de combat, diverses rencontres, la vie de couple, de famille ou le fait d’éduquer/d’essayer d’inspirer son enfant.

 

Il est courant d’opposer des disciplines qui, a priori, semblent antagonistes ou étrangères les unes aux autres. Entre ces disciplines, ces rôles et ces états, je recherche plutôt une certaine complémentarité.

 

Les personnes qui me connaissent un peu ne seront pas surprises par ce que j’avance.

 

J’ajouterai que la pratique de ces diverses disciplines – et d’autres- permet d’approfondir une certaine expĂ©rience de l’économie du geste, de la pensĂ©e, du calme, de la sincĂ©ritĂ© envers soi-mĂŞme pour rĂ©sumer. Et que cette pratique se rĂ©alise en « s’immergeant Â» en soi-mĂŞme. Mais aussi en apprenant Ă  observer et Ă  ressentir, ce qui nous entoure (ĂŞtres, objets, Ă©lĂ©ments, Ă©vĂ©nements). Et, aussi, en allant Ă  leur rencontre dans la mesure de nos moyens, de nos limites et de nos connaissances.

 

 

Je ne suis pas un aventurier. Des quatre ou cinq jours que je viens de passer à Quiberon avec mon club d’apnée, mon troisième stage avec mon club, et mes trois seules sorties en mer de ce type, je suis revenu avec la sensation d’être un peu plus à l’aise dans l’eau en tant qu’apnéiste. Mais je ne suis pas encore autonome.

Ă  suivre….

 

Franck Unimon, ce mardi 25 Mai 2021.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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