Marseille a dâabord Ă©tĂ© un amour Ă©tranglĂ©. Il mâa fallu du temps pour aimer cette ville. LâĂ©lan de lâaccent, du soleil et de la mer, stoppĂ©. Elle Ă©tait blanche. JâĂ©tais noir.
Jâaurais dĂ» le savoir dĂšs notre premiĂšre rencontre Ă Paris, Ă la Gare du Nord. Elle partait en Irlande. Moi, en Ecosse. Elle Ă©coutait U2 et des groupes comme Simply Red. JâĂ©coutais Miles Davis, des groupes comme Black Uhuru mais aussi du Zouk.
Ses parents ne votaient peut-ĂȘtre pas pour le Front National mais sans doute louaient-ils certaines de ses idĂ©es.
La littĂ©rature, sujet de ses Ă©tudes universitaires en lettres classiques avec le Latin et le Grec, nous avait aussi rapprochĂ©s. Par « rĂ©alisme » Ă©conomique et social, quatre ans plus tĂŽt, au lycĂ©e, jâavais renoncĂ© Ă aller Ă la Fac. Et, peut-ĂȘtre quâavec elle, je me rattrapais.
Je fus prĂȘt Ă venir mâinstaller Ă Marseille. Jâavais prĂ©vu de postuler Ă lâhĂŽpital Edouard Toulouse ou dans nâimporte quel autre Ă©tablissement hospitalier. Elle mâen dissuada.
AprĂšs une premiĂšre « sĂ©paration » et quelques annĂ©es, comme tant dâautres qui vivent par espoir et par amour, je finis par ĂȘtre dĂ©shĂ©ritĂ© par cette histoire de rejet.
Notre premiĂšre rencontre datait du 20 Ăšme siĂšcle. En 1990. Deux de mes amis, une femme et un homme, elle, parisienne blanche, lui, Arabe originaire dâAlgĂ©rie qui, enfant, avait connu les bidonvilles de Nanterre, ne croyaient pas Ă cette histoire de couleur de peau.
Je nâai jamais doutĂ© de cette histoire. Il a toujours Ă©tĂ© Ă©vident pour moi que tout sacrifice de sa part en faveur de notre relation me serait reprochĂ© plus tard.
Je rencontrais nĂ©anmoins ses parents. Et cela se passa bien. Je pris une chambre dâhĂŽtel avec vue sur le Vieux-Port. Ce fut pour son mariage avec un autre. Un Marseillais comme elle avec lequel la rencontre avait coulĂ© de source.
Quelques annĂ©es plus tard, nous nous sommes brouillĂ©s officieusement. Peut-ĂȘtre dĂ©finitivement. Jâimagine que, pour elle, câest du fait de ma connerie.
Depuis, je suis retournĂ© Ă Marseille. Sans lâappeler.
Jâai appris avec cette histoire que lâAmour partagĂ© et sincĂšre ne suffit pas.
Philippe Pujol a quarante et un ans lorsquâil Ă©crit La Fabrique du Monstre, paru en 2016.
Ce livre a un sous-titre : « 10 ans dâimmersion dans les quartiers nord de Marseille, parmi les plus inĂ©galitaires de France ».
Pujol aime Marseille quâil qualifie de « plus jolie ville de France » Ă la fin de son livre. Mais lorsquâil parle de Marseille, lâAmour nâest pas son seul atout.
Pujol sâest fait connaĂźtre pour dâautres ouvrages. Il a obtenu le prix Albert Londres de lâannĂ©e 2014 « pour sa sĂ©rie dâarticles Quartiers Shit publiĂ©s dans le quotidien rĂ©gional La Marseillaise » nous apprend la quatriĂšme de couverture.
Câest sans doute ce prix Albert Londres, un de ses ouvrages relatif Ă Marseille ou celui quâil a consacrĂ© Ă son cousin fasciste qui mâa permis dâentendre parler de Philippe Pujol pour la premiĂšre fois il y a deux ou trois ans.
Je croyais que Pujol, dâorigine corse nous apprend-tâil, Ă©tait nĂ© Ă Marseille. Il est nĂ© Ă Paris dans le 12Ăšmearrondissement selon WikipĂ©dia. Par contre, il a grandi et vit Ă Marseille depuis sa petite enfance. Au grĂ© de certaines de ses connaissances quâil nous prĂ©sente, on devine quâil a dĂ» grandir dans un milieu social moyen ou au contact de personnes dâun milieu social moyen et modeste avec lesquelles il a su rester en relation. Jâaurais peut-ĂȘtre pu devenir un petit peu comme lui si jâĂ©tais restĂ© vivre dans ma citĂ© HLM de Nanterre. Pas en faisant une Ă©cole de journaliste. Mais en rencontrant dâabord comme je lâai fait et comme je continue de le faire diffĂ©rentes sortes de personnes de par mon mĂ©tier dâinfirmier en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie.
La ville de Marseille que Pujol raconte dans La Fabrique du Monstre est celle des tranchĂ©es. Peut-ĂȘtre, aussi, celle des trachĂ©es. On y respire moins bien quâen terrasse ou au bord de la plage oĂč lâon vit dĂ©branchĂ© de ce que Pujol raconte.
En cherchant un peu, on apprend vite que Pujol a tenu pendant des annĂ©es la colonne fait divers dâun journal de Marseille. Et quâil a appris Ă Ă©crire de cette maniĂšre. De ses dĂ©buts de journaliste-reporter, Pujol peut dire lui-mĂȘme quâil faisait « pitiĂ© » question Ă©criture.
Alors que je rĂ©dige cet article, je me dis quâil y a un peu du David Simon (lâauteur de Sur Ecoute, TremeâŠ..) chez Philippe Pujol. Pour cette façon quâil a de coller ses branchies, ses six-trouilles et son cerveau dans certains milieux de Marseille tapis dans lâhostilitĂ© ou la clandestinitĂ© oĂč il vaut mieux ĂȘtre acceptĂ©. Et pour pouvoir en parler ensuite dans ses livres.
Pujol a sans aucun dâautres modĂšles que Simon et il en cite quelques uns Ă la fin de son livre. Mais je ne crois pas quâil me reprochera de le rapprocher- un peu- de David Simon.
Car son La Fabrique du Monstre est un travail de pelleteuse lorsquâil parle de Marseille. Il retourne la ville pour nous lâexpliquer. TantĂŽt en sociologue ou en historien, tantĂŽt en expert comptable ou comme un auteur de polars. Quâil parle des petits trafiquants de shit, des rĂšglements de compte, dâautres trafics ; du monde politique marseillais depuis ces trente derniĂšres annĂ©es (Gaudin, GuĂ©riniâŠ) ; des alliances politiques avec le Front National ; des immeubles insalubres, des difficultĂ©s de logement, de cafards Ă cinq centimes et de Mac Do ; des projets immobiliers discordants, du clientĂ©lisme ; de certains bandits qui investissent ou sâarrangent avec de grandes entreprises, de racket, dâun certain «bordel » concernant la conduction des projets ; de la mainmise du syndicat F0 sur certaines transactions⊠Pujol dĂ©crit presque Marseille comme sâil sâagissait dâune simple citĂ© (une citĂ© faite dâun certain nombre de villages). Et quâil en connaissait presque chaque atour. Ainsi que les murmures et les rumeurs qui vont avec.
La ville quâil « enseigne », je lâai Ă peine effleurĂ©e. Et, lâon se dit que toute personne qui souhaiterait venir sâinstaller Ă Marseille pourrait ĂȘtre bien inspirĂ©e de lire son ouvrage. Selon son projet de vie, y aller seule, investir dans lâimmobilier ou y faire grandir ses enfants, celle ou celui qui lira son livre aura de quoi Ă©viter de sâillusionner sur le cĂŽtĂ© en prime abord dĂ©contractĂ© de la ville. MĂȘme si Pujol souligne aussi quâil y a des personnes qui rĂ©ussissent Ă venir habiter Ă Marseille. Et Ă y rester.
En parcourant La Fabrique du Monstre, on apprend que Marseille, cela reste loin, pour le gouvernement parisien. DâoĂč cette espĂšce de « carte blanche » laissĂ©e aux diffĂ©rents acteurs Ă©conomiques et politiques de la ville et de la rĂ©gion abonnĂ©s aux excĂšs. Au dĂ©tour dâune anecdote, on croise ainsi le mĂ©pris aujourdâhui lointain dâun Lionel Jospin, alors Ministre, qui, sollicitĂ© pour intervenir sur un dossier marseillais rĂ©plique en quelque sorte quâil a dâautres mistrals Ă fouetter. Sa future dĂ©faite aux Ă©lections prĂ©sidentielles peut-ĂȘtreâŠ.
Pujol prĂ©cise que, malgrĂ© le soleil, la mer et diverses rĂ©alisations qui ont fait du bien Ă lâimage de Marseille, celle-ci reste pour beaucoup une ville « en voie de dĂ©veloppement ». Dâautres parlent dâune paupĂ©risation de ses classes sociales moyennes et modestes. Ce qui lâamĂšne Ă voir Marseille comme un condensĂ© de la France oĂč, de plus en plus, les pauvres vivent avec les pauvres, et les riches avec les plus riches.
NĂ©anmoins, Pujol souligne que deux ou trois grandes avancĂ©es pour Marseille viennent de lâEtat ou de lâEurope :
Le TGV qui a mis Marseille à trois heures de Paris. Le projet Euroméditerranée.
Marseille, ville européenne de la Culture 2013.
Pour conclure, Pujol salue la grande aptitude des Marseillais Ă continuer de se parler. Jâai Ă©tĂ© agrĂ©ablement Ă©tonnĂ© dâapprendre quâil existe Ă Marseille un militantisme antifasciste actif qui a plus d’une fois pris le dessus sur certaines initiatives du Front National.
Plus tÎt, il a affirmé que Marseille a plus une culture du grand banditisme que du terrorisme islamiste.
Pour lui, Marseille nâest pas le monstre rĂ©guliĂšrement prĂ©sentĂ© dans certains mĂ©dia. Mais la France telle quâelle peut ĂȘtre dans dâautres rĂ©gions. Sauf que sa misĂšre et ses travers se voient davantage en plein soleil que coulĂ©s dans le bĂ©ton et dans certaines banlieues plus ou moins Ă©loignĂ©es.
Franck Unimon, ce jeudi 3 décembre 2020.