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La Fabrique du Monstre / Un livre de Philippe Pujol

 

 

 

 

 

Marseille a d’abord été un amour étranglé. Il m’a fallu du temps pour aimer cette ville. L’élan de l’accent, du soleil et de la mer, stoppé. Elle était blanche. J’étais noir.

 

J’aurais dû le savoir dès notre première rencontre à Paris, à la Gare du Nord. Elle partait en Irlande. Moi, en Ecosse. Elle écoutait U2 et des groupes comme Simply Red. J’écoutais Miles Davis, des groupes comme Black Uhuru mais aussi du Zouk.

 

Ses parents ne votaient peut-être pas pour le Front National mais sans doute louaient-ils certaines de ses idées.

La littĂ©rature, sujet de ses Ă©tudes universitaires en lettres classiques avec le Latin et le Grec, nous avait aussi rapprochĂ©s. Par « rĂ©alisme Â» Ă©conomique et social,  quatre ans plus tĂ´t, au lycĂ©e, j’avais renoncĂ© Ă  aller Ă  la Fac. Et, peut-ĂŞtre qu’avec elle, je me rattrapais.

 

Je fus prêt à venir m’installer à Marseille. J’avais prévu de postuler à l’hôpital Edouard Toulouse ou dans n’importe quel autre établissement hospitalier. Elle m’en dissuada.

 

Après une première « sĂ©paration Â» et quelques annĂ©es, comme tant d’autres qui vivent par espoir et par amour, je finis par ĂŞtre dĂ©shĂ©ritĂ© par cette histoire de rejet.

 

Notre première rencontre datait du 20 ème siècle. En 1990. Deux de mes amis, une femme et un homme, elle, parisienne blanche, lui, Arabe originaire d’Algérie qui, enfant, avait connu les bidonvilles de Nanterre, ne croyaient pas à cette histoire de couleur de peau.

 

Je n’ai jamais douté de cette histoire. Il a toujours été évident pour moi que tout sacrifice de sa part en faveur de notre relation me serait reproché plus tard.

 

Je rencontrais néanmoins ses parents. Et cela se passa bien. Je pris une chambre d’hôtel avec vue sur le Vieux-Port. Ce fut pour son mariage avec un autre. Un Marseillais comme elle avec lequel la rencontre avait coulé de source.

 

Quelques années plus tard, nous nous sommes brouillés officieusement. Peut-être définitivement. J’imagine que, pour elle, c’est du fait de ma connerie.

 

Depuis, je suis retourné à Marseille. Sans l’appeler.

 

J’ai appris avec cette histoire que l’Amour partagé et sincère ne suffit pas.

 

 

Philippe Pujol a quarante et un ans lorsqu’il écrit La Fabrique du Monstre, paru en 2016.

Ce livre a un sous-titre : «  10 ans d’immersion dans les quartiers nord de Marseille, parmi les plus inĂ©galitaires de France Â».

 

Pujol aime Marseille qu’il qualifie de «  plus jolie ville de France Â» Ă  la fin de son livre. Mais lorsqu’il  parle de Marseille, l’Amour n’est pas son seul atout.

 

Pujol s’est fait connaĂ®tre pour d’autres ouvrages. Il a obtenu le prix Albert Londres de l’annĂ©e 2014 «  pour sa sĂ©rie d’articles Quartiers Shit publiĂ©s dans le quotidien rĂ©gional La Marseillaise Â» nous apprend la quatrième de couverture.

 

C’est sans doute ce prix Albert Londres, un de ses ouvrages relatif à Marseille ou celui qu’il a consacré à son cousin fasciste qui m’a permis d’entendre parler de Philippe Pujol pour la première fois il y a deux ou trois ans.

 

Je croyais que Pujol, d’origine corse nous apprend-t’il, était né à Marseille. Il est né à Paris dans le 12èmearrondissement selon Wikipédia. Par contre, il a grandi et vit à Marseille depuis sa petite enfance. Au gré de certaines de ses connaissances qu’il nous présente, on devine qu’il a dû grandir dans un milieu social moyen ou au contact de personnes d’un milieu social moyen et modeste avec lesquelles il a su rester en relation. J’aurais peut-être pu devenir un petit peu comme lui si j’étais resté vivre dans ma cité HLM de Nanterre. Pas en faisant une école de journaliste. Mais en rencontrant d’abord comme je l’ai fait et comme je continue de le faire différentes sortes de personnes de par mon métier d’infirmier en psychiatrie et en pédopsychiatrie.

 

La ville de Marseille que Pujol raconte dans La Fabrique du Monstre est celle des tranchées. Peut-être, aussi, celle des trachées. On y respire moins bien qu’en terrasse ou au bord de la plage où l’on vit débranché de ce que Pujol raconte.

 

En cherchant un peu, on apprend vite que Pujol a tenu pendant des annĂ©es la colonne fait divers d’un journal de Marseille. Et qu’il a appris Ă  Ă©crire de cette manière. De ses dĂ©buts de journaliste-reporter, Pujol peut dire lui-mĂŞme qu’il faisait « pitiĂ© Â» question Ă©criture.

Alors que je rédige cet article, je me dis qu’il y a un peu du David Simon (l’auteur de Sur Ecoute, Treme…..) chez Philippe Pujol. Pour cette façon qu’il a de coller ses branchies, ses six-trouilles et son cerveau dans certains milieux de Marseille tapis dans l’hostilité ou la clandestinité où il vaut mieux être accepté. Et pour pouvoir en parler ensuite dans ses livres.

 

Pujol a sans aucun d’autres modèles que Simon et il en cite quelques uns à la fin de son livre. Mais je ne crois pas qu’il me reprochera de le rapprocher- un peu- de David Simon.

 

Car son La Fabrique du Monstre est un travail de pelleteuse lorsqu’il parle de Marseille. Il retourne la ville pour nous l’expliquer. TantĂ´t en sociologue ou en historien, tantĂ´t en expert comptable ou comme un auteur de polars. Qu’il parle des petits trafiquants de shit, des règlements de compte, d’autres trafics ; du monde politique marseillais depuis ces trente dernières annĂ©es (Gaudin, GuĂ©rini…) ; des alliances politiques avec le Front National ; des immeubles insalubres, des difficultĂ©s de logement, de cafards Ă  cinq centimes et de Mac Do ; des projets immobiliers discordants, du clientĂ©lisme ; de certains bandits qui investissent ou s’arrangent avec de grandes entreprises, de racket, d’un certain «bordel Â» concernant la conduction des projets ; de la mainmise du syndicat F0 sur certaines transactions… Pujol dĂ©crit presque Marseille comme s’il s’agissait d’une simple citĂ© (une citĂ© faite d’un certain nombre de villages). Et qu’il en connaissait presque chaque atour. Ainsi que les murmures et les rumeurs qui vont avec.

 

 

La ville qu’il « enseigne Â», je l’ai Ă  peine effleurĂ©e. Et, l’on se dit que toute personne qui souhaiterait venir s’installer Ă  Marseille pourrait ĂŞtre bien inspirĂ©e de lire son ouvrage. Selon son projet de vie, y aller seule, investir dans l’immobilier ou y faire grandir ses enfants, celle ou celui qui lira son livre aura de quoi Ă©viter de s’illusionner sur le cĂ´tĂ© en prime abord dĂ©contractĂ© de la ville. MĂŞme si Pujol souligne aussi qu’il y a des personnes qui rĂ©ussissent Ă  venir habiter Ă  Marseille. Et Ă  y rester.

 

 

En parcourant La Fabrique du Monstre, on apprend que Marseille, cela reste loin, pour le gouvernement parisien. D’oĂą cette espèce de « carte blanche Â»  laissĂ©e aux diffĂ©rents acteurs Ă©conomiques et politiques de la ville et de la rĂ©gion abonnĂ©s aux excès. Au dĂ©tour d’une anecdote, on croise ainsi le mĂ©pris aujourd’hui lointain d’un Lionel Jospin, alors Ministre, qui, sollicitĂ© pour intervenir sur un dossier marseillais rĂ©plique en quelque sorte qu’il a d’autres mistrals Ă  fouetter. Sa future dĂ©faite aux Ă©lections prĂ©sidentielles peut-ĂŞtre….

 

Pujol prĂ©cise que, malgrĂ© le soleil, la mer et diverses rĂ©alisations qui ont fait du bien Ă  l’image de Marseille, celle-ci reste pour beaucoup une ville «  en voie de dĂ©veloppement Â». D’autres parlent d’une paupĂ©risation de ses classes sociales moyennes et modestes. Ce qui l’amène Ă  voir Marseille comme un condensĂ© de la France oĂą, de plus en plus, les pauvres vivent avec les pauvres, et les riches avec les plus riches. 

 

 

NĂ©anmoins, Pujol souligne que deux ou trois grandes avancĂ©es pour Marseille viennent de l’Etat ou de l’Europe :

 

Le TGV qui a mis Marseille à trois heures de Paris. Le projet Euroméditerranée.

Marseille, ville européenne de la Culture 2013.

 

 

Pour conclure, Pujol salue la grande aptitude des Marseillais Ă  continuer de se parler. J’ai Ă©tĂ© agrĂ©ablement Ă©tonnĂ© d’apprendre qu’il existe Ă  Marseille un militantisme  antifasciste actif qui a plus d’une fois pris le dessus sur certaines initiatives du Front National.

Plus tĂ´t, il a affirmĂ© que Marseille a plus une culture du grand banditisme que du terrorisme islamiste.  

Pour lui, Marseille n’est pas le monstre rĂ©gulièrement prĂ©sentĂ© dans certains mĂ©dia. Mais la France telle qu’elle peut ĂŞtre dans d’autres rĂ©gions. Sauf que sa misère et ses travers se voient davantage en plein soleil que coulĂ©s dans le bĂ©ton et dans certaines banlieues plus ou moins Ă©loignĂ©es.  

 

Franck Unimon, ce jeudi 3 décembre 2020.

 

 

 

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