
Lâ Amour vu par un homme
Câest une connaissance. Nous nâavons jamais Ă©tĂ© proches. Mais un jour, je serai comme lui.
Il semble descendre vers la gare. Au volant de ma voiture, arrĂȘtĂ© au stop, je le regarde marcher. Lui ne peut que marcher. Une voiture, ça pollue et câest un objet de luxe et de consommation.
Il porte des sandales de merde. Il a dĂ©sormais une petite bedaine qui enfle sous sa chemise Ă carreaux Ă manches courtes. Il a toujours son catogan. Sauf quâil a un dĂ©but de calvitie. La derniĂšre fois que je lâavais vu sourire, câĂ©tait au festival dâAvignon, il y a plus de dix ans. CâĂ©tait lâami dâune amie comĂ©dienne et metteure en scĂšne. Il Ă©tait sur scĂšne. Je lâavais trouvĂ© bon comĂ©dien.

Lui et sa femme forment un couple socialement et culturellement engagĂ© depuis une bonne vingtaine dâannĂ©es. Il mâest sĂ»rement impossible dâavoir une idĂ©e exacte du nombre dâheures et de jours quâils ont donnĂ©es et continuent de donner ensemble ou sĂ©parĂ©ment en tant que femme et homme de théùtre et de culture.
Je les ai aperçus quelques mois plus tÎt dans le train. Assis face à face ou cÎte à cÎte, ils ne souriaient pas voire ne se parlaient pas.
Ils ne mâont pas vu. Ils ne mâont pas reconnu. Jâen ai profitĂ© pour aller plus loin. Je ne voulais pas les dĂ©ranger et, aussi, avoir Ă leur rappeler qui jâĂ©tais ou pire :
Je ne voulais pas ĂȘtre pour eux une sorte de divertissement.

Câest un couple qui dure. Ils ont au moins deux enfants. Je lâai aperçu lui, une fois, dans le bus, avec un de leurs fils. Mal fringuĂ©, les cheveux longs, longiligne, presque sale. Mais sans aucun doute trĂšs brillant Ă lâĂ©cole et trĂšs cultivĂ©. Du moins, je lâespĂšre.

Cet homme que jâaperçois Ă quelques mĂštres de moi (et sa femme) se contrefiche des apparences. Câest un homme libre. Et moi qui fais le malin en le dĂ©crivant, je suis beaucoup moins libre que lui. Parce-que je mâaccroche encore aux apparences comme je mâaccroche Ă mon volant. Alors que les apparences, câest surtout dans les dĂ©buts dâune relation quâelles comptent. Ensuite, on peut sâen dĂ©barrasser une fois que lâon est bien installĂ©s et que lâautre est en quelque sorte devenu notre propriĂ©tĂ©. Lorsque lâon est Ă peu prĂšs convaincu quâelle ou quâil restera autant quâon le pensera.
Je repense Ă cet homme. A son allure. A l âespĂšce de poids mais aussi de combat Ă©ternel auxquels il a semblĂ© se consacrer entiĂšrement au point de ne rien voir dâautre que ce point qui le menait vers la gare. Car câest un homme entier.

Puis, je dĂ©marre et je me rends jusquâĂ aujourdâhui, ce lundi 30 juin 2025. Depuis quelques jours, câest la canicule. 34 ou 35 degrĂ©s aujourdâhui en rĂ©gion parisienne, je crois. Je mâattarde peu sur les chiffres comme sur les titres que jâai pu voir sur un des tĂ©lĂ©viseurs de mon lieu de travail oĂč lâon se demandait sâil fallait fermer les Ă©coles plus tĂŽt. Rachida Dati, 60 ans cette annĂ©e, Ministre de la Culture, et Maire du 7Ăšme arrondissement de Paris depuis le 29 mars 2008, veut devenir Maire de Paris. Bruno Retailleau, 65 ans cette annĂ©e, Ministre de l’IntĂ©rieur, PrĂ©sident du parti des RĂ©publicains, marche « bien » depuis quelques mois.
J’ai aperçu Ă la tĂ©lĂ© le PrĂ©sident de la RĂ©publique, Emmanuel Macron, 48 ans cette annĂ©e, avant un match de Rugby rĂ©cemment. Il saluait les joueurs qui le dĂ©passaient tous de plusieurs tĂȘtes ainsi qu’en envergure. Il Ă©tait enthousiaste, assez excitĂ©. Je ne l’ai pas reconnu tout de suite. Il avait pris un coup de vieux. Son double mandat de PrĂ©sident de la RĂ©publique et certains de ses mauvais choix l’auront usĂ©.
On nous parle aussi rĂ©guliĂšrement du conflit en cours entre les Etats-Unis et lâIran Ă la suite de lâattaque militaire dâIsraĂ«l sur des sites stratĂ©giques militaires afin dâempĂȘcher lâIran islamiste de fabriquer la bombe nuclĂ©aire.

En France, câest lâĂ©tĂ©. Câest le dĂ©but des grandes vacances scolaires. Les gens partent se changer les idĂ©es. On les voit avec leur valise. Câest le dĂ©but des soldes. Le marchĂ© immobilier a repris de la vigueur. Les gens ont recommencĂ© Ă acheter. Il y a aussi plein de festivals de musique. Et comme il fait beau (ou trop chaud), il convient dâĂȘtre lĂ©ger ; de se distraire ; dâentreprendre ; de voir la vie du bon cĂŽtĂ© ; de « chiller » ; « dâĂȘtre fun » ; de-trouver- sa- moitiĂ©- ou- de partir- quelque- part- avec- elle- dans- lâharmonie- puisque- câest- la- saison- et- aussi- parce- quâune- existence- accomplie- se- doit- de- toutes- façons- de- se- dĂ©rouler- de- cette- maniĂšre.
Si nous sommes plus de soixante millions dâhabitants en France, il y a sur terre Ă peu prĂšs 7 ou 8 milliards dâĂȘtres humains. Et parmi ces 7 Ă 8 milliards de personnes, il sâen trouve un certain nombre pour lesquels la France est le pays ou lâun des pays de lâAmour et du « romantisme ».

« Est-ce que tu lâaimes ? » Câest souvent une femme qui continue de poser ce genre de question Ă une autre personne. Je peux me rappeler dâune amie me posant cette question. Je ne me rappelle pas quâun homme, ami, copain ou connaissance, me lâait posĂ©.
Câest aussi plutĂŽt une femme qui va dĂ©cider de rester parce quâelle aime son prochain ou sa prochaine. Quel que soit ce quâelle peut endurer au sein du couple.
LâAmour semble donner des forces voire certaines certitudes aux femmes. Il semble davantage opprimer les hommes. Je parle ici de relations hĂ©tĂ©rosexuelles. Et je ne compte pas beaucoup sur les hommes pour sâexprimer librement et en toute dĂ©contraction sur le sujet car ils ont plutĂŽt tendance Ă le fuir. Et ça, câĂ©tait bien avant dâentendre parler de :
« charge mentale », « travail invisible », « dĂ©construire », « fĂ©minisme », « fĂ©ministe », « patriarcat », « ĂȘtre assignĂ© Ă son genre », « conditionnement social »  » viols systĂ©miques », « viols », « pervers narcissique », «procĂšs de Mazan », « porc », « culture du viol », « la drogue du viol », « GHB », « grossophobie », « fĂ©minicides », « plafond de verre pour les femmes », « haine des femmes », « prĂ©caritĂ© des femmes », « injonctions patriarcales », « Lâ Amour dure trois ans », « Lâ Amour peut tout ».
Jâai rĂ©pĂ©tĂ© certains termes pour donner un peu une idĂ©e de la façon dont ils peuvent nous ĂȘtre rappelĂ©s ou dictĂ©s.
Je ne conteste pas la légitimité de ces termes. Je ne conteste pas non plus leurs contradictions.
Je les ai restituĂ©s ici (jâen ai sĂ»rement oubliĂ©) pour donner un aperçu des paradoxes qui peuvent sâimbriquer dans les relations amoureuses en France, pays de « lâAmour » voire du « romantisme». Car toutes les personnes qui se quittent ou qui se trompent ou qui sont maltraitĂ©es se sont souvent aimĂ©es au dĂ©part. Au moins en apparence.

Ma perception de lâAmour a bien sĂ»r changĂ© depuis mon adolescence. MĂȘme si mon adolescence a durĂ© longtemps. Ma vision de la masculinitĂ© a aussi changĂ© depuis mon adolescence.
PlutÎt socialement et extérieurement.

Adolescent et jeune adulte, jâĂ©tais sans aucun doute plus attachĂ© aux regards des autres. Je le redoutais aussi sans doute davantage. Car, adolescent, et mĂȘme plus tard, il peut ĂȘtre trĂšs difficile de se sĂ©parer du regard et du jugement du groupe auquel on appartient ou auquel on tient Ă appartenir. Quâil sâagisse de la famille, dâun groupe de copains, de camarades de classe sociale, de collĂšgues, des gens du quartier ou du village, dâune culture, dâune religion ou, aujourd’hui, d’un rĂ©seau social sur internet ou ailleurs.
Et cette « rĂšgle » vaut aussi pour les jeunes femmes. La crainte de dĂ©cevoir, dâĂȘtre rejetĂ©e par un certain groupe dâappartenance, dâĂȘtre dĂ©considĂ©rĂ©e si lâon adopte un certain type de comportements. Ou, plus simplement, le fait dâĂȘtre attachĂ© (e), cramponnĂ© (e ) â comme jâai pu lâĂȘtre au volant de ma voiture au dĂ©but de ce texte- par loyautĂ©, par facilitĂ© et/ou par conditionnement aux rites, croyances, habitudes et certitudes dâun certain groupe qui semble correspondre le mieux Ă ce que lâon est, Ă notre identitĂ© en tant quâindividu.
Adolescent et jeune adulte, j’Ă©tais assez Ă©tranger Ă mon intĂ©rioritĂ©. Je pouvais mĂȘme me mĂ©fier ou douter d’elle puisqu’autour de moi s’affichaient, se perpĂ©tuaient et s’imposaient certains modĂšles, certaines supposĂ©es rĂ©ussites mais aussi certains stĂ©rĂ©otypes. Des modĂšles qui avaient pour eux l’avantage de l’assurance, de la certitude, de l’expĂ©rience…et du nombre.

En tant quâhomme dâorigine antillaise, jâaurais par exemple peut-ĂȘtre « dĂ» » avoir au minimum trois ou quatre enfants aujourdâhui et « avoir » deux ou trois maitresses qui se battent en duel pour ĂȘtre un « vrai » homme antillais. Cela aurait peut-ĂȘtre contribuĂ© Ă me rendre encore plus attirant auprĂšs de certaines femmes ( antillaises ou non) car elles auraient ainsi eu la certitude que je suis bien fertile mais aussi fait d’une matiĂšre hĂ©tĂ©rosexuelle. En Ă©tant cĂ©libataire quelques annĂ©es et en devenant pĂšre plutĂŽt tardivement, jâai peut-ĂȘtre brouillĂ© les cartes pour certaines femmes. Etais-je homosexuel ? Avais-je un problĂšme sexuel ou une tare quelconque ? J’Ă©tais bien difficile Ă dĂ©chiffrer.
L’ humour noir ne convient pas Ă tout le monde.
Je pense que des hommes se sont aussi posĂ©s la question voire se la posent encore Ă mon sujet. Suis-je homo ? Est-ce que jâaime â sexuellement- les femmes ? Puisque lâon ne me voit pas et l’on ne m’entend pas vraiment « m’exprimer » :
Employer le vocabulaire et le comportement du mec qui drague ou qui joue au moins ce rÎle-là en tenant certains propos « rassurants » ( pour certains hommes) à propos des femmes.
« Jâai envie de lui monter dessus » mâa ainsi dit un de mes collĂšgues Ă propos dâune de mes collĂšgues ». A mon travail, personne ne mâa entendu parler comme ça.
Jâai aussi pris trop de plaisir Ă lire Les couilles sur la table de Victoire Tuaillon dans mon prĂ©cĂ©dent service, un service de «mecs ». Et Ă le redire et Ă le réécrire.
Je suis suspect. Mais je me souviens encore de l’identitĂ© du collĂšgue Ă cĂŽtĂ© duquel je venais de mâasseoir et , qui, aprĂšs avoir aperçu le titre, sâĂ©tait levĂ© en silence pour sâĂ©loigner.
Je commence Ă parler ici de sexualitĂ© alors que le titre de dĂ©part est celui de lâAmour. Mais finalement, aujourdâhui, je me suis dit que beaucoup de monde se fourvoyait en parlant dâAmour ou mĂȘme de sexualitĂ©. Je crois aujourdâhui que le mot principal dans une relation, son fondement, câest plutĂŽt :
LâintimitĂ©.

Un couple sans intimitĂ©, Ă mon avis, ne peut pas ou ne peut plus exister. Lâ intimitĂ©, pour moi, câest ce que lâon vit avec lâautre parce-que lâon se sent bien avec elle ou lui. En toute confiance. Cela peut ĂȘtre un voyage, le fait dâĂ©duquer un enfant, de faire une promenade, de regarder un film. Câest un moment privilĂ©giĂ© oĂč lâon se sent bien et en sĂ©curitĂ© avec quelquâun dâautre. Sans nĂ©cessairement ĂȘtre l’un sur l’autre ou avec l’autre Ă perpĂ©tuitĂ©. Cela peut durer dix minutes, une heure, trois quarts dâheure. Davantage.
Mais ce n’est pas une permanence. Câest une aptitude.
Lâ aptitude Ă se retrouver avec quelquâun que l’on a choisi et qui nous a choisi ou acceptĂ©. Parce-que, de part et dâautre, il y a la volontĂ© que cela ait lieu et existe Ă un moment donnĂ©. Et ce moment rĂ©pĂ©tĂ© dâintimitĂ© satisfait vĂ©ritablement les deux personnes qui sont alors ensemble.
Je crois que si lâon est capable de veiller sur lâintimitĂ© â et de la dĂ©fendre si besoin â que lâon vit avec une personne, que lâAmour entre deux personnes peut plus facilement subsister.
Car lâAmour, tout seul, ne tient pas. Et la sexualitĂ©, mĂȘme lorsquâelle se passe trĂšs bien et donne beaucoup de plaisir ne suffit pas pour faire vivre un couple.
Lâ Ă©crire ici ne mâempĂȘchera pas pour autant dâavoir une bedaine comme de marcher vers une gare un jour de canicule.

Franck Unimon, ce lundi 30 juin 2025.