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Massage assis

 

 

                                                              Massage Assis

« A un moment, il faut rendre leur corps aux gens Â» m’avait dit ma tutrice en formation massage. C’était il y a trois ou quatre ans. Je me trouvais alors chez elle et sa compagne près de la gare de l’Est. Je venais de lui faire un massage sur table.

 

«  Le corps, c’est l’inconscient Â» m’avait dit un collègue pĂ©dopsychiatre et lacanien que je n’ai jamais massĂ© et que j’ai du mal Ă  imaginer recevant un massage. Ce collègue brillant et attachant fait selon moi partie de toutes ces personnes atteintes profondĂ©ment par ce que j’appelle la nĂ©vrose de «  la pensĂ©e souveraine Â».  Mais il est possible que je me plante complètement :

Dans certaines conditions -qu’elles choisissent- beaucoup de personnes peuvent  nous Ă©tonner par leur ouverture d’esprit.

 

«  Le massage peut permettre certaines dĂ©rives sectaires Â» m’avait Ă  peu près dit une amie kinĂ© avec laquelle nous avions, un moment, envisagĂ© de rĂ©aliser des massages Ă  quatre mains sur table.

 

«  Le massage, c’est un bon moyen de drague ? Â» m’avait demandĂ© lors d’un Ă©vĂ©nement techno, avec un air « complice Â», un jeune commercial sĂ»rement dĂ©jĂ  particulièrement douĂ© pour sĂ©duire.

 

«  J’ai dĂ©jĂ  fait (reçu) plein de massages Â» m’avait dit mon « cobaye Â» : un robuste moniteur de plongĂ©e et d’apnĂ©e, motard par ailleurs. Il se trouvait alors sur la table de massage et j’étais en train de lui masser le dos dans ce centre de plongĂ©e et d’apnĂ©e que je dĂ©marchais afin d’y proposer mes services.

 

Un de mes amis d’enfance avait, soudainement, entrepris de satisfaire un besoin urgent alors que je le massais sur table : consulter ses sms.

 

Mon petit frère (déjà adulte) était resté endormi cinq bonnes minutes sur la table après que j’aie eu fini de le masser la première fois.

 

Lors d’un Ă©change de pratiques de massages, il m’est arrivĂ© de me faire masser par un homme qui, en cours de route, avait eu envie d’un autre genre d’échanges. Nous Ă©tions chez lui et j’étais sur la table tandis que le programme radiophonique de France Culture diffusait son contenu. Cette erreur d’aiguillage, rĂ©gulĂ©e Ă  un moment donnĂ©, a aussi fait partie de ma formation. Et de celle de ma compagne. Comme elle me l’a ensuite dit lorsque je lui ai racontĂ© :

« Tu as de la chance d’avoir une femme comme moi Â».

 

Après le judo, après quelques expĂ©riences de comĂ©dien au théâtre et au cinĂ©ma dans des courts-mĂ©trages, après l’écriture, après la plongĂ©e, après le journalisme (bĂ©nĂ©vole) cinĂ©ma, après des annĂ©es d’exercice en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie, je m’étais dĂ©cidĂ© Ă  suivre l’exemple d’autres collègues de mon service afin de me former au massage bien-ĂŞtre. Avant « Ă§a Â», plus jeune, je voulais ĂŞtre kinĂ© pour travailler dans le sport. Je voulais ĂŞtre journaliste. Faire de la philo et de la psycho.

Je m’étais finalement arrĂŞtĂ© Ă  la formation d’infirmier. C’est encore ce mĂ©tier qui, aujourd’hui, Ă©conomiquement, administrativement et socialement me fait « vivre Â» et, aussi, « m’estampille Â» et « m’étiquette Â».

 

Le mĂ©tier d’infirmier qui suscite tant de « correctes Â» et de sincères admirations est aussi un mĂ©tier de femmes- et d’executant(es)- dans une sociĂ©tĂ© et un monde masculin oĂą les dirigeants sont principalement certains hommes. Un certain type, un certain genre d’hommes.

 

Le mĂ©tier d’infirmier ne m’a jamais suffi. MĂŞme si une partie de ses valeurs me suivent souvent dans ce que je fais ailleurs, mon identitĂ© est Ă  cheval sur plusieurs cultures. Et je bascule rĂ©gulièrement de l’une Ă  autre. Aujourd’hui, je « suis Â» infirmier en pĂ©dopsychiatrie mais m’incarcĂ©rer dans cette gestuelle, cette pensĂ©e et ce vocabulaire, c’est me rĂ©duire en cendres. Je suis vivant et mobile. Ma poitrine se soulève, s’abaisse et je respire. Dans mes pensĂ©es, je chasse autant que possible les cendres et la dĂ©prime qui peuvent m’encombrer. Je les perçois lorsque elles commencent Ă  devenir trop prĂ©sentes, les perce. Et j’évacue.

 

 

Je n’étais pas particulièrement déprimé lorsque j’ai décidé, au début de cette semaine, de répondre à cet appel du 1er novembre.

 

 

Quelques fois, comme d’autres « anciens Â» stagiaires, je reçois de certains de mes anciens formateurs en massage « bien-ĂŞtre Â» des messages. Il peut s’agir, comme pour ce 1er novembre, d’être volontaire pour rĂ©viser et de permettre Ă  la formatrice d’avoir un nombre pair de participants.

 

Aujourd’hui, j’ai renoncĂ© Ă  me reconvertir dans le massage bien-ĂŞtre. Une de mes anciennes partenaires de jeu au théâtre ( pour la pièce La ComĂ©die des erreurs de Shakespeare que nous avions jouĂ©e avec d’autres au théâtre du Nord-Ouest)  avait raison :

Faire du massage bien-ĂŞtre est la continuitĂ© du mĂ©tier d’infirmier or ce que je voudrais dĂ©velopper en prioritĂ©, c’est plutĂ´t ma personnalitĂ© culturelle et artistique. Mais le massage, comme d’autres actes (respirer, Ă©crire, lire, pratiquer l’apnĂ©e, la photo) fait aujourd’hui partie de moi. Proche de l’Art martial et de la mĂ©ditation, le massage est un arc et aussi le miroir de ce que nous sommes. Entre la flèche et nous, ce qui changera la donne, plus que d’établir des records ou de vouloir devenir le meilleur masseur « du monde Â», c’est et ce sera l’intention.

 

RĂ©cemment, Ă  une formation sur le thème de SpiritualitĂ© et addictions, j’ai demandĂ© Ă  un intervenant quels Ă©taient les gardes fous contre une emprise sectaire ou jihadiste. Il m’a rĂ©pondu :

 

Liberté, gratuité et charité.

 

On peut évidemment devenir un professionnel (en massage bien-être ou dans une autre spécialité) et se faire légitimement rémunérer à hauteur de notre engagement. Et s’épanouir. Mais les rapports que l’on adopte et que l’on adoptera avec la liberté, la gratuité et la charité conditionnent et conditionneront beaucoup nos intentions ainsi que, souvent, ce que l’on vivra véritablement.

 

Ce 1er novembre, jour fĂ©riĂ©, je suis peut-ĂŞtre venu dans cet Ă©tat d’esprit :

 

Je n’ai pas gagné d’argent. J’ai été massé et j’ai massé. J’ai écouté, parlé et interrogé. Puis, à la fin de la journée, je suis parti faire ma nuit de travail à l’hôpital en ayant eu le sentiment d’avoir passé une très bonne journée. D’avoir été au rendez-vous avec moi-même.

 

 Ma journĂ©e avait d’abord bien commencĂ©- et tĂ´t- avec ma fille. Je m’étais bien entendu avec elle afin qu’elle laisse sa mère se reposer. J’étais parti de la maison plutĂ´t content de moi. Au lieu de m’être Ă  nouveau fâchĂ© :

 

J’allais passer ce jour fĂ©riĂ© avec d’autres personnes, la plupart inconnues, mais auparavant, je lui avais transmis quelque chose de la vie et du monde dans l’entente, l’apaisement et une comprĂ©hension, je l’espère, rĂ©ciproques. C’est ce qui, je crois, est Ă  l’oeuvre dans tout « bon Â» massage comme dans toutes ces relations avec les autres ainsi qu’avec nous-mĂŞmes que nous recherchons et essayons quelques fois- ou souvent- de vivre.

 

 

Franck Unimon, ce dimanche 3 novembre 2019.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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