Ovidie au théâtre : La Chair est triste hélas
La première fois que je suis allé voir La Chair est triste hélas au théâtre, c’était avec une copine il y a quelques jours.
J’ai rencontré A…il y a une vingtaine d’années lors d’un stage de théâtre. Depuis, A vit de son métier de comédienne et de metteure en scène et dirige sa compagnie de théâtre.
Je n’ai pas eu la même persévérance. Aujourd’hui, je n’ai plus ou je n’ai pas l’envie ou le ressort pour cela. Quelques fois, je me dis que le seul en scène ou le théâtre d’improvisation pourraient peut-être me redonner cette envie.
J’avais vu ou entendu parler de l’adaptation théâtrale du dernier ouvrage d’Ovidie. J’avais assez peu lu ses ouvrages. Mais c’est une personnalité publique. Et il était arrivé que j’accède à certaines de ses idées. Je savais par exemple qu’elle s’était alarmée à propos de la pornographie que n’importe quel mineur pouvait désormais très facilement « regarder » ou télécharger sur internet. Elle a écrit au moins un ouvrage sur le sujet. Je la savais engagée. Militante. Féministe.
Je l’avais écoutée, dans un de ses podcasts, avec son ami Tancrede. Je savais qu’au début des années 2000, elle avait eu une courte carrière d’actrice porno à peu près en même temps que Clara Morgane. Mais je n’ai jamais cherché à regarder un seul de ses films. A la limite, je crois maintenant me rappeler qu’elle avait joué – habillée-dans le film Le Pornographe de Bertrand Bonnello dans lequel l’acteur Jean-Pierre Léaud avait le rôle principal. Mais ce n’était pas pour la voir, elle, que j’étais allé voir le film. Plutôt pour Bonnello.
Quitte à parler d’ex actrices pornos, je me dis que Ovidie ou avant elle Brigitte Lahaie ont sans aucun doute des choses à nous dire. Mais je ne parle pas, ici, de formules kabbalistico-aphrodisiaques pour mieux bander.
A l’Etrange festival, il y a plus d’une vingtaine d’années, je me rappelle de deux ou trois actrices pornos venues nous présenter un ou plusieurs films X avec le producteur John B.Goode. L’une d’elles, en s’adressant à nous, public majoritairement masculin, nous avait dit :
« Mes copines et moi, on assume ».
Je me rappelle aussi d’un spectateur, homo, qui avait regretté qu’il y ait si peu « de bouffage de culs » dans les films lors de cette soirée films X.
C’est une affiche vue ce mois de septembre dans le métro alors que je me rendais à mon travail qui m’a rappelé que le livre d’Ovidie allait être « joué » au théâtre. On pouvait voir l’actrice Anna Mouglalis. Ce n’était pas une photo de film X ni de bouffage de cul.
Mes souvenirs les plus fixes concernant Anna Mouglalis se trouvaient dans les films Romanze Criminale et J’ai toujours rêvé d’être un gangster. J’avais lu ou entendu que son amoureux lui avait offert le livre La Chair est triste hélas d’Ovidie avant que celle-ci ne lui propose de l’interpréter sur scène.
L’affiche dans le métro m’a décidé à aller voir l’adaptation théâtrale. J’aurais pu y aller seul. J’ai opté pour mettre un message sur ma page Facebook afin de proposer à celui ou celle de mes amis qui le voudrait d’y aller avec moi. Je me faisais assez peu d’illusions :
Il était plutôt probable que ce soit des femmes qui réagissent. Deux femmes amies ont réagi. Florence-Jennifer, une ex collègue infirmière psychiatrique, qui a apposé un Like sous mon message. Et A qui m’a envoyé un message personnel pour me faire savoir qu’elle voudrait bien y aller.
Nous y sommes donc allés, A et moi. Nous sommes arrivés environ trois quarts d’heure plus tôt. A connaissait déjà le très beau théâtre de l’Atelier. Je m’en suis voulu de le découvrir seulement à cette occasion. Je m’étais déjà plus ou moins promené dans les environs sans aller de ce côté-là.
J’avais acheté des places au premier rang. A voir toutes ces femmes dans le public et si peu d’hommes, je me suis amusé à me sentir rassuré par la présence de A avec moi. Je connaissais les sujets du livre. J’avais préféré le lire auparavant afin de me préparer.
L’homme hétéro n’est pas beau dans l’ouvrage d’Ovidie. C’est plutôt un raté, un mec qui a beaucoup de choses à se faire pardonner vis-à-vis des femmes. Sexuellement. Socialement. Psychologiquement. Et dire que les femmes hétéros se font beaucoup violence pour lui plaire et se sentir désirées par lui. On croirait presque entendre la chanteuse Brigitte Fontaine :
« Parce-que je suis con-ne ! »
Alors que j’écris tranquillement dans ma chambre, je me permets aujourd’hui de faire de l’humour. Mais au théâtre de l’Atelier, je subodorais, sans en être certain, une petite pointe d’hostilité contenue de certaines femmes vis-à-vis du masculin hétéro avant le début de la représentation.
A, elle, était parfaitement détendue. Elle a remarqué que j’étais le seul homme noir dans la salle. J’ai aperçu un homme, seul, non loin de nous au premier rang au début de la rangée. La jeune trentaine, il avait avec lui son casque de scooter ou de moto. J’ai un peu admiré sa sérénité. A mon sens, il devait y avoir dix hommes tout au plus en tout dans la salle. Et la salle était pleine. J’ai aperçu quelques femmes noires. Mais cela ne m’était d’aucune utilité.
La représentation a commencé avec quelques minutes de retard. J’ai compris la cause de ce retard lorsque je suis retourné voir l’adaptation avec ma mère quelques jours plus tard.
Anna Mouglalis porte le texte. Je ne trouve pas qu’elle le « joue » particulièrement bien. Mais elle est sincère. Elle a été émue lors des applaudissements à la fin de la représentation. Elle a levé le poing avant de s’en aller après plusieurs saluts.
Durant la représentation, plusieurs femmes ont ri en diverses occasions. Y compris A. Je ne me suis pas senti visé ou agressé par ces rires. Il m’a semblé qu’il y avait de la catharsis dans ces rires. Même si, sans doute, certaines femmes avaient aussi envie de faire périr des hommes après quelques souffrances. Je repense à l’animatrice Alessandra Sublet qui, dans un podcast, je crois, a raconté que sa grand-mère lui avait révélé qu’elle avait eu plusieurs fois envie de tuer son propre mari «à mains nues ». Certaines femmes, dans la salle, avaient peut-être les mêmes démangeaisons vis-à-vis d’un homme qu’elles connaissaient ou avaient connu.
Je ne me suis pas senti visé ou agressé par les rires des femmes lors de la représentation. D’une part parce qu’un certain nombre des propos d’Ovidie énoncent des faits ; d’autre part parce-que je ne suis pas responsable de tous ces faits. Et, enfin, parce qu’il y a tellement de reproches adressés aux hommes hétéros que cela m’a éloigné d’une certaine culpabilité. On peut se sentir coupable lorsque l’on sait que ce qui nous est reproché était ou est à notre portée afin de le corriger ou de l’éviter. Et que l’on a fait montre de négligence ou de facilité. Mais lorsqu’il y a trop d’indications ou de « consignes », on ne peut plus suivre : On ne peut plus s’engager dans une quelconque opération de réparation. Car, par où commencer ? Et puis, est-ce que cela en vaut véritablement la peine ? Puisqu’il y aura toujours quelque chose de travers. Il y aura toujours quelque chose que l’on fait mal.
Il m’a semblé qu’il y avait une énergie punk ou anarchiste dans le texte de Ovidie en le « voyant » et en l’écoutant sur scène. Il m’a aussi semblé que son texte allait faire parler de lui autant que Les Monologues du vagin il y a une vingtaine d’années. Ou peut-être plus.
J’ai assez vite regretté, finalement, d’avoir lu le texte avant de venir. Mais cela m’a permis de constater certains des choix d’Ovidie. Pour la scène, elle n’a pas mentionné son attirance pour les « machos hyper virils » ainsi que certaines de ses attitudes cassantes ou humiliantes envers certains hommes qui perdaient leurs moyens sexuellement devant elle. Elle en parle un peu dans son livre. En passant. Elle entre donc dans la danse de ces femmes féministes qui réclament des hommes plus de délicatesse, d’attention ou d’insight et qui, finalement, ont une certaine tendance à les bazarder à un moment ou à un autre.
J’ai repensé à cet homme de près de trente ans, aperçu avec sa copine vraisemblablement, dans le train de la ligne J que j’avais pris pour la gare St Lazare. Il était plutôt musclé, du genre trapu, portant un pull de laine moulant qui mettait sa physionomie en valeur. Il s’était habillé à son avantage. Il était mignon ou avait son charme selon les termes que l’on préfère. Elle le dépassait de 15 à 20 centimètres. Il s’était hasardé à évoquer le réalisateur Cédric Jimenez, coupable pour certains d’avoir réalisé un film comme Bac Nord. Aussitôt, sa copine s’était faite furax. Il s’était empressé de désamorcer la situation. Comme si parler d’un film et de son réalisateur pouvait être dangereux pour leur relation sentimentale. Je ne suis pas envieux de la vie de cet homme.
Je m’interroge un peu sur l’amoureux de Anna Mouglalis. Je me demande si je pourrais offrir le livre d’Ovidie. Je ne le crois pas. Je pourrais parler de ce livre, proposer à quelqu’un de venir voir avec moi son adaptation théâtrale. Je pourrais envoyer mes articles sur ce livre et sur ses représentations théâtrales. Ou je serais curieux de des impressions d’un autre ou d’une autre après qu’il/elle ait lu La Chair est triste hélas ou en ait vu l’adaptation au théâtre.
Mais je ne pourrais pas l’offrir. Même si je vais le garder avec d’autres. Et peut-être le relire.
Après la représentation, A et moi nous sommes levés pour partir comme tout le monde. Nous avons pris notre temps.
Dans le regard de certaines femmes que nous avons pu croiser, j’ai cru déceler une intensité particulière. « Particulière » parce-que je ne la remarque pas à ce point d’ordinaire dans la rue ou lorsque je fais mes courses au supermarché. Impossible pour moi de savoir si je plaisais particulièrement à ces femmes ou si, au contraire, elles se retenaient de m’en vouloir faute de preuves ou parce que le théâtre était encore éclairé.
Franck Unimon, ce dimanche 28 septembre 2025.