
Paris Festival Tea 15 Juin 2025
FantÎme de nos goûts, le thé est une apparition.
A moins quâil ne soit un peu tout ce que lâon croit, une forme de superstition, une force en apesanteur, selon les tempĂ©ratures oĂč il nous libĂšre.
Quelques heures avant de me rendre au Paris Festival Tea Ă la CitĂ© Universitaire, jâĂ©tais pourtant bien plus terre Ă terre :
Je nâavais plus envie dây aller.
Ma journée fournie en déplacements de la veille. Le trajet depuis Argenteuil, ma ville de banlieue.
Un lieu de plus oĂč jâirais gesticuler. Et oĂč jâallais bien-sĂ»r dĂ©penser de lâargent aprĂšs mâĂȘtre acquittĂ© du droit dâentrĂ©e. Vingt euros pour moi, quinze pour les Ă©tudiants.
Je prévoyais une arnaque. Une manifestation faite pour attirer les gogos.

Le thĂ© fait vendre de plus en plus. Jâai lu quelque part sur un site qui lui est consacrĂ© quâil serait la deuxiĂšme boisson la plus bue dans le Monde aprĂšs lâeau. Cela Ă©tait dĂ©clarĂ© fiĂšrement sans rappeler que sans eau le thĂ© perd beaucoup et aussi que les ressources mondiales en eau sâamenuisent avec la pollution due Ă la croissance industrielle de nombreux pays, la dĂ©forestation, le gaspillage, le rĂ©chauffement climatique. Et quâil existe dĂ©jĂ certaines tensions entre certains pays pour sâaccaparer certaines rĂ©serves dâeau telles celles entre lâEgypte, le Soudan et lâEthiopie.
Mais ce festival, le premier festival de thĂ© auquel je me rendais, Ă©tait dâabord une fenĂȘtre. Et pour puiser mes conclusions, il me fallait aller sur place, passer de lâautre cĂŽtĂ© de mes filtres.
Le thĂ© a commencĂ© pour moi en sachets Lipton Ă lâadolescence. Pour le petit dĂ©jeuner avec plusieurs morceaux de sucre blanc. Mais aussi avec du miel. Comme alternative aux boissons chocolatĂ©es de mon enfance dont je mâĂ©tais lassĂ©.
CâĂ©tait le chocolat en poudre ou en granulĂ©s avec du lait de vache, dĂ©ja avec des morceaux (jusquâĂ quatre) de sucre blanc. Il y a eu lâOvomaltine, le Nesquik, le Banania, le Benco, le Poulain, rarement le Van Houten. Il y a eu le morceau de beurre qui se foudroie dans le coin du bol de chocolat chaud et que lâon boit. Il y a eu le lait sucrĂ© concentrĂ© auquel on ajoutait du chocolat en poudre et de lâeau chaude.
Il y a aussi eu un peu de chicorĂ©e, un peu de cafĂ© au lait bien sucrĂ©. Et lors de sĂ©jours en Grande-Bretagne, le thĂ© au lait qui me donnait un peu lâimpression de devenir un aristocrate.
Puis, un jour, il y a à peu prÚs quinze ans, est arrivé le thé en vrac.
Comment ? Pourquoi ? OĂč ? Qui ?
Je ne mâen souviens pas. Je ne me souviens pas non plus quand jâai arrĂȘtĂ© de plonger du sucre dans mon thĂ©.
Mais je me rappelle du premier magasin oĂč je suis devenu assidu afin dây acheter du thĂ© en vrac :
La Route du ThĂ© au 5, rue de la Montagne Sainte Genevieve dans le 5Ăšme arrondissement. Jâai dĂ» y entrer par curiositĂ© un jour oĂč jâĂ©tais seul dans les environs. Jây retourne encore mĂȘme si, depuis, en parallĂšle, je vais aussi voir ailleurs :
Lâ Autre ThĂ©, Le Palais des ThĂ©s , Le Conservatoire des HĂ©misphĂšres, Lupicia ainsi que quelques sites. Cette polygamie du thĂ© ne suscite aucun conflit particulier dans ma vie personnelle tant que le thĂ© mâamĂ©liore.
Je suis aussi passĂ© Ă Mariage FrĂšres et chez Damman FrĂšres puisque lâon en parlait beaucoup. Jâai trouvĂ© Mariage FrĂšres cher voire trĂšs cher, plutĂŽt prĂ©tentieux. Une sorte de yacht statique de lâaisance sociale et matĂ©rielle qui ne garantit pas pour autant lâexcellence annoncĂ©e. A moins dâĂȘtre prĂȘt Ă payer le prix fort pour certains de leurs thĂ©s. Il y a finalement tellement d’histoires comme celle-lĂ oĂč la suffisance convainc bien des privilĂ©giĂ©s qu’ils ont toujours le meilleur Ă portĂ©e de main.
AprĂšs plusieurs annĂ©es de frĂ©quentation de La Route du ThĂ©, jâai connu chez Mariage FrĂšres pourtant si rĂ©putĂ© une dĂ©sillusion en matiĂšre de Sencha. Il y avait mieux mais il fallait vraiment mettre le prix. Je crois que l’on Ă©tait dans les 90 ou 100 euros ou plus pour cent grammes de thĂ©.
Je nâai pas peur de payer entre 25 et 40 euros les 50 ou les 100 grammes de thĂ©. Je peux mĂȘme payer encore un peu plus si je suis sĂ»r de l’endroit et de ce que jâ y achĂšte.
Je reste pour lâinstant rĂ©servĂ© concernant Damman FrĂšres car jây suis allĂ© une seule fois de mĂ©moire.
Pour choisir notre thĂ© en vrac, notre nez et notre mĂ©moire gustative comptent autant voire plus que les commentaires et lâassurance de certains vendeurs qui sont Ă mon avis beaucoup plus des agents commerciaux que de rĂ©els conseillers. Pour peu que lâendroit soit assez luxueux et prĂ©sente bien, on peut avoir lâimpression dâentrer dans une bijouterie oĂč lâon est reçu par des orfĂšvres du goĂ»t et dâun vocabulaire millĂ©simĂ© alors quâil peut sâagir de simples Ă©lĂ©ments de langage et du protocole.
Le vendeur et le gĂ©rant de La Route du ThĂ© oĂč je retourne est originaire dâAfghanistan. Il mâa racontĂ© un peu son histoire et son arrivĂ©e en France Ă la suite de son frĂšre il y a quelques semaines lorsque je suis allĂ© le rejoindre dans le restaurant vietnamien oĂč il avait lâhabitude de dĂ©jeuner. Il mâa offert le repas. JâĂ©tais un peu fatiguĂ© et jâavais dĂ©jĂ un peu dĂ©jeunĂ© mais je nâai pas refusĂ©. A ce jour, je nâai pas connu dâexpĂ©rience similaire dans les autres maisons de thĂ© que jâai connues plus rĂ©cemment.
La premiĂšre fois que je suis entrĂ© Ă La Route du thĂ©, je commençais sans doute dĂ©ja Ă mâĂ©loigner de plus en plus des grandes surfaces et des magasins bondĂ©s et bruyants oĂč nous sommes des prisonniers en libertĂ© conditionnelle. Nos cellules et nos matricules sont nos cartes bancaires ainsi que nos tĂ©lĂ©phones portables. Nous sommes supposĂ©s choisir et nous faire plaisir alors que nous ne faisons que nous assujettir et nous enfermer un peu plus.
A La Route du thĂ©, il nây avait pas de queue Ă la caisse. Pas de foule. Je pouvais prendre le temps de sentir le thĂ© que jâallais acheter. Discuter, me faire conseiller.
Jâai commencĂ© par des thĂ©s aromatisĂ©s. Des thĂ©s noirs. Dont certains ont beaucoup plu Ă mes collĂšgues tels Les fleurs de feu, Les Cavaliers afghans, IspahanâŠ.
Et puis, un beau jour, ces thĂ©s se sont tus dans ma bouche. Jâai dâabord cru que câĂ©tait une mauvaise production. Le vendeur mâa dĂ©trompĂ©. Quelquâun mâavait recommandĂ© de boire du thĂ© vert. A moi qui buvais encore du thĂ© noir aromatisĂ© avec du sucre.
Je me suis rappelĂ© dâun collĂšgue qui avait louĂ© le GemmaĂŻcha.
Jâai essayĂ© le GemmaĂŻcha alors que je buvais trĂšs peu de thĂ© vert japonais lors de mon premier sĂ©jour au Japon en 1999 mĂȘme si jâen Ă©tais revenu avec de la cĂ©ramique- que jâai toujours- mais sans thĂ©âŠ.
Aujourdâhui, cela doit faire une dizaine dâannĂ©es que je bois du thĂ© vert japonais. Du Sencha ou du Gyokuro. Je nâarrive pas Ă me dĂ©loger de ces thĂ©s-lĂ . Je me vois comme un intĂ©griste voire un raciste gustatif en matiĂšre de thĂ©. Car souvent lorsque jâessaie un autre genre de thĂ© affirmĂ©, je le quitte.

Au Paris Tea Festival, on nous a remis Ă lâentrĂ©e une petite tasse nous permettant de goĂ»ter Ă peu prĂšs tous les thĂ©s prĂ©sentĂ©s. Jâai dĂ» approcher entre vingt Ă quarante thĂ©s. Des thĂ©s noirs, des thĂ©s verts, des thĂ©s dâAfrique, des thĂ©s de Chine, de CorĂ©e du Sud, du Japon, d’Iran.
Jâai croisĂ© un vendeur espagnol qui vivait en Chine depuis une dizaine dâannĂ©es. Un autre dâorigine polonaise qui avait vĂ©cu Ă TaĂŻwan et qui vendait sa cĂ©ramique. Un autre vendeur de cĂ©ramique Ă©tait dâorigine tchĂšque. Jâai croisĂ© un Instagrammeur qui publiait rĂ©guliĂšrement Ă propos des Ă©vĂ©nements liĂ©s au thĂ©. Un spĂ©cialiste du Japon et du thĂ© qui mâa appris que je pouvais le solliciter si je cherchais un article Ă me faire ramener du Japon.
Jâai discutĂ© pendant un moment avec une des vendeuses, Ă©galement formatrice en thĂ©, des Jardins de GaĂŻa qui a pris le temps de me servir plusieurs thĂ©s ainsi quâĂ un autre visiteur comme moi qui « travaille dans la mode ». Câest avec elle que jâai dĂ©couvert le shiboridashi.

Plus loin, un revendeur mâa appris que la Bretagne se prĂȘtait bien Ă la culture du thĂ© vert japonais en raison de son climat et de ses terres acides. Il mâa aussi parlĂ© du dĂ©calage entre la maison de thĂ© quâil reprĂ©sentait au Paris Festival Tea et certains de leurs agriculteurs partenaires qui privilĂ©giaient la quantitĂ© au lieu de la qualitĂ©. Dâautres personnes Ă©taient lĂ pour prospecter et nouer des contacts en vue de dĂ©velopper leur business. Jâai aussi relevĂ© la place stratĂ©gique occupĂ©e par la marque Brita connue depuis des annĂ©es pour ses carafes filtrantes.

Le Paris Festival Tea a été une opportunité pour présenter la derniÚre nouveauté de la marque Brita.
Venu principalement pour le thĂ©, je nâavais pas envisagĂ© la prĂ©sence de cĂ©ramique. Si jâai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© de trouver des artisans ou des revendeurs europĂ©ens qui « proposaient » des piĂšces de cĂ©ramique plutĂŽt sĂ©duisantes et rĂ©ussies, deux stands mâont particuliĂšrement plu dont celui reprĂ©sentant les poteries Hagi Ware dâun Japonais rĂ©sidant aux Pays-Bas depuis 2024 :
Shujiro Tanaka pour le site Tanaka-NL. J’ai appris que la technique Hagi Ware dĂ©coulait du savoir faire de potiers corĂ©ens.
Jâai aussi aimĂ© le travail de Inge Nielsen qui sâinspire de la poterie chinoise et de JĂ©rĂ©my Keala qui s’inspire, lui, de la poterie japonaise.
MĂȘme si lâunivers du thĂ© est un marchĂ© Ă©conomique ( on mâa rappelĂ© la spĂ©culation actuelle Ă propos du matcha) qui repose sur la concurrence et des conditions de travail Ă©prouvantes, je trouve rĂ©confortant que dans notre monde de console Nintendo Switch seconde gĂ©nĂ©ration, de jeux en ligne, de vidĂ©os snapchat, de rĂ©seaux sociaux et de tĂ©lĂ©phones portables toujours disponibles et toujours en activitĂ© quâil y ait des personnes qui prennent le temps de se faire du thĂ© et de se rencontrer Ă travers lui.
Initialement disposĂ© Ă rester deux heures au Paris Tea Festival, jây suis finalement restĂ© plus de quatre heures ! Sans assister Ă une seule des confĂ©rences ainsi quâĂ aucun des ateliers.
Le reste, câest mon diaporama qui le racontera.
Franck Unimon/ Balistique du quotidien, ce mercredi 18 juin 2025.