Premières impressions lilloises
Hier en début d’après-midi, nous venions de descendre du TGV à la gare de Lille-Europe lorsque nous sommes passés à côté d’une file de gens. Ils attendaient pour partir à Londres. La proximité de Lille avec Londres a aussitôt été très concrète. Un employé de la gare, un noir en tenue de vigile portant chasuble orange, s’assurait que tout le monde était bien dans la file. L’ambiance était détendue. Ces personnes dans la file d’attente, cela aurait pu être nous souhaitant effectuer un séjour à Londres.
Quelques mètres plus loin, ce sont deux hommes de ménage « barbus » qui nous ont confirmé la sortie à prendre pour nous rendre dans le centre-ville. L’un des deux, monté sur son véhicule de nettoyage, nous a obligeamment renseigné.
Après avoir déjeuné au restaurant Les 3 Brigands de Napoli, nous avons marché jusqu’au logement que nous avons loué pour ces quelques jours à Lille. Le téléphone de ma compagne indiquait :
« Trente et une minutes de marche ». Aller dans le centre-ville nous avait éloigné.
« A dix minutes de la gare Lille-Europe » affirmait sur le site la première annonce de notre « logeur ». Mais je suis tombé sur une autre annonce nous informant que nous étions à « Quinze minutes de la gare Lille-Europe ». Sourire complice de ma compagne en l’apprenant :
Il est plus attractif de présenter son appartement à dix minutes.
En revenant sur nos pas, nous sommes passés par la rue Pierre Mauroy. Particularité lilloise. Découvrir ce nom de rue m’a rappelé les premières années euphoriques du gouvernement socialiste entre 1981 et 1983. Pierre Mauroy, alors Premier Ministre de François Mitterand, était également maire de Lille ( il l’a été de 1973 à 2001).
Le TGV est « arrivé » à Lille en 1993. Néanmoins, pendant des années, cette ville a été uniquement un nom pour moi. Une ville connue pour sa Grande Braderie que je ne connais pas. En 1993, j’étais sans doute encore trop séduit par le sud de la France comme, plus jeune, on peut également être fasciné par New-York et les Etats-Unis au détriment du reste du monde. J’étais aussi davantage attiré par un pays comme l’Ecosse où j’avais effectué un premier séjour en 1990.
Martine Aubry, l’ancienne Ministre, m’évoquait aussi Lille. Mais si Pierre Mauroy m’avait d’abord inspiré une certaine sympathie puis l’image d’un homme politique dépassé, Martine Aubry, elle, bien qu’étant la Ministre des « 35 heures » me laissait l’impression d’une politicienne autoritaire, de plus en plus isolée, et aigrie. Bien-sûr, je crois qu’il est assez rare que la personnalité d’une figure politique d’un pays ou d’une région incite à venir y faire du tourisme.
Lille est néanmoins devenue une personne fréquentable il y’a bientôt une vingtaine d’années : Une collègue-amie venait de cette ville et, tous les week-end, pratiquement, celle-ci retournait dans son bercail lillois. Les Champs Elysées et Lille semblaient alors être les principales attaches de sa vie. Les Champs Elysées/ Lille, Lille/ Les Champs Elysées. Aujourd’hui, et depuis des années, je crois qu’elle s’est un peu guérie de cette folie.
On comprend un peu mieux une personne en voyant où elle habite.
Je n’ai pas vu grand chose de Lille. Mais c’est ce que je me suis dit hier en marchant dans certaines rues de Lille à notre arrivée. Ces maisons de ville et ces petits bâtiments que nous avons aperçus m’ont rappelé ce passé « ouvrier » de Lille. Même si cette architecture peut déjà faire penser à certains quartiers anglais où peut subsister, aussi, un certain passé ouvrier. Non loin de là où nous sommes logés se trouve la rue de la Briqueterie. Ce monde fait de briques évoque celui de l’ouvrier.
Je m’étais déja fait cette même remarque la veille, ce dimanche 14 juillet, en plein Paris :
On comprend un peu mieux une personne en voyant où elle habite.

Ce dimanche 14 juillet, à Paris, pour le travail, j’étais parti faire quelques courses. Un peu de nourriture pour « améliorer l’ordinaire », des cigarettes ainsi que le journal Les échos pour un patient-client. Il faisait beau lorsque j’étais sorti du service où j’effectuais un remplacement. En passant, j’ai regardé certaines de ces personnes attablées, avenue des Ternes, avenue de la Grande Armée, près du Palais des Congrès et de la Porte Maillot. Résident de Nanterre durant mes dix sept premières années, j’ai toujours vécu en banlieue parisienne. J’ai eu peur de m’installer à Paris lorsque cela aurait été- plus facilement- dans mes moyens financiers vingt ans plus tôt. A cette époque, pour un primo-accédant à la propriété en région parisienne, la norme était d’obtenir un crédit immobilier intégral ( sans apport) de 15 à 20 ans. Et on était ( très) content lorsque l’on obtenait un prêt immobilier à un taux fixe de 3,5% ou 4% hors assurance. Mais j’ai été trop timoré. J’ai peut-être manqué de perspectives. J’ai aussi cru que j’allais me noyer au milieu de trop de perspectives. J’étais sûrement trop prisonnier du ballet de certaines idées et de certaines craintes comme de celui de certains devoirs aussi. Je suis resté dans cet environnement que je connaissais depuis mon enfance : la banlieue parisienne. Il y’avait et il y’a – aussi- heureusement, des bons côtés dans ce lieu de résidence. Mais disons que vivre en banlieue parisienne, selon l’endroit où l’on habite, c’est un peu plus prendre le risque d’être défavorisé pour accéder aux soins, à de bonnes études ou à de bons moyens de transport : pendant une vingtaine d’années, j’ai été tributaire de la ligne A du RER pour me déplacer de Cergy-Pontoise à Paris. Plusieurs fois, j’ai été étonné de voir passer devant moi plus de RER à destination de la ville de St-Germain en Laye, une ville pourtant plus proche et sans doute moins peuplée que les villes de Cergy-Préfecture, Cergy-St-Christophe ou Cergy-Le-Haut qui me concernaient.
Le 17ème arrondissement de Paris est un lieu géographique assez proche d’Argenteuil, la ville de banlieue- considérée comme « populaire » voire assez « pauvre »- où j’habite désormais. Mais ce 14 juillet, en regardant un certain nombre de ces personnes croisées dans le 17ème arrondissement, en terrasse au restaurant , au café, ou devant ces immeubles de « prestige », dans un certain cadre de vie plutôt privilégié, je me suis dit qu’il leur était sûrement impossible et impensable d’imaginer ce que peut être la vie vue de certains endroits de banlieue pourtant proches. Je me suis aussi dit que pour certaines de ces personnes, la vie en banlieue est un lieu de perdition sociale et morale. Et, pourquoi pas, mentale !
Gilets jaunes et gilets noirs étaient peut-être pour quelques uns assez semblables à des aborigènes d’Australie ou à des Indiens d’Amérique consignés dans des réserves éloignées pour raisons sanitaires à des milliers de kilomètres de là. Bien-sûr, mon avis, ici, est lapidaire et manque de nuance : on peut être riche, privilégié ou sembler l’être, être au courant des mouvements sociaux de son quartier, sa région ou de son pays et se sentir parfaitement impuissant devant eux comme devant leurs causes.
On peut aussi être riche, privilégié ou sembler l’être et militer activement – bien plus activement que moi- pour que le monde change et évolue.
On peut aussi être riche, privilégié ou sembler l’être, et tout autant souffrir intérieurement de sévères déboires personnels ou familiaux . Le Dr Tempura nous l’avait dit il y’a plusieurs années. Et cela est avéré.
Parmi ces personnes attablées tranquillement ce 14 juillet, deux ou trois hommes portaient une kippa. Je me suis demandé la raison pour laquelle ils la portaient dans un espace public : Auparavant, lorsque certaines tensions communautaires étaient « moins » vives, avant le 11 septembre 2001, avant les attentats de l’Hyper Cacher et « de » Charlie Hebdo, avant les meurtres de M.M… , avant le Gang des barbares et la mort d’Ilan Halimi, je ne me serais pas posé cette question. Mais, là, ce 14 juillet 2019, je me suis demandé si ces hommes portaient leur kippa car quelqu’un de leur famille avait servi la France durant la Guerre. Ou si c’était pour honorer l’Histoire de leur famille d’une manière générale depuis les premiers pogroms dont des juifs avaient pu être victimes en passant – comme s’il était possible de passer dessus- par la shoah jusqu’à la création de l’Etat d’Israël. Je me suis demandé, si, pour ces hommes, porter la kippa ouvertement, revenait au même que, pour des Noirs, lever le poing serré, recouvert d’un gant noir, du « Black Power ». Sauf que nous étions dans le 17 ème arrondissement, quartier de Paris- et de France- plutôt privilégié, détendu et agréable, et très différent d’autres quartiers de Paris et d’ailleurs où désert et misère s’associent et se meurtrissent.
On peut s’en dire des choses, hein, en effectuant un petit séjour touristique comme moi à Lille. Je vais me reprendre. Il est 9h10 ce matin. Notre résidence est calme. Même si, tout à l’heure, ma compagne m’a demandé :
« Tu n’as pas entendu le bruit, cette nuit ? Quatre Boum-Boum. Comme si quelqu’un avait tiré avec un fusil ? ». Non, je n’ai rien entendu cette nuit. Notre « résidence » est calme.
A part, quelques fois, des personnes qui passent dans le couloir devant l’appartement, nous avons entendu notre première voiture ce matin vers 8 heures. Chez nous, à Argenteuil, lors de la victoire de l’Algérie à la Coupe d’Afrique de Football, quelques jours plus tôt, nous avions eu droit à des cris d’allégresse et des coups de klaxon en pleine nuit en bas de chez nous. Et même sans match de Foot, nous avons assez régulièrement l’honneur de profiter des goûts musicaux d’un automobiliste arrêté au feu rouge. Ou de la joie de futurs mariés et de leurs invités également véhiculés. Il est néanmoins bien des endroits calmes à Argenteuil.
Non, cette nuit, je n’ai rien entendu.
Par contre, ce matin, j’ai bien entendu ma fille me reprocher à nouveau d’être devant mon ordinateur et de ne pas pouvoir venir s’asseoir sur mes genoux. Et pourquoi j’écris ?!
Je l’ai aidée à s’asseoir sur mes genoux et je lui ai expliqué :
« Parce qu’au fur et à mesure de notre voyage, nous allons oublier des choses. C’est vrai que tu me vois souvent en train d’écrire avec mon ordinateur. Mais ça ne m’empêchera pas d’être avec toi et avec maman ». Je me suis alors tourné vers ma compagne qui m’a demandé :
« Pourquoi tu me regardes ? ». Je me suis à nouveau adressé à notre fille :
« Et toi, qu’est-ce que tu as remarqué depuis que nous sommes arrivés à Lille hier ? Qu’est-ce qui t’a plu ? ». Ma fille a réfléchi. Elle se souvient d’avoir vu des statues
( je le lui ai soufflé), un petit chien qui aboyait ( je n’ai pas pris de photo du petit chien) . Et, elle trouve que les maisons sont jolies.
Je me fais assez peu d’illusions : ma fille va sûrement se souvenir que lors de notre séjour à Lille, je passais –tout- mon temps à écrire sur mon ordinateur. Peu importent ces moments que je passerai avec elle et sa mère loin de mon ordinateur et de mes photos et de mes mots. C’est comme ça que ça marche : entre nous et nos enfants. Entre nous et nos parents. Et entre nos enfants et nous.









Franck Unimon, ce mardi 16 juillet 2019.