Projection
« C’est fou comme nos enfants sont la projection de notre inconscient…. ».
C’est ce que j’ai raconté il y’a plusieurs semaines à une collègue et amie, familière avec ce temps particulier- et faux ami- qu’est l’inconscient. Notre inconscient nous suit à la trace autant que notre sang. Où que nous soyons, quoique nous fassions, sa présence luit en nous tant que nous sommes en vie. Et même au delà . Et même avant ça. Que cela nous plaise ou non. L’inconscient est comme ça : ce n’est pas un squatteur, qui, une fois le printemps arrivé, peut être limogé. C’est plutôt lui qui vous limoge. Vous croyez que vous venez pour lui. Il peut très vite vous démontrer que c’est lui qui vous a fait venir.
« C’est fou comme nos enfants sont la projection de notre inconscient… ». J’avais dit cette phrase à cette amie calmement. A la fois avec lucidité mais aussi avec la naïveté de celui qui croit qu’en la prononçant, cette phrase allait le protéger. Nos enfants viennent de nous. Et même s’ils se séparent de nous un jour, ils nous ressembleront. A-t’on vu les enfants de l’eau devenir de la pierre ou de la terre ? Peut-être. Mais notre mémoire de ce temps-là a disparu ou nous a été volé. Et nous n’en savons rien. Nous n’en saurons peut-être jamais rien. Sauf, peut-être, au moment de mourir. Mais il sera trop tard pour le dire. A moins peut-être d’avoir déjà dit beaucoup malgré soi de son vivant. On dit beaucoup malgré soi de son vivant. Et il est souvent une ou plusieurs personnes, même si c’est discrètement, qui s’en souviendront.
Lorsque je nous regarde, nous les parents et les adultes, nous sommes devenus depuis longtemps complètement dépendants de nos écrans : Cela a commencé par la télévision. Puis les ordinateurs, les téléphones portables, les smartphones et les tablettes sont arrivés.
Je me rappelle encore de ce slogan publicitaire en faveur du tĂ©lĂ©phone portable Ă peu près au milieu des annĂ©es 90 : « Et tĂ©lĂ©phoner devient un sixième sens ». Cela nous avait fait ricaner mon meilleur ami et moi. Jamais on ne nous y prendrait. C’était ce que je croyais. On peut rĂ©ussir Ă arrĂŞter de fumer ou de boire de l’alcool sous certaines conditions et si on prĂŞt pour cela. Il nous est dĂ©sormais beaucoup plus difficile de dĂ©crocher de nos Ă©crans. Il y a et il y aura toujours une personne ou une raison pour nous entraĂ®ner et pour nous pousser Ă continuer de fixer un de nos Ă©crans. Dans les transports, au travail, en voiture, Ă la maison, Ă la sortie des Ă©coles, dans les commerces, Ă la piscine, au cinĂ©ma, dans les mĂ©diathèques, dans les lieux de rencontres et de loisirs, dans les aĂ©roports, Ă l’hĂ´pital, en pleine nature. Partout.
Nos écrans sont devenus un sixième sens mais aussi un cinquième membre. Un cinquième membre inséparable de notre organisme ou un membre de notre famille. La greffe a plus que pris. Impossible de revenir en arrière. Nous sommes dans le mouvement et bien d’autres applications et usages pratiques ou addictifs sont à venir. Se barricader loin des écrans est possible de temps à autre pour faire retraite ou en cas de fuite. Mais s’en dispenser durablement semble maintenant synonyme de grand danger pour notre santé physique et mentale. Ou semble être la marque de l’esprit réactionnaire qui a peur du changement et idéalise le passé et ses abysses. Avec nos multiples écrans, nous sommes tels des mutants jouissant de nos super pouvoirs. Pour en bénéficier le plus possible en en subissant le moins possible les revers, nous devrions apprendre à contrôler nos super pouvoirs. Encore faut-il le vouloir car nos écrans sont si attractifs. Et nos enfants, eux, pendant ce temps, captivés par nous comme on peut l’être par le soleil ou par à peu près tout ce qui brille, claque et est nouveau, nous voient captivés par ces écrans magiques qui, ils le savent, un jour, seront les leurs. Alors, comme nous, ils passeront des heures et des heures sur des écrans et, quelques fois peut-être, s’ils se rappellent encore un peu de nous, ils nous y chercheront.
Franck Unimon, lundi 1er avril 2019.