( Rouge est sorti en salles ce 11 aout 2021. Voici ci-dessous, ce que j’Ă©crivais Ă son propos le 16 octobre 2020 ).
Croire Ă la perfection, câest vouloir opĂ©rer et boucler le Temps. Telle la gendarme de son Histoire, Nour (lâactrice Zita Hanrot) obĂ©it Ă un devoir de perfection. InfirmiĂšre, elle voudrait agir sur le Temps et lâopĂ©rer. Mais le Temps se porte trĂšs bien. Il n’est pas malade. D’ailleurs, câest lui qui nous brancarde. Le service dâurgences oĂč Nour ( « LumiĂšre » en Arabe) se dĂ©balle au dĂ©but de Rouge ressemble Ă un dĂ©dale oĂč lâon sâĂ©loigne du jour. Plus quâĂ un endroit oĂč lâon soigne.
« Quel que soit ce Ă quoi une personne pense et rĂ©flĂ©chit frĂ©quemment, cela devient la tendance naturelle de son esprit » (extrait dâun des passages de la littĂ©rature pali citĂ© par le Dr Judson Brewer dans son livre Le Craving).
A part pour reconstituer â plus tard- les faits au cours desquels la patiente quâelle brancardait a perdu la vie, Nour ne parle pas de ses pensĂ©es. Mais peut-ĂȘtre essaie-tâelle dây verbaliser le Temps. Cependant, elle a quittĂ© lâhĂŽpital et les urgences pour un poste dâinfirmiĂšre dans lâentreprise oĂč son pĂšre Slimane ( lâacteur Sami Bouajila) travaille depuis 29 ans.
Nour connaĂźt cette entreprise depuis son enfance. Son beau-frĂšre (lâacteur Henri-NoĂ«l Tabary que lâon pourra aussi voir dans ADN de MaĂŻwenn qui sort ce 28 octobre 2020) y tient un poste de cadre proche du grand patron ( lâacteur Olivier Gourmet).
Cette entreprise est celle des retrouvailles en mĂȘme temps que celle qui accueille les Ă©volutions sociales de la famille de Nour. Seule manque la mĂšre, dĂ©cĂ©dĂ©e quelques annĂ©es plus tĂŽt, Ă laquelle il est un peu fait allusion.

Lorsquâelle revient dans la rĂ©gion et dans lâentreprise, la petite Nour a bien grandi. Slimane, son pĂšre, aussi. Au sein de lâentreprise, Slimane est devenu un meneur et un reprĂ©sentant syndical. Cela nous change de lâimagerie de lâimmigrĂ© ou du Français dâorigine immigrĂ©e soumis et incapable de sâexprimer. Ou obligĂ© de faire rire pour sâintĂ©grer.
Mais la joie de cette famille Ă nouveau rĂ©unie est si Ă©vidente que lâon devine quâelle va sauter.
« Si nous avons un biais subjectif, si nous voyons le monde tel que nous voudrions quâil soit, ces simulations ne fonctionnent pas si bien. Elles sâefforcent de parvenir Ă la « bonne solution » ou du moins Ă celles qui coĂŻncident avec notre vision du Monde » nous explique encore le Dr Judson Brewer toujours dans son ouvrage Le Craving. Livre dans lequel il prĂŽne beaucoup la pratique de la mĂ©ditation et de la pleine conscience.
Dans la famille de Nour, comme ailleurs, on est assez peu portĂ© sur la mĂ©ditation et la pleine conscience. A la rigueur, on veut bien prendre un thĂ© ou un cafĂ© et discuter ou se disputer. Mais on est plutĂŽt dotĂ© pour lâaction. Et lâon est aussi assez idĂ©aliste. Le film Rouge, câest au moins la rencontre de trois idĂ©alistes :
Le syndicaliste (Sami Bouajila) ; LâinfirmiĂšre, sa fille ( Zita Hanrot) ; La journaliste (CĂ©line Sallette).

Chacun de ces trois idĂ©alistes- comme tout idĂ©aliste- essaie de se persuader de son indĂ©pendance et de sa luciditĂ© et sâaccroche Ă son biais subjectif. Mais les « autres » antagonistes, aussi. La sĆur de Nour, son mari (Henri-NoĂ«l Tabary) et le patron (Olivier Gourmet) ont le cĆur plus matĂ©rialiste ou plus cynique. Et le pĂšre de lâenfant de la journaliste (CĂ©line Salette) est de son cĂŽtĂ© plus portĂ© sur lâactivisme.
Rouge raconte au moins que certaines fonctions et certaines institutions vigilantes et vitales ont perdu de leur aura ou nâont pas la considĂ©ration quâelles devraient avoir en matiĂšre de santĂ© publique dans notre sociĂ©tĂ©. On en a malheureusement une illustration rĂ©cente plus que concrĂšte avec la pandĂ©mie du covid-19 : les diverses manifestations des soignants depuis une trentaine d’annĂ©es en France pour protester contre la dĂ©gradation de leurs conditions de travail faisaient dĂ©ja Ă©tat d’une pĂ©nurie de moyens et de personnels. Mais prioritĂ© a Ă©tĂ© donnĂ©e Ă la rentabilitĂ©….
Je ne suis pas sĂ»r que lâacteur Sami Bouajila ait beaucoup jouĂ© des rĂŽles de pĂšre face Ă une femme certes jeune mais dâĂąge mĂ»r. Mais ses face Ă face avec Zita Hanrot font des Ă©tincelles. Etonnamment, cela se reproduit moins entre lâactrice CĂ©line Sallette et lui. Lâacteur Olivier Gourmet, quant Ă lui, mate son jeu avec sa prĂ©cision de montre suisse habituelle. Sans rien montrer de nouveau mais avec tout ce quâil faut.

Le film a quelques ratés. Mais son sujet est ambitieux et a de quoi ouvrir les yeux.
Rouge sortira au cinéma le 25 novembre 2020.
Franck Unimon, ce vendredi 16 octobre 2020.