Lâoccupant est « partout ». MĂȘme notre parole est occupĂ©e. Si lâon prĂ©sentait devant moi un groupe de personnes en me sommant de dire qui est ou nâest pas contaminĂ©, je serais incapable de rĂ©pondre. Sauf, peut-ĂȘtre, si on me menaçait dâĂȘtre exĂ©cutĂ©. Et encore. Ăa reste Ă voir. Je me montrerais peut-ĂȘtre hĂ©roĂŻque. Pour une fois.
Comme on ne sait pas qui est contaminĂ© ou peut ĂȘtre contaminĂ© par lâennemi, cet ennemi invisible, nous devrions, nous pourrions imaginer que tout le monde autour de soi est suspect. Tout le monde. MĂȘme si on ne le sait pas. MĂȘme si on nâose pas le dire.
Il a suffi de quelques jours, nous en sommes Ă peine Ă la premiĂšre semaine du couvre-feu, pour que dĂ©jĂ , une certaine forme de paranoĂŻa se pose parmi nous comme on peut poser chez soi du papier peint que lâon est allĂ© acheter dans un magasin. Cette forme de parano est autant notre ennemi que ce virus. Elle, aussi, nous occupe.
Face Ă cela, tout le monde sâorganise comme il le peut. La plupart se confinent comme cela a Ă©tĂ© indiquĂ© par les AutoritĂ©s.
Dâautres prennent lâair en donnant carte blanche Ă leurs angoisses et Ă leurs peurs sur les rĂ©seaux sociaux. Tout le temps. Tout le temps. Tout le temps. Il faut bien sâoccuper.
Dâautres sortent malgrĂ© les consignes. Enfin, câest ce que lâon suppose car ces personnes que lâon voit dehors, on ne les connaĂźt pas. On les aperçoit. On ne leur parle pas. On les Ă©vite et on les juge plus vite que dâhabitude. Parce-que lâon a plus peur que dâhabitude, on voit des collabos, des irresponsables et des idiots partout.
Cette occupation est trĂšs effrayante : lorsquâelle devient visible, il est peut-ĂȘtre trop tard.
Voici pour moi, pour lâinstant, lâune des plus grandes vĂ©ritĂ©s de cette Ă©pidĂ©mie :
Nous nâavons jamais Ă©tĂ© libres.
Et lorsque tout cela sera « terminĂ© », que nous fĂȘterons la « fin » du couvre-feu et de la mort, que nous pleurerons et compterons nos dĂ©funts, que nous ouvrirons nos procĂšs pour condamner celles et ceux qui nous ont trompĂ©s, nous oublierons peut-ĂȘtre rapidement que nous nâavons jamais Ă©tĂ© libres. Ce sera notre façon de continuer dâaccepter que notre vie est, le plus souvent, occupĂ©e.
Je mâattends Ă ce que bien des records soient battus â et sans dopage- aprĂšs cette pĂ©riode dâenfermement et de peur. Battre des records fait aussi partie de nos tentatives afin dâessayer dâoublier- dâexorciser- le fait que nous ne sommes pas libres.
Cet article fait partie d’un trio. Celui-ci est le premier du trio, suivi de Objectif de conscience
puis de LâAvenir de lâHumanitĂ©.
Franck Unimon, samedi 21 mars 2020.