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Zero Dark Thirty/ Un film de Kathryn Bigelow

ZERO DARK THIRTY ( 2012) un film de Kathryn Bigelow

 

« When you lie to me I Hurt you ! Â» ( Chaque fois que tu me mentiras, je te ferais du mal !)

 

 

C’est sĂ»rement le fait, hier, dans un de mes articles, d’avoir mentionnĂ© l’acteur Reda Kateb qui m’a amenĂ©, ce matin, au rĂ©veil, Ă  me rappeler du film ZERO DARK THIRTY de Kathryn Bigelow. J’avais vu le film dans une grande salle de cinĂ©ma Ă  sa sortie. Et, j’avais Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© de tomber sur
.Reda Kateb quasiment dĂšs l’ouverture du film dans le rĂŽle d’un terroriste que l’on torture et qui finit par lĂącher une information qui permettra de retrouver Ben Laden, l’homme alors le plus recherchĂ© du monde, aprĂšs les attentats du 11 septembre 2001.

 

Attentats dont je me « rappelle Â». Je sais encore oĂč je me trouvais et ce que je faisais lorsque les images des attentats du 11 septembre avaient Ă©tĂ© distribuĂ©es et redistribuĂ©es Ă  la tĂ©lĂ© :

Au travail, dans le service de pĂ©dopsychiatrie oĂč je travaillais alors avec des adolescents. Mais, Ă  cette Ă©poque, en 2001, personne ne parlait des soignants comme de « hĂ©ros de la nation Â».

 

La derniĂšre fois que j’avais aperçu l’acteur Reda Kateb sur un Ă©cran, c’était pour le voir dans des films d’auteurs français. Et, lĂ , dans ce complexe de cinĂ©ma parisien, sur un trĂšs grand Ă©cran, c’était dans cette trĂšs grosse production amĂ©ricaine rĂ©alisĂ©e par Kathryn Bigelow.

 

Kathryn Bigelow, amĂ©ricaine, est connue pour ĂȘtre une gorgone-rĂ©alisatrice de  films membrĂ©s.  RĂ©alisatrice, amĂ©ricaine et gorgone, Bigelow  a sans doute beaucoup Ă  dire sur la question du genre. Et, elle le fait en poussant ses films comme une femme pourrait se mettre debout pour pisser.

 

J’avais dĂ©jĂ  vu- et aimĂ©- plusieurs de ses autres films. Hormis Point Break ( 1991) (je n’avais pas retenu qu’elle en Ă©tait la rĂ©alisatrice)

 

 

 

 

j’avais vu Strange Days ( 1995)

 

 

 

, K-19, le piĂšge des profondeurs ( 2002)

 

 

ou Démineurs ( 2008) au cinéma.

 

Avec ZERO DARK THIRTY, nouveau « film d’action Â», on entre cette fois dans une autre actualitĂ© politique rĂ©cente. La traque reconstituĂ©e, au cinĂ©ma, et la « fin Â» de Ben Laden.

 

 

Si ZERO DARK THIRTY m’avait plu pour sa rĂ©alisation, j’étais restĂ© trĂšs perplexe quant aux motivations morales de ce film.

RĂ©alisĂ© avant que les Etats-Unis (ou les Extra-Terrestres) ne nous « envoient Â» Donald Trump, ZERO DARK THIRTY  expĂ©die quand mĂȘme Ă  la face du Monde, que « America Rules ! Â» et que si l’on s’en prend aux Etats-Unis, on s’expose Ă  de sĂ©vĂšres « Retaliation Â» ( reprĂ©sailles) y compris mĂ©diatiques.

 

Je ne nie pas le trauma du 11 septembre 2001 pour les AmĂ©ricains. Cela est impossible. Mais cette façon de percevoir les Etats-Unis comme l’équivalent du « berceau de l’HumanitĂ© Â» et de justifier par ailleurs toutes les atrocitĂ©s, militaires ou autres, connues ou non, rĂ©alisĂ©es par les Etats-Unis m’a semblĂ© se confondre avec les intentions du film.

 

Une trĂšs mauvaise habitude :

Je parlais de l’acte de pisser debout tout Ă  l’heure. Et, j’ai dĂ©jĂ  racontĂ© cette histoire.

 

Lorsque j’étais allĂ© voir le film en salle, pratiquement Ă  sa sortie, j’avais commencĂ© Ă  prendre l’habitude, de me rendre aux toilettes en pleine sĂ©ance et de laisser mon sac dans la salle.

 

Trùs mauvaise habitude que j’ai perdue depuis.

 

 

A mon retour dans la salle, alors que je me rapprochais de ma place, j’avais Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© d’apercevoir deux silhouettes presque collĂ©es Ă  l’issue de secours. Debout. Et qui attendaient ou observaient. PlutĂŽt inquiĂštes Ă  leur attitude. Et, ce n’était pas pour pisser debout contre un des murs de la salle.

 

Car, alors que je commençais Ă  me diriger vers la rangĂ©e de fauteuils oĂč se trouvaient mes affaires, un homme, en dĂ©but de rangĂ©e m’avait alors demandĂ© :

 

« Elles sont Ă  toi, ces affaires ? Â». J’avais opinĂ© de la tĂȘte.

 

Il avait repris : « Quelle bande de cons ! Si tu les avais vus ! Â». J’avais alors compris que, sitĂŽt que mes affaires avaient Ă©tĂ© dĂ©couvertes sans leur propriĂ©taire- par quelques spectateurs- que pour plusieurs d’entre eux, le film Ă©tait soudainement devenu beaucoup plus rĂ©el dans la salle que sur le trĂšs grand Ă©cran.

 

Nous Ă©tions en 2012. Plus de dix ans aprĂšs les attentats du 11 septembre. Ben Laden avait Ă©tĂ© exĂ©cutĂ© un an plus tĂŽt par des forces spĂ©ciales amĂ©ricaines. C’était ce que nous racontait Zero Dark Thirty.

 

Je m’étais rassis.  Aucune Ă©quipe de dĂ©mineurs n’était venue investir la salle. Et j’avais regardĂ© la suite du film.

 

Je crois que les deux silhouettes prĂšs de la sortie de secours Ă©taient ensuite revenues s’asseoir. Mais je ne saurais jamais de quel film elles se souviennent le mieux.

 

Aujourd’hui, ce 16 juin 2021, et depuis plusieurs mois, nous parlons certes beaucoup de la pandĂ©mie du coronavirus, de ses variants et de ses vaccins. Mais, nous savons aussi que vingt ans aprĂšs Al QuaĂŻda et Ben Laden, que d’autres terrorismes subsistent, croissent et nous inquiĂštent de plus en plus. Qu’il s’agisse d’un terrorisme religieux, politique, Ă©conomique, climatique, ou sanitaire. Lequel a plusieurs visages et diffĂ©rentes façons de se manifester et de tuer. Que l’on parle de Daech, de l’extrĂȘme droite, de certaines positions catholiques intĂ©gristes, de la dĂ©forestation intensive ou d’autres pratiques devenues si courantes qu’on les oublie ou les banalise.

 

AprÚs tout ce bla-bla en préambule, je vais regarder à nouveau ce film et je vous en reparle.

 

 

« You Belong to me ! Â» ( Tu m’appartiens/ Je fais de toi de que je veux !/ Tu es ma chose ! Â»

Quelques jours sont passĂ©s depuis que j’ai commencĂ© Ă  rĂ©diger cet article. Entre-temps, la vie courante, parfois mourante, m’a Ă©loignĂ© du terrain de l’écriture.

 

Je me reprends en main ce matin.

 

DivinitĂ©s de la lecture ! Alors que les terrasses des restaurants sont de nouveau sorties des bĂąches de la pandĂ©mie du Coronavirus et que l’on peut, depuis quelques jours, marcher dans les rues Ă  visage dĂ©couvert et y « rĂ©cupĂ©rer Â» celui de son prochain ou de sa prochaine alors que l’on ne pouvait, depuis des mois, que tomber dans ses yeux.

 

Faites prospĂ©rer l’attention des lecteurs ! Et, multipliez, aussi, les cercles et les sangs de celles et ceux qui, autour, pourront et voudront bien lire ces phrases aux pleins poumons. Car, dĂ©jĂ , je « sais Â» que cet article, vautour de mon temps, sera plus long que prĂ©vu.

 

A peine dix minutes de Zero Dark Thirty ont été vues que, déjà, mes pensées se resserrent sur un certain nombre de proies.

 

 

En commençant Ă  revoir ce film, j’ai redĂ©couvert ce plaisir qu’il y a se recueillir en soi
en entrant dans un film. J’ai dĂ©jĂ  comparĂ© le fait d’aller dans une salle de cinĂ©ma au fait d’aller Ă  la messe. Pour moi, sur l’écran, comme sur ce que l’on entend et voit d’un reprĂ©sentant de la foi, on projette ce que l’on est. On regarde un film comme l’on est et comme on vit. Comme on a pu vivre. Ou comme l’on voudrait vivre. De lĂ  nous vient un certain nombre de nos certitudes par rapport Ă  une scĂšne, un film, un prĂȘche religieux.

 

On veut faire Ă©tablir pour vĂ©ritĂ© ce qui nous parle Ă  nous, personnellement. Ce que l’on a compris et « vu Â». Et on veut convaincre.

 

Je veux donc convaincre. Une fois de plus. Et, une fois de plus, je n’y parviendrai pas forcĂ©ment. Ou si peu. C’est notre histoire, Ă  tous.

 

J’entends des voix :

 

 

Je me rappelais de ma surprise Ă  voir l’acteur Reda Kateb au dĂ©but de ce film. Mais j’avais oubliĂ© ces « voix Â» vraisemblablement de victimes des attentats du 11 septembre 2001 comme celles des services de secours qui leur rĂ©pondent au tĂ©lĂ©phone et qui tentent de les rassurer. Si ! Si ! Tout va bien se passer, vous allez voir !  Â« Je vous aime ! Â» crie une victime dans un message tĂ©lĂ©phonique qu’elle laisse Ă  ses proches. Aucune image.

 

Que des voix.

 

Un Ă©cran noir. Le noir sans doute pour le deuil. Sans doute pour la pudeur. Sans doute pour parler directement Ă  nos Ă©motions et Ă  nos consciences. Directement. Sans artifice. S’exfiltrer de l’artifice qu’est l’exercice du cinĂ©ma
en passant par le cinĂ©ma, ce film Zero Dark Thirty. Par un collage entre le rĂ©el ou supposĂ© rĂ©el et la mise en scĂšne d’un film de cinĂ©ma :

 

Je n’ai pas vĂ©rifiĂ© si ces voix sont d’authentiques voix de victimes du 11 septembre 2001 Ă  New-York. Mais je le suppose. Je ne demande qu’à le croire. Voire : je trouverais presque indĂ©cent, moralement, d’en douter.

 

Des horreurs sĂ©parĂ©es et hiĂ©rarchisĂ©es :

 

Donc, lorsque le film dĂ©bute vraiment avec l’acteur Reda Kateb en position de terroriste torturĂ© afin qu’il permette de remonter la filiĂšre qui permettra d’attraper les responsables de cette horreur (les attentats du 11 septembre 2001), le premier but de la Kathryn Bigelow est atteint. Les deux horreurs sont sĂ©parĂ©es, hiĂ©rarchisĂ©es.

 

Il y a d’un cĂŽtĂ© cette horreur (les attentats du 11 septembre 2001) que l’on ne voit pas car on ne l’accepte pas. Parce qu’on la trouve ignoble. Et celle de la torture du terroriste (interprĂ©tĂ© donc par l’acteur Reda Kateb) que l’on va voir. Et accepter.

 

PremiĂšre remarque Ă  propos de cette phrase- « You Belong to Me ! Â» que Dan (l’acteur Jason Clarke) le tortionnaire en chef , visage dĂ©couvert ( le seul Ă  avoir son visage dĂ©couvert face au terroriste Ă©galement mis Ă  nu, bien que porteur d’un pantalon et d’un tee-shirt) active :

 

Nous « appartenons Â» presqu’autant Ă  la rĂ©alisatrice dĂšs ce moment du film que ce terroriste n’appartient Ă  Dan. Et, pour cela, moins de dix minutes de cinĂ©ma ont Ă©tĂ© nĂ©cessaires. On peut d’ores et dĂ©jĂ  saluer le Savoir faire de la rĂ©alisatrice. Se demander, si, dans notre vie courante, nous nous faisons, toujours, aussi rapidement manipuler.

 

Ou commencer à réprouver moralement son film.

 

Je n’ai pas encore tranchĂ© Ă  propos de ces questions alors que je rĂ©dige cet article.

 

Dominant/dominĂ©/domino :

 

 

Mais, « You Belong to me ! Â», c’est Ă©videmment, la phrase qui peut se dire de dominant Ă  dominĂ©. Que cette situation de domination soit visible ou invisible. DĂ©tectable ou indĂ©tectable. Dans la vie conjugale. Entre des parents et leurs enfants. Au travail. Entre riches et pauvres. Entre l’occident
et le reste du monde.

 

Cette phrase a donc deux faces. Elle Ă©tale aussi au grand jour, au travers de Dan, cette domination qu’entend continuer d’exercer l’Occident, via les Etats-Unis, ici, sur un membre du Moyen-Orient :

 

Ammar, interprĂ©tĂ© par l’acteur Reda Kateb.

 

Et, en exposant la dualitĂ© de cette phrase, Bigelow montre aussi une certaine responsabilitĂ© de l’Occident. Ammar, et celles et  ceux qui lui ressemblent, ne sont peut-ĂȘtre pas que des terroristes. Mais, peut-ĂȘtre, aussi, des personnes qui refusent d’appartenir Ă  l’Occident. Et d’ĂȘtre ses esclaves ou ses choses.

 

 Mais c’est peut-ĂȘtre, moi qui l’interprĂšte comme comme ça. D’autres, Ă  ma place, ne verront en Ammar qu’un bouffon terroriste qui va et doit en baver comme il le « mĂ©rite Â». Et les adeptes de cette croyance ( « Ammar/bouffon/terroriste/qui-doit-en-baver) vont prendre leur pied, et peut-ĂȘtre se lubrifier, devant les scĂšnes de torture.

 

SubtilitĂ©s : j’ai mes rĂšgles.

 

 

Sauf que Bigelow est plus subtile que ça.

 

 

J’avais oubliĂ© ce visage de femme « prĂ©gnante Â» (de femme enceinte) de Maya – l’actrice Jessica Chastain qui a le rĂŽle principal- qui assiste, d’abord avec une cagoule, Ă  la torture d’Ammar.

 

Dan ironise quant au fait que, pour sa premiĂšre mission, on lui confie un « cas Â» particuliĂšrement difficile en la personne d’Ammar. Et l’on peut penser que cette sĂ©quence de torture a de quoi l’éprouver comme elle Ă©prouverait toute personne qui dĂ©bute par ce genre de mĂ©thode. Comme pour toute initiation qui peut rappeler aussi, celle, trois ans plus tard, de Kate Macer (l’actrice Emily Blunt) face Ă  Alejandro ( l’acteur Benicio Del Toro) dans le Sicario rĂ©alisĂ© en 2015 par Denis Villeneuve.

Au premier plan, l’actrice Emily Blunt. DerriĂšre, Daniel Kaluuya dans « Sicario » de Denis Villeneuve ( 2015).

 

 

Attouchements/accouchement :

Stationed in a covert base overseas, Jessica Chastain plays a member of the elite team of spies and military operatives who secretly devoted themselves to finding Osama Bin Laden in Columbia Pictures’ electrifying new thriller directed by Kathryn Bigelow, ZERO DARK THIRTY.

 

 

Mais en revoyant Zero Dark Thirty, il me plait maintenant de me dire que Maya/ l’actrice Jessica Chastain est pĂąle au dĂ©but du film parce qu’elle est enceinte. Et cela me plait d’autant plus qu’une sĂ©ance de torture, un film, un jeu d’acteur est aussi un accouchement. Une sĂ©ance de torture, c’est aussi une sĂ©ance d’attouchements qui peut mal tourner en vue de provoquer un accouchement.

 

 

Bien des situations critiques, dans la vie, sont nos sĂ©rums de vĂ©ritĂ©. La sĂ©ance de torture  fait partie de ces sĂ©rums de vĂ©ritĂ©.

 

Ammar, Dan mais aussi Maya, dans cette scĂšne de torture, accouchent de leur vĂ©ritable visage Ă  un moment ou Ă  un autre. De ce fait, inutile de porter une cagoule et de se cacher derriĂšre elle. C’est sans doute la raison pour laquelle Dan n’en porte pas. D’abord parce qu’il a la certitude, comme il le rĂ©pond Ă  Maya, qu’Ammar ne sortira jamais de ce camp de torture. Mais, aussi, parce-que, comme le « hĂ©ros Â» du film DĂ©mineurs ( 2010) qui avait  valu l’Oscar Ă  Bigelow, Dan s’est totalement fondu dans sa fonction. Elle et lui ne font plus qu’un.

Un film paritaire

 

Maya, elle, en retirant sa cagoule, use sans doute d’une stratĂ©gie, pour, en se servant de sa vulnĂ©rabilitĂ© supposĂ©e, Ă©branler Ammar. Mais, elle montre aussi qu’elle est raccord avec cette sĂ©ance de torture.  Qu’elle est l’égale de Dan.

 

Maya/l’actrice Jessica Chastain

 

« You can Help Yourself by being truthful Â» ( vous pouvez vous en tirer en disant la vĂ©ritĂ©/ en vous montrant sincĂšre) rĂ©pond/ment-elle avec son assurance de Bambi Ă  Ammar, lorsque, laissĂ©e seule avec lui, celui-ci essaie d’en faire son alliĂ©e.

 

Zero Dark Thirty  est donc aussi un film paritaire Femme/homme.  Vis-Ă -vis de Dan, le mĂąle occidental, plutĂŽt macho et physique. Mais aussi vis-Ă -vis d’Ammar, terroriste islamiste qui, probablement, « voit Â» la femme comme l’infĂ©rieure de l’homme.

 

 Maya expose qu’elle est plus solide qu’elle ne le paraĂźt. C’est du reste, elle, qui convainc Dan de reprendre la sĂ©ance plus tĂŽt que celui-ci ne l’avait prĂ©vu. Et qui trouvera plus tard le subterfuge afin de faire parler Ammar
.

 

 

Ammar accouche, donc. Se dĂ©livre. Et montre un autre visage que celui qu’il montrait jusqu’alors. Jusqu’alors, Ammar montrait le visage d’un homme dĂ©terminĂ© Ă  rĂ©sister. « Notre mission durera cent ans Â» est une phrase attribuĂ©e Ă  des Jihadistes du film. Ammar partage sans doute cette pensĂ©e.

 

Mais, finalement « grĂące Â» Ă  Maya, Ammar s’ouvre. Et, la pĂąle Maya supplante -ou potentialise- la brutalitĂ© de Dan, le tortionnaire Ă©prouvĂ© et redoutĂ© : car, sans le travail prĂ©liminaire de Dan et d’autres, la seule apparition de Maya aurait peut ĂȘtre Ă©tĂ© insuffisante pour que la cuirasse d’Ammar ne se fissure.

 

 

Pour conclure avec la phrase « You Belong to me ! Â» avant de retourner revoir la suite du film :

Histoire de faire un peu de sĂ©mantique prĂ©tentieuse, « You Belong to me ! Â» est proche de l’expression « Longing for Â». « Se languir de
. Â».

 

La personne qui impose Ă  une autre son « Tu m’appartiens ! Â»/ « Tu es ma chose Â» lui dit aussi :

 

«  Je ne peux pas me passer de toi Â»/ Â« Tu me manques Â». «  Sans toi, je ne suis rien Â».

 

On retrouve donc dans ce « You Belong to Me ! Â»  de Dan son ambivalence envers Ammar. L’ambivalence de l’occident envers le Moyen-Orient. Le « With or Without you I can’t Live Â» ( «  Avec et sans toi, je ne peux pas vivre Â») chantĂ© entre-autre par le groupe –irlandais- U2 qui s’y connaĂźt en relations-poudriĂšres indissociables.

 

 

« Friandises Â» en filigrane

 

 

A travers Dan et Ammar, on peut aussi deviner en filigrane la Palestine et Israël.

 

Dan est donc sans doute moins libre qu’il n’y paraĂźt. MĂȘme si, bien-sĂ»r, en pratique, il est plus libre d’aller, de venir et d’agir qu’Ammar. Le personnage le plus libre du trio mais aussi de l’ensemble, dans cette scĂšne de torture, c’est vĂ©ritablement Maya. Elle vient pour cette scĂšne. Se permet de montrer son visage, sa faiblesse apparente. Puis, elle repart. Tous les autres, armĂ©s, baraquĂ©s, restent sur les lieux. CagoulĂ©s ou Ă  visage dĂ©couvert. Dan, aussi, comme Ammar, ne quittera sans doute jamais cet endroit de torture. Vous parlez d’un accomplissement dans une vie ?! Passer son temps Ă  torturer d’autres ĂȘtres humains. Autant travailler dans un abattoir industriel oĂč l’on tue Ă  la chaĂźne des animaux. Si Dan torture Ă  visage dĂ©couvert, c’est peut-ĂȘtre aussi parce qu’il a dĂ©jĂ  du mal Ă  respirer Ă  cet endroit. Et, cela va sans doute ĂȘtre de pire en pire pour lui.

 

Et, Ammar, terroriste meurtrier, dans sa position d’ĂȘtre condamnĂ© Ă  l’enfermement Ă  perpĂ©tuitĂ©, a quand mĂȘme aussi un statut de personnage tragique. Il lui sera nĂ©cessaire d’ĂȘtre sĂ»r que ses actions qui l’ont menĂ© Ă  finir lĂ  en valaient vĂ©ritablement la peine. Car en cas de moindre doute de sa part, son supplice Ă  rester lĂ , sera d’autant plus augmentĂ©.

 

Mais aprĂšs ces petites friandises, retournons maintenant revoir la suite du film.

 

Stationed in a covert base overseas, Jason Clarke plays a member of the elite team of spies and military operatives who secretly devoted themselves to finding Osama Bin Laden in Kathryn Bigelow’s electrifying new thriller, ZERO DARK THIRTY.

 

« Je voulais te dire Â»

 

Nous sommes Ă  la 43Ăšme minute du film et Dan apprend Ă  Maya :

 

« Je voulais te dire, je me tire d’ici. Je dois en ĂȘtre Ă  100. J’ai besoin d’une activitĂ© normale Â». Un peu plus tard, Dan affirmera : « Ils ont tuĂ© mes singes Â». Ses singes en captivitĂ©, « doubles Â» inversĂ©s de cette centaine d’hommes (on ne voit pas de femmes torturĂ©es dans le film de Bigelow. Cela fait peut-ĂȘtre partie de ses limites) que Dan a torturĂ©s Ă©taient sa Â« rĂ©serve Â» d’humanitĂ©. La disparition de  ses singes lui indique que sa jauge d’humanitĂ© est dĂ©sormais dans le rouge.

 

Cette scĂšne entre Maya et lui est un passage de tĂ©moin. La Maya que nous avons connue tout au dĂ©but n’est plus. MĂȘme si elle a toujours la mĂȘme allure. L’actrice Jessica Chastain passerait trĂšs bien en tant que crĂ©ature dans Alien. Ce qu’elle fera autrement, d’ailleurs, et avec rĂ©ussite, en 2019 dans le rĂŽle de Vuk dans X-Men : Dark Phoenix rĂ©alisĂ© par Simon Kinberg. Le professeur Xavier ( l’acteur James MacAvoy) lui demandant dans une scĂšne : « What Are You ?! Â» ( « Qu’est-ce que vous ĂȘtes ?! Â»).

Jessica Chastain (Ă  droite) dans le rĂŽle de Vuk face Ă  Sophie Turner dans le rĂŽle de Phoenix.

 

 

Mais je parlais de « grossesse Â» pour Maya au dĂ©but du film. Environ cinq ans aprĂšs le dĂ©but de son travail de terrain pour retrouver Ben Laden, il lui est dit :

 

« Je sais qu’Abou Ahmed est ton bĂ©bĂ©. Mais il faut couper le cordon Â». C’est une collĂšgue, amie et mĂšre de famille qui lui dit ça. Jessica (l’actrice Jennifer Ehle) qui se trouve sur le terrain depuis plus longtemps qu’elle.

 

Jessica.

 

President Obama on TV :

 

Avant de quitter le camp de torture, Dan avait prĂ©venu Maya que la politique allait changer. Et, donc, qu’il ne serait plus possible de pratiquer la torture de la mĂȘme maniĂšre.

 

A la 50Ăšme minute du film, on peut voir et entendre le PrĂ©sident Obama dĂ©clarer Ă  un journaliste :

 

« L’AmĂ©rique ne pratique pas la torture Â».

 

Vrai/faux ? Toujours est-il que Bigelow montre dans son film que les mĂ©thodes d’interrogation changent. Mais, aussi, que rĂ©cupĂ©rer des informations devient plus difficile. Faut-il, oui ou non pratiquer la torture ? Bigelow pose la question.

 

 

« I Believe I was spared to finish the Job Â» ( « Je crois que j’ai Ă©tĂ© choisie/Ă©lue pour finir le boulot ! Â».

Stationed in a covert base overseas, Jessica Chastain plays a member of the elite team of spies and military operatives who secretly devoted themselves to finding Osama Bin Laden in Columbia Pictures’ electrifying new thriller directed by Kathryn Bigelow, ZERO DARK THIRTY.

 

Les terroristes sont convaincus d’ĂȘtre des « Ă©lus de Dieu Â». Maya, aprĂšs avoir perdu plusieurs amis et avoir survĂ©cu Ă  un attentat, par cette phrase, est aussi portĂ©e par la mĂȘme conviction- d’ĂȘtre une Ă©lue- que ceux qu’elle combat.

 

Les annĂ©es passent. Et, jamais, Maya ne se lasse. «  Je vais tuer Ben Laden Â». Executive Woman version militaire, Maya ne compte pas ses heures.

 

 

Vers la fin du film, elle tient d’ailleurs tĂȘte mĂȘme Ă  certains de ses supĂ©rieurs et son niveau d’exigence  dĂ©passe le leur, pourtant situĂ©  » on a very high level ». 

From his command post inside the CIA, Mark Strong directs the fight against the world’s most dangerous man in Columbia Pictures’ revealing new thriller directed by Kathryn Bigelow, ZERO DARK THIRTY.

Tel Georges, l’acteur Mark Strong, qui, lors de sa premiĂšre apparition intimide particuliĂšrement ses hommes, Maya inclus. Georges, alors, veut des rĂ©sultats ! «  I want targets ! Â» ( Je veux des cibles !). « I want people to kill ! » ( Je veux des gens Ă  tuer ! « ).  Mais mĂȘme lui finit par faire du surplace. Et Maya le lui fait bien sentir. A travers ce face Ă  face que Georges subit, c’est sans doute l’immobilisme de la sociĂ©tĂ© que Bigelow dĂ©crit lorsqu’il s’agit de laisser un certain pouvoir dĂ©cisionnel Ă  des femmes. Car il s’en passe des semaines avant que la dĂ©cision de passer Ă  l’action ne tombe. Ces passages du film oĂč, au marqueur rouge, Maya Ă©crit avec colĂšre le nombre de jours qui passent avant que ne soit prise la grande dĂ©cision sont les seuls moments un peu « comiques Â» du film. Mais, aussi, trĂšs critiques. NĂ©anmoins, ces passages montrent aussi que certaines dĂ©cisions sensibles ne se prennent pas Ă  la lĂ©gĂšre.

 

Ensuite, une fois le feu vert donné, le film devient un western américain pur jus héliporté .

 

 

De Maya qui dit aux « garçons Â» : « Vous allez tuer Ben Laden pour moi Â». L’équivalent de : «  Soyez des bons et grands garçons ! Faites plaisir Ă  maman ! Â» Aux blagues viriles et trompe-la-mort en plein vol (« Qui s’est dĂ©jĂ  crashĂ© en hĂ©licoptĂšre ? Â»).

 

 

« For God and country : Geronimo Â» : ( «  Pour Dieu et la Patrie : Geronimo (objectif atteint)

 

Ce n’est pas la premiĂšre fois que j’entends un AmĂ©ricain parler de « Dieu Â» dans beaucoup de ses propos. Mais invoquer Dieu, la Patrie, un ancien chef Indien- mĂȘme si c’est en langage codĂ©- qui, comme d’autres, a vu ses peuples exterminĂ©s et dĂ©possĂ©dĂ©s de leurs terres par les colons europĂ©ens, pour confirmer le succĂšs d’une opĂ©ration, m’a fait un drĂŽle d’effet. Ces paradoxes font partie de l’identitĂ© amĂ©ricaine.

 

Le contraire d’un film ratĂ©

 

 

Quoiqu’il en soit, raconter ces presque dix ans de traque de Ben Laden en seulement deux heures et vingt quatre minutes m’a laissĂ© l’impression d’une trĂšs grande maitrise cinĂ©matographique.

 

Zero Dark Thirty est le contraire d’un film ratĂ©. Concernant mes interrogations morales du dĂ©but quant aux intentions de ce film, Bigelow montre aussi le prix plus qu’élevĂ© que cette traque a coĂ»tĂ© aux AmĂ©ricains.  En logistique, en dollars, mais aussi en vies humaines. Et, encore, Bigelow ne s’attarde-t’elle pas sur les Ă -cĂŽtĂ©. Je n’envie pas la vie personnelle d’une Maya ou d’un Dan.

 

L’apothĂ©ose de la vie de Maya aurait pu ĂȘtre de reconnaĂźtre le visage d’un ĂȘtre cher Ă  sa naissance ou lors d’une rencontre amoureuse. Il consistera Ă  confirmer l’identitĂ© d’un mort qu’elle « suit Â» depuis des annĂ©es. Il y a des destinĂ©es plus heureuses.

 

Stationed in a covert base overseas, Jessica Chastain (center) plays a member of the elite team of spies and military operatives who secretly devoted themselves to finding Osama Bin Laden in Columbia Pictures’ electrifying new thriller directed by Kathryn Bigelow, ZERO DARK THIRTY.

 

Donc que Maya pleure un peu Ă  la fin du film, est, pour moi, la moindre des choses. Car je ne vois pas quelle paire de bras pourra jamais l’étreindre suffisamment afin de pouvoir l’extraire de cette cellule, oĂč, pendant plus de dix annĂ©es elle a passĂ© sa vie Ă  dĂ©sirer un cadavre.

 

Franck Unimon, ce jeudi 24 juin 2021.

 

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