Rentrée des classes
La rentrĂ©e des classes sâest bien passĂ©e ce matin. Il y avait du givre sur le pare-brise de certaines voitures. Il faisait plus froid que ce Ă quoi je mâattendais.
Nous sommes arrivĂ©s avec environ cinq minutes dâavance. Dâautres parents, une majoritĂ© de mamans, Ă©taient dĂ©jĂ prĂ©sents.
HĂ©bĂ©tĂ© devant lâĂ©cole, et sĂ»rement aussi par mes pensĂ©es alors que je regardais ma fille sâĂ©loigner dans la cour, je nâai pas tout de suite entendu lorsque la maman dâune des copines de ma fille mâa saluĂ© et souhaitĂ© « Bonne annĂ©e ! ». La petite Ă©tait Ă©galement lĂ , souriante. Jâai remerciĂ© la maman et lui ai aussi adressĂ© les mĂȘmes vĆux. Jâavais oubliĂ© ce rituel social auquel je suis pourtant attachĂ©.
Câest Ă©galement par surprise que la maitresse de ma fille mâa en quelque sorte adressĂ© ses meilleurs vĆux. Je voulais juste lui dire bonjour et, comme elle avait eu quelques mots pour ma fille venue Ă sa rencontre, mâassurer que tout allait bien. Et puis, devant moi, avec son sourire et son attention amplifiĂ©es, Ă en ĂȘtre illuminĂ©e, jâai compris que mes quelques mots de politesse Ă©taient pour elle une extraordinaire source dâencouragement et de sympathie. CâĂ©tait le premier jour de la rentrĂ©e des classes, ce lundi 6 janvier 2020, aprĂšs les vacances de NoĂ«l, et, dĂ©jĂ , par son attitude, la maitresse de ma fille signalait quâelle Ă©tait prĂ©sente au poste et prĂȘte Ă repartir Ă lâassaut de lâenseignement avec le sourire. Quelles que soient les difficultĂ©s ! Quel que soit le mal infligĂ© et refait Ă lâĂ©cole publique !
Je me suis tu. Je me suis contentĂ© dâacquiescer en souriant. Et de partir. En rentrant, jâai retrouvĂ© la longue file de voitures qui attendait au feu rouge en bas de chez nous. Et jâai vu filer sur la gauche vers le feu, en short, casque et sac Ă dos, sur son vĂ©lo, un homme noir qui partait sans doute au travail.
Jâavais prĂ©vu dâĂ©crire la troisiĂšme partie ( CrĂ©dibilitĂ© 2 ) de CrĂ©dibilitĂ© : A Lâassaut des PyrĂ©nĂ©es tout en me demandant si cela aurait un intĂ©rĂȘt particulier pour dâautres. Il a suffi de cette rentrĂ©e de classe de tout Ă lâheure pour que jâopte de parler dâabord du livre New York Vertigo de Patrick Declerck que jâai pris le temps de terminer hier soir avant de me coucher.
Ce qui venait de se passer en ramenant ma fille Ă lâĂ©cole mâavait peut-ĂȘtre donnĂ© ma rĂ©ponse devant son pessimisme envers lâHumanitĂ© ( « LâespĂšce est pourrie ») quâil justifiait- Ă nouveau- simplement et magistralement dans les 120 petites pages de son dernier ouvrage Ă ce jour.
Avant de lire New York Vertigo paru en 2018 que jâavais achetĂ© sans doute Ă sa sortie, jâavais lu quelques commentaires sur le net sur plusieurs de ses livres. Le dithyrambe cĂŽtoyait le sarcasme et la menace fantĂŽme.
Patrick Declerck fait partie des personnalitĂ©s que jâai trĂšs vite pensĂ© interviewer pour mon blog balistiqueduquotidien.com. Mais je me suis aussi rapidement dit quâavant dâessayer de le faire, quâil faudrait dâabord que mon blog ait du fond. Et, du fond, pour moi, cela peut-ĂȘtre autant bien Ă©tudier lâĆuvre et la vie de la personne que lâon souhaite interviewer que, soi-mĂȘme, poser sur la table une partie de son bagage personnel qui va donner envie Ă la personne interviewĂ©(e) de nous rencontrer et de se livrer. Beaucoup trop dâinterviews voire de rencontres se rĂ©sument Ă un Ă©change de balles de ping-pong, oĂč, dâun cĂŽtĂ©, une personne rĂ©pond Ă des demandes et Ă des sollicitations formulĂ©es par des centaines ou des milliers dâanonymes, qui, dans les grandes lignes, malgrĂ© toute leur sincĂ©ritĂ© et leurs efforts dâoriginalitĂ©, restent des stĂ©rĂ©otypes. Cet Ă©change, plutĂŽt quâune rencontre, se limite donc souvent Ă une fonction promotionnelle. Si toute campagne de promotion compte pour la rĂ©ussite de nos projets (pour ĂȘtre embauchĂ© quelque part ou pour aborder et sĂ©duire une personne qui nous plait, il faut bien dâabord commencer par rĂ©ussir sa promotion personnelle) les vĂ©ritables rencontres, pour sâĂ©tablir, et durer, ont besoin de plus que des compliments, des promesses et des sourires. Mais, bien-sĂ»r, tout est affaire de moment, de tempĂ©rament et de prioritĂ© : certaines personnes prĂ©fĂšrent privilĂ©gier, en toutes circonstances, leur promotion et leur satisfaction personnelle. Dâautres, peut-ĂȘtre par ignorance ou par faiblesse, vont chercher Ă bĂątir des rencontres. Y compris, parfois, dans les pires conditions.
Patrick Declerck avait pu faire « parler » de lui en 2001 avec son livre Les NaufragĂ©s de la terre- avec les clochards de Paris. Psychanalyste et anthropologue, il consacrait alors une grosse partie de son temps Ă la question des SDF. Il a Ă©crit dâautres livres :
Garanti sans moraline, Socrate dans la nuit, ou CrĂąne sur son intervention chirurgicale, alors quâil Ă©tait Ă©veillĂ©, pour exfiltrer une tumeur.
New York Vertigo est le seul livre que jâai lu de lui. Les NaufragĂ©s de la terre et Garanti sans moraline sont pourtant dans ma bibliothĂšque depuis des annĂ©es. Plus de dix ans en ce qui concerne son livre Les NaufragĂ©s de la terre. Depuis, sur le sujet des SDF, un mĂ©decin-psychiatre spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions mâa conseillĂ© lâouvrage De la prĂ©caritĂ© sociale Ă lâauto-exclusion : une confĂ©rence debat Ă©crit par Jean Furtos. Je lâai aussi achetĂ© mais je ne lâai pas encore lu.
« Câest trop tard ! » avait dit Patrick Declerck.
Ce jour-lĂ , Patrick Declerck, grand et massif, avait mis dans le magnĂ©toscope une cassette VHS. Sur le tĂ©lĂ©viseur, avec lui, nous avions dĂ©couvert un entretien. Un SDF Ă©tait interviewĂ© par quelquâun. SitĂŽt lâinterview lancĂ©e, Patrick Declerck sâĂ©tait installĂ© par terre, devant le tĂ©lĂ©viseur, nous tournant pratiquement le dos. DĂ©jĂ crĂąne rasĂ©, Il portait un long manteau en laine Ă©paisse de couleur sombre. Sortant un calepin, il avait commencĂ© Ă prendre des notes. CâĂ©tait la premiĂšre fois que je voyais ça. CâĂ©tait sĂ»rement la premiĂšre fois que nous voyions, tous, quel que soit notre Ăąge un des intervenants venant nous faire cours avoir ce genre de comportement. Ordinairement, tous les autres intervenants nous faisaient cours en nous faisant face. La plupart du temps, assis sur une chaise ou debout.
CâĂ©tait il y a trente ans. Peut-ĂȘtre un peu plus. Et nous Ă©tions une vingtaine dâĂ©lĂšves-infirmiers (ĂągĂ©s de 18-19 ans Ă 30 ans) avec lui dans la salle de cours de lâhĂŽpital de Nanterre qui sâappelait encore la Maison de Nanterre et qui Ă©tait une ancienne prison pour femmes Ă ce que mâavait dit ma mĂšre. La Maison de Nanterre, oĂč ma mĂšre et deux de mes tantes ont travaillĂ© comme femmes de mĂ©nage (ASH) puis comme aides-soignantes, a longtemps Ă©tĂ© sous la tutelle de la PrĂ©fecture de Paris. Je lâai connue dĂšs mon enfance avec ses SDF stationnĂ©s Ă lâarrĂȘt du bus 304 mais aussi avec ses SDF devenus « rĂ©sidents » permanents Ă lâhĂŽpital. Avec son pain qui Ă©tait fait sur place et auquel nous avions droit pendant des annĂ©es alors que ma mĂšre y travaillait.
« Câest trop tard ! ».
CâĂ©tait trop tard selon Patrick Declerck parce-que lâintervieweur avait trop attendu pour poser au SDF la bonne question.
Il me reste peu de souvenirs du contenu du cours de Patrick Declerck. Je crois lâavoir recroisĂ© ensuite, ou avant, lors de mon stage de quelques semaines au CASH dirigĂ© alors par le Dr Patrick Henry et qui proposait des soins, une consultation sociale et un hĂ©bergement aux SDF qui le souhaitaient. Je me rappelle que la majoritĂ© des SDF rencontrĂ©s, transportĂ©s depuis Paris dans des bus de la RATP, prĂ©fĂ©raient retourner Ă la rue. Et aussi que lâun dâentre eux qui portait des lunettes, dâorigine vietnamienne pour moitiĂ©, avait Ă son poignet une montre Ă aiguilles de grande valeur. Cet homme « prĂ©sentait » plutĂŽt bien. Il nâavait rien du pochtron ambulant. Il nâĂ©tait pas- encore- marquĂ© physiquement par lâalcool ou par la vie dans la rue. Jâavais alors entre 19 et 21 ans et avant ces Ă©tudes dâinfirmier, je venais du lycĂ©e, Bac B, option Economie.
Maintenant, et, depuis des annĂ©es, pour Patrick Declerck, « lâespĂšce (humaine) est pourrie ». Il ne parle pas des SDF. Je sais quâil a Ă©crit « Je les hais autant que je les aime ». Je sais aussi quâil dit prĂ©fĂ©rer leur proximitĂ© et celle de bien des marginaux Ă celle de tant de personnes bien propres sur elles. Son humour noir Ă la Cioran ou Ă la Pierre Desproges est une carie morale pour dâautres. Trop de pessimisme et de cynisme dĂ©priment et dĂ©couragent. La princesse LeĂŻa le rappelle dans le dernier Star Wars Ă©pisode IX : lâAscension de Skylwalker de J.J Abrams, film oĂč mon passage prĂ©fĂ©rĂ© est celui sur lâĂ©toile morte.
Bien des survivalistes affirmeront sĂ»rement aussi que pour sâen sortir, garder le moral fait partie des conditions nĂ©cessaires. Par lâhumour, par lâart, par toute activitĂ© et rĂ©crĂ©ation morale, intellectuelle, spirituelle ou physique qui permet de maintenir tout Ă©lan vital et toute forme dâespoir.
Mais avec son aplomb, son expĂ©rience de professionnel de terrain underground et sa culture de phacochĂšre, les arguments de Patrick Declerck nous encornent plusieurs fois. Et, Ă ce jour, je ne connais pas de matador, qui, dans lâarĂšne ou dans la jungle, se soit prĂ©sentĂ© face Ă un rhinocĂ©ros.
La Religion ? « Une illusion pleine dâavenir » selon Freud, son maitre Ă penser. Et dans son New York Vertigo, Patrick Declerck, Ă travers le 11 septembre 2001, nous reparle, prĂ©cisĂ©ment et techniquement, voire de façon balistique, des attentats islamistes.
De mon cĂŽtĂ©, mĂȘme sâil est parfaitement autonome, je peux lâaider question religion en tant qu « illusion pleine dâavenir ».
Ce week-end, alors que jâĂ©crivais CrĂ©dibilitĂ© 2, ma compagne mâa appris « lâhistoire » de « Madame Desbassayns » ou Marie Anne ThĂ©rĂšse Ombline Desbassayns nĂ©e Gonneau-Montbrun de lâĂźle de la RĂ©union.
Riche hĂ©ritiĂšre, cette demoiselle Gonneau-Montbrun, en devenant la femme de « Monsieur Desbassayns », est ensuite devenue, une fois veuve, « une grande propriĂ©taire fonciĂšre de lâĂźle de la RĂ©union ». GrĂące aussi Ă ses esclaves.
Selon le site wikipédia, on peut lire que son image est controversée à la Réunion.
Elle aurait Ă©tĂ© une fĂ©roce esclavagiste. Pourtant « DĂšs le XIXĂšme siĂšcle, ses invitĂ©s et ses proches politiques la couvrent dâĂ©loges. Le gouverneur Milius la surnomme mĂȘme « la seconde providence ». Et, toujours sur le site wikipĂ©dia, on peut lire que « Madame Desbassayns » Ă©tait « dâune ferveur religieuse intense ». Mais aussi quâelle a connu le privilĂšge supplĂ©mentaire de dĂ©cĂ©der (Ă 91 ans !) deux ans avant lâabolition de lâesclavage Ă la RĂ©union ainsi quâaux Antilles. En lisant ça, comme Patrick Declerck, je me suis aussi dit que « la religion est une illusion pleine dâavenir » et que « lâespĂšce (humaine) est pourrie ».
Je crois que la religion ou internet sont, jâallais dire, de trĂšs bonnes inventions. Et que la science, aussi, permet de trĂšs bonnes inventions. Mais quâensuite, malheureusement, ça tourne mal car ce qui fait la diffĂ©rence, câest ce que lâon en fait. Ce qui fait la diffĂ©rence, câest nos intentions lorsque lâon dispose de tels instruments de pouvoir et de contrĂŽle.
« Pouvoir et contrĂŽle » sont les deux carburants, les deux aimants, du tueur en sĂ©rie mâavait en quelque sorte rĂ©sumĂ© un jour StĂ©phane Bourgoin, spĂ©cialiste des tueurs en sĂ©rie. Mais, contrairement Ă des chefs religieux, Ă des industriels ou Ă des hommes politiques, les tueurs en sĂ©rie sont gĂ©nĂ©ralement privĂ©s de projets pour le monde et la sociĂ©tĂ©. Pour ce que jâai compris des tueurs en sĂ©rie, leur prioritĂ© est leur « petite » entreprise de destruction qui a dĂ©jĂ suffisamment de rĂ©percussions douloureuses sur leurs victimes et leurs proches.
Les chefs religieux, les industriels et les hommes politiques, eux, prĂ©voient leurs projets sur une grande Ă©chelle : une Ă©chelle de masse. Et ça marche. Ăa a marchĂ© et ça marchera encore, nous affirme Patrick Declerck dans son New York Vertigo. Et on est obligĂ© de le croire. Car on « sait » quâil a des arguments. Et les quelques uns dont il nous fait lâobole dans son livre sont intraitables et incurables.
Patrick Declerck, homme de connaissances autant que dâexpĂ©riences de lâĂȘtre humain, me fait penser Ă des personnalitĂ©s comme les avocats Jacques Verges (qui Ă©tait rĂ©unionnais) et Eric Dupont-Moretti. Des personnes qui, Ă un moment de leur vie, me donnent lâimpression dâavoir vĂ©cu lâexpĂ©rience « de trop » qui les a dĂ©routĂ©s de maniĂšre dĂ©finitive de certaines illusions concernant lâespĂšce humaine. Peut-ĂȘtre que mes comparaisons sont mauvaises et que cela me sera reprochĂ© par les deux vivants qui restent (Declerck et Dupont-Moretti) par leurs dĂ©tracteurs, par leurs proches ou leurs admirateurs.
« LâespĂšce humaine est pourrie ». Et, pourtant, jâaimerais savoir, si un jour je rencontre Patrick Declerck et Eric Dupont-Moretti, ce qui les maintient encore en vie. Et dans le plaisir. Jâimagine facilement Patrick Declerck me rĂ©pondre laconiquement quâil lui manque tout simplement le courage de se suicider. Ou quâil cultive une sorte de lĂ©thargie et de jouissance morbide, sorte de protubĂ©rance parallĂšle Ă sa conscience, Ă ĂȘtre tĂ©moin de cette « dĂ©bauche gĂ©nĂ©rale ».
Et puis, jâai emmenĂ© ma fille Ă lâĂ©cole tout Ă lâheure. Puis, je suis revenu de lâĂ©cole.
Dans New-York Vertigo, Patrick Declerck se moque aussi, Ă©tude clinique Ă lâappui, du prĂ©sident amĂ©ricain actuel, Donald Trump et « lâexhorte » Ă appuyer sur le bouton rouge car il y aura bientĂŽt dix milliards dâĂȘtres humains en 2050. Soit dix milliards de reprĂ©sentants de cette espĂšce, notre espĂšce, qui dĂ©truit la planĂšte, tue, viole, massacre.
Lâhumour du dĂ©sespoir.
Si Patrick Declerck avait Ă©crit son livre ce mois-ci, il aurait sĂ»rement parlĂ© de la fuite rĂ©cente, mĂ©prisable et cocasse du Japon de Carlos Ghosn, PDG de Renault-Nissan, alors quâil Ă©tait libĂ©rĂ© sous caution en attente de son jugement lĂ -bas. Pendant ce temps-lĂ , en France, le gouvernement Macron-Philippe manĆuvre pour dĂ©truire la rĂ©sistance sociale. Oui, « lâespĂšce est pourrie ».
Il y aura donc dix milliards dâĂȘtres humains sur Terre en 2050. Et la Chine sera peut-ĂȘtre alors la PremiĂšre Puissance mondiale incontestĂ©e. Pour lâinstant, les Etats-Unis sont encore cette PremiĂšre Puissance mondiale. Sâil y a encore une Terre dans trente ans. Sâil y a encore des ĂȘtres humains vivants sur Terre dans trente ans. Si je suis aussi obsĂ©dĂ© par la Chine depuis quelques temps, câest parce-que jâai perdu ce regard fascinĂ© et sentimental que je pouvais avoir avant sur la Chine et sa culture. Si la culture de la Chine existe bien-sĂ»r et est aussi admirable que bien dâautres cultures, je perçois aujourdâhui davantage ce que la Chine recĂšle comme capitalisme et rĂ©gime politique et social effrayants.
Pourtant, je crois ça : face Ă ces horreurs dont est capable lâĂȘtre humain, les enfants sont les champions du moment prĂ©sent. Nous, les adultes, Ă force dâextrapoler, de penser au passĂ© et Ă ce qui pourrait arriver de pire, nous en arrivons Ă dĂ©truire notre propre prĂ©sent. Parce- que nous nous faisons dĂ©former et tabasser en permanence dĂšs notre enfance. Et mĂȘme avant. Parce-que câest un combat titanesque que de sauvegarder, quotidiennement, une once dâenfance saine en soi et de lui Ă©viter la spĂ©culation financiĂšre et commerciale comme la benne Ă ordures. Et quâune fois adultes, il arrive que nous perdions ce combat titanesque. Aucun adulte ne peut sâexclamer, comme quelques rares boxeurs, quâil compte uniquement des victoires dans son parcours personnel.
Et je crois aussi que si nous continuons Ă vivre, Ă faire des enfants, Ă nous multiplier sur la Terre, malgrĂ© tous les signaux alarmants qui proviennent de nos propres comportements, câest parce quâil existe une raison- qui nous dĂ©passe- qui fait de nous des ĂȘtres douĂ©s pour la vie quelles que soient les conditions.
Ce qui est trĂšs difficile Ă accepter pour lâĂȘtre humain dâaujourdâhui, câest le tri sĂ©lectif.
MalgrĂ© ou Ă cause de toute sa science, de toute son Ă©rudition, de toutes ses solutions, lâĂȘtre humain voudrait pouvoir dĂ©cider de tout et avoir le choix absolu. Or, il doit continuer dâapprendre que ses possibilitĂ©s de choix et de libertĂ©s restent fugaces, volatiles, imprĂ©cises et limitĂ©es. Quâil suffit parfois dâune rue, dâune dĂ©cimale, dâune seconde, dâune virgule, dâun regard, dâun mot, pour quâun tri sâimpose Ă lui violemment.
A ses choix, Ă sa vie ou Ă celles et ceux de ses voisins et de ses proches. Et, cela, selon des critĂšres pour lesquels, rien ni personne ne lui demandera son avis. Notre vie moderne nous fait oublier constamment cet enseignement : nous sommes des corps soumis Ă un tri plutĂŽt que des fantĂŽmes et cela a un prix.
Ce prix peut ĂȘtre insupportable. Car nous croyons en cette illusion que, forts de nos savoirs, de nos connaissances et de notre puissance, que nous pouvons dĂ©cider de ce prix ou le nĂ©gocier. Parce-que, dâune certaine façon, nous nous croyons Ă©ternels ou irremplaçables sur Terre. Et, ça, câest aussi une sacrĂ©e illusion humaine pleine dâavenir. Contre ça, crier et pleurer peut peut-ĂȘtre soulager pendant quelques temps. Puis, il faudra vivre, si on le peut, parce-que câest tout ce qui nous restera.
Franck Unimon, ce lundi 6 janvier 2020.