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Rentrée des classes

 

                                                    RentrĂ©e des classes

La rentrĂ©e des classes s’est bien passĂ©e ce matin. Il y avait du givre sur le pare-brise de certaines voitures. Il faisait plus froid que ce Ă  quoi je m’attendais.

 

Nous sommes arrivĂ©s avec environ cinq minutes d’avance. D’autres parents, une majoritĂ© de mamans, Ă©taient dĂ©jĂ  prĂ©sents.

 

HĂ©bĂ©tĂ© devant l’école, et sĂ»rement aussi par mes pensĂ©es alors que je regardais ma fille s’éloigner dans la cour, je n’ai pas tout de suite entendu lorsque la maman d’une des copines de ma fille m’a saluĂ© et souhaitĂ© «  Bonne annĂ©e ! Â». La petite Ă©tait Ă©galement lĂ , souriante. J’ai remerciĂ© la maman et lui ai aussi adressĂ© les mĂȘmes vƓux. J’avais oubliĂ© ce rituel social auquel je suis pourtant attachĂ©.

 

C’est Ă©galement par surprise que la maitresse de ma fille m’a en quelque sorte adressĂ© ses meilleurs vƓux. Je voulais juste lui dire bonjour et, comme elle avait eu quelques mots pour ma fille venue Ă  sa rencontre, m’assurer que tout allait bien. Et puis, devant moi, avec son sourire et son attention amplifiĂ©es, Ă  en ĂȘtre illuminĂ©e, j’ai compris que mes quelques mots de politesse Ă©taient pour elle une extraordinaire source d’encouragement et de sympathie. C’était le premier jour de la rentrĂ©e des classes, ce lundi 6 janvier 2020, aprĂšs les vacances de NoĂ«l, et, dĂ©jĂ , par son attitude, la maitresse de ma fille signalait qu’elle Ă©tait prĂ©sente au poste et prĂȘte Ă  repartir Ă  l’assaut de l’enseignement avec le sourire. Quelles que soient les difficultĂ©s ! Quel que soit le mal infligĂ© et refait Ă  l’école publique !

 

Je me suis tu. Je me suis contentĂ© d’acquiescer en souriant. Et de partir. En rentrant, j’ai retrouvĂ© la longue file de voitures qui attendait au feu rouge en bas de chez nous. Et j’ai vu filer sur la gauche vers le feu, en short, casque et sac Ă  dos, sur son vĂ©lo, un homme noir qui partait sans doute au travail.

 

 

J’avais prĂ©vu d’écrire la troisiĂšme partie ( CrĂ©dibilitĂ© 2 )  de CrĂ©dibilitĂ© : A L’assaut des PyrĂ©nĂ©es   tout en me demandant si cela aurait un intĂ©rĂȘt particulier pour d’autres. Il a suffi de cette rentrĂ©e de classe de tout Ă  l’heure pour que j’opte de parler d’abord du livre New York Vertigo  de Patrick Declerck que j’ai pris le temps de terminer hier soir avant de me coucher.

Ce qui venait de se passer en ramenant ma fille Ă  l’école m’avait peut-ĂȘtre donnĂ© ma rĂ©ponse devant son pessimisme envers l’HumanitĂ© ( «  L’espĂšce est pourrie Â») qu’il justifiait- Ă  nouveau- simplement et magistralement dans les 120 petites pages de son dernier ouvrage Ă  ce jour.

 

 

 

Avant de lire New York Vertigo  paru en 2018 que j’avais achetĂ© sans doute Ă  sa sortie, j’avais lu quelques commentaires sur le net sur plusieurs de ses livres. Le dithyrambe cĂŽtoyait le sarcasme et la menace fantĂŽme.

 

 

Patrick Declerck fait partie des personnalitĂ©s que j’ai trĂšs vite pensĂ© interviewer pour mon blog balistiqueduquotidien.com. Mais je me suis aussi rapidement dit qu’avant d’essayer de le faire, qu’il faudrait d’abord que mon blog ait du fond. Et, du fond, pour moi, cela peut-ĂȘtre autant bien Ă©tudier l’Ɠuvre et la vie de la personne que l’on souhaite interviewer que, soi-mĂȘme, poser sur la table une partie de son bagage personnel qui va donner envie Ă  la personne interviewĂ©(e) de nous rencontrer et de se livrer. Beaucoup trop d’interviews voire de rencontres se rĂ©sument Ă  un Ă©change de balles de ping-pong, oĂč, d’un cĂŽtĂ©, une personne rĂ©pond Ă  des  demandes et Ă  des sollicitations formulĂ©es par des centaines ou des milliers d’anonymes, qui, dans les grandes lignes, malgrĂ© toute leur sincĂ©ritĂ© et leurs efforts d’originalitĂ©, restent des stĂ©rĂ©otypes. Cet Ă©change, plutĂŽt qu’une rencontre, se limite donc souvent Ă  une fonction promotionnelle. Si toute campagne de promotion compte pour la rĂ©ussite de nos projets (pour ĂȘtre embauchĂ© quelque part ou pour aborder et sĂ©duire une personne qui nous plait, il faut bien d’abord commencer par rĂ©ussir sa promotion personnelle) les vĂ©ritables rencontres, pour s’établir, et durer, ont besoin de plus que des compliments, des promesses et des sourires.  Mais, bien-sĂ»r, tout est affaire de moment, de tempĂ©rament et de prioritĂ© : certaines personnes prĂ©fĂšrent privilĂ©gier, en toutes circonstances, leur promotion et leur satisfaction personnelle. D’autres, peut-ĂȘtre par ignorance ou par faiblesse, vont chercher Ă  bĂątir des rencontres. Y compris, parfois, dans les pires conditions.

 

 

Patrick Declerck avait pu faire « parler Â» de lui en 2001 avec son livre Les NaufragĂ©s de la terre- avec les clochards de Paris. Psychanalyste et anthropologue, il consacrait alors une grosse partie de son temps Ă  la question des SDF. Il a Ă©crit d’autres livres :

Garanti sans moraline, Socrate dans la nuit, ou CrĂąne sur son intervention chirurgicale, alors qu’il Ă©tait Ă©veillĂ©, pour exfiltrer une tumeur.

 

New York Vertigo est le seul livre que j’ai lu de lui. Les NaufragĂ©s de la terre et Garanti sans moraline sont pourtant dans ma bibliothĂšque depuis des annĂ©es. Plus de dix ans en ce qui concerne son livre Les NaufragĂ©s de la terre. Depuis, sur le sujet des SDF, un mĂ©decin-psychiatre spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions m’a conseillĂ© l’ouvrage De la prĂ©caritĂ© sociale Ă  l’auto-exclusion : une confĂ©rence debat Ă©crit par Jean Furtos. Je l’ai aussi achetĂ© mais je ne l’ai pas encore lu.

 

 

«  C’est trop tard ! Â» avait dit Patrick Declerck. 

 

 

Ce jour-lĂ , Patrick Declerck, grand et massif, avait mis dans le magnĂ©toscope une cassette VHS. Sur le tĂ©lĂ©viseur, avec lui, nous avions dĂ©couvert un entretien. Un SDF Ă©tait interviewĂ© par quelqu’un. SitĂŽt l’interview lancĂ©e, Patrick Declerck s’était installĂ© par terre, devant le tĂ©lĂ©viseur, nous tournant pratiquement le dos. DĂ©jĂ  crĂąne rasĂ©, Il portait un long manteau en laine Ă©paisse de couleur sombre. Sortant un calepin, il avait commencĂ© Ă  prendre des notes. C’était la premiĂšre fois que je voyais ça. C’était sĂ»rement la premiĂšre fois que nous voyions, tous, quel que soit notre Ăąge un des intervenants venant nous faire cours avoir ce genre de comportement. Ordinairement, tous les autres intervenants nous faisaient cours en nous faisant face. La plupart du temps, assis sur une chaise ou debout.

 

C’était il y a trente ans. Peut-ĂȘtre un peu plus. Et nous Ă©tions une vingtaine d’élĂšves-infirmiers (ĂągĂ©s de 18-19 ans Ă  30 ans) avec lui dans la salle de cours de l’hĂŽpital de Nanterre qui s’appelait encore la Maison de Nanterre et qui Ă©tait une ancienne prison pour femmes Ă  ce que m’avait dit ma mĂšre. La Maison de Nanterre, oĂč ma mĂšre et deux de mes tantes ont travaillĂ© comme femmes de mĂ©nage (ASH) puis comme aides-soignantes, a longtemps Ă©tĂ© sous la tutelle de la PrĂ©fecture de Paris. Je l’ai connue dĂšs mon enfance avec ses SDF stationnĂ©s Ă  l’arrĂȘt du bus 304 mais aussi avec ses SDF devenus « rĂ©sidents Â» permanents Ă  l’hĂŽpital. Avec son pain qui Ă©tait fait sur place et auquel nous avions droit pendant des annĂ©es alors que ma mĂšre y travaillait.

 

 

«  C’est trop tard ! Â».

 

 

 

C’était trop tard selon Patrick Declerck parce-que l’intervieweur avait trop attendu pour poser au SDF la bonne question.

 

Il me reste peu de souvenirs du contenu du cours de Patrick Declerck. Je crois l’avoir recroisĂ© ensuite, ou avant,  lors de mon stage de quelques semaines au CASH dirigĂ© alors par le Dr Patrick Henry et qui proposait des soins, une consultation sociale et un hĂ©bergement aux SDF qui le souhaitaient. Je me rappelle que la majoritĂ© des SDF rencontrĂ©s, transportĂ©s depuis Paris dans des bus de la RATP, prĂ©fĂ©raient retourner Ă  la rue. Et aussi que l’un d’entre eux qui portait des lunettes, d’origine vietnamienne pour moitiĂ©, avait Ă  son poignet une montre Ă  aiguilles de grande valeur. Cet homme « prĂ©sentait Â» plutĂŽt bien. Il n’avait rien du pochtron ambulant. Il n’était pas- encore- marquĂ© physiquement par l’alcool ou par la vie dans la rue. J’avais alors entre 19 et 21 ans et avant ces Ă©tudes d’infirmier, je venais du lycĂ©e, Bac B, option Economie.  

 

 

Maintenant, et, depuis des annĂ©es, pour Patrick Declerck, «  l’espĂšce (humaine) est pourrie Â». Il ne parle pas des SDF. Je sais qu’il a Ă©crit «  Je les hais autant que je les aime Â». Je sais aussi qu’il dit prĂ©fĂ©rer leur proximitĂ© et celle de bien des marginaux Ă  celle de tant de personnes bien propres sur elles. Son humour noir Ă  la Cioran ou Ă  la Pierre Desproges est une carie morale pour d’autres. Trop de pessimisme et de cynisme dĂ©priment et dĂ©couragent. La princesse LeĂŻa le rappelle dans le dernier Star Wars Ă©pisode IX : l’Ascension de Skylwalker de J.J Abrams, film oĂč mon passage prĂ©fĂ©rĂ© est celui sur l’étoile morte.

Bien des survivalistes affirmeront sĂ»rement aussi que pour s’en sortir, garder le moral fait partie des conditions nĂ©cessaires. Par l’humour, par l’art, par toute activitĂ© et rĂ©crĂ©ation morale, intellectuelle, spirituelle ou physique qui permet de maintenir tout Ă©lan vital et toute forme d’espoir.

Mais avec son aplomb, son expĂ©rience de professionnel de terrain underground et sa culture de phacochĂšre, les arguments de Patrick Declerck nous encornent plusieurs fois. Et, Ă  ce jour, je ne connais pas de matador, qui, dans l’arĂšne ou dans la jungle, se soit prĂ©sentĂ© face Ă  un rhinocĂ©ros.

 

 

La Religion ? «  Une illusion pleine d’avenir Â» selon Freud, son maitre Ă  penser. Et dans son New York Vertigo, Patrick Declerck, Ă  travers le 11 septembre 2001, nous reparle, prĂ©cisĂ©ment et techniquement, voire de façon balistique, des attentats islamistes.

De mon cĂŽtĂ©, mĂȘme s’il est parfaitement autonome, je peux l’aider question religion en tant qu «  illusion pleine d’avenir Â».

Ce week-end, alors que j’écrivais CrĂ©dibilitĂ© 2,  ma compagne m’a appris « l’histoire Â» de « Madame Desbassayns Â» ou Marie Anne ThĂ©rĂšse Ombline Desbassayns nĂ©e Gonneau-Montbrun de l’üle de la RĂ©union.

 

Riche hĂ©ritiĂšre, cette demoiselle Gonneau-Montbrun, en devenant la femme de « Monsieur Desbassayns Â», est ensuite devenue, une fois veuve, «  une grande propriĂ©taire fonciĂšre de l’üle de la RĂ©union Â». GrĂące aussi Ă  ses esclaves.

 

Selon le site wikipédia, on peut lire que son image est controversée à la Réunion.

Elle aurait Ă©tĂ© une fĂ©roce esclavagiste. Pourtant «  DĂšs le XIXĂšme siĂšcle, ses invitĂ©s et ses proches politiques la couvrent d’éloges. Le gouverneur Milius la surnomme mĂȘme «  la seconde providence Â». Et, toujours sur le site wikipĂ©dia, on peut lire que «  Madame Desbassayns Â» Ă©tait «  d’une ferveur religieuse intense Â».  Mais aussi qu’elle a connu le privilĂšge supplĂ©mentaire de dĂ©cĂ©der (Ă  91 ans !) deux ans avant l’abolition de l’esclavage Ă  la RĂ©union ainsi qu’aux Antilles. En lisant ça, comme Patrick Declerck, je me suis aussi dit que «  la religion est une illusion pleine d’avenir Â» et que «  l’espĂšce (humaine) est pourrie Â».

 

Je crois que la religion ou internet sont, j’allais dire, de trĂšs bonnes inventions. Et que la science, aussi, permet de trĂšs bonnes inventions. Mais qu’ensuite, malheureusement, ça tourne mal car ce qui fait la diffĂ©rence, c’est ce que l’on en fait. Ce qui fait la diffĂ©rence, c’est nos intentions lorsque l’on dispose de tels instruments de pouvoir et de contrĂŽle.

 

 

«  Pouvoir et contrĂŽle Â» sont les deux carburants, les deux aimants, du tueur en sĂ©rie m’avait en quelque sorte rĂ©sumĂ© un jour StĂ©phane Bourgoin, spĂ©cialiste des tueurs en sĂ©rie. Mais, contrairement Ă  des chefs religieux, Ă  des industriels ou Ă  des hommes politiques, les tueurs en sĂ©rie sont gĂ©nĂ©ralement privĂ©s de projets pour le monde et la sociĂ©tĂ©. Pour ce que j’ai compris des tueurs en sĂ©rie, leur prioritĂ© est leur « petite Â» entreprise de destruction qui a dĂ©jĂ  suffisamment de rĂ©percussions douloureuses sur leurs victimes et leurs proches.

 

Les chefs religieux, les industriels et les hommes politiques, eux, prĂ©voient leurs projets sur une grande Ă©chelle : une Ă©chelle de masse. Et ça marche. Ça a marchĂ© et ça marchera encore, nous affirme Patrick Declerck dans son New York Vertigo. Et on est obligĂ© de le croire. Car on « sait Â» qu’il a des arguments. Et les quelques uns dont il nous fait l’obole dans son livre sont intraitables et incurables.

 

Patrick Declerck, homme de connaissances autant que d’expĂ©riences de l’ĂȘtre humain, me fait penser Ă  des personnalitĂ©s comme les avocats Jacques Verges (qui Ă©tait rĂ©unionnais) et Eric Dupont-Moretti. Des personnes qui, Ă  un moment de leur vie, me donnent l’impression d’avoir vĂ©cu l’expĂ©rience «  de trop Â» qui les a dĂ©routĂ©s de maniĂšre dĂ©finitive de certaines illusions concernant l’espĂšce humaine. Peut-ĂȘtre que mes comparaisons sont mauvaises et que cela me sera reprochĂ© par les deux vivants qui restent (Declerck et Dupont-Moretti) par leurs dĂ©tracteurs, par leurs proches ou  leurs admirateurs.

 

« L’espĂšce humaine est pourrie Â». Et, pourtant, j’aimerais savoir, si un jour je rencontre Patrick Declerck et Eric Dupont-Moretti, ce qui les maintient encore en vie. Et dans le plaisir. J’imagine facilement Patrick Declerck me rĂ©pondre laconiquement qu’il lui manque tout simplement le courage de se suicider. Ou qu’il cultive une sorte de lĂ©thargie et de jouissance morbide, sorte de protubĂ©rance parallĂšle Ă  sa conscience, Ă  ĂȘtre tĂ©moin de cette Â« dĂ©bauche gĂ©nĂ©rale Â».

 

Et puis, j’ai emmenĂ© ma fille Ă  l’école tout Ă  l’heure. Puis, je suis revenu de l’école.

 

 

 

Dans New-York Vertigo, Patrick Declerck se moque aussi, Ă©tude clinique Ă  l’appui, du prĂ©sident amĂ©ricain actuel, Donald Trump et «  l’exhorte Â» Ă  appuyer sur le bouton rouge car il y aura bientĂŽt dix milliards d’ĂȘtres humains en 2050. Soit dix milliards de reprĂ©sentants de cette espĂšce, notre espĂšce, qui dĂ©truit la planĂšte, tue, viole, massacre.

 

L’humour du dĂ©sespoir.

 

Si Patrick Declerck avait Ă©crit son livre ce mois-ci, il aurait sĂ»rement parlĂ© de la fuite rĂ©cente, mĂ©prisable et cocasse du Japon de Carlos Ghosn, PDG de Renault-Nissan, alors qu’il Ă©tait libĂ©rĂ© sous caution en attente de son jugement lĂ -bas. Pendant ce temps-lĂ , en France, le gouvernement Macron-Philippe manƓuvre pour dĂ©truire la rĂ©sistance sociale. Oui, «  l’espĂšce est pourrie Â».

 

 

Il y aura donc dix milliards d’ĂȘtres humains sur Terre en 2050. Et la Chine sera peut-ĂȘtre alors la PremiĂšre Puissance mondiale incontestĂ©e. Pour l’instant, les Etats-Unis sont encore cette PremiĂšre Puissance mondiale. S’il y a encore une Terre dans trente ans. S’il y a encore des ĂȘtres humains vivants sur Terre dans trente ans. Si je suis aussi obsĂ©dĂ© par la Chine depuis quelques temps, c’est parce-que j’ai perdu ce regard fascinĂ© et sentimental que je pouvais avoir avant sur la Chine et sa culture. Si la culture de la Chine existe bien-sĂ»r et est aussi admirable que bien d’autres cultures, je perçois aujourd’hui davantage ce que la Chine recĂšle comme capitalisme et rĂ©gime politique et social effrayants.

 

Pourtant, je crois ça : face Ă  ces horreurs dont est capable l’ĂȘtre humain, les enfants sont les champions du moment prĂ©sent. Nous, les adultes, Ă  force d’extrapoler, de penser au passĂ© et Ă  ce qui pourrait arriver de pire, nous en arrivons Ă  dĂ©truire notre propre prĂ©sent. Parce- que nous nous faisons dĂ©former et tabasser en permanence dĂšs notre enfance. Et mĂȘme avant. Parce-que c’est un combat titanesque que de sauvegarder, quotidiennement, une once d’enfance saine en soi et de lui Ă©viter la spĂ©culation financiĂšre et commerciale comme la benne Ă  ordures. Et qu’une fois adultes, il arrive que nous perdions ce combat titanesque. Aucun adulte ne peut s’exclamer, comme quelques rares boxeurs, qu’il compte uniquement des victoires dans son parcours personnel.

 

Et je crois aussi que si nous continuons Ă  vivre, Ă  faire des enfants, Ă  nous multiplier sur la Terre, malgrĂ© tous les signaux alarmants qui proviennent de nos propres comportements, c’est parce qu’il existe une raison- qui nous dĂ©passe- qui fait de nous des ĂȘtres douĂ©s pour la vie quelles que soient les conditions.

 

Ce qui est trĂšs difficile Ă  accepter pour l’ĂȘtre humain d’aujourd’hui, c’est le tri sĂ©lectif.

 

MalgrĂ© ou Ă  cause de toute sa science, de toute son Ă©rudition, de toutes ses solutions, l’ĂȘtre humain voudrait pouvoir dĂ©cider de tout et avoir le choix absolu. Or, il doit continuer d’apprendre que ses possibilitĂ©s de choix et de libertĂ©s restent fugaces, volatiles, imprĂ©cises et limitĂ©es.  Qu’il suffit parfois d’une rue, d’une dĂ©cimale, d’une seconde, d’une virgule, d’un regard, d’un mot, pour qu’un tri s’impose Ă  lui  violemment.

A ses choix,  Ă  sa vie ou Ă  celles et ceux de ses voisins et de ses proches. Et, cela,  selon des critĂšres pour lesquels, rien ni personne ne lui demandera son avis.  Notre vie moderne nous fait oublier constamment cet enseignement : nous sommes des corps soumis Ă  un tri plutĂŽt que des fantĂŽmes et cela a un prix.

 

Ce prix peut ĂȘtre insupportable. Car nous croyons en cette illusion que, forts de nos savoirs, de nos connaissances et de notre puissance, que nous pouvons dĂ©cider de ce prix ou le nĂ©gocier. Parce-que, d’une certaine façon, nous nous croyons Ă©ternels ou irremplaçables sur Terre. Et, ça, c’est aussi une sacrĂ©e illusion humaine pleine d’avenir. Contre ça, crier et pleurer peut peut-ĂȘtre soulager pendant quelques temps. Puis, il faudra vivre, si on le peut, parce-que c’est tout ce qui nous restera.

 

 

Franck Unimon, ce lundi 6 janvier 2020.

 

 

 

 

 

 

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Crédibilité

Crédibilité 2

 

Certaines personnes sont payĂ©es pour tuer et en sont fiĂšres. Le personnel infirmier est gĂ©nĂ©ralement payĂ© pour s’exĂ©cuter.

 

J’écris et je pense parce que je ne peux pas m’en passer. Mais mes moyens sont limitĂ©s. L’envie, la bonne volontĂ©, le travail, l’humour- noir- et le sens du devoir peuvent ĂȘtre insuffisants pour convaincre.

En certaines circonstances, ces dispositions pourraient mĂȘme empĂȘcher de convaincre.

 

 

Les deux premiĂšres banques mondiales sont chinoises. La troisiĂšme est HSBC, une banque britannique, avant que le Brexit devienne bientĂŽt effectif. Je l’ai appris par notre future conseillĂšre bancaire qui a travaillĂ© une dizaine d’annĂ©es Ă  HSBC. J’aurais probablement pu l’apprendre par moi-mĂȘme en lisant un journal comme Les Echos par exemple ou un site qui parle d’économie. Mais ce genre d’informations me passe souvent au dessus de la tĂȘte. Je fais partie de toutes ces personnes qui ignorent Ă  quel point les changements et les Ă©volutions dans le monde de l’économie et de la finance ont une consĂ©quence directe Ă  court et moyen terme sur ma propre vie. Au lycĂ©e, j’avais pourtant suivi des cours d’économie. Et, dans ma propre vie, je connais et  ai pourtant plusieurs fois rencontrĂ© et croisĂ© des gens qui l’avaient trĂšs bien et trĂšs tĂŽt compris. Au point de dĂ©cider d’en faire un mĂ©tier et/ou une prioritĂ©. Mais je suis aussi le passager de mes alarmes personnelles. Et une fois que ces alarmes m’ont estimĂ© Ă  l’abri en termes de sĂ©curitĂ© de l’emploi, de satisfaction au travail, et de salaire pour subvenir Ă  mes « besoins Â», une fois adulte cĂ©libataire parti de chez de ses parents, ces alarmes se sont tues. Pendant des annĂ©es. Et je suis dans l’impossibilitĂ© d’affirmer si cet article est une alarme que je m’adresse Ă  moi-mĂȘme.

 

 

Pendant ce premier rendez-vous avec notre future conseillĂšre bancaire, une femme d’une cinquantaine d’annĂ©es, celle-ci avait voulu savoir ce que nous attendions d’une banque. Et si ma compagne et moi Ă©tions le genre de clients qui exigent un contact et une rĂ©ponse rapides par mail ou par sms et capables de quitter une banque au bout d’un ou deux ans sitĂŽt qu’ils ont trouvĂ© de meilleures conditions bancaires ailleurs. C’était la premiĂšre fois pour ma part qu’une conseillĂšre bancaire m’entreprenait de cette maniĂšre.

« Notre Â» autre conseillĂšre bancaire dans cette agence que nous allons quitter est une femme d’à peine une trentaine d’annĂ©es, arrivĂ©e Ă  l’agence il y a bientĂŽt deux ans, avec laquelle notre relation est lapidaire. J’ai toujours eu l’impression d’ĂȘtre un dossier, une fonction, un protocole ou un chiffre bas lors de nos quelques « contacts Â» que ce soit en direct ou par mail. Et, mĂȘme de cette façon, ses compĂ©tences en termes de « conseil Â» me semblent assez insolites. Elles pourraient peut-ĂȘtre inspirer une Ă©tude comportementale ou ethnographique.

 

Ma compagne et moi avons un compte commun depuis sept ans dans cette banque que nous allons quitter. Cette banque nous avait fait la meilleure offre pour un prĂȘt immobilier destinĂ© Ă  durer vingt ans Ă  l’origine. Le prĂȘt immobilier classique du couple qui se forme, s’officialise, dĂ©cide de faire vie commune et d’avoir un enfant. J’écris que c’est le « prĂȘt immobilier classique Â» en essayant de me mettre Ă  la place du conseiller bancaire voire de l’agent immobilier lambda qui prendrait connaissance notre projet.

 

Depuis la crĂ©ation de notre compte commun dans cette banque il y a bientĂŽt sept ans, nous avons eu trois conseillers bancaires. L’actuelle conseillĂšre est la troisiĂšme. A part peut-ĂȘtre la premiĂšre conseillĂšre bancaire qui nous avait « obtenu Â» notre prĂȘt bancaire, le second conseiller, avec lequel les relations Ă©taient correctes et qui faisait montre d’une compĂ©tence franche et tranquille, avait quittĂ© l’agence sans nous en informer.

 

Je suis dans cette banque que nous allons quitter depuis 1987. Nous allons la quitter parce qu’en passant par une femme courtier recommandĂ©e par un couple d’amis, « notre Â» nouvelle banque va nous permettre de gagner un an sur notre prĂȘt immobilier. Bien-sĂ»r, au prĂ©alable, j’avais Ă  nouveau sollicitĂ© notre banque actuelle. De par le passĂ©, j’avais pu obtenir une renĂ©gociation de notre prĂȘt immobilier. Pas cette fois.

 

L’homme le plus riche du monde s’appelle encore Jeff Bezos et il est AmĂ©ricain. C’est le PDG du site de vente en ligne, Amazon. Pendant quelques heures ou quelques jours, un Français (Pinault ou Arnault, je les confonds et je n’ai mĂȘme pas envie de vĂ©rifier la bonne orthographe de leur nom de famille) a Ă©tĂ© l’homme le plus riche du monde. C’était son ambition suprĂȘme dans sa vie, alors: devenir l’homme le plus riche du monde.  C’est peut-ĂȘtre encore sa plus grande ambition. Devenir le plus grand Picsou de la terre.

 

Pinault ou Arnault (que je “sais” ĂȘtre deux ennemis jurĂ©s) a aujourd’hui  Ă©tĂ© « rĂ©trogradĂ© Â» Ă  la troisiĂšme place de l’homme le plus riche du monde derriĂšre Jeff Bezos et Bill Gates. Bill Gates, Ă©galement amĂ©ricain, est devenu Ă©galement riche grĂące Ă  la forte croissance ces vingt ou trente derniĂšres annĂ©es de l’industrie et de l’économie numĂ©rique.

 

La richesse de ces trois hommes se compte en milliards d’euros ou de dollars. Celles et ceux qui les « suivent Â» dans ce classement des plus riches du monde, aussi. Leur niveau de « richesse Â» et de puissance dĂ©passe mon entendement. En terme de salaire, lorsque je commence Ă  penser Ă  une somme de 4000 Ă  4500 euros par mois, environ, je perds un peu « pied Â» :

Je ne sais pas ce que cela ferait de « toucher Â» autant d’argent. Je « sais Â» et m’imagine qu’en gagnant autant d’argent -et plus- que l’on peut « accĂ©der Â» Ă  certaines expĂ©riences particuliĂšres et que l’on peut aussi « acquĂ©rir Â» d’autres objets plus chers et aussi habiter dans de meilleurs quartiers. BĂ©nĂ©ficier, quand ça se passe bien, de meilleurs conseils – pour soi comme pour les siens- dans diffĂ©rents domaines.

Je « sais Â» qu’il y a un certain nombre de personnes riches qui gagnent bien plus que 4000 euros par mois que ce soit par des moyens lĂ©gaux ou illĂ©gaux. Mais, pour moi, actuellement, en France, ce samedi 4 janvier 2020, si l’on venait m’apprendre- ça n’arrivera pas- qu’à partir de maintenant, je toucherais 4000 euros au minimum tous les mois, j’aurais besoin d’un peu de temps pour bien saisir. Aujourd’hui, ce samedi 4 janvier 2020, si je cherche, en faisant un certain effort, je crois que je peux compter sur les doigts de mes mains, le nombre de personnes, parmi mes proches, que j’estime ou imagine toucher 4000 euros au minimum tous les mois. C’est ce que j’imagine. Ces personnes ne me le diront pas. Je ne le leur demanderai pas. Et ça me va trĂšs bien comme ça.

 

 

«  Vous savez combien gagne une infirmiĂšre ? Â» demande  une infirmiĂšre hilare et saoule, agenouillĂ©e prĂšs de lui, au flic ripoux qui vient de se rĂ©veiller dans le dernier film du Japonais Takashi Miike : First Love. Le Dernier Yakuza.

J’ai vu le film hier. AprĂšs Cats rĂ©alisĂ© par Tom Hooper. AprĂšs avoir vu la veille, Star Wars, Ă©pisode IX : l’Ascension Skylwalker, rĂ©alisĂ© par J.J Abrams.

 

J’aurais pu rĂ©pondre – gratuitement- Ă  l’infirmiĂšre du dernier film- trĂšs fĂ©ministe- de Takashi Miike mais elle ne m’aurait pas entendu. Et les spectateurs dans la salle (j’ai Ă©tĂ© surpris qu’il y ait autant de femmes) auraient Ă©tĂ© surpris.

Il y a quelques jours, une de mes collĂšgues m’a appris qu’une de nos collĂšgues plus jeune, diplĂŽmĂ©e depuis dix ans, touche 1600 ou 1700 euros par mois. Une autre, diplĂŽmĂ©e depuis cinq ou six ans : 1500 euros.

Comme j’en parlais dĂ©jĂ  un peu dans la premiĂšre partie de cet article ( CrĂ©dibilitĂ© ) pour lequel je n’avais pas prĂ©vu de suite, il est des heures de travail qui tardent Ă  ĂȘtre payĂ©es par notre hĂŽpital employeur :

 

Des heure de travail effectuées durant les week-end ou en heures supplémentaires.

 

Notre collĂšgue qui fait fonction de cadre-infirmier a appris Ă  une de mes collĂšgues qu’il en Ă©tait pour l’instant Ă  devoir solliciter Ă  nouveau l’administration de notre hĂŽpital pour qu’elle paie des heures de travail supplĂ©mentaires effectuĂ©es en aout de l’annĂ©e derniĂšre. Cela fait donc deux ou trois mois, facilement, dans notre service que nous sommes plusieurs Ă  voir notre salaire amputĂ© chaque mois de cent Ă  trois cents euros en moyenne.

 

A cela s’ajoute la grĂšve des transports en commun ( Jours de grĂšve ) en rĂ©gion parisienne depuis ce 5 dĂ©cembre pour protester contre la rĂ©forme de la retraite telle que tient Ă  la faire le gouvernement Macron-Philippe : une « retraite universelle Â», « pareille Â» pour « tous Â» quel que soit le type de travail que l’on aura effectuĂ© si j’ai bien compris. DĂ©sormais, on parle bien plus de la grĂšve des transports dans les mĂ©dia et entre nous que du mouvement des gilets jaunes qui a dĂ©butĂ© il y a plus d’un an.

 

Le gouvernement actuel Macron-Philippe (Emmanuel Macron, pour le PrĂ©sident de la RĂ©publique/ Edouard Philippe, pour le Premier Ministre), comme d’autres gouvernements avant eux, entend Ă  la fois repousser l’ñge du dĂ©part Ă  la retraite mais aussi, avec sa « retraite universelle Â», Ă©liminer les avantages dont disposent certaines professions concernant l’ñge de dĂ©part Ă  la retraite. Ainsi que la façon dont est calculĂ©e le montant des pensions de retraite. Ce serait selon eux ( Macron et Philippe) une retraite plus « juste Â».

 

Si on est infirmier en catĂ©gorie B, en catĂ©gorie ” active” , on pouvait auparavant partir Ă  la retraite, si on le souhaitait, Ă  partir de 57 ou 59 ans, Ă  condition d’avoir accompli un certain nombre de trimestres travaillĂ©s (180 ?). Cet Ăąge de dĂ©part Ă  la retraite a Ă©tĂ© repoussĂ© ou va l’ĂȘtre Ă  62 ans. Puis, Ă  63 ou 64 ans. Si l’on est infirmier en catĂ©gorie A, en catĂ©gorie « sĂ©dentaire Â», ce qui est le cas pour tout (es) les jeunes infirmier(es) diplĂŽmĂ©(es) ou pour celles et ceux qui avaient choisi d’ĂȘtre dans cette catĂ©gorie, le dĂ©part Ă  la retraite est plutĂŽt prĂ©vu pour
67 ans.

Chaque mĂ©tier a ses contraintes et ses pĂ©nibilitĂ©s spĂ©cifiques. Je n’aimerais pas ĂȘtre caissier, manutentionnaire, ouvrier sur un chantier ou policier comme « agent de la paix Â» dans la rue depuis vingt ans.

 

Le mĂ©tier d’infirmier consiste Ă  manger de la souffrance et de la violence en permanence lors de nos heures de travail.  Qu’est-ce que tu manges ? De l’avocat ? Non, des angoisses de mort dont la date de pĂ©remption est illisible.

Et toi ? Moi ?  Juste une petite guimauve paranoĂŻaque incestueuse rĂ©cidiviste. 

 

Dans les offres de poste d’infirmier en psychiatrie , il est frĂ©quent de lire les mises en garde suivantes:

Risque d’agression physique et verbale lors d’un contact avec certains patients en situation de crise et d’agitation et/ou des familles en Ă©tat d’agressivitĂ©.

Risque de contamination par contact avec des virus lors de la manipulation du matĂ©riel souillĂ© (piqĂ»re, coupure, projection, griffures, morsures….)

Risque de contamination parasitaire du fait des soins quotidiens auprĂšs des patients ( poux, gale…)

DĂ©veloppement de troubles musculo-squelettiques ( TMS) par non-respect ou mĂ©connaissance des manutentions, gestes ou postures….” 

 

 

 

En retranscrivant partiellement et en relisant cette offre d’emploi rĂ©cente ( novembre 2019) sur laquelle je suis tombĂ© hier, j’ai l’impression de lire l’affiche d’un film d’horreur Ă  l’entrĂ©e d’une centrale nuclĂ©aire, d’un lieu d’expĂ©rimentations mĂ©dicales ou de tout autre lieu dangereux. On pourrait presque exiger de notre part de signer une dĂ©charge lorsque l’on accepte d’aller travailler dans ce genre de service.  On a l’impression que les infirmiĂšres et les infirmiers qui s’aventurent dans ces endroits sont des intrĂ©pides aguerris. Or, la raison principale, Ă   l’hĂŽpital et en clinique, du mĂ©tier d’infirmier consiste Ă  assurer une prĂ©sence et une compĂ©tence tous les jours et toutes les nuits au cours de l’annĂ©e, jours fĂ©riĂ©s inclus.

Pour cela, je considĂšre que ce mĂ©tier devrait, comme pour une carriĂšre militaire auparavant, faire partie de ces professions oĂč aprĂšs 15 ou 20 ans de service, la professionnelle ou le professionnel  qui le souhaite peut prendre sa retraite et ĂȘtre aidĂ©(e) Ă  une reconversion professionnelle.

Depuis trente ans, je lis et entends dire que la « durĂ©e de vie d’un infirmier Â» serait de 6 ou de 7 ans. Je ne sais toujours pas d’oĂč vient ce chiffre, Ă  quoi il correspond et ce qu’il veut dire. J’en ai encore discutĂ© avec des collĂšgues il y a quelques mois. Certains m’ont dit connaĂźtre ou avoir connu des infirmiers qui avaient changĂ© de profession. En trente ans, la majoritĂ© des personnes que j’ai connues infirmiĂšres, si elles sont encore en activitĂ©- et vivantes- aujourd’hui, le sont toujours
.

 

Le dernier film de Takashi Miike, First Love. Le Dernier Yakuza est au moins une critique du conservatisme de la sociĂ©tĂ© japonaise. Le gouvernement Macron-Philippe, et d’autres avant eux, et celles et ceux qui exĂ©cutent leurs dĂ©cisions, sont aussi faits d’un certain conservatisme en ce qui concerne, au moins, la retraite et la profession infirmiĂšre. Mais il y a trente ans, un Emmanuel Macron et un Edouard Philippe, mĂȘme s’ils en avaient peut-ĂȘtre dĂ©jĂ  l’ambition, Ă©taient trĂšs loin du Pouvoir qu’ils ont aujourd’hui. Il y a au moins trente ans, puis, annĂ©e aprĂšs annĂ©e, car suffisamment rassurĂ©, rassasiĂ©  et entourĂ© par d’autres prioritĂ©s, je m’en suis laissĂ© conter dans certains domaines sans entrevoir le reste. Pendant ce temps-lĂ , d’autres, formĂ©s, auto-didactes et payĂ©s pour ça, inventaient de grands projets pour le monde et la sociĂ©tĂ©.

 

En 2002 ou 2003, comme mes collĂšgues dans mon service d’alors,  nous avons vu partir « Georgette Â» Ă  la retraite, notre cadre-infirmiĂšre, avant ses 60 ans : Ce qu’elle avait vu se profiler pour l’avenir de la profession l’avait dĂ©cidĂ©e Ă  prendre sa retraite. Cela restait pour moi abstrait. Georgette a vingt ans de plus que moi. Et je garde de son pot de dĂ©part plutĂŽt le souvenir d’une grande et trĂšs agrĂ©able fĂȘte dans un jardin d’un des services de l’hĂŽpital qui m’employait alors.

 

Cinq ans plus tard, dans un autre service et dans un autre hĂŽpital, j’étais Ă  nouveau prĂ©sent lors du pot de dĂ©part de notre cadre-infirmier. La soixantaine et Ă©galement en bonne santĂ©, G
  dans son discours, avait dit ĂȘtre embarrassĂ©. A la fois, il savait  partir au bon moment car que ce qui se dessinait comme conditions de travail Ă  l’hĂŽpital Ă©tait trĂšs sombre. Mais  nous, avait-il ajoutĂ©, nous restions-lĂ .

 

Il y a bientĂŽt cinq ans maintenant, dans mon service actuel, notre cadre sup infirmiĂšre partait, elle, Ă  la retraite, en affirmant Ă  des collĂšgues : «  ProtĂ©gez-vous ! Â». Elle ne parlait ni du Sida, ni du rĂ©chauffement climatique, ni du terrorisme islamiste ou de la catastrophe de Fukushima. Elle parlait des projets futurs pour le service et l’hĂŽpital.

Popeyette, une de mes anciennes collĂšgues infirmiĂšres, d’un prĂ©cĂ©dent service, aujourd’hui Ă  la retraite, ne me parlait pas non plus de Fukushima ou des attentats terroristes lorsqu’elle m’a affirmĂ©:

 

« Si tu peux, change de mĂ©tier ! Â».

 

De son cĂŽtĂ©, Milotchka, ancienne collĂšgue retraitĂ©e, et amie, veuve de l’ami Scapin dĂ©cĂ©dĂ© d’un cancer deux ou trois ans avant sa retraite, a Ă©tĂ© obligĂ©e de continuer de travailler en tant qu’infirmiĂšre pour des raisons financiĂšres. Elle semble plutĂŽt bien s’ y faire.

 

Dans mon service, la grĂšve des transports en commun depuis le 5 dĂ©cembre, a contraint certaines et certains Ă  rester chez eux. Ou Ă  s’adapter. Plusieurs sont venus et viennent Ă  vĂ©lo, en trottinette, en voiture,  en bus  quand il y en a, Ă  pied depuis une gare ou une station de mĂ©tro stratĂ©gique lorsqu’y circule un engin roulant et habilitĂ© Ă  transporter des passagers.

 

 

 

Cette semaine, une de nos collĂšgues est arrivĂ©e dans le service plusieurs jours de suite Ă  5h30. Elle commençait Ă  6h45. Le dernier jour de la semaine, pour venir au travail, elle a fini par prendre un UBER. CoĂ»t de la course : 29 euros. «  Les prix ont baissĂ© Â» lui a dit une de nos collĂšgues.

Une autre collĂšgue nous a parlĂ© d’une application, blabla line,  qui permet le covoiturage. Le conducteur est rĂ©tribuĂ© par la rĂ©gion d’üle de France.

 

 

L’allocution prĂ©sidentielle d’Emmanuel Macron Ă©tait visiblement attendue Ă  la fin de l’annĂ©e ou au dĂ©but de l’annĂ©e. Je l’ai appris il y a quelques jours au travail, en discutant avec deux jeunes hospitalisĂ©es et scolarisĂ©es. L’une d’elle a expliquĂ© qu’Emmanuel Macron s’était dit dĂ©cidĂ© Ă  faire appliquer cette rĂ©forme des retraites. Une autre a dit qu’il s’était exprimĂ© comme celui qui «  va faire le bien de tous mĂȘme si tout le monde l’ignore Â».

Je me suis abstenu d’ajouter que j’avais lu ailleurs que le projet sous-jacent du gouvernement Macron/Philippe Ă©tait d’offrir au secteur privĂ© des assurances le marchĂ© juteux des retraites complĂ©mentaires. Car mĂȘme si soigner- et Ă©duquer- est aussi souvent un engagement politique, mĂȘme si on l’envisage autrement, il y a des limites Ă  ce que l’on peut dire et expliquer Ă  des patients.

 

Par contre, je peux Ă©crire dans cet article que « l’admiration Â» souvent portĂ©e au personnel infirmier est un sentiment trĂšs diffĂ©rent de celui du «  respect Â».

 

Dans notre pays et dans notre culture, en France, quoiqu’on en dise, on respecte en prioritĂ© celles et ceux qui gagnent beaucoup d’argent : les deux premiĂšres banques mondiales qui sont chinoises, HSBC, Pinault, Bezos, Gates


 

Le mĂ©tier d’infirmier ne fait pas partie des mĂ©tiers qui permettent de gagner beaucoup d’argent. MĂȘme si le salaire d’une infirmiĂšre ou d’un infirmier est supĂ©rieur au salaire d’autres mĂ©tiers et professions. Et, je crois que, gĂ©nĂ©ralement, lorsque l’on dĂ©cide de faire ce mĂ©tier, c’est rarement pour gagner beaucoup d’argent. Cela se passe bien ou plutĂŽt bien tant que l’on reste cĂ©libataire et sans enfant ou que l’on peut se contenter de projets qui nĂ©cessitent un engagement financier moyen ou modĂ©rĂ©. Par contre, dĂšs que l’on devient mĂšre ou pĂšre,  dĂšs que l’on aspire Ă  acheter un appartement ou une maison, ou Ă  se loger dans certains endroits, on s’aperçoit trĂšs vite que malgrĂ© toute l’admiration qui nous est prodiguĂ©e ici ou lĂ ,  cela ne suffit pas Ă  la fin du mois.

 

 

Offrez comme salaire Ă  un Bill Gates, un Jeff Bezos, un Emmanuel Macron, un Edouard Philippe ou aux cadres dirigeants des premiĂšres banques mondiales le salaire d’une infirmiĂšre ou d’une infirmier et multipliez-le par deux ou trois. MalgrĂ© toute leur admiration pour le mĂ©tier d’infirmier, il est plausible qu’ils ne voudront et ne pourront pas l’exercer :

On devient riche et puissant lorsque l’on rĂ©ussit Ă  faire faire par d’autres un mĂ©tier ou un travail que l’on serait incapable de rĂ©aliser soi-mĂȘme, que l’on refuserait de faire ou que l’on n’a plus envie de faire.

 

Franck Unimon, ce samedi 4 janvier 2020.