Adaptations
« Soleil ! Soleil ! ». On entendait d’assez loin cette voix rocailleuse alors que l’on se rapprochait du service en venant travailler. Ce patient enfermé dans sa chambre d’isolement, convaincu d’être Dieu, croyait pouvoir influer sur la marche du soleil.
Un autre jour, l’alarme incendie ou l’alarme anti-agression venait de se déclencher alors que je me trouvais avec ce patient dans le secteur protégé de son service. Tout s’était bien passé jusqu’alors avec lui. Pourtant, Je m’étais alors dit :
« Vu son état délirant, cela va être difficile de le faire retourner dans sa chambre…. ». J’avais à peine eu le temps de former cette pensée, que, de lui-même, ce Dieu-Soleil avait de lui-même réintégré sa chambre. Ce faisant, il m’avait en quelque sorte délivré de lui. Et, je pouvais donc me rendre à l’endroit où l’alarme s’était déclenchée et où un renfort était peut-être nécessaire.
On pourrait être étonné par l’extraordinaire faculté d’adaptation ainsi que par la très grande lucidité de celles et ceux que l’on dénomme les « fous » qu’ils soient hospitalisés en psychiatrie ou qu’ils soient en « liberté ».
Cette histoire fait partie de celles que j’aime raconter. Elle a plus de vingt ans. L’Humanité a peu changé en plus de vingt ans. Il y a plus de vingt ans, nous avions un certain nombre de peurs et d’inquiétudes qui sont toujours présentes aujourd’hui. Au moment de choisir une destination de voyage. Un mode de déplacement. L’endroit où nous allons habiter. L’école où nous allons inscrire nos enfants. Le genre de personnes que nous allons fréquenter. Pour choisir celle ou celui avec lequel nous allons « faire » notre vie. Lorsqu’il s’agit de changer d’emploi, de métier, de pays ou de région. Le concert où nous allons nous rendre. Le plat que nous allons prendre au restaurant. Le film que nous allons voir.
Bien-sûr, depuis quelques jours et les mesures et restrictions décidées par le gouvernement afin d’endiguer les conséquences de l’épidémie que nous connaissons, un certain nombre de ces actions et activités ont été limitées et sont contrôlées. Le « temps » de l’épidémie. Officiellement.
J’écris « officiellement » car j’appréhende beaucoup qu’après l’épidémie, fort de certains chiffres et de résultats que le gouvernement saura nous asséner, que certains contrôles deviennent une norme inacceptable et inconcevable avant l’épidémie.
Précisons tout de suite : il y a du bon dans les contrôles. On contrôle bien son poids. Sa tension artérielle. L’argent que l’on dépense. Le nombre de verres d’alcool que l’on boit avant de reprendre le volant. S’il fait beau ou froid dehors avant de sortir. Si l’on dispose d’assez de nourriture et de boissons lorsque l’on reçoit des invités et que l’on fait la fête.
Et je m’attends à ce qu’avec la multiplication des contrôles du fait de l’épidémie, et le couvre-feu, que diverses sortes de criminalités diminuent, que la menace anti-terroriste recule. Avant hier soir, je crois, je me suis imaginé ça en passant devant un coin de rue :
 » ça fait drôle de voir un dealer qui porte un masque chirurgical dans la rue ».
On sait aussi qu’une moindre circulation routière et une moindre activité « humaine » fait du bien à l’atmosphère de la planète et du pays. Même si on sait aussi nous dire que cela est catastrophique pour l’économie et les finances même si certains en profitent pour faire un très bon chiffre d’affaires ou pour y gagner en popularité :
Du revendeur et du producteur de papier toilettes à certains financiers en passant par d’autres activités. Je veux bien croire que mon blog, comme d’autres blogs, d’autres sites, et bien des auteurs, sera un peu plus lu en ce moment qu’avant la période de l’épidémie.
Mais c’est la fréquence des contrôles, leur justification et leurs caractères obligatoires qui peuvent devenir oppressants et rendre certaines réactions et certaines résistances….explosives.
En y repensant, je me suis aperçu que ce je dis et ressens vis-à -vis d’un « contrôle » qui nous est fréquemment imposé, s’applique autant à la façon dont nous éduquons nos enfants où nous avons beaucoup tendance à les « contrôler » ou à vouloir les « contrôler ». Mais aussi à ce que peuvent vivre des détenus…en prison. Hier, j’ai lu que les conditions de prévention sanitaire dans des cellules de prison déjà surchargées étaient pratiquement irréalisables. On peut donc s’attendre à des émeutes prochainement dans certaines prisons comme dans tout endroit qui cumulera trop d’enfermement et trop de contrôle. Et pas assez….de folie.
J’ai véritablement compris ce matin la raison pour laquelle, en apprenant les mesures relatives au couvre-feu, la diminution des transports etc…, j’avais d’un seul coup éprouvé le besoin de me rendre au travail au vélo. Alors que cela m’impose une certaine contrainte physique :
Prendre les transports en commun, le métro, s’est s’enfermer. Se priver de l’air et de la lumière extérieure. C’est accepter de se déplacer dans un espace restreint avec peu de possibilités d’échappatoires en cas de besoin ou si je le souhaite. Quand je le souhaite.
Je ne suis pas particulièrement claustrophobe. J’aime beaucoup prendre les transports en commun. En région parisienne, je préfère largement prendre les transports en commun à conduire ma voiture. Et je ne suis pas particulièrement inquiet à l’idée d’être contaminé parce-que j’aurais partagé un espace public confiné dans les transports en commun.
Par contre, savoir qu’aux contrôles de titres de transport déjà fréquents bien avant l’épidémie, vont désormais s’ajouter, en toute légalité, d’autres contrôles pour, officiellement, des raisons sanitaires du fait de l’épidémie. Tout en sachant que chaque fois que l’on appose notre pass navigo sur une porte de validation, notre itinéraire est déjà contrôlé ; et que chaque fois que notre téléphone portable ou notre ordinateur est allumé qu’il est possible non seulement de contrôler notre itinéraire mais aussi notre activité…..
Toutes ces mesures de contrôles et d’enfermement ont soudainement fait trop pour moi. Même si, je le répète, j’approuve toutes les mesures de précautions sanitaires et m’applique à les suivre de mon mieux comme la majorité des citoyens de France et des pays concernés par l’épidémie.
Je veux pour preuve de ce « trop-plein » d’enfermement et de contrôle le premier rêve que j’ai fait cette nuit directement inspiré de l’épidémie.
Dans mon rêve, il n’était pas question d’un hôpital, de patients exsangues, ou de moi, ou d’un proche, mourant sur un lit d’hôpital alors que ces éventualités sont pourtant probables.
Dans mon rêve, il était question….d’un Etat policier et de contrôles permanents. Voilà ce qui, pour l’instant, m’inquiète et m’épouvante plus que le coronavirus Covid-19.
Je devrais être content d’être dans un pays puissant qui dispose d’un gouvernement qui essaie de son mieux de prendre la mesure de l’épidémie afin d’éviter qu’elle se répande et tue beaucoup de gens. Mais ce sentiment, s’il est présent, reste habité, infecté, percé, par un très grand sentiment de défiance envers ce même gouvernement.
Je n’ai pourtant rien, spontanément, je me répète, contre les contrôles, la police et l’Etat.
Mais ce qui fait la différence entre ma fille qui, ce matin, alors que je la ramenais à l’école, m’a dit « J’adore la police. Parce-que la police est là pour nous protéger et arrêter les méchants » et moi, c’est, sans doute, la somme de tous ces contrôles, leur fréquence comme leurs justifications, que j’ai déjà vécus et subis comme la majorité des citoyens.
Et, cela, bien avant l’épidémie.
Et, j’ajoute tout de suite que, ici, je me mets dans le même lot que n’importe quel citoyen, blanc ou noir. En excluant tout critère racial.
Il y a deux jours, en apprenant le couvre-feu à venir, lorsque j’ai décidé de reprendre mon vélo pour aller au travail, je ne me suis pas dit :
« Avec ma tête de noir, je suis bon pour battre tous mes scores de contrôles au faciès ! ».
Même si je peux imaginer que des noirs mais aussi des Arabes ou des asiatiques se sont peut-être dit, eux, qu’avec le couvre-feu et la multiplication des contrôles, qu’ils allaient en bouffer, des contrôles, pendant l’épidémie.
Il y a deux jours, en apprenant le couvre-feu, je me suis simplement dit – sans prendre le temps de réfléchir- que ce serait bien et mieux de rester à l’air libre. Et de moins subir le fait qu’il y ait moins de transports en commun. De ne pas avoir à attendre une demie heure ou plus pour avoir un train.
Les faits m’ont déjà donné un peu raison.
Hier matin, une collègue a appelé vers 6h10. Elle était contrariée et semblait culpabilisée :
Il n y avait pas de train près de chez elle. Elle ne savait pas quand il allait y en avoir un. Et elle ne savait pas à quelle heure elle allait pouvoir arriver dans le service. Cette collègue censée commencer à 6H45 arrive habituellement avec dix à quinze minutes d’avance. Elle est donc un modèle de ponctualité.
Notre autre collègue qui commençait également à 6h45 a, en temps ordinaire, plus de difficultés pour arriver à l’heure dans le service.
Depuis le « déménagement » provisoire de notre service, cette seconde collègue met environ une heure trente pour venir dans le service en prenant les transports en commun.
Avec le « déménagement » de notre service, certains collègues ont vu leur temps de trajet diminuer et d’autres, sensiblement augmenter. Je fais partie des chanceux :
Par les transports en commun, mon trajet a été augmenté d’environ dix minutes, ce qui est peu. Par contre, à vélo, comme je l’ai écrit plus ou moins ( Vent d’âme) mon trajet a été augmenté de vingt bonnes minutes. C’est un effort physique supplémentaire supportable à condition de bénéficier d’un minimum d’entraînement et à condition, évidemment, de pouvoir bien récupérer entre les périodes d’effort. Je rappelle que je travaille de nuit et que le travail de nuit comporte certaines conséquences sur la santé très bien connues depuis des années par la médecine du travail. Même si, pour l’instant, à part quelques moments de fatigue, je m’accommode, je crois, plutôt bien du travail de nuit. Et je m’en accommode aussi parce-que c’est mon choix, pour l’instant, de rester de nuit dans ce service.
Hier matin, ma collègue embêtée par son retard incompressible, est finalement arrivée bien plus tôt que ce à quoi je m’attendais. En sueurs, assez contrariée, elle m’a dit avoir « speedé » pour venir. Au téléphone, j’avais pourtant fait mon possible pour dédramatiser la situation. Ma collègue de nuit et moi pouvions attendre. Nous connaissions très bien le contexte. Par ailleurs, j’ai toujours en tête ce qu’avait pu me dire mon ancien ami et collègue, Scapin, Bertrand pour l’Etat-civil, décédé d’un cancer quelques années avant de prendre sa retraite :
Se dépêcher lorsque l’on est en retard, c’est courir le risque de l’accident idiot qui peut être mortel.
Scapin n’avait pas eu besoin de forcer pour me convaincre de ce genre de raisonnement. J’ai longtemps été un retardataire chronique et cela m’arrive encore d’être en retard.
Lorsqu’il n’y a pas d’urgence.
J’essaie de faire le tri et la différence entre les véritables urgences….et les fausses urgences. J’ai continué à apprendre à le faire lorsque j’ai travaillé dans un service d’hospitalisation de psychiatrie adulte il y a plus de vingt ans. J’avais commencé à apprendre à le faire auparavant en travaillant comme vacataire et comme intérimaire. En prenant certaines personnes et certaines situations pour modèles. En faisant le ratio entre le stress ressenti, maximal, et le résultat final d’un certain nombre de situations vécues au travail mais aussi dans la vie. Après avoir conclu un certain nombre de fois :
 » Tout ça ( autant de stress et d’inquiétudes, tout un pataquès ) pour ça ?! « .
J’étais sans doute volontaire pour ce genre d’apprentissage. Cet apprentissage s’accorde peut-être assez bien avec mon tempérament. Avec mes croyances. Avec, aussi, ce que j’imagine, à tort ou à raison, de mes capacités réelles et supposées d’adaptation en cas de problème.
L’anxiété et la peur nous font souvent voir des situations d’urgences là où, en fait, nous avons affaire à des fausses urgences.
C’est ce que je crois d’après mes expériences.
Mais il me sera difficile de convaincre celles et ceux qui voient des urgences à peu près partout et qui ont aussi de l’expérience :
Cette attitude et cette vision des événements n’est pas une science exacte ni démontrable. Même en donnant des exemples « concrets ». Le sentiment de vulnérabilité et d’impuissance fluctue d’une personne à un autre.
Et puis, voir des urgences partout est une façon personnelle de s’adapter aux échéances. De se préparer ou de se « sentir » prêt.
Les façons de s‘adapter à une même échéance peuvent énormément varier d’une personne à une autre selon les environnements : une personne très à l’aise dans un environnement donné peut complètement perdre ses moyens dans un autre environnement à un point inimaginable.
Je me rappelle avoir recroisé une étudiante infirmière qui avait effectué un stage dans le service de psychiatrie adulte que je mentionne dans le début de cet article. Lors de son stage, cette jeune étudiante ne m’avait pas marqué par une aisance particulière. Lorsque je l’ai revue plusieurs années plus tard, je reprenais des cours de plongée dans un club en région parisienne. Et, nous avions à nous immerger dans une fosse pouvant atteindre les vingt mètres de profondeur. Cette étudiante-infirmière, qui était peut-être diplômée depuis, n’était alors plus dans la situation de l’étudiante face à un infirmier. Et elle n’était plus, non plus, dans un service de psychiatrie. Elle était dans un univers aquatique où, de toute évidence, elle avait ses marques et une grande aisance. Alors que moi, je reprenais la plongée après plusieurs années d’inactivité dans ce club que je découvrais. Hé bien, ce jour-là , le grand anxieux et l’inadapté, ce fut moi sans aucune discussion. Qu’est-ce que je fus ridicule peut-être lors de cette séance lorsqu’il fut question de nous jeter à l’eau depuis un plongeoir, tout harnachés de notre équipement de plongeur ! Ridicule, hors de propos, pas dans le coup, flippé. Un vrai sketch comique.
De temps à autre, j’essaie de me rappeler, comme, selon les circonstances, nous sommes beaucoup moins assurés et beaucoup moins beaux à avoir que lorsque nous évoluons dans un univers que nous connaissons et maitrisons. Mais, aussi, que celles et ceux qui nous « commandent » ou nous épatent, sont aussi exactement pareils une fois sortis de leur domaine de compétences et de prédilection. Ce que nous avons pourtant souvent bien du mal à imaginer et à accepter.
Et puis, il y a aussi du bon dans le fait d’être entouré de certaines personnes anxieuses ou prévoyantes comme de savoir les écouter. Car l’excès d’assurance peut nuire.
Et, évidemment, il existe bien-sûr des façons communes de réagir à une même échéance.
Certaines urgences sont indiscutables.
Hier matin, pour moi, mes deux collègues du matin pouvaient prendre leur temps pour arriver. Je savais que leur retard leur était imposé par les circonstances. Je savais que j’avais de la marge pour les attendre. Il n’y avait pour moi pas d’urgence à ce qu’elles arrivent. Le service était calme. Et si nécessité il y avait, ma collègue de nuit et moi aurions pu nous occuper des patients en attendant l’arrivée de nos collègues du matin. Du reste, en les attendant, je me suis rappelé que j’avais dans mon vestiaire une enceinte portable. Je suis allé la chercher et ai raccordé mon baladeur audiophile pour lancer le titre Reggae Makossa de Manu Dibango.
Plus tard, et alors que la musique continuait de tourner là où je l’avais laissée , lors de ma conversation avec ma collègue du matin dans la salle de soins , celle-ci m’a répondu avoir renoncé à venir à vélo dans notre « nouveau » service :
D’une part, elle s’était faite très peur en passant par l’Arc de Triomphe en raison de la densité de la circulation routière. C’était avant le couvre-feu et avant que l’épidémie prenne autant d’ampleur. Je n’ai pas discuté son propos. Je me rappelle encore d’une anecdote qu’un kiné m’avait raconté il y a plusieurs années : une connaissance, qui avait principalement vécu quelque part en Afrique, s’était retrouvée sur l’Arc de Triomphe en voiture. Cette personne avait tourné pendant une demie-heure autour de l’Arc de Triomphe avant de réussir à en sortir.
D’autre part, toujours pour cette collègue, l’effort physique pour venir à vélo dans notre « nouveau » service avait été si éprouvant qu’en arrivant dans le service, elle était au bord du malaise. Et elle avait dû prendre le temps de récupérer de son effort avant de pouvoir prendre son service.
Le repos, la capacité de récupérer physiquement et mentalement, de savoir se limiter, mais aussi de s’y autoriser, fera partie de la solution pour gagner la « Guerre ».
Cette vérité-là , concrète, je doute que le Général Macron l’ait prise en compte lors de l’effort de guerre qu’il a demandé aux soignants dans son allocution. Ou alors il connaît cette vérité et en a rajouté une couche en parlant et en reparlant de « Guerre sanitaire » pour enjoindre et pousser les soignants à se lancer, à se jeter pratiquement tête baissée, sans prendre le temps de respirer, dans le combat contre l’épidémie :
Avant toute épidémie, quelle qu’elle soit, et avant d’être « mobilisés » ou « réquisitionnés » par leur hiérarchie ou des circonstances sanitaires particulières, les soignants sont avant tout des personnes engagées qui ont une conscience morale et professionnelle et qui travaillent dans des conditions qui peuvent être particulièrement exigeantes et contraignantes.
Les soignants sont souvent des personnes qui s’autocontrôlent et s’autocensurent d’elles-mêmes en permanence.
Elles se mettent d’elles-mêmes, et toutes seules, une grande pression. Elles ont souvent un sens des responsabilités, du Devoir, mais également de culpabilité et d’autocritique particulièrement élevé.
Ce qui est souvent bien pratique pour les manager. Et les maltraiter.
Oui, j’ai bien écrit « soignants » car dans mon article Vent d’âme , j’ai beaucoup centré mon attention sur le personnel infirmier. Alors qu’évidemment, il y a d’autres professionnels et d’autres métiers soignants que celui d’infirmier. Et que l’on peut du reste ajouter tout le personnel socio-médical, administratif ainsi que le personnel de ménage et hôtelier lorsque l’on parle d’un établissement de soins.
Il faut aussi ajouter le personnel technicien. Car un établissement de soins tient aussi grâce à son personnel technicien :
Lorsqu’un ascenseur tombe en panne, que l’informatique se déchausse et se dérègle, ou qu’un incendie débute, il faut bien faire appel à des techniciens. Et c’est tout ce personnel soignant et non-soignant qui permet à des lieux de soins de tenir et de bien fonctionner. Pas uniquement le personnel infirmier ou médical.
Et, sans doute, aussi, doit-on ajouter dans cet organigramme, à côté des services de direction… les syndicats. Les syndicats qui ont connu une certaine désaffection par rapport à il y a vingt ou trente ans, sont des organisations, du moins à l’hôpital, pour ce que j’en vois, souvent constituées de personnel hospitalier initialement soignant comme non-soignant.
Tout le personnel, soignant et non soignant, syndiqué ou non syndiqué, indispensable à la bonne marche d’un lieu de soins, a, connaît, vit, un certain nombre de contraintes personnelles et professionnelles variables en dehors de tout contexte d’épidémie.
Certaines de ces contraintes peuvent être le fait de tomber malade. Car, oui, du personnel soignant et non-soignant, hors de tout contexte d’épidémie, ça tombe aussi malade. Où ça a des enfants ou des proches qui tombent malades comme tout le monde hors de tout contexte d’épidémie. Et ce personnel soignant et non-soignant, ne bénéficie pas toujours des égards auxquels il pourrait avoir droit lors de ces circonstances de maladie et autres qui l’empêchent de se rendre au travail. D’où la raison pour laquelle, oui, j’ai bien écrit le mot « Maltraiter ».
Avant l’épidémie, dans mon hôpital, il y avait régulièrement du personnel manquant dans un certain nombre de services. Dont le mien. Pour raisons de maladies qui n’ont rien à voir avec l’épidémie. Pour des arrêts de travail. Mais aussi du fait de départs de personnels non remplacés.
Alors, en période d’épidémie et de « Guerre sanitaire », je vous laisse imaginer ce qu’il peut être possible, pour certains managers et décideurs, d’exiger du personnel soignant et non-soignant pour combler ce manque de personnel. Pour des raisons « d’éthique », de « solidarité ».
Et je ne crois pas que le Général Macron soit bien au fait de tout cela. Ses différents intermédiaires se garderont bien de lui faire part de ce genre d’informations. D’autant qu’un Général en pleine guerre peut avoir bien d’autres préoccupations que de s’assurer du bien-être de ses soldats.
Je le précise tout de suite :
Dans mon service, je nous crois , pour l’instant, préservés de ces travers en termes de maltraitance. Nous sommes plutôt solidaires. Du médecin-chef, à la cadre de pôle jusqu’à la femme de ménage.
Par exemple, un des praticiens hospitaliers du service avait créé un groupe What’S App plusieurs semaines avant qu’on en arrive au couvre-feu et aux mesures actuelles. Et ce groupe What’s App permet bien des échanges d’informations concernant les adaptations à faire au vu du contexte ainsi que d’informations qui permettent de déminer le climat anxiogène actuel.
Mais je « connais » suffisamment, je crois, mon environnement professionnel, ainsi que d’autres soignants ailleurs, pour savoir ce que le mot « Maltraiter » peut vouloir dire concrètement, dans le milieu hospitalier lorsque l’on y exerce en tant que soignant. Ou non-soignant.
Si j’ai autant pris le temps d’écrire tout ça, c’est parce-que, l’on a vite fait de dresser un portrait convenable et présentable de l’engagement des soignants en occultant ce qu’il peut y avoir derrière comme souffrance personnelle et professionnelle du côté des soignants ( mais aussi du côté des non-soignants), et, cela, bien avant l’épidémie qui nous occupe en ce moment.
Maintenant, que j’ai écrit ça, passons aux bonnes nouvelles, car il y en a.
Ça passe évidemment par ces initiatives diverses sur les réseaux sociaux. Avec des chaînes de solidarité et de reconnaissance envers les personnels soignants.
Par des messages d’amis.
Par la solidarité qui peut exister au sein de certaines équipes et dans certains services.
Par cette initiative de l’Opéra de retransmettre gratuitement sur le net certains de ses spectacles. Une collègue nous en a informés.
Par des actions comme celle de ce réalisateur, de ce caméraman et de ce danseur croisés devant le Louvre.

Un certain nombre de lieux publics sont aujourd’hui fermés. Les cinémas et les médiathèques par exemple. Les salles de cinéma sont fermées jusqu’au 15 avril pour l’instant. Les projections de presse ont été annulées jusqu’à cette date pour le moment. Bien d’autres manifestations artistiques et culturelles ( concerts, expositions….) ont été toutes autant suspendues du fait de l’épidémie.
En circulant à vélo, je suis passé plusieurs fois devant l’affiche du film Brooklyn Secret qui devait sortir ce 18 mars et à propos duquel j’ai écrit ( Brooklyn Secret ). Je sais par un mail des attachés de presse que la sortie de ce film, comme celle de bien d’autres films, est repoussée à plus tard. Cela m’a rappelé que je n’ai toujours pas écrit d’article sur les derniers films que j’avais vus au cinéma avant le couvre-feu :
L’appel de la forêt, EMA mais aussi Kongo. J’ai toujours prévu de le faire.
Hier matin, en revenant du travail à vélo, j’ai été étonné de voir autant de personnes effectuer un footing matinal. Pratiquement autant de femmes que d’hommes. Je me suis demandé si cela était dû au fait que les températures extérieures, depuis quelques jours, sont plutôt douces ( 17 degrés hier à Paris) et que l’on se rapproche du printemps ( le 21 mars). Ou si l’obligation de confinement pousse davantage certaines personnes à aller évacuer leur trop-plein d’enfermement et de télétravail en allant par exemple courir dans des rues de Paris désormais plutôt désertes. Il y a un ou deux jours, près de chez nous, des jeunes d’un foyer jouaient bruyamment dehors au basket alors qu’ils auraient « dû » plutôt éviter les contacts avec l’extérieur. Si leur attitude est contraire aux règles sanitaires décidées pour éviter et limiter la contagion, cette partie de basket leur a peut-être aussi permis d’évacuer un trop-plein d’anxiété et de stress et les aidera peut-être aussi à supporter moralement les nouvelles restrictions décidées concernant les déplacements à l’extérieur et les regroupements.
En rentrant mon vélo dans son local, hier matin, je suis tombé, dans le hall de l’immeuble, sur un mot d’une personne qui avait scotché l’exemplaire désormais nécessaire d’attestation de déplacement dérogatoire. Cette voisine avait ajouté un mot dans lequel elle expliquait comment obtenir ce formulaire. Mais elle fournissait également son numéro de téléphone portable afin d’aider aux courses. J’imagine qu’il est d’autres initiatives comme celle-là à d’autres endroits.
J’ai bien-sûr appelé et contacté quelques personnes afin de m’assurer qu’elles vont bien. J’en contacterai sûrement d’autres.
Si j’ai exprimé mes réserves envers le gouvernement, je reconnais évidemment le bien-fondé des mesures de précautions sanitaires qu’il préconise.
Certains amis m’ont témoigné leur inquiétude du fait de mon métier d’infirmier en psychiatrie et en pédopsychiatrie. Parce-que, comme bien des soignants, je suis exposé plus que d’autres au virus. C’est vrai. Mais je peux sortir pour aller travailler et donc prendre l’air. Et, je peux plus ou moins agir. En espérant que mon action soit plus bénéfique que porteuse du virus. Lors des grandes catastrophes, les personnes qui peuvent- aussi- avoir le plus de mal à s’en remettre sont celles et ceux qui ont été principalement spectatrices ou victimes de la catastrophe. Celles et ceux qui agissent, s’ils peuvent mourir ou se voir infliger des blessures ou des douleurs du fait de la catastrophe, se sentent au moins utiles. Ne serait-ce que pour remplacer une collègue ou un collègue malade ou absent. Ou en retard. Et puis, face à l’épidémie, je ne suis pas seul. Tout cela, en plus des encouragements adressés de part et d’autres aux soignants, change beaucoup la donne.
Sur la première photo de cet article, prise près du Louvre avant hier matin, en revenant du travail, on peut voir des barrières. Lorsque je suis passé hier matin au même endroit, et à peu près à la même heure, toujours à vélo, en plus des barrières, trois maitres-chiens étaient présents de part et d’autre de la pyramide du Louvre. Cette présence m’a intrigué.
Les photos pour cet article ont été prises entre le 17 au matin et ce matin, le 19. Parmi elles, des photos d’articles de presse, ou de couvertures de la presse.
A priori, toutes ces barrières devant la pyramide du Louvre gâchent la vue sur la première photo de cet article. Mais en la regardant ce matin, je me dis qu’elle est très bien comme ça :
Car on voit bien que le soleil passe à travers. Soleil ! Soleil !
Franck Unimon, ce jeudi 19 mars 2020.



