
Au palais de Justice
Mardi 9 novembre 2021, 7h15
Cette nouvelle catégorie de mon blog balistiqueduquotidien est particulière. Je viens de me lever pour l’écrire. Ce n’est pas tôt. Je peux me lever encore bien plus tôt ou me coucher bien plus tard dans la nuit pour écrire. Lorsque c’est comme ça, l’action de boire et de manger attend ou attendra.
Enfant, naïvement, j’ai voulu être avocat. J’avais moins de dix ans. Je me rappelle avoir défendu la « cause » de quelqu’un. J’étais tellement touché par l’injustice à laquelle j’assistais que je m’étais mis à pleurer.
Ma plaidoirie n’avait pas été prise en compte. Le copain ou le camarade que j’avais essayé de sauver avait été condamné. Cependant, il avait eu la vie sauve.
Enfant, j’ai voulu faire plusieurs métiers. Policier, pompier et footballeur le plus souvent et, une fois, avocat.
Une seule fois, chez des amis de mes parents, je me souviens avoir ouvert une sorte de guide de droit qui se trouvait là . Je m’ennuyais sans doute parmi ces adultes et j’aimais lire. Je suis tombé sur un article qui concernait le droit familial. Et, vu que je me rappelais avoir porté le nom de jeune fille de ma mère jusqu’à mes six ans, j’avais appris que mes parents avaient ensuite dû aller faire une déclaration devant le juge afin de pouvoir m’attribuer le nom de mon père. J’avais alors interrogé mes parents chez ces amis. Je me souviens de ma mère qui avait alors confirmé que, oui, c’était vrai.
Enfant, on sait se satisfaire de réponses et d’actions simples pour des sujets complexes. Dès l’instant où l’on se sent aimé- et en confiance- par celles et ceux qui nous entourent et nous répondent. Plus tard, cela peut devenir plus difficile à faire. Soit nous devenons plus critiques et plus exigeants. Soit, aussi, celles et ceux qui nous ont entouré et aimé plus jeunes disparaissent. Et celles et ceux qui les remplacent ou que nous choisissons ensuite, à nos yeux, ne font pas l’affaire. Ou, sans celles et ceux qui nous élevés ou que nous avons connus plus jeunes, près de nous, nous avons du mal à nous tenir « droits ». D’autres fois, aussi, nos modèles de départ, nos parents, notre famille mais aussi notre entourage, bien qu’aimants et disponibles, nous ont donné des exemples de vie qui, au regard de certaines lois, ne sont pas durables.
Première expérience d’audience dans un tribunal
J’étais soit au collège ou au lycée la première fois qu’avec un de nos professeurs, avec ma classe, à Nanterre, nous sommes allés au tribunal. Dans ce très haut bâtiment de la Préfecture de Nanterre. Un bâtiment très familier situé à une vingtaine de minutes à pied à peu près de là où nous habitions, alors. Au delà du grand parc de Nanterre qu’ado, j’ai beaucoup plus connu pour mes séances d’entraînement d’athlétisme que pour aller m’y promener. J’étais déjà , aussi, passé quantité de fois devant ce bâtiment de la préfecture dans le bus 304 pour aller aux Pâquerettes chez une de mes tantes maternelles. Où j’aimais aller jouer avec un de mes cousins.
Mais j’avais aussi pris le 304 bien des fois pour aller rejoindre ma mère qui travaillait alors Ă l’hĂ´pital de Nanterre, pas très loin des Pâquerettes, des Glycines, des Canibouts… il Ă©tait frĂ©quent de voir des SDF ( on disait « clochards ») alcoolisĂ©s et allongĂ©s en face de l’hĂ´pital.
L’hôpital de Nanterre ou hôpital Max Fourastier, aujourd’hui, s’appelait La Maison de Nanterre et dépendait alors de la Préfecture de Paris. C’était plusieurs années avant la construction de la Maison d’arrêt de Nanterre.
Ce jour où nous étions au tribunal avec ma classe, je me souviens du jugement d’un grand adulte. Il avait une vingtaine d’années. Il était jugé pour récidive. A nouveau, il avait exhibé ses parties intimes devant une petite fille. Il triturait nerveusement quelque chose qu’il avait dans ses mains. Il était terrorisé. A l’entendre, on comprenait que cet homme, adulte pourtant, avait un retard mental. Il parlait comme un petit garçon. Sauf qu’il avait un corps, la tête et la force d’un homme. Si j’avais croisé cet homme dans la rue, moi, qui, comme beaucoup de garçons, a été éduqué dans l’admiration de la grandeur et de la force physique, j’aurais été intimidé en cas de conflit. Alors, qu’aurait pu faire une petite fille si cet homme avait entrepris de la saisir et de lui faire connaître pire ? Cette question, je ne me l’étais pas posé ce jour-là . Je l’ajoute aujourd’hui.
L’homme avait été sermonné comme un enfant. La Loi lui avait parlé. Et, il avait dû être condamné à du sursis. A cette époque, les bracelets électroniques n’existaient pas. Je ne crois pas que l’on ait parlé de suivi psychologique pour lui et cela n’aurait d’ailleurs servi à rien.
Après le jugement, nous avions débattu avec notre professeur. C’était peut-être en troisième, au collège public Evariste Galois. Avec notre prof principale, notre prof de Français, Mme Epstein, qui nous avait emmené voir E.T au cinéma à la Défense. Ainsi qu’une pièce de théâtre au Théâtre des Amandiers : Combat de Nègres et de chiens par Bernard Marie Koltès.
Cela collerait bien avec la personnalité de Mme Epstein de nous avoir fait vivre cette expérience. Elle, qui nous avait proposé, un jour, de faire venir le Dr Francis Curtet, spécialiste des addictions.
Mais je ne suis pas sûr que ce soit elle qui nous ait emmené au tribunal assister à une audience. A ma première audience. Car je ne me souviens pas du visage de celle ou celui qui nous y avait accompagné.
Seconde expérience d’audience dans un Tribunal
J’ai connu ma seconde audience dans le public au Palais de Justice de l’île de la Cité. Près de St Michel, à Paris. J’avais vingt ans de plus. En grandissant, j’avais ensuite voulu devenir champion du monde d’athlétisme en sprint, kinésithérapeute dans le sport, journaliste, écrivain, poète, acteur. J’étais devenu infirmier diplômé d’Etat.
A la Fac de Nanterre, où j’avais passé trois ans après mon diplôme d’infirmier – ce qui avait étonné quelques unes de mes camarades puisque j’avais déjà un diplôme et un travail !- j’avais très bien identifié le bâtiment où se tenaient les cours de Droit. Je n’y suis jamais entré. Pour moi, les cours de Droit, cela rimait avec les partis politiques de droite et d’extrême droite. Mais aussi avec des personnes issues de classes sociales bien plus favorisées que la mienne. Sans oublier toutes ces plâtrées de lois et de textes aux tournures de phrases alambiquées qu’il fallait s’enfoncer dans la tête et ingurgiter.
Et, Ă aucun moment, il ne m’était apparu que pendant mes trois annĂ©es d’études d’infirmier, j’avais aussi dĂ» m’enfoncer « dans la tĂŞte et ingurgiter » des « plâtrĂ©es » de connaissances. Car, ces « connaissances » infirmières acquises avaient pour moi un effet et un pouvoir concret immĂ©diat afin de me permettre rapidement d’avoir un travail et de gagner ma vie. Alors que l’issue concrète d’études de Droit m’apparaissait sĂ»rement Ă la fois trop Ă©trangère, trop floue et trop lointaine. Soit l’opposition classique et magistrale entre ce qui pousse certaines et certains à « choisir » – et aussi Ă s’y tenir- des Ă©tudes courtes plutĂ´t que des Ă©tudes longues.
Sans surprise, aujourd’hui, je ne pouvais pas me satisfaire de mes études d’infirmier en soins généraux. Après quelques années de diplôme, après le DEUG d’Anglais, après le service militaire, après avoir commencé à passer un brevet d’Etat d’éducateur sportif, j’avais d’abord choisi d’aller travailler en psychiatrie générale avec un public adulte à Pontoise.
Lors de cette seconde audience dans un tribunal, j’étais infirmier dans un nouveau service, en pédopsychiatrie, à Montesson. La pédopsychiatrie était une spécialité que je découvrais dans ce service depuis un ou deux ans lorsqu’un de nos collègues avait été très content de nous proposer de venir voir son grand frère plaider au tribunal, à Paris.
Son grand frère, né à Nanterre comme ce collègue et moi, avait réussi. Il était maintenant un avocat reconnu et pas n’importe où.
Ce grand frère avocat nous avait accueilli avec amabilité. Nous étions plusieurs soignants du service à être présents. Il nous avait même payé le repas dans le self ou le restaurant du tribunal.
J’ai oublié le motif du jugement. Je me rappelle d’une femme procureur, noire, plus caricature de procureur, et assez brouillonne. Et de l’éloquence du grand frère de ce collègue commençant par raconter, comment, plus jeune, il passait du temps à assister aux audiences au tribunal de Nanterre… jusqu’à ce que son père finisse par venir le chercher.
Avant de plaider, le grand frère de ce collègue nous avait dit que la procureur avait tellement mal travaillé qu’elle lui avait « ouvert des boulevards ». En effet, lorsqu’il avait commencé à plaider, par contraste, sa démonstration avait été magistrale. Sauf qu’il avait fini par être un peu trop long à mon sens.
J’avais été néanmoins content de cette nouvelle expérience. Et j’avais bien vu, aussi, la grande fierté de ce collègue d’être le petit frère de cet homme qui avait réussi. Je m’étais aussi dit que je retournerais dans un tribunal pour assister à des audiences.
En Guadeloupe, sans doute après cet épisode, une fois, en passant devant un tribunal, alors que nous y étions en vacances mon jeune frère et moi, j’avais un moment envisagé d’y entrer. Après avoir aperçu un magistrat ou un avocat dans sa parure sur les marches blanches. Mais mon frère m’avait fait comprendre comme il trouvait mon idée, une fois de plus, incongrue. Je n’avais pas insisté et avais continué de conduire vers notre destination, peut-être vers Basse-Terre.
Les Attentats du 13 novembre 2015
Hier, c’est le procès des attentats du 13 novembre 2015 qui m’a ramené dans un tribunal. Une volonté que j’ai eue assez vite lorsque j’ai su que ce procès allait commencer…le 8 septembre 2021. Jusqu’à fin Mai 2022.
Cependant, auparavant, je m’étais rendu Ă une des audiences du procès ( Du 2 septembre au 10 novembre 2020) des attentats « de » Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’hypercacher de Vincennes. Dans le nouveau Tribunal de Paris, situĂ© Ă la Porte de Clichy, ce « plus grand centre judiciaire d’Europe » ouvert en 2018.
J’avais pris des notes lorsque j’étais allé à cette audience du procès des attentats « de » Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’hypercacher. J’avais commencé à écrire un article. Puis, j’ai laissé s’endormir cette volonté. Peut-être que le sujet était-il trop conséquent pour moi. Que j’avais trop traîné pour venir assister à ce procès. Et/ou que je me suis dit, en lisant les comptes rendus de Charlie Hebdo de ce procès, que je n’apporterais rien de différent ou de plus.
Néanmoins, le fait d’aller dans un tribunal m’avait à nouveau « plu ». Tant pour le déroulement de l’audience que, d’abord, pour tout le décorum et les protocoles d’accès au tribunal. Les personnes lambda comme moi se rappellent de l’existence des tribunaux et des procès lorsqu’il y a des « affaires » marquées médiatiquement. Ou lorsqu’elles doivent venir s’y justifier, ce qui est plutôt exceptionnel pour la majorité des personnes lambda. Autrement, nous passons à côté de ce qui se déroule quotidiennement dans des tribunaux qui sont des mondes à la fois clos (on n’y entre pas comme dans un commerce qui nous accueille presque à cartes de crédit et à caddies ouverts) mais pourtant suffisamment accessibles pour celle ou celui qui souhaite prendre le temps de venir les découvrir. Comme de s’y rendre régulièrement. Afin d’assister à des audiences. Ou d’y circuler là où c’est autorisé.
Une institution publique prestigieuse
Un tribunal, pour moi, c’est en principe une institution publique prestigieuse. Que ce soit par les murs ou par les personnes qui y exercent de hautes fonctions (magistrats, procureurs, avocats….). Pourtant, cette institution publique prestigieuse, comme d’autres institutions publiques prestigieuses, est souvent méconnue de la majorité des gens lambda comme moi. Même si « nul n’est censé ignorer la Loi ».
Combien de fois suis-je passé devant un tribunal ou une autre institution publique prestigieuse (l’assemblée nationale ou une Grande Bibliothèque) sans même envisager, de temps en temps, d’y entrer afin d’apprendre ?
Je ne compte plus.
Nous vivons dans un monde et dans une société inégalitaire. Mais lorsque nous pouvons bénéficier de certains apprentissages et vivre certaines expériences qui sont à notre portée, nous préférons rester dans ce que nous connaissons et savons faire. Par confort, conformisme, et sûrement, aussi, pour rester avec les autres. Les autres que nous choisissons ou que nous avons choisi.
Hier, je suis allé assister à une audience parce-que j’ai accepté d’ y aller seul. Une fois de plus. Certaines décisions, bonnes ou mauvaises, se prennent et se vivent seul. Avant de pouvoir retourner ensuite, si c’est possible, avec les autres. Celles et ceux que l’on a choisi, qui nous ont accepté ou qui semblent le faire.
Aujourd’hui, je n’écrirai pas plus car ce serait un article trop long. Mais je crois que c’était important de préparer cette nouvelle rubrique ou catégorie de mon blog par ce préambule. Même si, ensuite, si cette rubrique ou cette catégorie dure, celles et ceux qui la découvriront en cours de route ignoreront tout de ce préambule.

Franck Unimon, ce mardi 9 novembre 2021. 9h45