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Cinéma

Conséquences

Andrej ( l’acteur Matej Zemljic) au centre, allongé sur son lit.

 

 

 

                                         Conséquences un film de Darko Stante

 

 

Andrej (l’acteur Matej Zemljic) grand et beau jeune homme est fait d’une coque gangsta. Adepte des codes du Rap américain, même si l’histoire se passe en Slovénie , il a la côte auprès des très belles filles qu’il parvient à serrer dans ces soirées pour gosses de riches où il parvient à s’insérer. Sauf que ça dérape. Et l’on retrouve Andrej au tribunal pour mineurs où il a été convoqué avec ses parents.

Au tribunal et devant le regard et l’écran social, l’enveloppe du bel Andrej est ouverte et son identité judiciaire est déballée devant nous. Sa mère raconte qu’Andrej se montre assidu à des soirées en compagnie de jeunes dont il n’a pas les moyens : Andrej priserait une vie de champagne alors qu’il a à peine les moyens de s’offrir une limonade.

A côté de la mère, drone parental le plus fort, le père d’Andrej est un homme déprimé, courbé, qui a depuis longtemps perdu ses derniers combats. Et qui cherchera quelques fois la semonce d’un second souffle en essayant de faire acte de diplomatie entre Andrej et sa mère plutôt que de se confronter à l’un ou à l’autre.

Au tribunal, Andrej « rigole ». Pour lui, tous ses problèmes viennent de sa mère. Nous ne saurons rien du passé d’Andrej et de ses parents. Si le premier long-métrage de Darko Stante nous parle des conséquences de leurs actes, et, en tout premier lieu, de ceux d’Andrej qui se dresse en tant qu’adulte lors de ce film, il éclipse malheureusement comme dans beaucoup d’autres projets cinématographiques, ce qui précède le quotidien de tous ces « héros » que l’on regarde défiler sur nos écrans comme devant nos vies. Dans un film plutôt extrême tel que We Need to Talk about Kevin réalisé par Lynne Ramsay en 2011, on peut ainsi se rappeler cette scène où, déboutée par les pleurs insistants du petit Kévin encore bébé, la mère vient se planter avec celui-ci près d’un chantier où des marteaux-piqueurs en activité viennent la « délivrer » des cris. Cette scène, parmi d’autres, permettra ensuite à la réalisatrice d’expliquer voire de justifier l’évolution de Kévin. Dans Conséquences, où le personnage d’Andrej est bien plus sympathique que le personnage de Kévin, nous sommes privés de cette « trace » historique. Ce qui signifie peut-être pour le réalisateur, que, quelles que soient nos origines familiales et affectives, à l’âge adulte, nous nous devons de faire face à ce que nous sommes et nous accepter comme nous sommes.

Parmi les spectatrices et les spectateurs que nous sommes, il s’en trouvera certainement plusieurs pour lesquels (femmes et hommes) les causes des dérives d’Andrej sont rapidement évidentes. Pourtant, Andrej ressemble à beaucoup d’autres jeunes. Dans un film tel que les X-Men dont la dernière saga (Dark Phoenix ) est actuellement en salles, un professeur Xavier déboulerait pour venir accoster le jeune Andrej pour peu que celui-ci ait des pouvoirs de mutant. Une psychologue comme Sibyl (l’actrice Virginie Efira dans le dernier film de Justine Triet) l’emmènerait peut-être en voyage sur un lieu de tournage ou le suivrait tel un Basquiat dans ses virées nocturnes.

Mais Andrej n’a pas de pouvoir particulier y compris dans le domaine artistique. Tout au plus a-t’il un beau physique qui pourrait peut-être lui permettre de développer une carrière dans le cinéma ou dans le mannequinat. Et cela est visiblement éloigné de son idéal. Sibyl, elle, est trop occupée à essayer de sortir de la boite de son alcoolisme comme à recoudre son couple et sa famille pour s’occuper d’Andrej. Même si les priorités de celui-ci, se faire accepter par celles et ceux qu’il se choisit comme modèles, se faire aimer, leur sont communes. Surtout, que, comme Sibyl, Andrej ne recule devant-presque- rien pour se faire accepter et aimer.

 

Andrej, entre son père et sa mère, à son arrivée au centre de "détention".
Andrej, entre son père et sa mère, à son arrivée au centre de « détention » pour mineurs.

 

 

Le « centre de détention » pour mineurs où Andrej atterrit (faute d’avoir pu obtenir une place dans l’école privée et très sélect pour mutants du professeur Charles Xavier ou un rendez-vous en consultation avec Sibyl) peut avoir des ambitions que l’on peut juger au choix ridicules ( pauvres éducateurs constamment ridiculisés dans le film !) ou hypocrites. Mais au moins ce centre de détention, qui est aussi un lieu d’accueil et de tentative d’apprentissage et d’éducation sociale, existe-t’il. Ce qui reste un peu mieux que d’être accueilli par la rue, la prostitution, la mafia, un combo terroriste ou sectaire. Même s’il est vrai que ce centre « de détention » est peu glamour dans ce qu’il propose : au champagne, alcools, stupéfiants, bonne musique et bonne ambiance succède ici une manufacture miniature assez paumée où le projet principal consiste plutôt à essayer de transformer les jeunes qui y passent en OS sous-qualifiés pour l’usine bien plus qu’en de brillants ingénieurs qui pourront ensuite aspirer être embauchés chez Apple afin de contribuer à faire évoluer ses systèmes d’exploitation et ses divers produits.

 

Andrej, au centre, Zeljko à gauche.

 

Pourquoi ai-je autant de mal à parler de la préférence sexuelle d’Andrej qui semble être le rouage principal de ses problèmes dans ce film ? Je crois que c’est parce-que l’Amour, selon Andrej, c’est se choisir un être ou un implant auquel se soumettre et pour lequel on est prêt à passer à tabac des innocents et des plus faibles qui ont pour principal « défaut » d’être les victimes choisies par l’être « vénéré ». L’être « vénéré » par Andrej dans Conséquences, c’est Zeljko (l’acteur Timon Sturbej). Un jeune homme particulièrement « vénère ». Zeljko, sorte de dandy-maquereau d’origine sociale et culturelle modeste, où pieuvre passée Maitre es- perversion, jouit à la fois par toutes ses pores de la souffrance qu’il peut – faire- infliger à son entourage comme de toutes les opportunités qui passent à sa portée. On peut vraiment dire de Zeljko qu’il n’a pas de limites ou qu’il les repousse comme il respire.

 

Le « hautement » sympathique Zeljko ( l’acteur Timon Sturbej)

 

 

 

A les regarder, Andrej et ses nouveaux « copains » sont des bébés obsédés par la recherche de l’intensité du présent. Mais ce sont des grands bébés (psychopathes) d’autant plus intimidants qu’ils sont terrifiés par le monde et le futur. Ils restent donc entre eux. Leurs « fêtes » ressemblent à des grossières décalcomanies de ce qu’ils considèrent être une belle vie : elles nécessitent souvent des victimes sacrifiées qu’ils ont agressées et pigeonnées. Soit un certain aperçu négatif de ce qui se pratique légalement et couramment- socialement et économiquement- à un plus haut niveau et à une plus grande échelle dans nos pays démocratiques, modernes et civilisés où l’enrichissement, le confort et les privilèges d’une certaine élite politique, industrielle, financière, économique, culturelle, militaire et autre se perpétuent et s’accentuent aussi au détriment de bien d’autres personnes plus ou moins consentantes. Plus ou moins pigeonnées. Plus ou moins agressées, plus ou moins informées, plus ou moins concernées. Et plus ou moins sacrifiées.

 

Une Sibyl sobre et en forme expliquerait peut-être qu’Andrej frappe d’autres personnes comme il frappe à des portes dans l’espoir que quelqu’un l’accepte et le fasse entrer dans une demeure familiale et chaleureuse. A la maison, qu’il fuit d’abord pour des soirées dans d’autres maisons, dominé par sa mère qui domine et éjecte/exècre son père en tant que puissance virile, Andrej supprime son impulsivité qui le pousserait à frapper sa mère. Car il la tuerait sans aucun doute : celle-ci, physiquement, ne ferait pas le poids. Mais, à la maison, c’est elle qui fait et détient la loi. Affronter son père est impossible car celui-ci est déja rompu : un affrontement est possible avec un adversaire de connivence ou de taille à répondre à la violence qu’on lui envoie. Le centre de « détention » où Andrej est envoyé est un peu une « consécration » et une déresponsibilisation pour sa mère. Elle s’y montre d’autant plus à son avantage, plutôt respectable et souriante. Le père, lui, continue de porter son visage et son alliance d’homme raté et humilié. De par ses frasques, Andrej est pointé du doigt. Mais c’est à l’intérieur de la famille qu’il faudrait se rendre afin de faire sortir les transes du mal-être d’Andrej dont l’homosexualité est une explication parmi d’autres. Le personnage de Zeljko, de par sa force masculine dominante, semble peut-être reconstituer l’image fracassée et dévalorisée du père d’Andrej. Or, bien des Amours semblent les meilleurs sommets à même de pouvoir compenser certaines de nos pertes.

 

 

C’est au moins pour cela que, même si les éducateurs- et la juge- dans le film sont déployés à leur désavantage, Conséquences est une œuvre réaliste. L’expérience personnelle et professionnelle du réalisateur en tant qu’éducateur ( Darko Stante est « actuellement tuteur dans un centre de réhabilitation de jeunes en difficulté » ) se retrouve ainsi dans son film dont on aimerait connaître la suite.

Selon notre optimisme ou notre pessimisme, on peut imaginer cette suite en repensant à quelques films déjà réalisés que l’on évoque des personnages qui font ensuite carrière dans certains groupes néonazis ( tels Un Français de Diastème) terroristes ( La Désintégration de Philippe Faucon) sectaires ( The Master de Paul Thomas Anderson). Des films où le trouble identitaire – et la difficulté où l’impossibilité à « se réussir » en tant que personne- conduisent les « héros » à aboutir à la consommation de stupéfiants, au meurtre, aux excès de violence, à la délinquance ou à la manipulation (Le Talentueux Mr Ripley d’Anthony Minghella).

Conséquences est annoncé en salles tantôt le 19 juin 2019 tantôt le 26 juin 2019. C’est-à-dire : bientôt.

Franck Unimon, ce mardi 18 juin 2019.

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