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Entre le rêve et le sel

                                            Entre le rêve et le sel

«  Alors, Roybon, on ravage ?! ». Après bien des efforts têtus au sortir de ma sieste, j’ai fini par retrouver et ressortir cette ancre disparue, cette fin de phrase aperçue lors de ma lecture il y a deux ou trois mois du livre Mes rêves avaient un goût de sel  de Jean-Pierre Roybon, ancien nageur de combat de la marine.

 

Chacun ses obsessions.

 

Dans son New York Vertigo, ( Rentrée des classes)Patrick Declerck raconte bien avoir tenu, à New York  en septembre 2012, à prendre le temps de lire «  lentement » le nom des 2983 victimes des attentats terroristes. Soit, comme il le décompte scrupuleusement, «  les 2977 victimes des quatre attaques du 11 septembre aux deux tours, au pentagone, et dans le vol United Airlines 93  qui s’est écrasé en Pennsylvanie, plus les 6 tués lors de la première tentative du 26 février 1993. Cette lecture lui prend «  un peu plus d’une heure et demie ». Il estime que cela n’est pas beaucoup de temps même si son action ne sert sans doute à rien.

 

Cet article-ci, comme d’autres de mes articles, ne sert sans doute à rien non plus. Il est salvateur, aussi, de savoir se regarder avec autant de précision que de dérision. Mais je crois de plus en plus à la vertu d’écrire au sortir du sommeil sans trop se circonscrire. Amadou Hampaté Ba. Amadou Hampaté Ba. Lorsque je l’aurai vu, il faudra aussi que j’écrive sur le film Grigris réalisé en 2013 par Mahamet Saleh-Haroun. Quand j’avais interviewé Mahamet Saleh-Haroun pour le mensuel Brazil à propos de son film Un homme qui crie, je me souviens comme je l’avais beaucoup touché lorsque je lui avais dit à propos du personnage principal, maitre-nageur dans un hôtel de luxe au Tchad, ancien champion de natation :

«  On dirait qu’il liquide sa descendance ». 

Je crois pouvoir affirmer, même si cela ne regarde que moi et qu’il me sera sûrement impossible de le démontrer, que le réalisateur Mahamat Saleh-Haroun, avait alors répété ma phrase comme s’il assimilait une nouvelle donnée de son personnage principal ou cette autre façon de le décrire. 

 

 

J’estime avoir mal parlé du livre de J-Pierre Roybon dans mon article d’il y a quelques mois Mes rêves avaient un goût de sel. J’ai trop parlé de moi et je continue. Mais il y a plusieurs façons de parler d’un livre. Notre inspiration varie selon les jours. Pour le livre Bravo Two Zero d’Andy MacNab, aussi, j’aurais pu m’y prendre autrement ( Bravo Two Zero ). D’ailleurs, je vais refaire quelques corrections dans mon article :

Si le numéro de Télérama de cette semaine a mis l’actrice américaine Scarlett Johansson en couverture avec le titre Star innée, je crois avoir un peu trop forcé en parlant de l’élite des combattants et des forces de police comme des individus qui ont des capacités « innées ». Des capacités physiques et mentales hors-normes, oui. Innées, pas forcément.

Jean-Pierre Roybon, au départ, avant de s’engager dans l’armée un peu avant ses 18 ans, n’était pas particulièrement sportif par exemple. Mais il rêvait des nageurs de combat et de l’armée depuis très jeune. Dans un autre univers, Ellen Mac Arthur, la navigatrice, a beaucoup rêvé de la mer, enfant, avant de commencer à prendre des cours de navigation. Contrairement à un Jean-Pierre Roybon né au bord de la mer, à Toulon, Ellen Mac Arthur, elle, a d’abord vécu dans les terres. Si l’on peut, évidemment, avoir des aptitudes innées hors-normes, il est bien des personnes qui se transcendent le moment venu après des années de maturation, de formation et de rêve. Que ce soit dans les études, dans une carrière, dans une pratique sportive ou dans une activité quelconque. On peut souhaiter que cela soit aussi pour le « bien » d’autrui. Mais c’est souvent, d’abord, pour soi-même. 

 

«  Alors, Roybon, on ravage ? ».

 

C’était ce qu’un des instituteurs disait avec un peu d’ironie au jeune Roybon qui devait se contenter d’une pêche de seconde main au bord de l’eau. Alors que l’instituteur, lui, partait en mer sur son bateau personnel. Dans son livre, Roybon raconte que ces rencontres assez fréquentes et quelques peu « taquines » avec son instituteur, avaient eu peu d’incidence ascensionnelle sur ses notes scolaires. On peut facilement imaginer la scène avec l’instituteur qui s’adresse sur un ton un peu sarcastique et hautain, de manière répétitive, avec l’accent du sud, au minot qu’il toise un peu et qu’il laisse sur place avec l’écume en prenant le large avec son bateau ou en revenant du large, le regard et le visage pleins d’embruns.

 

Pourtant, quelques années plus tard, ce minot allait d’abord découvrir- avec l’autorisation et l’encouragement de ses parents- la plongée sous-marine vers ses 15 et 16 ans en compagnie d’adultes expérimentés. Puis s’engager dans l’armée et, par étapes, à force d’entraînement, devenir un nageur de combat de la marine et faire partie des élites du «  corps » militaire.

 

On peut peut-être affirmer que son instituteur qui, pendant plusieurs années, avait rencontré quantités d’élèves, a pu être surpris plus d’une fois en apprenant plus tard, lorsqu’il l’a appris, ce qu’avaient pu « devenir » certaines et certains de ses élèves passés. Et, à travers le parcours militaire d’un Jean-Pierre Roybon, plus que le soldat qui acquiert la capacité et le droit de détruire et de tuer, je souligne ici la discipline à laquelle on est spontanément capable de s’astreindre tous les jours dès lors que l’on a un rêve, un projet ou une ambition. Même si ça ne sert à rien pour faire encore de l’humour noir. D’écrire. De faire de la musique. Du sport. De faire rire. De chanter. De dessiner. De croire en quelque chose. De croire en quelqu’un. Cela ne sert à rien si l’on tient seulement, tout le temps et tout de suite, à obtenir un retour sur investissement. Du succès. De la reconnaissance. Une explication. Une réponse. Un résultat. A être une star innée. Et chaque fois que l’on nous demande «Comment vas-tu ? », toujours, nous devrions répondre : « ça ne sert à rien ». Chaque fois que l’on nous fait un compliment, nous devrions aussi ajouter : «  ça ne sert à rien ».

 

Je suis maintenant à peu près réveillé et c’est désormais que certains ennuis commencent car il me faut trouver du sens à ce que je viens d’écrire. Alors que ça ne sert à rien.

 

Franck Unimon, ce mercredi 8 janvier 2020.

 

 

 

 

 

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