Girl film de Lukas Dhont sorti en salles le 10 octobre 2018
« Il yâa des choses que lâon ne peut pas changer » affirme Ă Victor une de ses professeures de danse, dans une des meilleures Ă©coles de danse classique du pays.
A lâĂąge oĂč dans lâunivers des comics, certains jeunes dĂ©couvrent leurs super pouvoirs de mutants, Victor, lui, ploie sous lâencombrement de son corps de garçon.
Il lui faut forcer pour obtenir ce que la majorité des jeunes femmes a de naissance ou acquis plus tÎt que lui en travaillant « doucement ».
La stricte discipline de la chirurgie et de la danse classique de haut niveau sert de justaucorps au film de Lukas Dhont. Et lâon souffre avec Lara-Victor, cĂŽtĂ© pile et cĂŽtĂ© face.
Lorsquâune consultation avec la chirurgienne nous apprend que le corps de Lara-Victor est une cartouche dont il faut vider le pĂ©nis et sur laquelle il convient de pratiquer une colostomie quâil gardera jusquâĂ la â « trĂšs lente »- cicatrisation.
Lorsque ses rĂ©pĂ©titions de danse, en groupe ou en individuel, exigent quâil transforme en profondeur son rapport Ă la gravitĂ© terrestre. Car son corps est dĂ©ja raide de son expĂ©rience de vie de garçon pourtant gracile. Or « Le poids doit participer Ă lâaction ».
Dâun cĂŽtĂ© comme de lâautre, Lara-Victor se porte volontaire pour se confronter Ă certains canons de perfection. Il lui faut en tout point ĂȘtre un modĂšle. Les hĂ©sitations de son corps et de son Ăąge ne sont plus de mise :
« Si tu retiens ton mouvement, tu tombes. Danse en profondeur. Tu dois travailler plus dur ».
Cependant, la chorégraphie des contradictions demeure un exercice imposé :
« Toi, tu veux tout de suite devenir une femme. Il faut vivre ton adolescence ».
Lara doit tenir. Elle peut Ă la fois compter sur lâaffection â idĂ©alisĂ©e ?- de son entourage proche. Elle doit aussi raviver son pĂšre lorsque celui perd pied. Et se heurter Ă son petit frĂšre quâelle materne quand celui-ci se rĂ©volte et la rejette.
Jeune homme insuffisamment sĂ»r de sa fĂ©minitĂ©, Lara Ă©vite les douches collectives aprĂšs ses rĂ©pĂ©titions de danse. Elle Ă©vite aussi les bouches des garçons. Mais elle boit les paroles des jeunes rivales de son Ă©cole de danse qui la guettent et mĂ©disent alors que lâinstance de leur corps est un supplice pour elle :
« Les gens parlent beaucoup ».
Devenir femme, prendre la place de quelquâun dâautre dans un monde de compĂ©tition, et pourtant se jeter en pĂąture pour se faire accepter par la norme du groupe quâelle sâest choisie- celui des apprenties danseuses de son Ă©cole – cela a un prix.
Un prix dâautant plus Ă©levĂ© que Lara nâest pas une leader pour sâimposer face Ă la dictature du groupe de filles et de leurs hormones. Plus que dâautres, elle doit suivre cette consigne :
« VĂ©rifiez votre espace ». Autrement, lâhumiliation infligĂ©e par le groupe prĂ©cĂšdera la mutilation chirurgicale.
Sauf que Lara est celle qui, les pieds en sang, prend parfois une Ă©chelle pour sâĂ©tirer dans le mensonge. Et pour croire que devenir adulte, câest tout affronter toute seule. Son sourire dâĂ©lite et sa voix douce saupoudrent des semi-remorques de peine.
« Je sais que tu souffres. Je ne céderai pas ». « Tu ne te facilites pas la tùche, hein ? ».
Si Lara expose volontiers son corps aux jugements des autres, elle reste close sur ses Ă©mois. Ce sont donc les autres qui doivent dĂ©duire ce quâelle pense et ressent mĂȘme lorsquâavec eux le courant ne passe pas. Et ce sont les autres filles qui sâaccomplissent devant elle. Ce faisant, LâidentitĂ© de Lara, reste floue. Au contraire de cette dĂ©termination, assez proche de celle du SamouraĂŻ, finalement, pour changer de sexe. La cisaille contre la grisaille.
A la fin de la sĂ©ance, je me suis tournĂ© vers une spectatrice pour lâinterroger. Elle mâa rĂ©pondu avoir Ă©tĂ© « prise jusquâaux Ÿ du film » puis avoir ressenti une « fatigue du film ».
Girl a en effet peut-ĂȘtre Ă©tĂ© un peu trop appuyĂ©. Selon WikipĂ©dia, le film a Ă©tĂ© trĂšs bien reçu par la critique mĂȘme si lâunanimitĂ© est incomplĂšte :
« CamĂ©ra d’or, le Prix FIPRESCI et la Queer Palm, alors que Victor Polster remporte le Prix d’interprĂ©tation de la section Un certain regard. L’accueil des professionnels du cinĂ©ma est unanimement trĂšs positif, mais le film est cependant critiquĂ© par des militants de la cause trans».
(Source Wikipédia)
Girl justifie Ă mon sens bien plus dâattention que le Black Swan (2010-2011) de Daren Aronofsky qui avait donnĂ© lâOscar Ă Natalie Portman pour son interprĂ©tation. Bien-sĂ»r, dans le film dâAronofsky, le trouble identitaire Ă©tait dâun autre genre et lâon Ă©tait davantage dans le fantastique. Mais pour ce quâil suggĂšre et sa profondeur, Girl est selon moi supĂ©rieur.
Sur un thĂšme assez proche, jâavais aussi bien aimĂ© les films Transamerica (2004) de Duncan Tucker et Man on High Heels ( 2015) de Jin Jang.
Franck, ce mardi 11 décembre 2018.