
La ferveur de Marmottan
( en cliquant sur ce lien , à droite, une petite vidéo apparaßt ) Hommage de M.Hautefeuille aux anc de Marmottan .
Cet article fait suite Ă Les cinquante Temps de Marmottan.
Marmottan, le service dâaccueil et d’hospitalisation spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions, situĂ© dans le 17 Ăšme arrondissement de Paris, rue ArmaillĂ©, prĂšs des Champs ElysĂ©es, a longtemps fait partie, pour moi, de ces services connus pour eux-mĂȘmes. Porteurs dâun nom et dâune identitĂ© qui se suffisent Ă eux-mĂȘmes pour parler dâeux. Un peu comme cela a pu ĂȘtre le cas pour Miles, qui reste mon musicien prĂ©fĂ©rĂ©, mĂȘme plus de trente annĂ©es aprĂšs sa mort. MĂȘme aprĂšs avoir, depuis, aimĂ© dĂ©couvrir et Ă©couter dâautres artistes. Tout est fonction de la pĂ©riode de notre vie au cours de laquelle on a effectuĂ© certaines rencontres et du tournant que, pour nous, ces rencontres ont permis.
Je sais que Miles avait Ă©tĂ© un temps hĂ©roĂŻnomane et alcoolique. « Comme » dâautres artistes de son Ă©poque, avant ou aprĂšs lui. Et, pour moi, Miles et Marmottan Ă©taient nĂ©anmoins deux bras et deux endroits bien distincts, lâun de lâautre. Puisque Miles, lui, officiellement, sâen Ă©tait sorti.
Le service Marmottan, placĂ© prĂšs du musĂ©e Marmottan (qui, a priori, ne lui est pas apparentĂ©), faisait de toute façon partie, pour moi, de ces Ă©clats de la SantĂ© mentale. Jâen avais entendu parler, moi le jeune infirmier diplĂŽmĂ© dâEtat qui, malgrĂ© ma culpabilitĂ© dans le fait dâabandonner la souverainetĂ© technique des services de mĂ©decine et de chirurgie, avait choisi, finalement, de venir travailler en psychiatrie adulte.
Jâavais sĂ»rement entendu parler de Marmottan par des collĂšgues, infirmiers diplĂŽmĂ©s en soins psychiatriques, plus ĂągĂ©s et plus expĂ©rimentĂ©s que moi.
Comme jâavais aussi entendu parler, par eux, du CPOA, des quatre UMD (UnitĂ©s pour malades difficiles) qui existaient alors : Cadillac, Sarreguemines, Mont Favet, Carhaix. Mais aussi, sans doute ou peut-ĂȘtre, de la clinique La Borde….
Plus tard, jâentendrais parler dâĂ©thno-psychiatrie de Tobie Nathan et de Devereux, de pĂ©dopsychiatrie, dâunitĂ©s mĂšres-bĂ©bĂ©, dâAnzieu et dâautres. Avant de dĂ©couvrir des lieux et des personnes, ce sont souvent, dâabord, des noms.
Et puis, jâavais dâabord Ă apprendre Ă me dĂ©bourrer de certaines pensĂ©es, de certaines croyances et certitudes mais aussi de certaines ignorances. Et, pour cela, le premier service dâhospitalisation en psychiatrie adulte oĂč je commençais Ă apprendre un peu plus Ă devenir adulte Ă Pontoise fut un grand bienfait.
Et un mal.
Car la psychiatrie institutionnelle, selon les Ă©poques, les tournants, les orientations et les Ă©quipes peut Ă la fois construire mais aussi enfermer. Et, on peut aussi aimer sâenfermer si cela nous protĂšge et nous rassure. MĂȘme si on sâen plaint peu Ă peu.

Dâautant que, plus jeune, mĂȘme si lâon est supposĂ© avoir la vie devant soi et que lâon aime la littĂ©rature de Romain Gary, on est aussi trĂšs myope, trĂšs Ă©troit dâesprit et on peut manquer de curiositĂ©. Ou on peut ĂȘtre trĂšs ou trop inquiet Ă lâidĂ©e de devoir changer de vie, de sâĂ©loigner de ce que lâon connaĂźt. On se laisse donc envelopper et Ă©treindre par les contours des cercles qui nous ressemblent et qui nous permettent dâentrer, ou de stagner, entre amis ou connaissances, dans un monde dâadultes qui nous rassure. Sans prendre trop de risques. Ou seulement ceux qui nous apparaissent connus et mesurĂ©s. On peut avoir dĂ©jĂ tellement peur du monde et de la vie adulte que lâon ne va pas en rajouter avec certaines de ces substances dont on avait entendu parler ou commencĂ© Ă cĂŽtoyer, un peu, Ă partir de lâadolescence :
Le cannabis, principalement, un peu lâhĂ©roĂŻne. Le tabac et lâalcool ayant des statuts soit plus acceptables soit plus familiers. Et puis, si lâoverdose puis la transmission du VIH pouvaient faire peur pour leur possible immĂ©diatetĂ©, entre 12 et 20 ans et encore aprĂšs, on ne pensait pas nĂ©cessairement au cancer ou Ă la cirrhose du foie tandis que dâautres fumaient devant nous ou se prenaient des cuites, terminant leurs soirĂ©es Ă quatre pattes tels des lĂ©vriers en fin de course prĂšs dâun Ă©vier ou les deux pattes surĂ©levĂ©es au dessus dâune cuvette des toilettes pour ne pas sombrer dans ce que lâon y rejetait.
Lorsque lâon entre dans lâĂąge adulte, on est, alors, dans la force de lâĂąge. Sexuellement, physiquement, socialement, intellectuellement. Aussi, peut-on, doit-on mĂȘme, se permettre quelques petits excĂšs. Car ensuite, il sera trop tard. Et puis, si on ne peut pas un peu sâamuserâŠ

Le service Marmottan est sans doute restĂ© longtemps « loin » de moi, physiquement et psychologiquement, parce-que, de cette maniĂšre, sans doute, je restais Ă une distance prudente â et mesurĂ©e- de lâaiguille de certaines de mes peurs et inquiĂ©tudes. Car gĂ©ographiquement, toutes les fois oĂč je me suis rendu sur les Champs ElysĂ©es, pour aller au cinĂ©ma ou au Virgin MĂ©gastore, oĂč mĂȘme lorsque jâĂ©tais allĂ© Ă la Fnac lorsquâelle se trouvait avenue de Wagram, je nâĂ©tais pas trĂšs loin de Marmottan.
Mais, aussi, Ă aucun moment, je ne fis le rapprochement entre ce Francis Curtet que ma prof principale de 3Ăšme nous avait un jour proposĂ© de rencontrer dans notre collĂšge Evariste Galois de Nanterre, en 1982 ou 1983âŠet Marmottan.
M.Hautefeuille parle d’anciens de Marmottan ( en cliquant sur ce lien Ă gauche, vidĂ©o).
En dĂ©cembre dernier, en 2021, jâai pu faire le rapprochement entre Francis Curtet et Marmottan.
En dĂ©cembre dernier, Marmottan a fĂȘtĂ© ses cinquante ans Ă la salle de concerts de la Cigale. Entre-temps, des annĂ©es avaient passĂ©. Et jâavais appris, depuis, oĂč se trouvait Marmottan dans Paris. Jây avais effectuĂ© quelques remplacements et jây avais mĂȘme postulĂ© afin dây travailler.

CâĂ©tait la premiĂšre fois que je me rendais au cinquantenaire dâun service. Je nâai pas pu mâempĂȘcher de penser que le choix dâune salle de concert avait Ă©tĂ© fait aussi pour bien fĂȘter cet Ă©vĂ©nement historique. Car jâappris lors du cinquantenaire que lors de la crĂ©ation et de lâouverture de Marmottan, en 1971, que Claude Olievenstein, son premier mĂ©decin chef -qui fut novateur dans le traitement des addictions â pensait que le service aurait une existence brĂšve.

Lorsque jâĂ©cris maintenant quâen ouvrant Marmottan, Claude Olievenstein et ceux qui furent alors Ă ses cĂŽtĂ©s, furent novateurs dans le traitement des addictions, cela peut ĂȘtre abstrait pour beaucoup de personnes. Car, dâabord, quâest-ce quâune addiction ?
Il faudrait déjà commencer par le savoir.
Pour ma part, je prĂ©fĂšre sourire lorsque je repense au fait que, trĂšs sĂ»r de moi, il y a environ trois ou quatre ans maintenant, jâavais rĂ©pondu Ă Mario Blaise (dĂ©ja mĂ©decin chef de Marmottan) qui venait de me demander si jâavais des addictions :
« Non ! Je nâai pas dâaddiction ! ».
Jâaurais pu rĂ©pondre « Pas de ça entre nous ! » que cela aurait Ă©tĂ© pareil.
Mais jâai un autre exemple de cet esprit novateur de Marmottan. Jâaime lire de temps Ă autre la trĂšs bonne revue bimestrielle, assez peu connue finalement, Sport & Vie. Dans le dernier numĂ©ro de Sport & Vie, le numĂ©ro 194 de Septembre/Octobre 2022 lâarticle intitulĂ© Lâamour chimique nous parle de « Chemsex ». Dans cet article, selon moi trĂšs bien rĂ©digĂ©, le rĂ©dacteur, Olivier Soichot, prĂ©cise dans un passage :
« (âŠ.) Dans le livre de Jean-Luc Romero-Michel, plusieurs phĂ©nomĂšnes se tĂ©lescopent douloureusement. Notamment la mĂ©connaissance presque totale qui caractĂ©rise encore le chemsex en France. Avant le dĂ©cĂšs de son mari, lâauteur lui-mĂȘme confesse quâil en avait vaguement entendu parler mais sans se douter une seconde que son compagnon y avait recours ».

Peut-ĂȘtre quâun certain nombre des lectrices et lecteurs de Sport & Vie, pour celles et ceux qui connaissent ce bimestriel, ou que plusieurs lectrices et lecteurs de mon article, dĂ©couvriront en cet automne 2022 ce quâest le chemsex.
De mon cĂŽtĂ©, cela fait dĂ©sormais deux ou trois ans que jâai dĂ©couvert lâexistence du chemsex. Lors de mes remplacements Ă Marmottan. A Marmottan, plus que dans un service de psychiatrie ou de pĂ©dopsychiatrie, je trouve, les patients informent les soignants de certaines de leurs pratiques. Câest aussi de cette façon que lâon peut apprendre son mĂ©tier en tant que soignant et en tant quâaccompagnateur. Et, ensuite, mieux aider celles et ceux dont on « sâoccupe ». Cet Ă©change de Savoirs contribue Ă instaurer plus facilement une relation de confiance mais aussi une certaine Ă©galitĂ© entre le patient et le soignant.
Dans un service de psychiatrie ou de pĂ©dopsychiatrie, une relation de confiance avec le patient ( ou le client ) est aussi nĂ©cessaire et recherchĂ©e. Mais elle diffĂšre de celle qui peut se dĂ©velopper Ă Marmottan. Sans pour autant idĂ©aliser la relation patient/soignant, usager/soignant ou client/soignant Ă Marmottan ( jâai oubliĂ© le vocabulaire exact employĂ© Ă Marmottan ). Car il existe des ratĂ©s Ă Marmottan. Et, aider Ă la cure dâune addiction peut ĂȘtre trĂšs long.
Mais jâai lâimpression que lâĂ©change des Savoirs entre patients et soignants, en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie, Ă moins de faire partie dâune association permettant ces Ă©changes, est davantage asymĂ©trique quâĂ Marmottan.

Cela peut aussi peut-ĂȘtre sâexpliquer par le fait que les personnes addict sont actives lorsquâelles ont des conduites Ă risques. Tant pour prendre des substances que pour certains comportements. De ce fait, les personnes addict acquiĂšrent certaines compĂ©tences pharmaceutiques ou mĂ©dicales. Une ancienne collĂšgue infirmiĂšre qui avait travaillĂ© plusieurs annĂ©es Ă Marmottan mâavait ainsi appris :
« Ce sont les patients qui mâont appris Ă faire des prises de sang⊠».
Ici, on se doute que les patients en question, à force de se chercher réguliÚrement une veine pour se piquer en intraveineuse avaient développé une dextérité hors du commun dépassant de loin celle de bien des infirmier ( es).

En comparaison, en psychiatrie adulte ou en pĂ©dopsychiatrie, lorsquâil mâest arrivĂ© de faire des prises de sang, je nâai aucun souvenir de patient mâindiquant oĂč le piquer ou comment mây prendre si jâavais du mal Ă lui faire son prĂ©lĂšvement sanguin.
Mais pour revenir au contexte de lâouverture de Marmottan, 1971, Le dĂ©but des annĂ©es 70, câest la prĂ©sidence de Georges Pompidou. Jimi Hendrix, Janis Joplin et Jim Morrisson sont morts dâoverdose rĂ©cemment. Et, Georges Pompidou, qui va bientĂŽt mourir aussi, nây est pour rien.
Aujourdâhui, seulement, je fais un peu le rapprochement entre lâannĂ©e dâouverture de Marmottan et les dĂ©cĂšs rapprochĂ©s de cĂ©lĂ©britĂ©s comme Hendrix, Joplin et Morrisson.
Auparavant, lorsque je pensais Ă Marmottan les premiers temps, je ne le faisais pas. Puisque, dâailleurs, jâignorais la date exacte de crĂ©ation et dâouverture de Marmottan. Marmottan Ă©tait dĂ©jà « là » lorsque jâai commencĂ© Ă travailler en psychiatrie au dĂ©but des annĂ©es 90. Et Hendrix, Joplin et Morrisson Ă©taient pour moi des noms et des expĂ©riences musicales imprĂ©cises.
Cependant, en dĂ©cembre 2021, je fais un autre rapprochement. Câest une intuition. A Marmottan, tout acte et tout propos raciste et homophobe de la part dâun patient vaut exclusion du service. Mais aussi tout acte de violence.
Câest la premiĂšre fois, dans un service, que jâai pu voir afficher aussi explicitement de tels interdits ou de telles limites. Dans tous les autres services oĂč jâai pu travailler, en psychiatrie adulte, en pĂ©dopsychiatrie ou mĂȘme en soins gĂ©nĂ©raux, ces agissements et ces propos (racistes, homophobes, actes de violence) font plutĂŽt partie du mĂ©tier. Au point que certaines de ces caractĂ©ristiques (risques de violence contre autrui, risques de troubles musculo-squelettiquesâŠ.) peuvent mĂȘme ĂȘtre stipulĂ©es dans les profils de poste de certaines offres dâemploi.
A Marmottan, le refus de ces comportements et de ces propos renseigne quant au fait que ses services dâhospitalisation et dâaccueil sâadressent ou peuvent sâadresser Ă toutes sortes de publics. DĂšs lors quâils ont des problĂšmes dâaddiction et quâils sont estimĂ©s suffisamment volontaires, coopĂ©rants, et encore assez valides physiquement, pour ne pas nĂ©cessiter des soins dâurgence ou de rĂ©animation mĂ©dicale, sauf exception.
Car il existe des services dâaddictologie oĂč des patients sont perfusĂ©s par exemple.
Pas Ă Marmottan.
Lâun des principes du service dâhospitalisation de Marmottan (lĂ oĂč jâai fait mes quelques remplacements) est lâhospitalisation libre, mais avec le principe et le contrat moral, que, durant son hospitalisation, de trois semaines en moyenne, le patient ne sortira pas du service et nâaura aucun contact direct avec lâextĂ©rieur. Il nâaura donc pas accĂšs Ă son tĂ©lĂ©phone portable ou Ă son ordinateur ou Ă sa tablette. A la place, il bĂ©nĂ©ficiera de la disponibilitĂ© du personnel, mais aussi de celles dâautres patients, par le biais dâentretiens, de mĂ©diations et de moments passĂ©s ensemble. Que ce soit lors de la prise des mĂ©dicaments ou lors des repas, du petit dĂ©jeuner au dĂźner. Ou, en regardant la tĂ©lĂ©. Ou, en discutant dans la salle « de thĂ© ». Et lâon parle vraiment de thĂ© ou de cafĂ© et de quelques gĂąteaux , de goĂ»ters ou dâeau.
Et puis, en dĂ©cembre 2021, « connaissant » un petit peu la culture engagĂ©e et militante de Marmottan, je me suis dit que la salle de concert de la Cigale, pour fĂȘter ce cinquantenaire, Ă©tait sans doute un hommage aux victimes des attentats terroristes de Novembre 2015, Bataclan, inclus.
Je nâai pas (encore) demandĂ© confirmation. Câest une intuition. Par contre, jâai observĂ©, Ă nouveau, ce jour-lĂ , lâengagement des personnels de Marmottan. PassĂ©s et prĂ©sents. Je le rĂ©pĂšte :
Je nâai pas, Ă ce jour, connu dâĂ©quivalent en matiĂšre de commĂ©moration de lâexistence dâun service de santĂ© mentale. Ou, alors, je ne peux comparer cette commĂ©moration quâavec celle des cinquante ans dâun groupe de musique, donc, dans le domaine artistique :
Pour moi, ce sera le groupe Kassavâ. Puisque jâĂ©tais prĂ©sent au concert de leur cinquantenaire Ă la DĂ©fense Arena. Avant le dĂ©cĂšs de Jacob Desvarieux.
Mais je ne serais pas surpris quâĂ Marmottan, musicalement, lâesprit soit plus Rock ou Punk que Zouk. Du reste, le lendemain, et le surlendemain de cette journĂ©e Ă la Cigale, lors dâune des deux journĂ©es portes ouvertes de Marmottan, il y aura une exposition de pochettes de disques du mĂ©decin chef depuis quelques annĂ©es de Marmottan, Mario Blaise. Une exposition trĂšs bien intitulĂ©e « A vos disques et pĂ©rils » oĂč il sera possible de voir Ă©tablie une certaine valorisation des addictions avec substances.

Et, si mes souvenirs sont exacts, aucune pochette de disque de Zouk ne figurait sur les murs de la piĂšce. Au contraire de pochettes de disque ayant plutĂŽt trait au Rock. MĂȘme si je me souviens dâune pochette dâun disque de U-Roy, chanteur de Reggae qui venait de dĂ©cĂ©der rĂ©cemment.
Il y avait donc, plutĂŽt, Ă mon sens, une certaine vitalitĂ© Rock, ou punk, dans la tenue de ce cinquantenaire. Voire, free Jazz. Car il mâa semblĂ© quâĂ Marmottan, que, mĂȘme si une certaine ligne de conduite Ă©tait nĂ©cessaire, quâil importait, aussi, de savoir et de pouvoir improviser entre les lignes. Et de tenir sa partition. Avec les autres.
Cinquante ans plus tard, on peut dire que Marmottan a fait bien plus que tenir. Jâai vu dans cette salle de la Cigale des personnels de Marmottan qui y avaient travaillĂ© et qui sont revenus pour lâoccasion. Certains Ă la retraite. Je pense Ă lâun dâentre eux, en particulier, un infirmier Ă la retraite depuis les annĂ©es 2010 qui mâa rĂ©pondu avoir travaillĂ© Ă Marmottan pendant une bonne vingtaine dâannĂ©es. Il Ă©tait aux cĂŽtĂ©s dâune ancienne de Marmottan. Celle que jâavais rencontrĂ©e dans mon service prĂ©cĂ©dent et qui mâavait dit que les patients lui avaient appris Ă faire des prises de sang.

Jâai revu des personnels de Marmottan que jâavais croisĂ©s lors de mes quelques remplacements: AurĂ©lie Wellenstein, la documentaliste qui mâavait permis dâassister Ă lâĂ©vĂ©nement, en charge de lâorganisation de celui-ci comme des diverses formations proposĂ©es Ă Marmottan. Des infirmiers, mĂ©decins, accueillants, psychologues, assistantes sociales. Mais aussi des mĂ©decins ou autres intervenants qui avaient connu Olievenstein et travaillĂ© avec lui avant de quitter Marmottan ou lui ayant succĂ©dĂ©. Je pense, ici, Ă Marc Valleur qui avait succĂ©dĂ© Ă Olivenstein avant que Mario Blaise, ensuite, ne lui succĂšde en tant que mĂ©decin-chef de Marmottan.


Je pense aussi à ces praticiens partis travailler ailleurs, toujours dans le domaine des addictions, et qui, comme les invités, se sont exprimés.
Mario Blaise et Marc Batard au micro

Tout comme d’anciens patients.
Marmottan m’a aidĂ© Ă avoir une vie
Cela, devant une salle pleine de professionnels venant de la rĂ©gion parisienne ou d’ailleurs ( une psychologue assise Ă cĂŽtĂ© de moi venait de la rĂ©gion de Rennes).

Dans ces tĂ©moignages d’anciens de Marmottan, on entendait et on sentait certains de ces engagements maintenus annĂ©e aprĂšs annĂ©e, en dĂ©pit dâune certaine adversitĂ©. Mais aussi malgrĂ© ou Ă cause de certains conflits internes. On percevait une observation affutĂ©e du monde et de la sociĂ©tĂ© qui nous entoure et qui, surtout, nous opprime. On recevait une partie de cette mĂ©moire commune de ce qui avait pu ĂȘtre rĂ©ussi envers et contre tout ainsi que, pour moi, une certaine forme de regret de nâavoir pas vĂ©cu cette histoire.

Il y a eu au moins quatre mots en particulier qui mâont marquĂ© lors de ce cinquantenaire Ă la Cigale. Des mots qui, pour moi, expliquent Marmottan mais aussi la raison pour laquelle Marmottan a survĂ©cu et continue dâinspirer.

La Folie.
Plusieurs des professionnelles et professionnels venus tĂ©moigner de leur expĂ©rience de Marmottan, sur la scĂšne, ont racontĂ© que lors de leur entretien dâembauche avec Olievenstein, celui-ci, avait pu plus ou moins leur/lui dire :
« Je crois que vous ĂȘtes folle. Donc, je vous embauche ».

Par « folie », bien-sĂ»r, il fallait, ici, comprendre que ces professionnelles et professionnels qui postulaient ne se contenteraient pas dâĂȘtre des petits soldats ou des exĂ©cutants de la morale bien-pensante. Et quâils seraient impliquĂ©s dans leur travail bien plus quâune personne venant juste pour faire ses heures de travail et pour toucher sa paie Ă la fin du mois. Câest en tout cas comme ça que je lâai dĂ©cryptĂ©.
Car, oui, la folie peut aussi aider Ă vivre. Et Ă travailler.
La folie créatrice de Marmottan
A cette folie sâassocie un humour. Il y a donc eu de lâhumour lors de ce cinquantenaire comme il en a existĂ© et en existe Ă Marmottan.
M.Hautefeuille avec sa clé USB à air pulsé
Le mot Plaisir a Ă©tĂ© employĂ© par Mario Blaise, le mĂ©decin chef actuel de Marmottan. Par ce mot, le principe est dâĂ©viter de juger le mode de vie des uns et des autres. Ou ce quâils sont. DĂšs lors quâils nâagressent pas leur entourage.
Un autre mot mâa, dâun seul coup, fait comprendre la raison pour laquelle, Marmottan est un service Ă part. Et que câest pour cela que jâavais senti, quelques fois, que lorsque je mâexprimais avec mes instruments de mesure psychiatriques, que cela avait fait flop et que quelques uns de mes collĂšgues de Marmottan mâavaient alors regardĂ© comme si jâappartenais Ă une espĂšce insolite :
Antipsychiatrie
Lâantipsychiatrie a Ă©tĂ© un courant dont jâai pu entendre parler. Mais un peu. Comme dâune Ă©poque passĂ©e depuis longtemps. Bien avant que je ne commence Ă venir travailler en psychiatrie au dĂ©but des annĂ©es 90. Encore, quâĂ cette Ă©poque, la psychiatrie nâavait rien Ă voir avec la psychiatrie actuelle en matiĂšre de moyens et de culture de pensĂ©e mais, aussi, de transmission.
GrossiĂšrement, aujourdâhui, je dirais que la psychiatrie telle quâelle a pu ĂȘtre argumentĂ©e par Frantz Fanon, lors de la guerre dâAlgĂ©rie, avait Ă voir avec lâantipsychiatrie. Il sâagissait alors de libĂ©rer les individus, ou de contribuer Ă les aider Ă se sortir de leur asservissement. A Marmottan, pour commencer, il sâagit dâessayer dâaider des personnes Ă se sortir de leur asservissement Ă certaines pratiques lorsque celles-ci sont devenues dangereuses pour leur santĂ©. Cet asservissement a une histoire. La rencontre avec cette pratique sâest faite Ă un moment particulier de leur histoire.
Le mode relationnel que jâai pu « voir » Ă Marmottan entre patients et soignants Ă©tait diffĂ©rent de celui que jâavais pu connaĂźtre ailleurs. On nâĂ©tait pas, on nâest ni potes, ni amis. Cependant, la distance entre le soignant et le patient est diffĂ©rente comparativement Ă ce que jâai pu connaĂźtre dans dâautres services de psychiatrie et de pĂ©dopsychiatrie. Et, je ne parle pas, ici, de lâabsence de la blouse pour le soignant. Car jâavais dĂ©jĂ connu lâexpĂ©rience de lâabsence de blouse en tant quâinfirmier.
Fille ou garçon de joie à Marmottan
Mais la façon de parler du traitement Ă Marmottan avec le patient, de lâaccompagner comme on dit, est diffĂ©rente. Peut-ĂȘtre que cela se faisait aussi un peu de cette façon dans la psychiatrie des annĂ©es 60 et 70. Lorsque la sociĂ©tĂ© Ă©tait diffĂ©rente ? Et que certains nouveaux neuroleptiques permettaient Ă certains patients dâaller mieux ?
Mais on ne parle pas des mĂȘmes publics de patients. Jâai croisĂ© assez peu de patients psychotiques lors de mes quelques remplacements dans le service dâhospitalisation de Marmottan. Et, on ne sâadresse pas de la mĂȘme façon Ă une personne non-psychotique mĂȘme si celle-ci rĂ©pĂšte des comportements extrĂȘmes du fait de ses addictions.
Un autre mot, depuis dĂ©cembre, revient par intermittences, lorsque je repense Ă ce cinquantenaire de Marmottan. Et, cela, dâautant plus que je nâai pas vu le visage ni le corps de son locuteur, apparu soudainement hors-champ, Ă aucun moment prĂ©sent sur la scĂšne puis disparu aussi rapidement.
Et pourtant, cet homme Ă©tait bien conscient de lâhistoire de Marmottan comme porteur dâune partie de sa mĂ©moire. Le fait que cet homme, qui devait avoir dans les 70 ans, ait un accent antillais, a certainement eu sur moi un effet particulier. Celui dâun certain rĂ©veil de mes origines antillaises. Peut-ĂȘtre, mais je nâen suis pas sĂ»r, que ce mot sur lequel il a insistĂ© mâa autant parlĂ© parce-que, dedans, jâai entendu du Gro-Ka, cette musique traditionnelle, trĂšs lointaine, rattachĂ©e Ă la mĂ©moire de soi, Ă la permanence dâune certaine vitalitĂ© malgrĂ© les trajectoires et qui a besoin de ça pour exister :
La Ferveur ( en cliquant sur le lien à gauche, une vidéo apparaßt).

Franck Unimon, ce samedi 24 septembre 2022.