La Gare du Nord
Elle est connue comme la plaque tournante de diffĂ©rents trafics. Un trafic, câest lâendroit ou plusieurs mondes et diverses langues, croyances, histoires, pratiques et lois peuvent se rencontrer et se heurter beaucoup plus et bien plus rapidement quâon ne le croit. Pour quelques secondes. Plusieurs heures, plusieurs mois, plusieurs annĂ©es, pour toujours.
MalgrĂ© bien des efforts de rĂ©novation, de mĂ©nage et de patrouilles policiĂšres, elle est sale et internationale. Elle est trĂšs pauvre et aussi trĂšs friquĂ©e. Elle sent lâurine et le stĂ©rile.
Beaucoup est possible avec elle. Mais cela ne veut pas dire que cela sera facile pour autant. Car cela sera selon les consĂ©quences de la correspondance que lâon y prendra. Certains aimeraient pouvoir lâĂ©trangler. Dâautres lui trouvent une toison particuliĂšre que les autres gares, plus hypocrites et plus soumises, nâont pas.
Elle peut nous permettre de prendre le train pour lâĂ©tranger, pour la banlieue, dâaller jouir au loin. Dans toutes sortes de banlieues, des plus sensibles, des plus avantagĂ©es, des plus inaccessibles, aux plus mortes. Mais aussi de sâĂ©loigner un peu plus du Paris chic.
Je nâaime pas particuliĂšrement la gare du Nord mais elle me ramĂšne en Ecosse, Ă Paris et Ă Marseille la mĂȘme annĂ©e. Certaines gares gardent ce pouvoir. MĂȘme si ensuite, la ligne sâenfuit ou disparaĂźt, il nous reste lâattrait.
Câest au terminus dâune station de bus, Ă la Gare du Nord, que ce 1er septembre 2021, jâai joint un ami qui habite maintenant Ă Bordeaux. A nos dĂ©buts, il vivait encore Ă Evreux. Et moi, Ă Cergy-Pontoise.
Nous nous sommes connus pendant notre service militaire dans un service de psychiatrie adulte oĂč nous exercions notre fonction dâinfirmier auprĂšs dâappelĂ©s, de quelques civils et gradĂ©s.
Le syndrome anxio-dĂ©pressif et la tentative de suicide Ă©taient une cause frĂ©quente dâhospitalisation. Tel appelĂ© parti au loin apprenait que sa copine le quittait. Tel autre, en vivant lâexpĂ©rience de la sĂ©paration, de la vie militaire, entrait dans une des gares de la psychose. Un cuisinier se mettait Ă entendre des voix mais aussi Ă voir des choses. Sa hiĂ©rarchie militaire lui expliquait quâavec un peu de volontĂ©, il parviendrait Ă Ă©cumer tout ça. En changeant de mode de cuisson et de casserole. En trouvant dâautres ingrĂ©dients. Il faisait peut-ĂȘtre trĂšs bien la cuisine. Et, sâil partait, ses bons petits plats allaient manquer. Sauf que mon cher gradĂ©, la psychose hallucinatoire obĂ©it Ă dâautres commandements que ceux des plats en sauce et des voies ferrĂ©es militaires.
Un autre appelĂ© Ă©tait dans une torpeur, une dĂ©pression peut-ĂȘtre mĂ©lancolique, qui nâavait dâĂ©gal que la dĂ©solation dans laquelle se dĂ©composait sa trĂšs jolie fiancĂ©e lors de ses visites. Avant son dĂ©part pour le service militaire, ils avaient prĂ©vu de se marier.
Jâavais appris lors du transfert en province dâun grand patient ingĂ©nieur que le Largactil, câĂ©tait trĂšs bien car cela donnait de plus longues Ă©rections.
Je me rappelle aussi de ce patient schizophrÚne qui, de colÚre, avait balancé quelques objets saillants dans sa chambre. Son pÚre nous avait dit : « Il est sympa. Il faut juste lui parler ».
Il est vrai quâune fois calmĂ©, ce patient nous avait parlĂ© deâŠ.Bourdieu et de son livre qui venait de sortir. La MisĂšre du monde : La France parle. Un pavĂ© que jâavais achetĂ© et que je nâai toujours pas pris le temps de lire prĂšs de trente ans plus tard.
Hier, mon ami de lâarmĂ©e mâa dit avoir reçu des mauvaises nouvelles autour de lui rĂ©cemment. On pourrait dire que ce sont des nouvelles du front. Parmi elles, un couple de ses amis, trĂšs en peine de rĂ©ussir Ă enfanter, Ă©tait enfin parvenu, grĂące Ă une FIV, Ă procrĂ©er. Seulement, trois semaines avant lâaccouchement, un examen venait de rĂ©vĂ©ler que lâenfant Ă naĂźtre Ă©tait porteur dâune atteinte cĂ©rĂ©brale.
Aujourdâhui, ce 2 septembre 2021, câest le jour officiel de la rentrĂ©e scolaire, du moins, en rĂ©gion parisienne. Chaque rentrĂ©e est une plaque tournante. Beaucoup est possible. Mais cela ne veut pas dire que cela sera facile pour autant.
Franck Unimon, ce jeudi 2 septembre 2021.
Une réponse sur « La Gare du Nord »
[…] Franck, tu vas te faire vacciner ? ». JâĂ©tais Ă cĂŽtĂ© de la gare du Nord. ( La Gare du Nord )Jâai essayĂ© de le rassurer. J’ai rĂ©pondu, je crois, en toute sincĂ©ritĂ©. Sans […]