Nonne essentielle
Ce matin, afin de retourner Ă la galerie dâart de lâami Michel, jâai empruntĂ© un autre itinĂ©raire Ă vĂ©lo. Je me suis retrouvĂ© en compagnie de compĂ©titeurs et de compĂ©titrices, chacune et chacun avec son engin et son style. Certains exfiltrant toute lenteur de leur cycle. Lâun dâeux, plus pressĂ© que dâautres, mais au mauvais moment, sâest fait toper par la police. Au feu rouge oĂč nous Ă©tions arrĂȘtĂ©s, nous lâavons vu remettre sa piĂšce dâidentitĂ© Ă un agent qui effectuait des vĂ©rifications en se servant de son tĂ©lĂ©phone portable.
Nous avons aussi Ă©tĂ© des vitrines roulantes en file indienne du cĂŽtĂ© du Boulevard Magenta sans rien dâautre Ă vendre que le vent et notre vigueur. Dans lâautre sens, câĂ©tait pire. CâĂ©tait la cavalerie des dĂ©railleurs.
Lorsque je me suis rapprochĂ© du but, jâai pris une rue qui sâest avĂ©rĂ©e ĂȘtre celle du Delta. Je nâai pas su comment bien la prendre, cette rue, avec ce nom de variant en pleine pandĂ©mie du Covid. Je jure sur le St Galibier avoir tournĂ© dans cette rue au hasard mĂȘme si certaines lunes, pĂ©tĂ©es de thunes, certifieront que lâon ne choisit jamais les costumes que lâon enfile au hasard. Au mĂȘme titre que certaines rencontres que lâon prend et qui sont des rasoirs nous entaillant la gorge dâune oreille Ă lâautre.
Mais je nâallais pas, par superstition, retourner en arriĂšre, juste pour changer de rue. MĂȘme si j’ai Ă©vitĂ© de stationner devant le bar Le SĂ©vĂšre Tuant.
Lorsque je suis arrivĂ©, lâami Michel balayait devant sa porte. Il Ă©cartait les feuilles sur le trottoir. Je me suis arrĂȘtĂ©, et avec malice, jâai sonnĂ©. Il sâest retournĂ© et mâa souri. Peu aprĂšs, nous sommes entrĂ©s dans sa galerie comme quelques mois plus tĂŽt.
La pratique artistique et culturelle est une nonne essentielle. Tandis que lâon parle entre nous, quâon la regarde ou quâon lâĂ©coute, elle prie pour nous, nous inspire, nous porte et nous protĂšge. Mais câest peut-ĂȘtre la croyance idiote Ă©manant dâune intelligence en manque de stimulation ou Ă©puisĂ©e par trop de vĂ©lo. Parce-que lâart et la culture, cela ne remplit et nâabrite pas toujours le corps des femmes et des hommes. Mais cela peut permettre la rencontre de la conscience, une expĂ©rience qui ne rĂ©pond Ă aucun logiciel et qui ne se commande pas.
Lâart et la culture, ça peut aussi nous sortir de cette vie de portiques, de surditĂ© et de contrĂŽles dans laquelle nous nous enfonçons de plus en plus.
Pour quitter lâami Michel, je suis remontĂ© sur mon vĂ©lo. Celui-ci mâa saluĂ© comme si je partais pour un trĂšs long voyage. JusquâĂ la gare St Lazare.
Dix minutes plus tard, jâavançais en touriste quand jâai croisĂ© Josiane Balasko. Elle promenait deux petits chiens, boulevard Clichy, avec ses cheveux blonds, lâesprit dans un scĂ©nario, quâelle seule pouvait voir. Jâai freinĂ©. Jâai rebroussĂ© chemin. Jâai eu envie de lâaccoster pour demander Ă la photographier pour une amie. Jâai saluĂ© lâhomme qui accompagnait « Josiane » et qui, lui, aussi, promenait un chien. On aurait dit un Apache ou un PĂ©ruvien, assez grand, assez massif. Jâai un petit peu pensĂ© Ă lâami indien du photographe de guerre, Patrick Chauvel.
Mais lâhomme nâa pas trĂšs bien rĂ©pondu Ă mon signe de tĂȘte. Il se demandait peut-ĂȘtre ce que je voulais. Je ne suis pas fort en tĂ©lĂ©pathie, en nuages de fumĂ©e et en langage de signe. Alors, jâai prĂ©fĂ©rĂ© laisser rĂȘver.
Franck Unimon, ce mardi 31 aout 2021.