La marche de la vie
Je crois que je nâavais pas revu cette amie depuis lâenterrement de son ex-mari il y a deux ou trois ans. AprĂšs le cimetiĂšre, je nâavais pas pu rester. Jâavais ma fille Ă aller chercher Ă la sortie de lâĂ©cole. JâĂ©tais rentrĂ© avec la compagne de mon meilleur ami. Lequel, lui, Ă©tait parti avec elle rejoindre des proches.
Depuis, mon meilleur ami a perdu son pĂšre. Cela faisait deux ans quâil avait dĂ©veloppĂ© la maladie dâAlzheimer. JâĂ©tais au domicile de ses parents ainsi quâĂ la mosquĂ©e avant que le corps du pĂšre de mon meilleur ami ne soit rapatriĂ© en AlgĂ©rie. JâĂ©tais vraisemblablement la seule personne prĂ©sente Ă nâavoir jamais reçu le moindre enseignement musulman. CâĂ©tait le 13 juillet de cette annĂ©e.
Cette amie a Ă©galement perdu son pĂšre rĂ©cemment. Ce vendredi, alors que je sortais de ma deuxiĂšme journĂ©e de travail, nous nous sommes donnĂ©s rendez-vous. Tout est parti dâun sms que je lui avais envoyĂ© la veille en sortant de ma consultation avec la mĂ©decine du travail. PrĂšs de lâappartement de ses parents.
Notre estime mutuelle tient de lâescrime. Et, câest comme ça depuis trente ans. Lorsque je lui ai appris ne pas ĂȘtre vaccinĂ© contre le covid, elle mâa dâabord demandĂ© :
« Si ce nâest pas indiscret, tu peux me dire pourquoi ? ». Je lui ai rĂ©pondu. AprĂšs quelques minutes, elle a poursuivi :
« Etant donnĂ© que je suis vaccinĂ©e, tu te doutes que je ne partage pas ton avis. Mais ce nâest pas grave ».
Je me suis alors senti obligĂ© dâajouter :
« Non, je ne mâen doute pas. Câest toi qui me lâapprends. Il y a diffĂ©rentes façons de prendre sa dĂ©cision pour se faire vacciner. Autour de moi, je connais des personnes qui se sont faites vacciner pour Ă©viter les consĂ©quences Ă©conomiques. Et dâautres, pour voyager ».
Nous nous sommes revus Ă la sortie dâune station de mĂ©tro. Elle mâa alors appris avoir passĂ© ses six premiĂšre annĂ©es dans un immeuble, non loin de lĂ . Elle a voulu y aller. Nous lâavons fait. Je nâĂ©tais pas pressĂ©. Jâavais mon vĂ©lo Ă cĂŽtĂ© de moi. JâĂ©tais aussi curieux de dĂ©couvrir ça. Elle mâa racontĂ© comment câĂ©tait du temps de son enfance. Elle aurait voulu entrer dans la cour intĂ©rieure. Mais lâaccĂšs Ă©tait fermĂ©. DĂ©sormais, il fallait soit connaĂźtre le code ou possĂ©der un badge. Quelques dizaines de mĂštres plus loin, nous tournant le dos, sâĂ©loignant, et ignorant tout de notre prĂ©sence, des prĂ©adolescents semblaient jouer ou parler entre eux. Ce qui rendait ce milieu encore plus inaccessible.
Puis, nous nous sommes Ă©loignĂ©s. Elle mâa montrĂ© lâĂ©glise qui Ă©tait toujours lĂ . Elle mâa passĂ© dâautres tĂ©moins de son histoire.
Ensuite, nous avons marchĂ© en nous racontant nos vies, jusquâaux plus grandes Ă©chelles, jusquâĂ chez elle, dans Paris. Sans regarder lâheure. Câest elle qui nous guidait, me proposant de temps Ă autre le choix entre deux rues.
Jâai vraisemblablement beaucoup vieilli depuis que nous nous connaissons. Ou la vie en banlieue et les confinements successifs mâont rendu aveugle et amnĂ©sique. Car, dans les rues, je redĂ©couvrais quelques foules attablĂ©es Ă lâextĂ©rieur ou debout, discutant. Je croisais Ă nouveau des personnes qui passaient Ă vĂ©lo. Je nâavais plus vu ça ou pris part à ça dans Paris depuis quelques annĂ©es. Jâai mĂȘme reconnu un jeune acteur entourĂ© de quelques uns de ses amis. Il avançait dans la rue, souriant. FĂ©lix Moati. Je lâai signalĂ© Ă mon amie qui a alors tournĂ© la tĂȘte. Puis, jâai ajoutĂ© que ça nâavait pas dâimportance. Comme si, sur la plage, jâavais subitement remarquĂ© un caillou et que, finalement, en rĂ©flĂ©chissant, ne sachant pas trop quoi en faire, jâavais dĂ©cidĂ© de le laisser dans son environnement. Afin de continuer Ă profiter du moment.
Bien-sĂ»r, il ne sâagit pas de sortir pour sortir. Pour « faire jeune », « branchĂ© » ou « dynamique ». Et pour nâĂȘtre, finalement, rien dâautre quâun consommateur de plus qui copie avec le sourire ce qui est attendu de lui. Tout en ayant la certitude dâĂȘtre parfaitement original et maitre de lui-mĂȘme. Mais, disons que je me suis senti un peu dĂ©placĂ©, inadaptĂ©, en apercevant ça. Alors que je sais avoir par ailleurs de bonnes raisons de ne plus ĂȘtre dans ce « mouvement ». Et, puis, aussi, que lâon peut se passer de tout ça pour ĂȘtre proche de quelquâun. Ce nâest pas le prestige dâun endroit ou le prix dâune table de restaurant qui rend exceptionnel ce que lâon vit. Câest ce que lâon vit. Et avec qui. Et quand.
Et, je crois que ce que jâai vĂ©cu avec cette amie a Ă©tĂ© exceptionnel. Puisque cela nâest pas courant. Si je faisais de lâesprit, je dirais quâil est exceptionnel que cette amie et moi ayons pu nous parler et nous Ă©couter pendant prĂšs de deux heures sans nous disputer. Mais je fais ici de la provocation. Non, lâexceptionnel, câest de pouvoir se parler en toute confiance et, aussi, dâavoir pu se revoir pour des circonstances agrĂ©ables et suffisamment durables de façon Ă pouvoir refaire le plein.
Nous nâavons fait quâune halte pour acheter un sandwich Ă emporter. Puisque moi, je nâavais pas de passe sanitaire. Ce qui mâa peut-ĂȘtre donnĂ© lâoccasion de frauder pour la premiĂšre fois. Alors que nous nous sommes assis, seuls, Ă lâĂ©cart, sur un des bancs situĂ© Ă plusieurs mĂštres en face du lieu oĂč nous avions commandĂ© et achetĂ©. Ces bancs avaient sĂ»rement Ă©tĂ© mis lĂ par lâenseigne et Ă©taient occupĂ©s par un groupe de jeunes avant notre arrivĂ©e.
Puis, aprĂšs avoir mangĂ©, nous sommes repartis. Avant de nous mettre en train, cette amie sâĂ©tait inquiĂ©tĂ©e du fait que notre destination, jusquâĂ chez elle, mâĂ©loignait de chez moi. Jâavais souri :
« Mais jâai mon vĂ©lo ! Tout ce qui compte pour moi, ensuite, câest dâaller Ă la gare St Lazare ».
PrĂšs de son immeuble, elle mâa dit de la tenir au courant de ce qui mâarrivait. Jâai acquiescĂ©. Puis, en suivant ses indications, jâai vite retrouvĂ© le chemin pour St Lazare. Avant la gare du Nord, jâai aperçu une fĂȘte. Il y avait beaucoup de monde. Jâentendais la musique alors que nous discutions.
A St Lazare, jâai pris mon train de banlieue.
Cette nuit, jâai comptĂ© le nombre dâarticles que jâai Ă©crit lors de ce mois dâaout aprĂšs avoir publiĂ© Photos du mois d’Aout 2021) . Article que jâai publiĂ© en me demandant si toute cette Ă©nergie que je mets Ă Ă©crire avait une rĂ©elle utilitĂ©. Je nâai jamais autant publiĂ© pour mon blog que depuis ce mois dâaout 2021. Je dĂ©pose aussi dans ce blog une partie de ma mĂ©moire. Ce mois dâaout est peut-ĂȘtre le tour de piste des sujets vers lesquels je vais de plus en plus me concentrer. Ou peut-ĂȘtre aussi ma façon de tirer ma rĂ©vĂ©rence. Car jâai le pressentiment que ce mois de septembre va mâĂȘtre difficile. MĂȘme si je ne vois pas trop encore pour quelle raison. Parce-que tout ce que lâon apprĂ©hende de façon trop Ă©vidente se vĂ©rifie, Ă mon avis, assez rarement.
A cĂŽtĂ© de ça, je me dĂ©sole de voir que Marche jusqu’au viaduc est moins lu quâil le devrait Ă mon avis. Câest peut-ĂȘtre une histoire dâexposition. Câest peut-ĂȘtre tant mieux, aussi. Mais pour qui ?
Franck Unimon, ce dimanche 29 aout 2021.