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Le Fils du pauvre

                                               Le Fils du pauvre de Mouloud Feraoun.

 

 

Quelle que soit l’heure oĂč on lĂšve l’encre, Ă©crire a Ă  voir avec la nuit. Celle oĂč l’on ferme son sommeil. Et oĂč subsiste notre souffle, notre pensĂ©e, notre volontĂ©.

Il en a fallu des semaines pour lire ce « petit » livre d’à peine 135 pages. Deux heures auraient pu suffire. Ou trois si l’on veut prendre son pouls.

 

Dans son livre Noureev, l’insoumis , Ariane Dollfus ( que je viens de confondre avec la photographe Diane Arbus) raconte la grande pauvretĂ© dans laquelle le futur danseur Ă©toile ( puis chorĂ©graphe) avait grandi. Seul garçon parmi ses sƓurs, pendant plusieurs annĂ©es, il avait Ă©tĂ© le petit Dieu de la maison. Jusqu’au retour du pĂšre, dĂ©crit comme un rival particuliĂšrement brutal.

Feraoun « Fouroulou », dans les montagnes rudes de sa Kabylie, a aussi joui de ce statut. Mais il y’avait bien plus d’amour entre son pĂšre et lui ainsi qu’autour de lui.

LĂ  oĂč la famille de Rudolf Noureev vivait dans un certain isolement dans mon souvenir, celle de Feraoun se tenait au sein d’une communautĂ© qu’il nous raconte. Sa grand-mĂšre paternelle, ses parents, son oncle paternel Lounis, sa femme, la redoutable Helima, ses tantes Nana et Khalti, ses sƓurs, ses cousines, son copain d’enfance protecteur Akli -qui deviendra berger-, les voisins et les cousins, la Djema, l’exil durant un temps, du pĂšre aimĂ© (hĂ©bergĂ© alors au 23, rue de la Goutte d’or Ă  Paris, 18Ăšme) pour aller travailler dans les fonderies d’Aubervilliers


 

« (
.) Nos ancĂȘtres, paraĂźt-il, se groupĂšrent par nĂ©cessitĂ©. Ils ont trop souffert de l’isolement pour apprĂ©cier comme il convient l’avantage de vivre unis. Le bonheur d’avoir des voisins qui rendent service, aident, prĂȘtent, secourent, compatissent ou tout au moins partagent votre sort ! Nous craignons l’isolement comme la mort. Mais il y’a toujours des querelles, des brouilles passagĂšres suivies de raccommodements Ă  propos d’une fĂȘte ou d’un malheur. « Nous sommes voisins pour le paradis et non pour la contrariĂ©té ». VoilĂ  le plus sympathique de nos proverbes ». (Mouloud/Menrad Feraoun dans Le Fils du pauvre).

Noureev (1938-1993) quittera la maison familiale un peu Ă  la façon d’un Basquiat, endossant sa libertĂ© avant sa majoritĂ©. Et, plutĂŽt que la rue, il parviendra Ă  intĂ©grer une trĂšs grande Ă©cole de danse. Puis devenu un danseur de haut niveau, Ă  l’occasion d’une tournĂ©e internationale, il prendra Ă  nouveau la fuite. Cette fois-ci afin d’échapper au rĂ©gime politique- communiste- de son pays. Il s’installera en France oĂč, jusqu’à sa mort et aujourd’hui encore, il bĂ©nĂ©ficiera d’une aura internationale. MĂȘme si, Ă  la façon du Surfer d’Argent, personnage de comics probablement inspirĂ© de la mythologie, Noureev ne pourra jamais retourner dans son pays natal ou mĂȘme y acheter une datcha.

Feraoun (1913-1962, 41 ans lors de la parution de son livre, Le Fils du pauvre), d’abord fils unique parmi ses soeurs puis fils aĂźnĂ©, a plutĂŽt Ă©tĂ© le trĂšs bon Ă©lĂšve cherchant Ă  plaire au moins Ă  son pĂšre, Ă  ses professeurs, et Ă  la rĂšgle.

« (
.) Crois-tu que nous sommes faits pour les Ă©tudes ? Nous sommes pauvres. Les Ă©tudes, c’est rĂ©servĂ© aux riches ».

Cependant, Fouroulou est un Ă©lĂšve brillant. Et sa famille va se montrer aussi combattive que la M’man Tine de Rue Case-NĂšgres pour son petit JosĂ© (livre de Joseph Zobel, paru en 1950, ensuite adaptĂ© au cinĂ©ma par Euzhan Palcy en 1983).

Enfant « gĂąté » selon ses propres termes et observateur attentif de la condition de son entourage, Feraoun, de par sa personnalitĂ©, a dĂ©veloppĂ© un certain sens de l’autodĂ©rision et de l’ironie :

« (
.) A l’ñge oĂč ses camarades s’éprenaient d’Elvire, lui, apprenait « le lac » seulement pour avoir une bonne note. Mais comme il dĂ©bitait son texte d’un ton hargneux, au lieu d’y mettre comme il se doit la douceur mĂ©lancolique d’un cƓur sensible et dĂ©licat, le professeur le gourmandait et Fouroulou allait s’asseoir plein de rancune ».

Mais cet esprit est aussi fait d’un sentiment de dette et donc de devoir envers sa famille et ses origines. Il a besoin d’ĂȘtre en accord avec elles. Il est aussi mariĂ© et pĂšre. Pour cela, peut-ĂȘtre, il lui est impossible de s’enfuir comme de se rĂ©volter Ă  la diffĂ©rence d’un Noureev ou d’un Basquiat alors qu’il nous envoie un peu de sa terre natale :

« çof rival » ; « tamens » ; « kanoun » ; «  akoufi ventru » ; « hechaichi » ; « vieux khaounis » ; « djenoun » ; « zaouias » ; « dokhars » ; « mechmel » ; « kouba » ; « ikoufan vide ».

 

Lire son Le Fils du pauvre aprĂšs son Journal ( voir mon article dans cette mĂȘme rubrique ) nous convainc qu’il Ă©tait ainsi quasiment prĂ©destinĂ© Ă  ĂȘtre assassinĂ© pendant la Guerre d’AlgĂ©rie. En AlgĂ©rie. Il y’a bien-sĂ»r de la tristesse devant le constat de ce dĂ©terminisme. Une tristesse que l’on pourrait entendre dans le titre Mr Pastorius interprĂ©tĂ© par Miles Davis en hommage au bassiste Jaco Pastorius. Mais il s’agit d’une tristesse que l’on pourrait comprendre Ă  voir l’enfance de Feraoun surmonter ces Ă©tapes de la vie qu’il nous raconte pour, finalement, en 1962, en quelques minutes, se faire buter Ă  49 ans par des volontaires de l’OAS qui disposaient d’armes pour principales compĂ©tences.

 

On pourrait me dire que j’idĂ©alise trop Mouloud Feraoun que je n’ai jamais connu ou rencontrĂ©. Que cela en devient inquiĂ©tant. Qu’il vaut mieux le laisser dans son anonymat et dans son assassinat. Qu’il Ă©tait en fait double ou triple.

 

Oui.

 

Comme la plupart d’entre nous.

 

 

« (
.) Oh ! Les pauvres yeux de fous, je ne les verrai nulle part sans Ă©motion. Eux seuls reflĂštent la souffrance de l’ñme et recherchent Ă©perdus ce que le cƓur et le cerveau n’ont plus ». Mouloud Feraoun dans Le Fils du pauvre.

 

 

Franck Unimon, ce mardi 8 janvier 2019.

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