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Corona Circus self-défense/ Arts Martiaux

Le Jihad, c’est les autres.

 

Ça a commencĂ© lors d’une nouvelle sĂ©ance de kinĂ©. Pour une tendinite. J’en ai dĂ©jĂ  parlĂ© et j’en reparlerai :

Les kinĂ©s sont les professionnels de la santĂ© que j’ai- de trĂšs loin- le plus rencontrĂ©s dans ma vie. J’ai une enquĂȘte Ă  finir sur l’histoire de mon corps. Il doit y avoir des raisons pour que je retourne rĂ©guliĂšrement, depuis mon adolescence,  dans le port  des kinĂ©s, ces rĂ©parateurs du mouvement. Sans doute que je rĂ©pĂšte des gestes interdits en forçat qui se dĂ©place Ă  contre-courant.

 

J’ai donc connu plusieurs cabinets ou plusieurs ports de kinĂ©s dans ma vie. Celui-ci est prĂšs de chez moi. J’y suis d’abord allĂ© les premiĂšres fois il y a deux ou trois ans pour des raisons trĂšs pratiques : afin de se rendre en bĂ©quilles Ă  une rĂ©Ă©ducation aprĂšs une intervention chirurgicale, mieux vaut Ă©viter le parcours avec des cols Ă  quinze pour cent Ă   grimper sur plusieurs kilomĂštres afin d’accĂ©der au cabinet du kinĂ©.

 

 

Sauf peut-ĂȘtre pendant le confinement rĂ©cent, les kinĂ©s ne chĂŽment pas. Ce sont des professionnels trĂšs demandĂ©s. J’ai connu deux sortes de kinĂ©s :

Celles et ceux qui vous prennent en individuel et qui, durant la sĂ©ance de 20 Ă  30 minutes, s’occupent uniquement ou principalement de vous. Et celles et ceux qui vous donnent des exercices Ă  faire, ou vous mettent sous machine, partent s’occuper de quelqu’un d’autre et viennent vous voir de temps Ă  autre pour s’assurer du fait que tout se passe bien.

 

J’imagine bien-sĂ»r que tous ces kinĂ©s ont leurs raisons.  Certains expliqueront que certains traitements et certaines rĂ©Ă©ducations ne nĂ©cessitent pas leur prĂ©sence permanente. D’autres, qu’il faut qu’ils amortissent le coĂ»t de leur matĂ©riel de pointe trĂšs couteux et qu’ils n’ont pas d’autre choix que d’enchaĂźner le nombre de patients ou de clients d’autant que ceux-ci sont devenus de plus en plus nombreux.

 

 

Le cabinet de kinĂ© oĂč je me rends a Ă©tĂ© pour moi une dĂ©couverte la premiĂšre fois :

 

Il y a bien quelques piĂšces isolĂ©es oĂč je devine que des patients sont dans une certaine intimitĂ©. Mais pour l’essentiel, le cabinet de kinĂ© est un open space sans cloisons oĂč l’on peut ĂȘtre vingt Ă  trente personnes en soins et en rĂ©Ă©ducation en mĂȘme temps allongĂ© ou en train de rĂ©aliser tel exercice de rĂ©Ă©ducation ou de renforcement musculaire, ou en train de recevoir un soin par un kinĂ©. Du fait de l’épidĂ©mie, avec la sortie du confinement, nous sommes tenus de venir avec un masque, un sac oĂč ranger nos manteaux et de nous laver les mains avant la sĂ©ance ou d’utiliser du gel hydroalcoolique mis Ă  notre disposition Ă  l’entrĂ©e.

 

Cette particularitĂ© « open space Â» pourrait faire sourire alors que l’on nous parle beaucoup de respect  de la « confidentialitĂ© Â» un peu partout : dans les labos d’analyses, dans les administrations diverses, dans les hĂŽpitaux. Mais cette proximitĂ© ne me dĂ©range pas d’autant qu’en gĂ©nĂ©ral les kinĂ©s qui officient ont su crĂ©er une certaine convivialitĂ© dans leurs relations comme avec nous. Et puis, il y a la tĂ©lĂ©.

 

Car dans ce cabinet « open space Â», il y a une tĂ©lĂ© souvent allumĂ©e. Dans un autre cabinet de kinĂ© que j’ai frĂ©quentĂ©, la tĂ©lĂ© passait uniquement du sport. On Ă©tait dans un cabinet de kinĂ©s spĂ©cialisĂ©s dans le sport.

 

Dans ce cabinet, on aime beaucoup le sport aussi et les Ă©vĂ©nements qui en parlent. Mais on aime aussi beaucoup dĂ©battre. Il est arrivĂ© que la chaine choisie soit Arte et cela m’apaisait. Mais depuis que j’y suis retournĂ© il y a bientĂŽt un bon mois maintenant, on a droit Ă  la chaine Cnews. A chacune de mes sĂ©ances, Cnews est dans la place avec cette Ă©mission animĂ©e et patronnĂ©e par un journaliste entourĂ© de chroniqueurs majoritairement masculins mĂȘme si on trouve aussi quelques femmes.

 

 

Parmi mes premiĂšres sĂ©ances avec Cnews, le sujet, rĂ©pĂ©tĂ©, portait sur les violences policiĂšres en France. AprĂšs l’épidĂ©mie du coronavirus, le thĂšme des violences policiĂšres a effectuĂ© sa percĂ©e. C’était avant le rĂ©sultat du deuxiĂšme tour des Ă©lections municipales qui a finalement eu lieu hier et qui a rĂ©Ă©lu Isabelle Hidalgo comme maire de Paris face Ă  Rachida Dati et AgnĂšs Buzyn, ex-Ministre de la santĂ© partie en pleine Ă©pidĂ©mie Covid remplacer la candidature de Benjamin Grivaux pour cause de scandale dĂ» Ă  des vidĂ©os de Monsieur le sexe en Ă©rection. C’était avant la rĂ©ouverture des salles de cinĂ©ma qui ont pu s’adapter au covid-19.

 

 

Lors d’une de mes sĂ©ances kinĂ©, il y a donc eu dĂ©bat non sur mes Ă©rections ou sur ce que je pouvais penser de celle de l’homme politique Benjamin Grivaux, mais sur les violences policiĂšres. Un des kinĂ©s, assez incrĂ©dule, m’a demandĂ© si, moi, en tant que noir, je m’étais dĂ©jĂ  senti dĂ©favorisĂ© devant la police. Cette question personnelle m’a Ă©tĂ© posĂ©e en public puisque nous sommes dans un cabinet « open space Â».

 

On se rappelle du contexte : d’un cĂŽtĂ©, aux Etats-Unis, la mort du noir amĂ©ricain Georges Floyd, sous le genou d’un flic blanc, Derek Chauvin, dĂ©jĂ  connu «  pour violences Â». Georges Floyd aurait Ă©tĂ©, a Ă©tĂ© suspectĂ©, de vouloir se servir d’un faux billet de vingt dollars. RĂ©sultat :

Il est mort Ă©touffĂ© par le policier Derek Chauvin alors qu’il rĂ©pĂ©tait qu’il ne pouvait pas respirer. La scĂšne a Ă©tĂ© filmĂ©e par une jeune noire avec son tĂ©lĂ©phone portable. J’ai oubliĂ© le prĂ©nom de cette jeune noire. Mais j’ai retenu son nom : Frazier. Comme l’ancien boxeur noir, champion du monde, et grand rival de Muhammad Ali, un des hĂ©ros encore aujourd’hui de bien des jeunes dans les citĂ©s et banlieues.

 

Muhammad Ali a Ă©tĂ© un de mes hĂ©ros lorsque j’étais adolescent. Et je reste attachĂ© Ă  son histoire. Mais je sais aussi qu’il a manquĂ© de correction envers Joe Frazier et Malcolm X qui sont aussi des modĂšles. Je sais aussi que Muhammad Ali, lorsqu’il s’appelait encore Cassius Clay, doit d’avoir Ă©tĂ© « orientĂ© Â» vers la boxe par un flic
blanc. AprĂšs qu’il se soit fait voler son vĂ©lo.

 

Adama TraorĂ©, mort il y a quatre ans en France aprĂšs une interpellation policiĂšre, est l’autre personne qui a ravivĂ© le sujet des violences policiĂšres. Officiellement, la façon dont il a Ă©tĂ© interpellĂ© physiquement n’a rien Ă  voir avec sa mort. Sauf que les autopsies rĂ©alisĂ©es par d’autres experts sollicitĂ©s par la famille d’Adama TraorĂ© disent le contraire.

 

 

Je n’ai pas regardĂ© sur le net la vidĂ©o de la mort de Georges Floyd. Je n’ai pas lu le livre qui parle d’Adama TraorĂ© et de la façon dont il est mort. Je crois celles et ceux qui disent que les deux histoires sont trĂšs diffĂ©rentes. Mais je crois aussi que celles et ceux qui le disent le font aussi pour se soulager. Parce qu’une fois  qu’on a dit que les deux histoires n’ont rien Ă  voir, c’est comme si l’on pouvait changer de sujet juste aprĂšs la page de pub et aprĂšs avoir affirmĂ© que tout va bien.

 

Je ne crois pas que la police française soit raciste. Mais j’ai dĂ©jĂ  Ă©tĂ© interpellĂ© deux ou trois fois par des policiers, dont au moins une fois voire deux ou trois fois parce-que j’étais noir, et mĂȘme si deux ou trois fois, c’est « peu Â» et que tout s’est bien et rapidement terminĂ©, pour moi, en tant que personne, c’est dĂ©jĂ  beaucoup et, je « sais Â» que cela aurait pu se terminer plus mal pour moi alors que j’étais
 Â« innocent Â».

 

Si la « compĂ©tence Â» ou ce qui ressemble Ă  de l’intelligence de la part du policier ou des flics rencontrĂ©s lors de « mes Â» contrĂŽles a sans doute contribuĂ© au fait que cela se soit bien et rapidement terminĂ©, je crois aussi que je dois saluer, Ă  chaque fois, la capacitĂ© que j’ai eu de rester calme, coopĂ©ratif, optimiste et d’avoir pu m’exprimer poliment et « correctement Â». Mais en situation de stress, et un contrĂŽle est une situation stressante, nous savons tous qu’il peut ĂȘtre trĂšs difficile pour bien des personnes de rester « calme Â», « coopĂ©ratif Â» et de continuer de s’exprimer « correctement Â» :

 

C’est Ă  dire, sans crier, sans s’énerver, sans s’agiter, sans regarder son interlocuteur ou ses interlocuteurs avec dĂ©dain ou colĂšre, ou avec peur, en employant des mots nuancĂ©s et des intonations diplomatiques voire harmoniques et mĂ©lodieuses dans la voix.

 

 

Parce-que je crois vraiment que dans ces deux ou trois situations de contrĂŽle que j’ai vĂ©cues, qu’il aurait suffi que je m’emporte pour qu’en face, de maniĂšre-rĂ©flexe ou conditionnĂ©e, un des reprĂ©sentants de l’ordre se sente Ă  son tour agressĂ©, pris Ă  la gorge, et se persuade trĂšs vite d’ĂȘtre en prĂ©sence d’un Ă©niĂšme individu rĂ©calcitrant.

 

A partir de lĂ , une rĂ©action en chaine s’enclenche, et, moi, l’innocent, j’aurais trĂšs bien pu me retrouver avec une clĂ© de bras dans le dos, plaquĂ© contre un mur, sommĂ© de vider mes poches devant tout le monde, comme il m’a dĂ©jĂ  pu m’arriver de le voir pratiquĂ© en prenant les transports en commun. Transports en commun, le train et le mĂ©tro en particulier, qu’en tant que banlieusard, je prends rĂ©guliĂšrement depuis mon adolescence.

 

Cette expĂ©rience-lĂ , ce vĂ©cu-lĂ , cette quasi-certitude que cela peut ou pourrait « partir en couille Â» face Ă  la police lors d’un simple contrĂŽle, je crois qu’en France, aujourd’hui en 2020, si l’on est un homme arabe ou noir qui a grandi en France, dans un environnement rĂ©guliĂšrement quadrillĂ© par les forces de l’ordre, on les a ou on les assimile Ă  partir de notre adolescence. Et le verbe « assimiler Â» a sa place ici dans toute son ambiguĂŻtĂ©.

 

 

Je ne suis pas anti-flic. Je ne me sens pas anti-flic. Je considĂšre mĂȘme que bien des flics ont Ă  exĂ©cuter des ordres et des missions que leur impose leur hiĂ©rarchie du supĂ©rieur direct au MinistĂšre de l’IntĂ©rieur.

 

 

Mais je m’estimerais trĂšs naĂŻf si, en tant qu’homme noir, en France, je me considĂ©rais toujours l’exact Ă©gal du citoyen blanc ou de la citoyenne blanche lambda en cas de contrĂŽle de police. J’ai quand mĂȘme Ă©tĂ© interpellĂ© un jour Ă  la gare de Sartrouville par une femme-flic qui faisait manifestement ses preuves devant ses collĂšgues masculins (la BAC du coin ?) afin de savoir si je portais sur moi du cannabis ! Selon quels critĂšres ?!

 

La gare Ă©tait pratiquement dĂ©serte et je me rendais Ă  mon travail ce jour-lĂ . J’étais dĂ©jĂ  soignant et faisais dĂ©jĂ  partie «  des hĂ©ros de la Nation Â».

Avec son air bonhomme, la femme flic s’est adressĂ©e Ă  moi avec un aplomb comme si, d’emblĂ©e, j’étais suspect. Je n’avais sur moi ni cigarette, ni joint. J’étais un simple passager qui venait de sortir de son RER ou de son train et qui allait Ă  son travail. J’avais mon titre de transport comme tous les jours. J’ai eu droit Ă  un contrĂŽle d’identitĂ©. Et Ă  un mini-interrogatoire sous le regard de ses collĂšgues masculins postĂ©s derriĂšre elle.

J’ai d’abord rĂ©pondu poliment. Puis, son interrogatoire se faisant insistant et intimidant

(elle me faisait comprendre que si j’avais du shit sur moi, ça allait mal se passer pour moi), j’ai commencĂ© Ă  rĂ©pondre calmement. Et ironiquement. Parce-que ça commençait Ă  m’agacer. Et, lĂ , coup de baguette magique, sans me fouiller, d’un signe de la tĂȘte, elle m’a fait comprendre que je pouvais y aller ( ou dĂ©gager, c’est selon la sensibilitĂ© de chacun). Cette expĂ©rience apparaitra peut-ĂȘtre anodine pour certaines personnes. Mais pas pour d’autres. Et je ne suis pas sĂ»r que d’autres personnes, Ă  ma place, seraient restĂ©es aussi calmes que moi. Et, oui, je considĂšre avoir eu de la chance ce jour-lĂ  car mon ironie, venue de mon agacement comprĂ©hensible, aurait pu se retourner contre moi.

 

 

 

Pour ces quelques raisons et ces quelques exemples, mĂȘme si, oui, je pense que les deux situations Georges Floyd/Adama TraorĂ© sont diffĂ©rentes et que ça me dĂ©range aussi beaucoup de savoir que, de son vivant, Adama TraorĂ© pratiquait «  l’extorsion sur des personnes vulnĂ©rables Â», ce qui est l’autre mot pour dire « racket Â», je me sens plutĂŽt concernĂ© en tant qu’homme noir, par les violences qui ont tuĂ© ces deux hommes.

 

Et, encore plus, en Ă©coutant certains des propos tenus sur Cnews pendant une de mes sĂ©ances de kinĂ©. Cela s’est passĂ© aprĂšs la fresque de Stains montrant Georges Floyd et Adama TraorĂ© cĂŽte Ă  cĂŽte. Je comprends que l’on puisse parler d’amalgame, de rĂ©cupĂ©ration en mettant Georges Floyd et Adama TraorĂ© ensemble au vu du casier judiciaire diffĂ©rent des deux hommes et aussi de la façon dont « l’interpellation Â» s’est passĂ©e :

 

D’un cĂŽtĂ©, avec Georges Floyd, images Ă  l’appui, sauf nouvelle information qui changerait la donne, on a l’acharnement d’un policier, fier de lui, et dĂ©jĂ  connu pour faits de violence. Un policier peut-ĂȘtre maintenu dans ses fonctions par sa hiĂ©rarchie car estimĂ© « efficace Â» ou pratique et disponible lors de certaines situations sensibles. Ce que l’on retrouve dĂ©jĂ  «  un peu Â» en France oĂč, depuis plusieurs mois, le gouvernement Macron-Philippe sait qu’il doit rester en bons termes avec la police afin de pouvoir compter sur elle pour faire le sale travail de rĂ©pression lors de certaines manifestations sociales du type gilets jaunes ou autres. Et je l’écris avec respect pour la police.

 

De l’autre, avec Adama TraorĂ©, on n’a pas les images de sa mort en direct aprĂšs son interpellation et les diffĂ©rentes autopsies se contredisent.

 

Mais qu’il y’ait amalgame, rĂ©cupĂ©ration ou non en accolant Georges Floyd et Adama TraorĂ© dans cette fresque Ă  Stains, il me semble que « l’expĂ©rience Â» du spectacle d’une certaine justice montre au citoyen lambda qu’attendre docilement et patiemment que la Justice se fasse correctement peut ĂȘtre une erreur stratĂ©gique :

 

Les affaires du MĂ©diator ou des prothĂšses PIP du Roundup de Monsanto ou, plus « simplement Â», la façon dont certaines professions (soignantes et autres) pourtant nĂ©cessaires se font balader par les diffĂ©rents gouvernements contraignent le citoyen lambda Ă  comprendre qu’ĂȘtre victime et « seulement Â» manifester civilement ou porter plainte peut ĂȘtre insuffisant pour obtenir rĂ©paration ou justice.

 

Il faut aussi rĂ©aliser des coups mĂ©diatiques. Faire le buzz. Il faut des catastrophes ou des Ă©pidĂ©mies. Il faut faire peur. Il faut se faire respecter comme force de nuisance par les autoritĂ©s officielles. Puisque mĂȘme des personnes coupables, dĂšs qu’elles en ont les moyens au moins financiers, savent choisir les bons avocats qui trouveront les astuces, les bons ressorts, les erreurs, les failles ou les fautes de procĂ©dures, afin de retarder le jugement, le casser ou l’éviter.

 

 

Donc, je vois cette fresque Ă  Stains comme un moyen d’essayer d’obtenir que la Justice française, si elle a Ă©tĂ© mal influencĂ©e, de bien ou de mieux faire son travail dans l’affaire TraorĂ©. D’autant que sur le plateau de CNews, la fresque rĂ©alisĂ©e par certains propos a Ă©tĂ© plutĂŽt palpitante :

 

Elle, il y a encore quelques semaines, je ne la connaissais pas. Elle regrette et combat la perte des hautes valeurs qui ont fait la France. Pourtant, ses succĂšs personnels et mĂ©diatiques proviennent peut-ĂȘtre aussi du fait de cette « perte Â» des hautes valeurs qu’elle regrette tant.

Elle ne le dira pas car elle fait partie des premiers de la classe, qui plus est sur un plateau de tĂ©lĂ©. Mais elle croit Ă  la supĂ©rioritĂ© des races. Ce n’est pas de sa faute. La destinĂ©e est ainsi et le souligner, c’est Ă©videmment ĂȘtre aigri.

Bien-sĂ»r, les personnes qu’elle dĂ©signe comme l’ennemi sont souvent parmi celles qui refusent de la servir, elle, moralement si irrĂ©prochable.

PlutĂŽt belle femme – et elle le sait- elle se sert de son minois devant le « journaliste Â» qui pilote le journal comme le propriĂ©taire d’un ballon de foot qui veut bien jouer avec les autres Ă  condition que ce soit lui qui marque le plus de buts.

 

Elle, elle n’est pas comme ça. Assez souvent, elle se tait. Elle entend ĂȘtre plus sage que certains des chroniqueurs et des intervenants plus ĂągĂ©s qu’elle compte bien ringardiser. Sa pensĂ©e est ouverte lĂ  oĂč elle regarde vu que son Ɠil est toujours juste et que sa langue tinte bien. Pourtant, malgrĂ© sa parole qui lui donne l’allure d’un sac Ă  main de luxe, elle dit aussi des ordures :

 

Quand elle rĂ©cite et affirme que la plupart des Ă©tranglements rĂ©alisĂ©s par la police sont  «  la violence lĂ©gitime et nĂ©cessaire de l’Etat Â» et qu’ils  se dĂ©roulent «  en gĂ©nĂ©ral, sans problĂšme Â», on aimerait qu’elle nous raconte ses expĂ©riences d’étranglement que l’on devine nombreuses. Non par voyeurisme : mais afin qu’elle nous rassure quant aux effets d’une telle expĂ©rience lorsque l’on est innocent et qu’une interpellation a mal tournĂ©. Mais, bien-sĂ»r, elle n’est pas responsable des circonstances comme des situations qui crĂ©ent le recours Ă  cette pratique.

Lors de sa rencontre avec Bachar El-Assad en Syrie, elle aurait trouvĂ© celui-ci « doux Â». C’est peut-ĂȘtre une fausse information. Autrement, cela pourrait expliquer sa vision tranquillisante de l’étranglement d’un citoyen par des forces de l’ordre.

 

 

Un intervenant prĂ©sent ce jour-lĂ  Ă  cĂŽtĂ© d’elle, politologue, semble dĂ©guster un tiramisu en dĂ©clarant que le parti socialiste n’existe plus dĂ©sormais. Peut-ĂȘtre que tout son bonheur Ă  ĂȘtre sur ce plateau est condensĂ© dans cette phrase. Pouvoir enfin la dire librement et Ă  visage dĂ©couvert sans avoir Ă  se retourner. Cela respire presque l’enfant qui a longtemps Ă©tĂ© battu par un parent socialiste. Et, fin gourmet, il explique que c’est  pour sauver le trĂšs peu qui lui reste que le parti socialiste s’accroche Ă  la cause de l’antiracisme du cĂŽtĂ© d’Assa TraorĂ©, la sƓur d’Adama TraorĂ©.

Sa joie lui donne raison d’autant que si le parti socialiste, aujourd’hui, est inexistant, c’est peut-ĂȘtre pour beaucoup parce-que son « tonton Â» et son premier PrĂ©sident, François Mitterrand, a su verser dans sa famille politique, durant quatorze ans de 1981 Ă  1995, le poison suffisant afin qu’aucun de ses neveux ou niĂšces en politique ne puisse ĂȘtre en mesure de lui succĂ©der et de le dĂ©passer par la suite. Mais, de cela, le politologue, la bouche pleine de tiramisu, n’en parle pas. Ni personne d’ailleurs sur ce plateau de tĂ©lĂ©. 1995, c’était il y a 25 ans. C’est dĂ©jĂ  loin. Et peut-ĂȘtre que, dĂ©sormais, aussi, lorsque l’on est ou que l’on a Ă©tĂ© socialiste et que l’on repense Ă  cette pĂ©riode, que l’on se sent nostalgique ou honteux. Honteux d’y avoir cru.

 

TrĂšs en confiance, le politologue affirme que, dans les citĂ©s, les gens en « ont marre Â» des actions d’Assa TraorĂ©. J’ai sĂ»rement de grands prĂ©jugĂ©s mais il m’est difficile de l’imaginer faisant le tour des citĂ©s et s’entendant dire qu’Assa TraorĂ© en fait trop. Personne ne le conteste ou ne met en doute ses propos sur le plateau de tĂ©lĂ©.

 

NĂ©anmoins, «  Les Bretons et les Provençaux n’ont pas la mĂȘme tĂȘte Â» professe nĂ©anmoins le politologue pour expliquer que la France s’est faite en unifiant des personnes trĂšs diffĂ©rentes. Et donc qu’il est possible d’intĂ©grer des personnes de tous horizons. La France, selon-lui, est d’ailleurs un des pays les plus diversifiĂ©s au monde et donc en aucun cas, raciste. Mais que cela implique de se rejoindre autour d’une identitĂ© nationale commune.

Le journaliste qui « anime Â» le dĂ©bat abonde dans son sens et cite, rĂ©fĂ©rence sans doute Ă  son passĂ© de journaliste sportif
. Aldo Platini. On revient donc en France au dĂ©but des annĂ©es 80 Ă  l’époque de la premiĂšre Ă©lection de François Mitterrand. La France qui ferait particuliĂšrement vibrer notre « animateur Â» serait-elle celle des annĂ©es 80 ?

Toujours est-il qu’il nous parle d’Aldo Platini qui  avait prĂ©nommĂ© son fils, futur grand footballeur
Michel. Avec interdiction «  de parler Ă  la maison la langue d’origine Â». NĂ©anmoins, prĂ©cise tout de suite « notre Â» journaliste, « â€Šil ne s’agit pas de refouler les origines
. Â».

Mais elles ont peut-ĂȘtre Ă©tĂ© un peu trop refoulĂ©es, ces origines, pour que « Michel Â», quitte la France et termine- brillamment- sa carriĂšre de footeux Ă  la Juventus de Turin, un club de Foot italien
.

 

Est critiquĂ© aussi, au cours du dĂ©bat, cette trop grande fascination des jeunes pour « Nos bons Maitres amĂ©ricains Â». La sĂ©mantique « Bons Maitres Â» est amusante et retournĂ©e :

 

Les Français se rĂ©voltent contre leurs Maitres amĂ©ricains. Mais s’agit-il du Français franchouillard ? Gaullien ? De celui de l’ancien empire colonial français qui Ă©tait alors plus puissant que les Etats-Unis avant son indĂ©pendance ?

Ou des jeunes français noirs, et autres, qui, pour s’émanciper, se choisissent d’autres modĂšles culturels, idĂ©ologiques et politiques aux Etats-Unis ?

Tout cela est flou, messieurs et madame qui débattez et savez mieux penser et mieux parler que nous qui vous regardons et vous écoutons.

 

On perçoit en tout cas un aveu d’impuissance et une rancƓur envers les Etats-Unis qui sont plus forts que « nous Â», « nous Â» qui Ă©tions si puissants avant. Nous voudrions ĂȘtre des modĂšles pour cette jeunesse qui nous dĂ©fie et nous embarrasse et nous n’y arrivons pas. Alors, que les Etats-Unis, eux, ils ont la cote auprĂšs de bien des jeunes. Mais quels modĂšles proposez-vous ? Des modĂšles comme ceux  des dĂ©bats que vous avez et imposez sur Cnews ? Ou un des intervenants, satisfait de lui, affirme que les personnes prĂ©sentes Ă  la marche en mĂ©moire d’Adama TraorĂ© sont surtout ou principalement des « bobos blancs Â» et plutĂŽt socialistes ?

 

Je crois ĂȘtre moins fascinĂ© que je ne l’étais par les Etats-Unis lorsque j’étais adolescent. Mon sĂ©jour Ă  New-York m’a sĂ»rement moyennement plu parce-que je l’ai effectuĂ© en 2011 et que je m’étais davantage ouvert au monde et Ă  la pensĂ©e entre-temps. Pourtant, sans ĂȘtre un idolĂątre des Etats-Unis, on est obligĂ© de constater que ceux-ci sont encore la PremiĂšre Puissance Mondiale dans certains domaines :

 

Une Ă©mission animĂ©e par Billy Crystal ou Jimmy Fallon a beaucoup plus de classe qu’une Ă©mission animĂ©e par Thierry Ardisson, Laurent Ruquier ou Cyril Hanouna.

 

 

Plusieurs des dĂ©batteurs- dont le journaliste « maitre des lieux Â» finissent pas conclure d’un commun accord, qu’il faudrait traiter par l’indiffĂ©rence tous ces reprĂ©sentants noirs, en France, qui tiennent des propos racialistes Ă  propos des Blancs. Cela apparaĂźt le meilleur moyen afin de donner moins d’ampleur mĂ©diatique Ă  tous ces propos extrĂ©mistes et haineux et la meilleure façon d’y rĂ©pondre. Par contre, Ă©couter Eric Zemmour et converser avec lui semble Ă©clairant et nullement racialisant.

 

 

Mais « il faudrait quand mĂȘme retirer cette fresque Ă  Stains Â», dit le journaliste-« propriĂ©taire Â» du dĂ©bat sur Cnews. Mais comment faire, demande-t’il ?!

 

La rĂ©ponse est pourtant Ă©vidente : Lui et plusieurs de ses invitĂ©s qui savent tout, qui gagnent bien plus que nous, grĂące Ă  la pub, grĂące Ă  la tĂ©lĂ©, grĂące Ă  leur renommĂ©e, n’ont qu’à faire comme la plupart des gens. Prendre un seau, de l’eau bouillante, un peu de bicarbonate, quelques Ă©ponges,  se dĂ©placer et aller faire le mĂ©nage. Et s’ils pouvaient aussi faire un peu le mĂ©nage dans leur tĂȘte (mais comment ?) ce serait bien, aussi.

 

A la fin, notre journaliste-dĂ©batteur, se confie :

 

« Je vais vous dire, modestement, ce qui me choque. Je n’ai rien contre Rosa Parks mais pourquoi on n’appelle pas certains endroits (ou stades) Jean de La Fontaine ? Â».

 

 

PrĂšs de moi, le kinĂ© qui, lors d’une sĂ©ance prĂ©cĂ©dente m’avait demandĂ©, si, en tant que noir, je m’étais dĂ©jĂ  senti dĂ©favorisĂ© devant la police, en France, rĂ©flĂ©chit Ă  voix haute en passant :

 

«  Rosa Parks
.c’est pas une histoire de bus, de racisme ? Je me souviens plus
. Â».

 

 

 

Franck Unimon, lundi 29 juin 2020.

 

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