Marc Valleur nous parle du jeu pathologique

Introduction
Ce samedi 14 janvier 2023, Ă lâhĂŽpital Sainte Anne, nous sommes une petite dizaine Ă ĂȘtre venus Ă©couter et rencontrer Marc Valleur. Marc Valleur, psychiatre retraitĂ©, est aussi celui qui Ă©tait devenu mĂ©decin chef de Marmottan, dans le 17Ăšme arrondissement de Paris, Ă la suite de Claude Olievenstein (1933-2008) quâil a bien connu.
Marmottan, situĂ© rue ArmaillĂ© entre lâavenue des Ternes et des Champs ElysĂ©es, qui compte aussi un CMP et un hĂŽpital de jour pour public adulte, Ă cĂŽtĂ© du musĂ©e Marmottan, sâest fait connaĂźtre internationalement pour ses services de consultation et dâhospitalisation spĂ©cialisĂ©s dans le traitement des addictions.
Marmottan, le service spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions, avait Ă©tĂ© ouvert en 1971 par Claude Olievenstein (aussi surnommĂ© « Olive » ou « Monsieur Drogue ») et dĂ©pendait Ă lâorigine administrativement du centre hospitalier Perray-Vaucluse ouvert en 1869 dans lâEssonne (dâabord asile puis hĂŽpital psychiatrique). Marmottan a fĂȘtĂ© son cinquantenaire Ă la salle de concerts la Cigale ainsi que par des portes ouvertes, des expositions et diverses manifestations lors du premier week-end de dĂ©cembre 2021.( La ferveur de Marmottan)
Ce matin du 14 janvier 2023, Marc Valleur est devant nous lors de ce sĂ©minaire proposĂ© un samedi par mois par Claude Orsel, Ă lâhĂŽpital Sainte Anne, dans le 14 Ăšme arrondissement de Paris.
Avec Claude Olievenstein, psychiatre, Claude Orsel (nĂ© en 1937), psychiatre et psychanalyste, a Ă©tĂ© un des pionniers du traitement des toxicomanies en France en fondant lâAbbaye en 1969 Ă St Germain des PrĂ©s.
Un samedi matin par mois, Ă lâhĂŽpital Sainte Anne, dans le service du Dr Xavier Laqueille, psychiatre, Claude Orsel propose ce sĂ©minaire PsychothĂ©rapies, Psychanalyse et Addictions ( P. P. A) Transfert et Contre-Transfert.
LâaccĂšs Ă ce sĂ©minaire – qui se dĂ©roule de 9h30 Ă 12h30- est libre aprĂšs avoir pris contact au prĂ©alable avec Claude Orsel.
Sâil sây trouve gĂ©nĂ©ralement des professionnels trĂšs expĂ©rimentĂ©s- voire retraitĂ©s- dans le traitement des addictions, dont plusieurs ont connu Claude Orsel et travaillĂ© avec lui, il arrive aussi que des patients de celui-ci y soient prĂ©sents et participent.
Un certain nombre des participants et des intervenants amĂšne avec lui un imposant abattage thĂ©orique, conceptuel mais aussi pratique. La moyenne dâĂąge avoisine la bonne cinquantaine dâannĂ©es.
Mentionner la prĂ©sence de tous ces « psy » (psychiatres, psychothĂ©rapeutes, psychologues, psychanalystesâŠ) pourrait donner lâimpression que ces sĂ©minaires â filmĂ©s par Claude Orsel- sont des cercueils marbrĂ©s dâennui et de thĂ©ories. Alors quâils sortent plutĂŽt des clous et des colonnes.
La psychiatrie et la sociĂ©tĂ© semblent dotĂ©es de moyens pour sâaccroĂźtre en prioritĂ© comme des technologies et des pharmacies ombilicales par lesquelles et vers lesquelles nous sommes constamment entraĂźnĂ©s, faisant de nous des sidĂ©rurgies sidĂ©rĂ©es et jamais Ă jour malgrĂ© nos libertĂ©s.
Un tel sĂ©minaire est une pause dans ces processus de constitution de notre cĂ©citĂ© que nous connaissons tous. Dâautant plus que chaque fois que je peux y assister, jâai lâimpression de recueillir une toute petite parcelle de cette trĂšs grande Histoire et de cette grande Culture de la pensĂ©e, du soin, de la psychiatrie, de la psychanalyse et de la SantĂ© mentale inaperçues par et pour la majoritĂ©. Ce sĂ©minaire fait partie de ces moments oĂč jâai lâimpression de me retrouver au pied de certaines immensitĂ©s de connaissances et dâexpĂ©riences trop largement ignorĂ©es.
Des immensitĂ©s ou des personnalitĂ©s, dans diverses disciplines (pas seulement dans le domaine de la SantĂ© mentale comme lors de ce sĂ©minaire autour de Marc Valleur ) Ă cĂŽtĂ© desquelles je suis aussi beaucoup passĂ© moi-mĂȘme, en mâen remettant beaucoup Ă lâhabitude, Ă la facilitĂ© de mes certitudes mais aussi au hasard oĂč Ă mon volontariat lĂ oĂč lâon a bien voulu de moi.
Alors que ces immensités nous aident ou peuvent nous aider à vivre.
Ce matin, je marque un temps dâarrĂȘt en voyant posĂ© sur la table, devant Claude Orsel, lâouvrage La lionne du barreau de Clarisse Serre (aux Ă©ditions Sonatine) accompagnĂ© de cette accroche sur la page de couverture :
« Je suis une femme, je fais du pĂ©nal, jâexerce dans le 9-3, et alors? ».
Fin dĂ©cembre, dans la librairie de ma ville, aprĂšs avoir rĂ©cupĂ©rĂ© mes livres, jâĂ©tais tombĂ© sur cet ouvrage dans les rayons. Je lâavais un peu feuilletĂ©, tentĂ© de le prendre avant de me dĂ©cider finalement Ă diffĂ©rer son acquisitionâŠ
AmusĂ© par mon intĂ©rĂȘt soudain pour ce livre, ce samedi matin, Claude Orsel, mâa lancĂ© :
« Vous pouvez le prendre si vous le voulez. Je ne sais pas combien je lâai acheté⊠».
Jâai optĂ© pour partir mâasseoir en laissant le livre Ă sa place et Ă son propriĂ©taire.
Marc Valleur prend la parole
Marc Valleur est arrivĂ© Ă Marmottan en 1974. Au dĂ©part, il sâoccupait spĂ©cifiquement des toxicomanes :
Héroïne, Cocaïne, Crack.
En 1974, lâAbbaye et Marmottan Ă©taient les services pilotes pour sâoccuper des toxicomanes.
En 1981, il a commencé à parler de conduite ordalique. AprÚs la mort de plusieurs patients par overdose qui ont beaucoup éprouvé les soignants, Marc Valleur a commencé à penser à la notion de conduite ordalique.
Dans la conduite ordalique, il y a une perception positive et subjective de la conduite à risque : Le risque et le danger étaient attirants.
Les toxicomanes prenaient des produits car câĂ©tait dangereux.
Marc Valleur cite lâouvrage Sorcellerie et ordalies (paru en 1974) dâAnne Retel-Laurentin (mĂ©decin et ethnologue dĂ©cĂ©dĂ©e) pour parler des Ă©preuves par le poison.
Marc Valleur :
« Dans le jeu de lâargent, on ne sâinjecte pas le produit mais le joueur est reprĂ©sentĂ© par son enjeu ».
Marc Valleur cite Le Joueur et Les FrĂšres Karamazov de DostoĂŻevski ainsi que lâouvrage Figures du crime chez DostoĂŻevski (paru en 1990) de Vladimir Marinov (psychologue et psychanalyste).
En 1991-1992, le jeu est alors peu abordé en psychanalyse.
En 1997, Marc Valleur écrit un Que sais-je ? sur le jeu. AprÚs la parution de ce livre, des joueurs ont commencé à demander à consulter à Marmottan. Des joueurs ont pu dire :
« Le crack, jâarrĂȘte quand je veux. Moi, câest le jeu que je nâarrive pas Ă arrĂȘter ».
Cette nouvelle attention portĂ©e aux joueurs pathologiques a dâabord suscitĂ© du scepticisme au sein des Pouvoirs publics. Un scepticisme partagĂ© au sein de Marmottan lorsque les soignants ont appris quâils allaient ĂȘtre amenĂ©s Ă sâoccuper aussi de joueurs pathologiques.
Marc Valleur relate quâun soignant du service dâhospitalisation de Marmottan avait dâabord Ă©clatĂ© de rire lorsquâil lui avait annoncĂ© la venue dâun patient joueur pathologique. Le soignant avait cru que câĂ©tait une blague.
Marc Valleur explique : « Le toxicomane faisait peur. Cela donnait un cÎté sulfureux à Marmottan. Le joueur, ça faisait rire ».
Marc Valleur ajoute quâil existait aussi des images prĂ©conçues du toxicomane et du joueur.
Le toxicomane Ă©tait vu comme quelquâun « de gauche (politiquement), maigre et qui sâopposait au systĂšme ». Alors que le joueur, lui, Ă©tait vu comme quelquâun « de droite (politiquement), gros, bourgeois et portant de grosses bagues⊠».
Et, puis, trĂšs vite, les soignants du service dâhospitalisation de Marmottan se sont aperçus que câĂ©tait plus dur avec les joueurs quâavec les toxicomanes.
En 2006, les Pouvoirs publics montrent leurs premiers signes dâintĂ©rĂȘt pour les joueurs pathologiques.
En 2008, une Ă©tude de lâINSERM parle du jeu pathologique.
A partir de 2006-2008, le regard sur les joueurs a commencé à changer.
2010 marque le dĂ©but de la libĂ©ralisation des jeux en ligne. A partir de lĂ , les joueurs addict commencent Ă vĂ©ritablement ĂȘtre pris en considĂ©ration.
« Le joueur tente Dieu en lui posant des questions » selon une perception théologique du jeu.
En 2010, le poker et les paris en ligne se dĂ©veloppent. Mais, contrairement aux prĂ©visions (sauf pendant le confinement dĂ» Ă la pandĂ©mie du Covid ) le poker en ligne sâest peu dĂ©veloppĂ©. Ce sont plutĂŽt les paris sportifs qui ont connu un grand essor sur internet.
Robert Ladouceur (nĂ© en 1945), psychologue, auteur et chercheur quĂ©becois, spĂ©cialisĂ© dans les jeux dâargent et de hasard, souligne les problĂšmes de croyance chez les joueurs. (croyances et cognitions erronĂ©es des joueurs)
« Il faut que je rejoue pour que je me refasse ». Les joueurs croient avoir la préscience.
Il existe une illusion de contrĂŽle chez les joueurs alors que le hasard lâemporte souvent.
Marc Valleur cite un article psychanalytique datant de 1914 intitulĂ© Le plaisir de la peur et lâĂ©rotisme anal. Marc Valleur dit que cet article « nâest pas gĂ©nial » mais quâil est une premiĂšre tentative de comprendre le jeu.
Selon la vision freudienne, en 1928, la chance et la malchance peuvent représenter les puissances parentales.
DostoĂŻevski, lui-mĂȘme, a Ă©tĂ© un joueur pathologique. Il est donc trĂšs pointu pour parler du jeu.
En 1945, Fenichel (psychiatre et psychanalyste autrichien décédé en 1946) parle des addictions sans substances.
En 1954, Skinner (psychologue et penseur amĂ©ricain dĂ©cĂ©dĂ© en 1990) Ă©crit un article sur les machines Ă sous quâil dĂ©crit comme « le meilleur conditionnement pour faire payer les gens ».
Erving Goffman (sociologue et linguiste amĂ©ricain dâorigine canadienne, 1922-1982) a Ă©crit sur le jeu.
Le joueur sâimagine quâil va influer sur le destin.
On aime jouer car on se retrouve dans un monde magique et dans un espace qui nâest pas la vie quotidienne. Le jeu est quelque chose de trĂšs sĂ©rieux.
Le contraire du jeu, câest la rĂ©alitĂ© quotidienne.
Les croyances erronĂ©es font partie de lâintĂ©rĂȘt du jeu.
Marc Valleur cite lâouvrage En passant par hasard Ă©crit en 1999 par Gilles PagĂšs (mathĂ©maticien) et Claude Bouzitat.
Les gens jouent « pour le vertige du risque ». Les joueurs non pathologiques arrivent Ă faire en sorte que le jeu nâait pas dâincidence sur leur vie.
R, un des patients de Claude Orsel, assis Ă droite de Marc Valleur, se prĂ©sente comme « joueur depuis 35 ans ». RâŠparle de sa frustration, de son Ă©chec. Et de son amertume. Il parle de ses expĂ©riences prĂ©coces du jeu quâil a faites trĂšs tĂŽt.
R : « On essaie de se convaincre quâon est bon Ă quelque chose ». R dit que sa premiĂšre addiction a Ă©tĂ© une addiction aux Ă©crans Ă lâĂąge de 8 ans.
Marc Valleur commente :
« La tĂ©lĂ©vision est la grande addiction mondialeâŠmais personne nâen parle ». « Il y a une seule personne en 50 ans qui est venue Ă Marmottan pour une addiction Ă la tĂ©lĂ©vision.. ».
Pour soigner une addiction, Marc Valleur insiste sur :
Une approche multimodale (sociale, familiale et autreâŠ)
La qualitĂ© de lâaccueil (« Ce qui se passe au premier entretien est dĂ©terminant » ; « Une thĂ©rapie, câest lâexĂ©gĂšse de ce qui sâest dit au premier entretien »)
La qualité de la relation
Marc Valleur poursuit :
« Le but de lâAbbaye et de Marmottan, câĂ©tait de crĂ©erâŠde recevoir les personnes sans conception canonique du traitement et du soinâŠDe recevoir la personne et, Ă partir de lĂ , aprĂšs lâavoir Ă©coutĂ©e, de voir ce que lâon peut faire ».
Marc Valleur nous recommande particuliÚrement de lire The Great Psychotherapy Debate écrit par Wampold et Imel (paru en 2015).
Marc Valeur prĂ©cise que toutes les mĂ©thodes thĂ©rapeutiques « marchent » et ont de trĂšs bons rĂ©sultats. Et quâil nâexiste pas une mĂ©thode thĂ©rapeutique meilleure quâune autre.
(Je mâabstiens de dire que lâon peut sĂ»rement transposer cela dans beaucoup de disciplines comme dans les mĂ©thodes de combats et les Arts Martiaux : la personnalitĂ© du combattant importe plus que les techniques de combats ou les Arts martiaux quâil a « appris » ou pratique. La personnalitĂ© du Maitre ou du professeur importe plus que les techniques ou les Arts martiaux quâil enseigneâŠ).
Marc Valleur souligne quâil est des mauvais thĂ©rapeutes qui, pourtant, sont « trĂšs compĂ©tents » en termes de formation et de connaissances.
Marc Valleur me confirme que, plus que les thĂ©rapies, le plus important, câest la rencontre. La qualitĂ© de lâaccueil. La qualitĂ© de la relation thĂ©rapeutique.
Marc Valleur parle aussi de ces patients qui en savent beaucoup plus sur lâobjet de leur addiction que le thĂ©rapeute lui-mĂȘme. Il cite lâexemple dâun patient addict aux jeux vidĂ©os qui ne sortait plus de chez lui et qui refusait de rencontrer psychiatre ou psychologue. Marc Valleur a demandĂ© aux parents de ce patient de lui dire quâil nây connaissait rien en jeux vidĂ©os et quâil aimerait bien quâil vienne lui expliquer ce que câest. (Marc Valleur confirme quâil avait un rĂ©el intĂ©rĂȘt pour ce que pouvaient lui dire ses patients). Le patient Ă©tait venu rencontrer Marc Valleur et lui avait en quelque sorte fait cours.
Marc Valleur me confirme que le dogmatisme (thĂ©rapeutique) va souvent de pair avec lâexcĂšs de thĂ©orie thĂ©rapeutique.
(A ce moment du séminaire, comme à son habitude, Claude Orsel fait passer un paquet de chouquettes achetées à la boulangerie)
Marc Valleur me confirme lâimportance de lâengagement du corps du thĂ©rapeute dans sa rencontre avec le patient. Il se remĂ©more quâun patient lui avait dit sâĂȘtre attachĂ© Ă lui lors du premier entretien car, Ă un moment donnĂ©, il (Marc Valleur) lui avait touchĂ© le genou.
R, patient de Claude Orsel, dit :
« Le jeu nâest pas un amusement. Câest un exutoire » ; « Entre joueurs, on sâintoxique. Câest aussi ce qui nous fait rester dans le jeu » ; « Si, lui, il joue aussi, ça veut dire que je ne suis pas fou ».
(Plus tĂŽt, RâŠnous a aussi dit avoir consultĂ© un addictologue pendant dix ans avant que celui-ci ne lui parle de Claude Orsel quâil voit maintenant depuis 2013 ou 2014. Selon R, lâaddictologue, pourtant plutĂŽt rĂ©putĂ©, ne lâĂ©coutait pas. En Ă©coutant R parler en termes Ă©logieux de Claude Orsel, jâai eu lâimpression que celui-ci trouvait Claude Orsel « plus puissant » en tant que thĂ©rapeute, que son thĂ©rapeute prĂ©cĂ©dent).
Marc Valleur rĂ©pond Ă Claude Orsel quâil existe diffĂ©rents profils dans la biographie des toxicomanes.
Marc Valleur cite Michel Foucault ( Philosophe français, 1926-1984) :
« Le but de la transgression, câest de glorifier ce quâelle paraĂźt exclure ». ( Dits et Ă©crits de Michel Foucault, de 1954 Ă 1988, deux tomes de plus de 1700 pages chacun ).
Marc Valleur rĂ©pond que chez les consommateurs de crack, souvent, la protection maternelle sâest arrĂȘtĂ©e trĂšs tĂŽt (viols dans lâenfance, traumas rĂ©pĂ©tĂ©sâŠ).
R..dit : « La probabilitĂ©, câest la vĂ©ritĂ© ». « La probabilitĂ© ne ment pas ».
Le livre Dans le jardin de lâogre (citĂ© par qui ?) de LeĂŻla Slimani est mentionnĂ© pour Ă©voquer lâaddiction sexuelle fĂ©minine.
Conclusions

Je demande Ă Marc Valleur et Claude Orsel comment ils font pour ne pas se dĂ©courager face Ă des patients dont les addictions sont longues Ă soigner. Mais aussi pour vivre dans un monde comme le nĂŽtre oĂč une « guerre » quotidienne nous est faite afin de nous rendre addict.
Marc Valleur rĂ©pond que, bien que retraitĂ©, il a encore des contacts par mail avec dâanciens patients qui lui donnent de leurs nouvelles et qui vont mieux. Lors de son intervention, Marc Valleur nous a aussi parlĂ© dâanciens patients qui ont trĂšs bien rĂ©ussi leur vie par la suite y compris mieux que lui-mĂȘme a-tâil ajoutĂ© dans un sourire. Et, tout en gardant le sourire, Marc Valleur a convenu quâen effet, tout est fait dans notre sociĂ©tĂ© pour que lâon soit « accrochĂ© » et que cela est assez dĂ©sespĂ©rant. Il a ainsi citĂ© les producteurs dâalcool qui, malgrĂ© leurs discours empathiques, prospĂšrent grĂące Ă toutes les personnes dĂ©pendantes qui consomment leurs produits.
(Un peu plus tĂŽt, RâŠavait fait rĂ©fĂ©rence Ă ces joueurs de PMU, un lieu quâil connaĂźt et dont il observe les usagers Ă lâĂ©couter, qui, dĂšs quâils gagnent un ou deux euros au jeu le rejouent alors quâils vivent dĂ©ja dans des conditions trĂšs prĂ©caires).
Claude Orsel, rĂ©pond en souriant, quâil a envie de « connaĂźtre la suite ». A lâentendre, lui comme Marc Valleur, cela semble trĂšs simple de sâoccuper de personnes addict. Au point que je me demande pour quelle raison seule une minoritĂ© de personnes, Ă laquelle je nâappartiens pas, parvient comme eux Ă sâoccuper de personnes addict sur du long terme :
Le travail qui peut ĂȘtre effectuĂ© dans un service de psychiatrie institutionnelle lambda- mĂȘme si cela peut aussi ĂȘtre sur du trĂšs long terme- est trĂšs diffĂ©rent de celui que jâai pu voir pratiquĂ© Ă Marmottan lors des quelques remplacements ( une quinzaine) que jâai pu y faire. La distance relationnelle entre le patient/client et le soignant, par exemple, est trĂšs diffĂ©rente. Si, en psychiatrie adulte, la psychose des patients peut effrayer certains, lâabsence de psychose, comme câest souvent le « cas » Ă Marmottan peut dĂ©stabiliser, enrayer certaines frontiĂšres et les rendre assez floues entre le patient/client et le soignant. Pour ne parler que de ça. Alors, si, en plus, dans le domaine de lâaddiction, le patient/client en sait plus que le soignant, il peut y avoir de quoi ĂȘtre troublĂ©.
Claude Orsel mâapprend quâil est possible que Patrick Declerck (philosophe, ethnologue, psychanalyste et Ă©crivain nĂ© en 1953) intervienne Ă nouveau lors dâun prochain sĂ©minaire. Claude Orsel mâapprend aussi quâil nây a eu aucun article dans la presse Ă©crit sur le dernier ouvrage de Patrick Declerck, paru en 2022, Sniper en Arizona, dans lequel, celui-ci raconte sa formation de sniper aux Etats-Unis.
R, qui ne demandait quâĂ parler, qui a beaucoup Ă dire, entre-autres sur le poker, et qui a plusieurs fois pris la parole de façon assez intempestive au cours de lâintervention de Marc Valleur, mâa dâabord agacĂ© comme dâautres personnes assistant Ă ce sĂ©minaire. Il fallait entendre R, arrivĂ© avec un peu de retard, dire ensuite Ă Marc Valleur, Ă un moment donnĂ©, avec une certaine autoritĂ© :
« Ce que vous avez oublié de dire⊠».
Devant l’attitude rĂ©pĂ©tĂ©e de R, jâai dâabord regardĂ© ces vieux briscards que sont Marc Valleur et Claude Orsel qui nâen nâĂ©taient pas une interruption prĂšs. Lesquels ont poliment invitĂ© R, Ă tour de rĂŽle, Ă attendre que Marc Valleur ait fini de sâexprimer. Ce qui n’a pas empĂȘchĂ© R de recommencer.
Ensuite, jâai compris que R Ă©tait celui qui Ă©tait annoncĂ© par Claude Orsel comme le joueur venant nous faire part de son expĂ©rience. Et que R rĂ©agissait car Marc Valleur parlait de sa vie.
Puis, jâai saisi que R Ă©tait porteur de connaissances dont jâĂ©tais dĂ©pourvu.
Ce samedi, alors que Marc Valleur est dĂ©jĂ parti aprĂšs nous avoir saluĂ© en nous disant que câĂ©tait « bien », je suis plus disposĂ© pour Ă©couter R qui, en plus, avait « contre lui », en prime abord, le fait de me rappeler un ancien collĂšgue qui a pu avoir tendance Ă une Ă©poque Ă me sortir par les yeux. Au travers de R, sans doute ai-je mieux perçu ce samedi, de maniĂšre consciente, la dimension addict et sub-agressive de la personnalitĂ© de cet ancien collĂšgueâŠ
R mâexplique avoir connu un joueur de poker, « parti de rien », et qui, aujourdâhui « est millionnaire ». R mâexplique que, durant des annĂ©es, ce joueur a acceptĂ© de « ne rien gagner ». En sâen tenant Ă des rĂšgles de conduite- et Ă des limites- quâil sâĂ©tait fixĂ©, acceptant de gagner petit et Ă©vitant de perdre de lâargent. En somme, ce joueur est restĂ© prudent, patient et persĂ©vĂ©rant. R, Ă ce que je comprends, nâest ni patient ni prudent bien quâintelligent et persĂ©vĂ©rant. Et, il est sĂ»rement aussi convaincu. Et convaincant. Lorsque R mâapprend quâil a travaillĂ© pendant des annĂ©es dans « le phoning » et quâil sent les gens, jâai tendance Ă le croire.
Franck Unimon, ce lundi 16 janvier 2023.