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Objectif de conscience

 

Lorsque l’ami Zez m’a demandĂ© de tĂ©moigner concernant mon quotidien en tant « qu’agent hospitalier Â», j’ai commencĂ© Ă  me gratter l’arrière-train et Ă  entonner un refrain plus rĂ´dĂ© que mes pensĂ©es.

 

Tout d’abord, je lui ai proposĂ© de lire mes deux derniers articles Vent d’âme et Adaptations que l’on peut trouver sur mon blog en lui disant :

 

«  Peut-ĂŞtre que tu trouveras dedans ce que tu cherches Â». J’étais content de moi. Je me suis dit qu’encore une fois, mĂŞme si lui et moi nous connaissons finalement assez peu, certaines de nos prĂ©occupations se rejoignent.

 

Et, puis, Zez m’a recontactĂ© :

 

« J’aime beaucoup tes articles mais c’est trop (ou très) poĂ©tique. Ce n’est pas ce que je recherche. Ce que je veux, vraiment, c’est comment tu vis, comment, lorsque l’on est agent hospitalier, on vit l’épidĂ©mie dans son quotidien. Comment vous vivez avec ça. Parce-que vous ĂŞtes quand mĂŞme supposĂ©s ĂŞtre les sauveurs de la Nation… Â».

 

Et, lĂ , j’ai Ă©tĂ© coincĂ©. J’ai Ă  nouveau ressenti en mon fors intĂ©rieur cet interdit dĂ©jĂ  ressenti plusieurs fois lorsqu’il s’agit de s’exprimer en tant qu’infirmier sur la place publique.  Bien-sĂ»r,  entre-temps, j’avais compris que lorsque Zez parle «  d’agent hospitalier Â», il ne pense pas forcĂ©ment Ă  un ASH, un agent de service hospitalier comme je l’ai d’abord pensĂ©. Mais Ă  tout agent hospitalier. A toute personne qui travaille dans un hĂ´pital public et qui, du fait de l’épidĂ©mie, se trouve officiellement engagĂ© depuis cette semaine dans cette « Guerre sanitaire Â» dont a parlĂ© et reparlĂ© notre PrĂ©sident de la RĂ©publique Ă  la tĂ©lĂ©. Ainsi que son Premier Ministre et/ou son Ministre de l’intĂ©rieur, je ne sais plus.

 

Mais il existe souvent un mur entre cette demande, spontanée, de bien des personnes qui souhaiteraient que des professionnels de l’hôpital s’expriment. Et les professionnels de l’hôpital qui peuvent hésiter ou refuser de le faire. Je ne parle pas, évidemment, des médecins et des psychologues qui sont souvent les plus sollicités ou les plus volontaires dès qu’il s’agit de s’exprimer sur une situation donnée dès qu’il s’agit de l’hôpital et, cela, bien avant l’épidémie actuelle.

 

Non, je parle de tous les autres qui sont, par ailleurs, souvent les plus nombreux et que l’on pourrait presque surnommer la « majoritĂ© Â» silencieuse, souvent anxieuse, peureuse ou voire honteuse Ă  l’idĂ©e de s’exprimer Ă  visage dĂ©couvert. Et mĂŞme sous couvert d’anonymat.

 

Parce-que, comme je l’ai expliquĂ© Ă  Zez au tĂ©lĂ©phone, car il m’a semblĂ© nĂ©cessaire de le lui dire directement par tĂ©lĂ©phone plutĂ´t que de poursuivre notre correspondance par sms :

«  A l’hĂ´pital, la parole n’est pas libre Â».

 

J’ai ajoutĂ© :

«  Moi, encore, j’écris et je suis plus ou moins Ă  l’aise pour m’exprimer en public mais ça n’est pas le cas de beaucoup de mes collègues Â».

J’ai continuĂ© Ă  expliquer Ă  Zez :

« Dans certains de mes articles, je parle de certaines et de certains de mes collègues. Pourtant, mĂŞme si je fais en sorte que personne ne les reconnaisse et qu’à mon avis, personne ne les reconnaĂ®tra en lisant mes articles, je ne suis pas sĂ»r que certaines et certains d’entre eux, en  se reconnaissant dans un de mes articles, ne m’en veuillent pas Â».

 

Et, très content de moi et de mon argumentation, car j’étais inspirĂ© et Zez semblait de plus en plus convaincu par mes arguments, j’ai placĂ© ce qui Ă©tait l’estocade :

«  Il faut savoir que dès le dĂ©but de notre formation, nous sommes formĂ©s au secret professionnel…», ce que Zez a traduit de son cĂ´tĂ© : «  Ah, oui, le serment d’Hippocrate Â».

 

Je n’ai mĂŞme pas essayĂ© de lui dire que le serment d’Hippocrate concerne les mĂ©decins. Pour moi, Zez, avait compris ce que je voulais dire : notre parole, en tant qu’agent hospitalier, n’est pas libre. Nous sommes surtout libres dans le silence et l’anonymat.

 

Je me rappelle que Zez et moi, nous sommes quittés au téléphone avec l’idée qu’il essaierait de piocher dans mes deux articles ce qu’il pourrait. J’ai oublié si je lui ai dit que j’allais réfléchir. Par, contre, oui, je voulais bien lui fournir la play-list des morceaux de musique que j’écoute pour me changer les idées en ce moment.

 

Depuis, une nuit est passĂ©e. Et, cela m’a apparemment permis de « dĂ©-rusher Â» ma conscience.

 

D’abord, je suis retournĂ© au travail Ă  vĂ©lo. A 20h, hier soir,  je me trouvais dans une des rues- plutĂ´t dĂ©sertes- d’Asnières, lorsque j’ai entendu des gens applaudir. Je « savais Â» que ces personnes, depuis leur balcon,  applaudissaient les soignants pour les remercier et les encourager. J’en avais Ă©tĂ© informĂ© par une chaine de messages reçus sur ma messagerie messenger. Mais aussi sur un des panneaux d’information dans ma ville.

 

Je sais très bien que je ne suis pas Superman. Que je ne suis pas un héros. Mais entendre ces applaudissements alors que me dirigeais à vélo au travail a fini par m’atteindre. Même si ces gens qui applaudissaient dans cette pénombre claudicante ne pouvaient pas savoir qui j’étais vraiment. Même si je me suis dit que sur mon lit de mourant, ces applaudissements ne me guériraient pas. L’attention et la bonne humeur de ces personnes étaient sincères et cela m’a quand même fait plaisir de faire partie de celles et ceux à qui ces applaudissements étaient adressés.

Pourtant, j’ai Ă©tĂ© soulagĂ© lorsque les applaudissements se sont arrĂŞtĂ©s. Oui, soulagĂ©. Sans doute estimais-je que je ne mĂ©ritais pas ces applaudissements. Et que « d’autres Â», des vrais soignants, des vrais hĂ©ros, les mĂ©ritaient bien plus que moi.

 

Mais, comme on le dit, on est souvent « l’autre Â» de quelqu’un ou de quelque chose.

 

Près de Levallois, j’avais un pied posĂ© Ă  terre au feu rouge lorsqu’une fusĂ©e est passĂ©e Ă  cĂ´tĂ© de moi. Une femme Ă  vĂ©lo. Sans casque. Elle m’a rapidement mis Ă  peu près cent mètres dans la vue. Je compte reparler des femmes que j’aperçois dans les rues lorsque je vais au travail Ă  vĂ©lo ou en reviens ces derniers temps. ( L’Avenir de l’HumanitĂ©).

 

A quelques mètres de mon service, rebelote, je tourne la tĂŞte, qu’est-ce que je vois ?

 

Une jeune femme Ă  vĂ©lo sur la route, portant un cycliste noir. Celle-ci, dotĂ©e  d’un fessier de pistarde grimpait la route avec conviction. Comme la prĂ©cĂ©dente, quelques kilomètres plus tĂ´t, elle roulait sans casque.

 

 

Dans le service, lorsque j’ai rejoint les collègues dans la salle de soins pour les transmissions, cela a été très vite une autre ambiance.

 

Depuis ma dernière nuit de travail, deux nuits plus tĂ´t, notre service de pĂ©dopsychiatrie s’était transformĂ© en service de bloc opĂ©ratoire. Deux jours plus tĂ´t, nous Ă©tions tous avec nos vĂŞtements de la vie civile comme d’habitude. LĂ , par dessus leurs vĂŞtements civils, ou voire avec simplement leurs sous-vĂŞtements en dessous ( c’est ce que j’ai fait. J’ai pris une taille bien trop grande), tous mes collègues portaient un masque chirurgical et s’étaient mis en « pyjama Â» en papier, de bloc, de la tĂŞte aux pieds. Manquaient la charlotte, les gants stĂ©riles et les chaussures de bloc. Mais tout le monde Ă©tait dĂ©jĂ  suffisamment Ă©quipĂ© pour que soit tournĂ© un Ă©pisode de la sĂ©rie Urgences.

J’étais bien-sĂ»r au courant : un jeune hospitalisĂ© rĂ©cemment avait Ă©tĂ© en contact, avant son hospitalisation dans « notre Â» service de pĂ©dopsychiatrie, avec une personne qui s’était avĂ©rĂ©e porteuse du coronavirus Covid-19.

 

Alors que les transmissions se dĂ©roulaient, je digĂ©rais l’information suivante : notre environnement professionnel et, donc, notre comportement de professionnel et d’individu, avait Ă©tĂ© modifiĂ© rapidement.  Telle une fonte brutale des glaces entre l’hiver et le printemps dans certains rĂ©gions.

 

Qu’y’ a-t’il de si particulier dans le fait d’apprendre que des soignants, dans un service hospitalier, portent chacun un pyjama de bloc et un masque chirurgical dans un contexte de grande Ă©pidĂ©mie qui concerne le pays ?

 

D’abord le fait que ce genre de prĂ©cautions et d’attitudes tranche avec notre univers mental en psychiatrie. MĂŞme si, on s’en doute bien, le coronavirus  covid-19 ne va pas faire d’exception pour nous qui travaillons en psychiatrie.

Le virus ne va pas se dire :

« Je suis le Grand MĂ©chant Loup qui laisse tranquille tous les petits cochons qui se sont rĂ©fugiĂ©s en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie…. Â».

 

Ce qu’il y a de particulier, c’est qu’un soignant, quelle que soit sa spĂ©cialitĂ©, en psychiatrie ou en soins somatiques, n’est pas un individu que l’on sort d’un coma artificiel prolongĂ©- ou d’une Ă©prouvette- comme on le voit dans un film de science-fiction et Ă  qui l’on dit :

 

«  RĂ©veille-toi, va soigner et sauver les gens sans te retourner derrière toi Â».  Ce sera peut-ĂŞtre comme ça un jour. Mais, pour l’instant, une soignante, un soignant, c’est encore souvent et toujours, une personne qui a une vie en dehors de son travail. Et qui a un entourage amical, familial ou autre. C’est une personne qui a des tracas personnels. Et qui est permĂ©able aux tracas que peuvent vivre ou susciter des membres de leur entourage.

 

Une soignante et un soignant, c’est aussi une personne qui Ă©coute les informations et qui reçoit des informations par diffĂ©rents canaux. Et, lorsqu’elle ou il arrive au travail, une soignante et un soignant est donc loin d’être une personne « neutre Â» ou « vierge Â» de toute influence de l’extĂ©rieur. MĂŞme si, lors de mes Ă©tudes d’infirmier, on savait nous rappeler qu’en tant que professionnels, nous nous devions d’être…. Â« objectifs Â». Evidemment, il s’agit, pour rester professionnel de savoir trancher, de savoir dĂ©limiter mentalement notre vie extĂ©rieure de notre vie professionnelle. Certaines personnes y arrivent mieux que d’autres voire peut-ĂŞtre trop bien d’ailleurs, mais penser, nĂ©anmoins, que ce qui se passe Ă  l’extĂ©rieur, dans notre vie personnelle, n’a aucune incidence, jamais, sur notre vie professionnelle……

 

 

Concernant l’épidĂ©mie, il y a donc bien-sĂ»r la «  Guerre sanitaire Â» qu’on lui livre actuellement. Mais il en est une autre, plus personnelle et plus solitaire que chaque soignante et chaque soignant livre tous les jours comme tout un chacun. Et, cette guerre personnelle et solitaire, il n’y a qu’elle, il n’y a que lui, qui peut en parler, qui pourra en parler, car il s’agit de la sienne et elle n’intĂ©resse que lui, ses intimes, et, peut-ĂŞtre quelques auteurs et quelques chercheurs qui s’intĂ©resseront ensuite Ă  ce genre de sujet.

 

C’est à propos de cette guerre-là que Zez m’a interrogé et que, spontanément, j’ai voulu me taire sous tout un tas de prétextes.

 

MĂŞme si j’ai fini par lui envoyer un sms oĂą je lui ai proposĂ© d’en parler Ă  quelqu’un que je « connais» que je sais ĂŞtre engagĂ© et qui, selon moi, serait plus « lĂ©gitime Â» que moi pour parler.

 

Oui, «  lĂ©gitime Â». Car c’est aussi ce que j’avais expliquĂ© Ă  Zez :

 

« Tu vas peut-ĂŞtre trouver ça Ă©tonnant mais je ne me sens pas lĂ©gitime pour parler de ce sujet Â».

 

C’était en effet très Ă©tonnant !

 

Depuis des annĂ©es, je passe mon temps Ă  rĂ©clamer la parole,  Ă  la prendre, Ă  m’exprimer, que ce soit en Ă©crivant et en me mettant en scène, quand je le fais,  en tant que comĂ©dien, et par mes Ă©crits et, lĂ , on me demande de parler- j’ai quartier libre- de mon quotidien au cours de l’épidĂ©mie et je suis pressĂ© de disparaĂ®tre des radars.

 

 

J’ai réfléchi à ce sentiment d’illégitimité.

 

 

Premier constat : je me suis senti illĂ©gitime parce-que, par rapport Ă  nos collègues des soins somatiques (chirurgie, urgences, rĂ©animation, SAMU et autres….) la psychiatrie et la pĂ©dopsychiatrie traĂ®nent depuis longtemps ce sentiment d’infĂ©rioritĂ©. Je croyais m’être plutĂ´t vaccinĂ© contre cette « supĂ©rioritĂ© Â» de la technique des soins somatiques qui m’avait Ă©tĂ© inculquĂ©e dès ma formation. Mon sentiment d’illĂ©gitimitĂ© m’oblige Ă  me rendre compte que, en pleine «Guerre sanitaire Â» et alors que l’on parle d’urgence mĂ©dicale et chirurgicale, un soignant en soins psychiatriques a moins de « valeur Â» et de « compĂ©tences Â» qu’un soignant de soins somatiques. Un soignant en soins psychiatriques apparaĂ®t, en pleine « Guerre sanitaire Â», comme un sous-soignant ou un soignant au rabais. Et, les quelques infirmières et infirmiers diplĂ´mĂ©s en soins psychiatriques qui restent pourront très certainement parler de cette dĂ©considĂ©ration qui les a souvent concernĂ©s lorsqu’il existait encore deux diplĂ´mes d’infirmier : un, gĂ©nĂ©ral, afin de pratiquer dans tous les services hospitaliers avec ou sans spĂ©cialisation (anesthĂ©sie par exemple). Un autre, en soins psychiatriques, pour pratiquer en psychiatrie, et, Ă©ventuellement, en gĂ©riatrie.

Pourtant, je sais suffisamment que toute Guerre provoque ses trauma et que l’on sera bien content, Ă  ce moment-lĂ , d’avoir des soignants en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie. Que  ce soit pendant la Guerre sanitaire actuelle ou après l’épidĂ©mie, on peut s’attendre Ă  ce que les services de pĂ©dopsychiatrie et de psychiatrie rĂ©vèlent aussi toute leur nĂ©cessitĂ©.

 

Mais, ça, c’était néanmoins de l’auto-analyse et de l’autodénigrement automatique.

 

Si nos collègues en soins somatiques ont d’évidentes aptitudes techniques que nous n’avons pas, ou oublions, en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie, je me suis avisĂ© ce matin qu’en fait, mon sentiment d’illĂ©gitimitĂ© Ă©tait de toute façon antĂ©rieur au dĂ©but de mes Ă©tudes afin de devenir infirmier. Et c’est mon second constat. Pourquoi ?

D’une part, parce-que je sais un petit peu de quoi est fait ma vie personnelle. Et, pour cela, je peux plutôt remercier mes expériences professionnelles et personnelles en psychiatrie.

D’autre part, parce-que je crois connaĂ®tre un peu le monde infirmier, d’un point de vue personnel et professionnel, qu’il exerce dans un milieu gĂ©nĂ©ral ou dans un milieu psychiatrique. Et lorsque j’ai expliquĂ© Ă  Zez qu’à « l’hĂ´pital, la parole n’est pas libre Â», je parlais autant de la parole d’une infirmière ou d’un infirmier en soins gĂ©nĂ©raux que d’une infirmière ou d’un infirmier en soins psychiatriques :

Parce-que ce n’est pas dans notre culture infirmière de prendre la parole. MĂŞme s’il y a des infirmières et des infirmiers qui prennent la parole. Et qui Ă©crivent. Mais il s’agit d’une minoritĂ©. Et cette minoritĂ© est plus restreinte que la minoritĂ© de mĂ©decins somatiques ou psychiatriques et de psychologues cliniciens qui « parlent Â» et Ă©crivent.

On n’est pas étonné d’entendre s’exprimer une personne qui sort de l’ENA ou de Polytechnique ou qui sort d’une école de la Magistrature ou d’une formation d’avocat. Ces professionnels sont formés et poussés à l’art oratoire, à apprendre à séduire l’auditoire comme à lui jouer du pipeau.

Et je ne serais pas surpris que, quelque part, dans le cursus de formation d’un mĂ©decin ou d’un psychologue, on retrouve ça : le fait d’être formĂ© – et incitĂ©- au fait de s’exprimer, de « prĂ©senter un cas Â» mais aussi de rĂ©flĂ©chir et pousser Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  son sujet.

Dans un film comme Elephant Man, la « crĂ©ature Â» est recueillie par un mĂ©decin brillant qui en fait un cas clinique Ă  mĂŞme de critiquer la sociĂ©tĂ©. Pareil dans l’histoire de L’Enfant sauvage dont François Truffaut ( « nĂ© de père inconnu Â») a rĂ©alisĂ© un film. On ne parle pas d’une infirmière ou d’un infirmier que ce soit dans l’histoire de Elephant Man ou de L’enfant sauvage.

 

L’infirmier et l’infirmière en soins gĂ©nĂ©raux ont bien les dĂ©marches de soins et ce qu’il en reste pour faire ça mais, disons, que ce n’est pas vĂ©ritablement ce qu’on leur demande le plus. Ce que l’on demande le plus Ă  une infirmière et Ă  un infirmier en soins gĂ©nĂ©raux, mĂŞme s’il y a des variantes, c’est, d’abord : d’exĂ©cuter. Soigner. Soigner et exĂ©cuter intelligemment bien-sĂ»r. De savoir pourquoi on rĂ©alise telle action pour soigner et comment. Et quand.  Pas de penser Ă  ce qu’est la vie en SociĂ©tĂ© ou Ă  ce qu’elle pourrait ĂŞtre, ou Ă  ce qu’elle devrait ĂŞtre. L’infirmier diplĂ´mĂ© en soins psychiatriques est sĂ»rement diffĂ©rent. Mais il y en a de moins en moins. Le diplĂ´me d’Etat d’infirmier qui prĂ©pare en prioritĂ© aux soins gĂ©nĂ©raux a dĂ©sormais le monopole en terme de formation infirmière. Et, je suis moi-mĂŞme un infirmier diplĂ´mĂ© en soins gĂ©nĂ©raux ( donc diplĂ´mĂ© d’Etat) qui a choisi d’aller travailler en psychiatrie il y a plus de vingt ans.

C’est peut-ĂŞtre pour ces raisons qu’hier, je me suis senti illĂ©gitime pour parler de mon quotidien durant l’épidĂ©mie lorsque Zez me l’a demandĂ©. Alors que, lorsque j’y ai repensĂ© dans la nuit, j’avais ce qu’il me demandait :

Il n’est pas nĂ©cessaire d’accomplir de grandes prouesses techniques pour prendre part Ă  une « Guerre sanitaire Â». Il y a bien des bĂ©nĂ©voles qui aident Ă  distribuer des repas ( ou des couvertures) pendant l’épidĂ©mie et personne ne contestera qu’en faisant ça, ils prennent part Ă  la Guerre sanitaire contre l’épidĂ©mie.  

En tant qu’infirmier, ĂŞtre prĂ©sent pour assurer «  la continuitĂ© des soins Â», pour remplacer des collègues malades ou absents, s’occuper des patients, que ce soit dans un service ou au tĂ©lĂ©phone, c’est dĂ©jĂ  participer Ă  la Guerre sanitaire alors que d’autres prĂ©fèrent sans aucun doute rester Ă  l’abri chez eux et faire du tĂ©lĂ©travail. Et c’est, lĂ  aussi, un constat. Le Dr House et le Dr Ross ne sont pas les seuls Ă  permettre que la rĂ©sistance hospitalière l’emporte sur l’ennemi viral et bactĂ©rien qui prĂ©sente des particularitĂ©s mortelles.

 

Et puis, je me suis rappelĂ© de mon journal intime.  Hier après-midi, j’ai Ă©crit ça dans mon journal après avoir parlĂ© Ă  Zez. Je n’avais pas prĂ©vu de le mettre dans cet article puisque j’étais encore dans mon sentiment d’illĂ©gitimitĂ© et qu’ensuite je me suis dit que j’allais lui proposer quelqu’un d’autre pour s’exprimer sous couvert d’anonymat  ( j’ai Ă©videmment retirĂ© et modifiĂ© certains passages pour des raisons d’intimitĂ© et pour que ça serve l’article) :

« IdentitĂ© en crescendo, album de RocĂ©.

 

Ma fille est dans sa chambre depuis 14h30/15h00 officiellement pour faire sa sieste.

 

Depuis la dernière fois que j’ai Ă©crit dans ce journal, le couvre-feu a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© par le PrĂ©sident Macron du fait de l’épidĂ©mie du coronavirus Covid-19. Il a pris effet cette semaine, mardi ou mercredi. Ma compagne et moi faisons partie des professionnels en première ligne de cette « Guerre sanitaire Â» qu’a Ă©voquĂ©e plusieurs fois le PrĂ©sident Macron dans son allocution prĂ©sidentielle lundi soir, je crois. Je travaillais cette nuit-lĂ  avec F… ma collègue de nuit depuis plusieurs annĂ©es.

 

Il s’en est ensuivi une atmosphère assez irrĂ©elle : tout, pratiquement, tourne autour de l’épidĂ©mie. Confinement, plus de contrĂ´les. Obligation d’avoir sur soi un laissez-passer sur soi en cas de contrĂ´le quand on sort. Je n’ai pas encore Ă©tĂ© contrĂ´lĂ© mais j’ai vu des contrĂ´les.

Dès l’allocution du Président Macron, j’ai décidé de reprendre mon vélo pour aller au travail. C’est plus loin que pour se rendre à notre ancien service ( 1h05 contre 40 à 45 minutes) mais, au moins, je suis à l’air libre et me farcis moins de contrôles ( des contrôleurs + les policiers) dans les transports en commun. Et puis, ainsi, je subis moins la diminution des transports en commun.

 

J’ai le moral. Mais je suis étonné de voir comme l’épidémie a opéré une véritable voire une totale occupation mentale de la plupart des esprits. Et nous n’en sommes qu’au début de l’épidémie en France. Je crois que des personnes vont devenir folles à force d’avoir la tête mangée par l’angoisse et en permanence fourrée dans la pensée du coronavirus Covid-19.

 

Il y a deux jours, un soir, Ă  l’heure du coucher, j’étais au tĂ©lĂ©phone avec ma compagne lorsqu’elle s’est mise  Ă  pleurer. Soudainement. Cela m’a surpris. Je lui ai demandĂ© si elle pensait que nous allions mourir. Elle m’a rĂ©pondu qu’elle ne savait pas. Qu’elle Ă©tait fatiguĂ©e. Je lui ai dit que je pense que nous ne mourrons pas. Ni elle, ni notre fille, ni moi.

 

Par contre, je crois qu’il est possible que quelqu’un que je connais meure du coronavirus. Puisque cette épidémie tue.

 

Rues dĂ©sertes, transports en commun dĂ©serts, tĂ©lĂ©travail et confinement pour celles et ceux qui peuvent. Les supermarchĂ©s, les boulangeries, certains bureaux de tabac ainsi que certains points de presse sont ouverts. Tous les centres culturels et lieux publics divers sont fermĂ©s : mĂ©diathèques, musĂ©es, salles de concerts, salles de projection de presse, cinĂ©mas, piscines.

 

Notre fille, comme les autres enfants de soignants, est accueillie dans une école et un centre de loisirs dans notre ville. Cela lui permet de prendre l’air et de s’amuser avec d’autres enfants. Ses devoirs lui sont envoyés par sa maitresse via internet.

 

Quelques amis et proches s’inquiètent pour nous, ma compagne et moi, puisque nous sommes appelés à être en première ligne comme d’autres soignants. Pour l’instant, je suis plus inquiet de voir que nous perdons des libertés, que nous entrons dans un Etat policier, et que nous aurons beaucoup de mal à récupérer certaines de ces libertés après l’épidémie.

 

Je crois que savoir couper moralement de l’angoisse, bien se reposer, et, aussi, éviter d’être trop au contact avec des personnes trop angoissées, font partie des munitions à avoir avec soi pour supporter l’épidémie et la surmonter.

Je n’aime pas cette ambiance de folie gĂ©nĂ©rale hĂ©bergĂ©e par la majoritĂ© sur les rĂ©seaux sociaux par exemple. Tous les jours, tous les jours. MĂŞme s’il y  aussi de la solidaritĂ©, de l’humour.

J’ai aussi appelé quelques amis et proches. Mais je vais aussi veiller à me reposer et à savoir me tenir à l’écart de celles et ceux qui sont trop angoissés. A couper mon téléphone portable.

Mes prochains articles sur mon blog seront si possible « hors Â» Ă©pidĂ©mie, hors du sujet de l’épidĂ©mie. Je vais aussi prendre soin de lire ( en ce moment, je lis La Dernière Ă©treinte du primatologue et Ă©thologue Frans de Waal, bon, le titre a un cĂ´tĂ© funeste mais je l’avais commencĂ© avant le couvre-feu). Et Ă©couter de la musique.

Avant le couvre-feu, nous pensions que X… serait la ville où nous aimerions vivre. L’épidémie va peut-être changer la donne. Sans notre métier, ma compagne et moi serions confinés en permanence lors du couvre-feu car nous n’avons pas de terrasse ou de jardin. Rester tout le temps dans son appartement, c’est usant. Même si on peut sortir pour faire des courses, emmener son enfant à l’école et faire un footing matinal ou emmener son animal faire ses besoins. Ou partir au travail pour celles et ceux qui ne peuvent pas faire du télétravail.

 

Hier soir, ma compagne et moi avons fait le mĂŞme constat : nous Ă©tions vendredi et, en raison de l’épidĂ©mie, nous n’avions pas pu prendre le temps de nous occuper de notre fille afin qu’elle fasse ses devoirs. Nous en Ă©tions encore aux devoirs de mardi. Nous nous sommes dit qu’elle allait ĂŞtre pĂ©nalisĂ©e. 

 

Ma play-list pour le moment :

 

1)  A La Claire Fontaine      5:02    Manu Dibango          Afro-Soul Machine [Disc 1]            

 

2) No Monopoly On Hurt    2:55    Kennedy Milteau Segal       CrossBorder Blues (2018) Blues 

 

3) Mirza         3:52    Nino Ferrer   Nino Ferrer Et Cie – La Vie Chez Les Automobilistes      Pop                

4) Verdi: Pater Noster         5:49    Riccardo Chailly: Milan Symphony Orchestra & Chorus « Giuseppe Verdi »    Verdi: Messa Solenne          Classical                      

 

5) Rebellion In Heaven       4:17    Inna De Yard Feat. Cedric Myton  Inna De Yard            Reggae                      

6 ) The Wind Blew It Away – Qua Câu Gio Bay    7:33    NguyĂŞn LĂŞ     Tales From ViĂŞt-Nam           Jazz                

 

7) Fugue En Rire      2:44    Henri Salvador         Ses Plus Grandes Chansons [Disc 2]         Pop                

 

8) Louxor J’adore     3:02    Katerine        Robots après tout     Chanson française              

9) Andy         5:23    Les Rita Mitsouko     The No Comprendo Rock              

 

10 ) DadouĂ©  4:47    Njie (MJthriller)       Best Of (MJthriller)  Zouk              

 

11) Verdi: Laudate Pueri    6:28    Eldar Aliev, Kenneth Tarver, Etc.; Riccardo Chailly: Milan Symphony Orchestra « Giuseppe Verdi », Verdi Chorus Milan  Verdi: Messa Solenne          Classical                    

 

12) Kanou     3:52    Mamani Keita           Kanou            Pop     ».

 

La personne que je pensais plus lĂ©gitime que moi afin qu’elle parle Ă  Zez de son quotidien pendant l’épidĂ©mie a rĂ©pondu ce matin :

 

Elle ne se sent pas légitime pour en parler.

 

Peut-être que mon article va la faire changer d’avis ou inspirer d’autres personnes que je vais contacter et que celles-ci se sentiront suffisamment légitimes pour parler de leur quotidien au cours de cette épidémie. Ce serait bien d’avoir plusieurs points de vue.

 

Franck Unimon, ce samedi 21 mars 2020.  

 

 

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