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Echos Statiques

La Vocation et le Talent

 

 

La « Vocation » est peut-être Le mot que je hais à parler du métier d’infirmier (voir mon article sur le documentaire De Chaque Instant de Nicolas Philibert dans la catégorie Cinéma).

La « Vocation » est pour moi une assignation. L’équivalent de la médaille de chocolat ou de la quatrième place. Du distributeur automatique sur lequel il suffit d’appuyer et qui est «  là pour ça ! ».

C’est un lot de consolation que récupère celle ou celui, souvent plus persuadé(e) que les autres qu’il/elle vaut moins qu’eux. Un leurre.

La « Vocation », c’est ce qui pousse à croire que l’on obtient sa juste récompense au mérite : qu’en se taisant, en endurant, en acceptant tout et n’importe quoi, parfois de n’importe qui, un jour, notre consécration, notre prince ou notre princesse viendra. Alors, toutes celles et tous ceux que l’on aime seront là pour fêter avec nous ce moment éternel.

La « Vocation », c’est ce qui incite à s’excuser d’exister, de respirer, de penser. On craint souvent ou toujours de déranger, d’être incongru, inapproprié, d’avoir mal agi ou de mal agir.

 

Dans son livre Le Fils du pauvre , Mouloud Feraoun écrit ce passage :

«  (…..) Pénétré de mon importance dès l’âge de cinq ans, j’abusai bientôt de mes droits. Je devins immédiatement un tyran pour la plus petite de mes sœurs, mon aînée de deux ans. (….) Elle avait un bon naturel qui lui permettait d’essuyer mes coups et d’accepter mes moqueries avec une mansuétude peu imaginable chez un enfant de son âge. Toutefois, on ne manqua pas de lui inculquer la croyance que sa docilité était un devoir et mon attitude un droit. Chaque fois qu’il lui arrivait de se plaindre, elle recevait une réponse invariable : « N’est-ce-pas ton frère ? Quelle chance pour toi d’avoir un frère ! Que Dieu te le garde ! Ne pleure plus, va l’embrasser ».

Grâce à ce procédé, elle avait fini par croire inséparable la formule «  Que Dieu te le garde » du nom du frère et il était touchant de l’entendre dire à ma mère en pleurant :

-C’est mon frère, que Dieu me le garde, qui a mangé ma part de viande – Mon frère, que Dieu me le garde, a déchiré mon foulard.

Petite sœur, qui es maintenant mère de famille, ton vœu a été exaucé. Dieu t’a gardé ton mauvais frère ».

Le Fils du pauvre, publié en 1954, relate un passé en Kabylie alors que l’auteur était enfant presque cinquante ans avant l’indépendance de l’Algérie en 1962. J’ai déjà parlé dans ce blog (dans la catégorie  Puissants Fonds) du journal que celui-ci a tenu durant la guerre d’Algérie avant d’être assassiné par l’OAS à El-Biar, près d’Alger.

 

Récemment, un siècle plus tard, lors de ce mois de décembre 2018, une de mes collègues, lors d’une de ces discussions confidentielles qu’il est possible d’avoir lorsque l’on se sent suffisamment en confiance nous a appris qu’il était d’usage dans sa famille qu’elle soit celle, au moment de Noël, qui faisait des cadeaux à tous. Elle était un peu triste. Mais sans revendiquer quoique ce soit. Je suis sûr que, rétrospectivement, elle est capable de s’en vouloir d’avoir eu la  « faiblesse » de nous en parler. A notre autre collègue et moi. Et, je suis aussi sûr qu’elle est capable de m’en vouloir de parler d’elle. J’en prends néanmoins le risque car j’ai été et suis comme elle. Et tant d’autres sont comme elle : persuadés que les rôles de servants et de figurants leur sont dévolus.

Nous étions pourtant à Paris, capitale culturelle et touristique, renommée internationalement, entre adultes de plus de quarante ans, porteurs de divers vécus, de rencontres et de voyages de par le monde. Et notre collègue n’est pas la descendante cachée de la sœur de Mouloud Feraoun.

Très vite, discrètement, mon autre collègue et moi avons décidé d’essayer de réparer ça : lors de notre dernière nuit de travail cette année avec cette collègue, nous lui avons fait quelques cadeaux. L’une s’est chargée des achats. Je me suis occupé de la musique d’ambiance. Nous avons bien-sûr partagé les frais.

Notre collègue a été surprise et touchée. Et, elle s’est presque excusée pour ces attentions que nous lui avons portées. C’est aussi ça, la vocation. L’attitude de cette collègue un peu embarrassée d’avoir « bénéficié » de nos attentions. La nôtre qui a consisté à spontanément essayer d’atténuer un certain sentiment d’injustice et une certaine peine que nous avons perçue sans attendre, en retour, de recevoir une récompense ou une reconnaissance quelconques. Bien-sûr, on pourra toujours nous dire que ma collègue et moi nous sommes identifiés en notre autre collègue et qu’en lui faisant ces cadeaux, nous nous les sommes faits à nous-mêmes et aux enfants que nous sommes demeurés. Et ce sera aussi vrai comme pour la plupart des cadeaux que nous faisons d’une manière générale à notre entourage.

 

Le talent, c’est à mon sens, avoir la conviction, à un moment ou à un autre, que tout ce qui nous arrive ou peut nous arriver de bien est notre droit. La différence principale entre la « vocation » et le « talent » à mes yeux est la quantité de confiance – et donc de légitimité- que l’on est capable de produire et de se procurer en soi et par les autres. Faute de confiance en soi et d’un sentiment de légitimité, et livrés aux seules muses de la mésestime de soi, nous voilà les élèves appliqués et préférés de la culpabilité et de l’autodénigrement, rotondes de notre impuissance et de nos défaites à venir qui nous confirmeront que nous sommes bien « nuls » et illégitimes pour de nouvelles entreprises comme pour d’autres horizons.

Dans cet extrait de Le Fils du pauvre, l’auteur représente le talent. Et, il se décrit lui-même comme un «  enfant gâté ». Sa sœur tyrannisée représente, elle, la vocation.

On a compris où je veux en venir :

On peut remplacer le mot «  frère » par le mot « emploi », « patron », « gouvernement », « salaire », «  maison », « mari », « femme ». «  ami(e ) », « copain/copine » ou « pantalon » ça marche aussi.

Ce passage du livre de Mouloud Feraoun nous rappelle comme beaucoup de nos apprentissages, de nos soumissions futures mais aussi de nos révoltes, sont la suite de notre enfance que l’on ait vingt, trente, quarante, cinquante ou soixante dix ans. Que l’on soit de droite ou de gauche. Que l’on soit une femme ou un homme. Que l’on soit valide ou invalide. Névrosé ou psychotique. Que l’on soit hétéro ou homo. Que l’on soit riche ou pauvre. Que l’on soit blanc, noir, arabe ou jaune. Que l’on soit catholique ou musulman. Que l’on soit célibataire ou en couple. Avec ou sans enfants.

Les gilets jaunes ? Oui, les gilets jaunes. Et d’autres. Hier ou demain. Qu’ils se manifestent par la violence physique, matérielle ou non. Violence physique et matérielle, je le rappelle, que je désapprouve. Parce-que j’en ai encore les moyens. Physiquement, moralement et matériellement. Pour l’instant. Voir mon article Privilégié dans la catégorie  Echos statiques.

On peut se défaire de l’engrenage d’une certaine violence que l’on a connue jeune, tôt, trop tôt. C’est l’affaire de la résilience, du travail thérapeutique, de la prise de conscience, de la réflexion, de l’apaisement.

 

Lorsque cela est possible.

 

Cela peut être un travail long et lent dans un monde qui va vite. Ou qui semble aller très vite puisque nous sommes plus séduits par la nouveauté et le résultat final que par tout ce qui peut leur précéder pour les obtenir. Puisque ce que d’autres « réussissent » peut nous sembler facile et rapide à réaliser.

 

Dans son film En Liberté sur lequel je n’ai pas encore écrit, Pierre Salvadori nous montre à nouveau des êtres inadaptés ou qui ont du mal à se réinsérer. En particulier, le personnage tenu par Pio Marmaï, employé modèle (un vrai « diamant ») accusé à tort d’un délit et qui sort de prison après plusieurs années. Vers la fin du film, sa compagne (jouée par Audrey Tautou), éreintée par ce droit à vivre par lequel il justifie tous ses actes de violence lui dit :

« T’es revenu innocent avec la cruauté des victimes ! ».

C’est cette cruauté-là que celles et ceux qui ont la vocation d’infirmier (et de soignant) acceptent parfois ou souvent, pendant des années, de recevoir et de retenir pour éviter de la retourner à celles et ceux qui l’infligent. Et s’ils ont du talent, ils parviennent quelques fois à la transformer en art.

 

 

Franck Unimon, ce mercredi 19 décembre 2018.

 

 

 

 

 

 

 

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Cinéma

Utoya, 22 juillet

                                          Utoya, 22 juillet, Film sorti en salles le 12 décembre 2018.

 

 

Erik Poppe, le réalisateur, rappelle que ce film est une fiction inspirée par les témoignages des victimes (et de leurs proches) du massacre sur l’île Utoya en Norvège le 22 juillet 2011.

 

 

Pour la fiction, on peut trouver une petite parenté avec Hunger Games d’autant plus que le personnage de Kaja, « l’héroïne » de Utoya, 22 juillet a un faux air de Jennifer Lawrence. Mais il a sûrement été assez difficile, même si thérapeutique, pour les acteurs et actrices (tueur inclus) d’endosser les rôles des victimes d’Utoya.

Pour le cinéma, on pourra se rapprocher du film Elephant de Gus Van Sant (palme d’or à Cannes en 2003) inspiré de la tuerie au lycée de Columbine en 1999. Sauf que les deux meurtriers du lycée de Columbine ont été reconnus comme des tueurs de masse et qu’ils ont agi aux Etats-Unis, pays où la législation sur les armes peut rendre celles-ci aussi accessibles que certains produits de consommation courants. (voir le film Les Veuves de Steve McQueen )

Dans mes souvenirs, Elephant déroulait une atmosphère en suspension à l’intérieur de laquelle, des lycéens livrés à eux-mêmes se faisaient tuer sans que l’on ait le temps d’apprendre à les connaître un peu.

Dans Utoya, 22 juillet, le réalisateur humanise davantage ses victimes avant que le terroriste ne démarre son activité meurtrière en tenue de policier. Quelques heures plus tôt, il avait déclenché un attentat à Oslo. Dans le film, on ne verra jamais son visage. On n’entendra jamais son nom. On apercevra sa silhouette, quelques secondes, de loin, depuis le contrebas d’une falaise, vers la fin du film. C’est plus respectueux des victimes et aussi des faits : personne n’a eu l’idée de lui tirer le portrait alors qu’il abattait ces jeunes idéalistes de gauche.

Même s’il arrive que l’on aperçoive quelques corps inconscients ou blessés, Utoya, 22 juillet s’attache principalement à rester proche des victimes qui se cachent, essaient de comprendre ce qui se passe, fuient ou tentent de prendre des décisions.

Après dix minutes de détonations par à coups, plusieurs spectatrices et spectateurs (il m’a semblé qu’il y’avait un petit peu plus de femmes que d’hommes) dans la salle ont commencé à soupirer tant la situation était stressante. Quant à moi, depuis mon siège confortable et sécurisé de spectateur, il m’a pris l’envie de saisir une grosse branche d’arbre mort afin d’aller la fracasser sur la nuque de l’agresseur. Non par héroïsme : j’aurais été autant voire plus effrayé que tous ces jeunes d’une moyenne d’âge comprise entre 18 et 25 ans à vue d’œil ( même si le jeune Tobias a sans doute 14-15 ans). Et j’aurais peut-être été en état de choc, en position fœtale, bien incapable de courir pour sauver ma peau sur l’île d’Utoya ce 22 juillet.

Mais par besoin d’en finir soit pour moi, soit par sacrifice pour d’autres, j’ai eu envie d’attraper une grosse branche.

A l’image de ces jeunes qui se sont fait tirer dessus comme des pigeons à la foire, les chiffres de ce massacre tombent : Utoya, ce 22 juillet 2011, nous rappelle le film, c’est une tuerie d’une durée de 72 minutes. 77 morts, 99 blessés graves, 300 personnes touchées ensuite par un stress post-traumatique. Le film dure 1h33. C’est bien-sûr 1h33 de trop. Mais ce film, en plus de rendre hommage d’une certaine façon aux victimes et à leurs proches, a au moins deux buts :

Informer sur les menaces profondes que peuvent représenter les mouvements d’extrême droite qui fondent sur les gouvernements comme sur des plages paradisiaques.

Prévenir, peut-être, les futures victimes potentielles (et avant eux, leurs tuteurs, éducateurs ou parents) de tout tueur comme de tout agresseur éventuel.

Cette deuxième partie est peut-être ma façon de me rassurer de manière rationnelle comme le personnage de Petter qui a d’abord besoin de se persuader que l’attaque qu’ils subissent est un «  exercice d’entraînement ». Car, il est bien difficile de se préparer à ce genre d’expérience. Comme le précise Jean-Paul Mari dans son livre Sans Blessures apparentes :

 « (….) A l’heure de la survie, plus de jeu social, d’interrogations existentielles. En une heure d’assaut, face au danger, le soldat en apprend plus sur lui-même que pendant des années de bureau ».

Les jeunes militants de l’île d’Utoya étaient des civils. Et aussi des pacifistes. Pour ce que l’on perçoit d’eux, ils étaient plutôt ouverts au dialogue et optimistes que portés sur le pugilat pour s’affirmer ou survivre. Face à eux, un homme armé, préparé, déterminé, portant sur lui un uniforme représentant l’autorité, qui les prend par surprise sur un lieu isolé ( une île ) , plutôt festif, dépourvu de moyens de sécurité comme de repli et où la communication téléphonique est mauvaise. C’est dire l’impasse.

Et, encore, le fait que les téléphones portables existaient déjà en 2011 a sûrement contribué à diminuer le nombre de morts et de blessés.

Pour prévenir ce genre de tragédie, certains préfèrent une présence armée et constante. D’autres, le droit à porter une arme sur soi.

Je me demande à partir de quel âge et, comment, préparer au mieux son enfant à la survenue possible de certains crimes étant donné qu’être en permanence sur la défensive, c’est aussi l’amputer de son innocence : avoir peur de tout et se méfier de tous, c’est aussi se priver de certaines ressources. Dans Utoya, 22 juillet, les quelques liens sociaux maintenus entre plusieurs victimes, même insuffisants pour se débarrasser de leur agresseur et être totalement solidaires, leur permettent aussi de se soutenir.

Pour moi, Utoya, 22 juillet, n’est pas un film à aimer : la priorité, ici, n’est pas d’aimer. Mais de le voir afin de réfléchir au genre de vie que l’on veut avoir et sur les modèles que l’on veut défendre ou laisser aux autres, à commencer par soi-même.

 

 

Franck Unimon, ce lundi 17 décembre 2018.

 

 

 

 

 

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Cinéma

Les Veuves

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Veuves réalisé par Steve McQueen. Film sorti en salles le 28 novembre 2018.

 Visages d’un sépulcre creux, quatre femmes sont l’atoll de ce film carré. Deux autres sont cachées.

Comme lors de tout rythme initiatique, les héroïnes commencent par dérouiller.

Nous les voyons encaisser la mort. Elles se font éjecter de leur zone de confort.

La «  zone de confort », dans un monde établi selon les process de réussite du règne masculin, blanc, libéral et occidental varie d’une femme à l’autre.

Au tout début du film, Veronica Rawlings ( l’actrice Viola Davis) est la Reine noire qui supprime, de par sa seule présence dans le lit et dans la vie de son mari blanc ( joué par Liam Neeson), plusieurs générations de racisme social, médiatique et cinématographique. C’est une femme d’avenir, éduquée, émancipée et plutôt bourgeoise.

Le personnage interprété par Michelle Rodriguez est une commerçante indépendante, mère de famille et épouse robuste d’un braqueur addict et flageolant. C’est elle qui tient la boutique.

Alice Gunner (l’actrice Elizabeth Debicki) est la grande blonde, mannequin d’argile d’origine polonaise, si peu sûre de sa valeur qu’elle garde les coups de son compagnon et qu’elle dépend de l’escorte de sa mère qui voit en son corps son meilleur capital.

Et puis, il y’a l’outsider, Belle (l’actrice Cynthia Erivo), physique de boxeuse, mère célibataire, coiffeuse, baby-sitter au domicile des autres plus que chez elle, qui ne compte pas ses heures de travail pour s’en sortir.

Une Latinos, une Slave ( se rappeler que le mot “esclave” vient du mot ” slave”), deux Afro-américaines, Steve MacQueen a formé son quarté féminin avant le saut d’obstacles :

Infidélité, double infidélité, ambition politique et sociale (l)acérée, héritage paternel, Les Veuves est peut-être un film de deuil sur les années Obama. La présidence Obama a peu modifié la trajectoire des inégalités et des violences entre les femmes et les hommes, entre les noirs et les blancs, entre les flics blancs armés, adultes, et les jeunes noirs interdits d’insouciance. Mais aussi entre noirs. L’ennemi est partout. Aux sentiments, mieux vaut préférer les alliances par intérêt commun tarifé. Ce sont les meilleures assurances.

Pendant ce temps-là, dans cette ville des Etats-Unis où se passe l’histoire, les armes restent en vente libre et une mère peut enseigner à sa fille qu’une arme est un meilleur compagnon qu’une peluche ou un copain.

Bound, des ex-frères Wachowski, Fresh, de Boaz Yakin, McQueen s’est probablement passé de la vision de ces deux films pour donner à ses héroïnes le pouvoir de se servir de leurs « faiblesses » pour se tailler la part du lion dans le film.

De leur côté, les hommes servent les fantômes d’un passé redoublé ou traumatique. Colin Firth, homme politique par transmission et par vénalité, est asservi aux postulats passéistes et racistes du père (l’acteur Robert Duvall).

Harry Rawlings (Liam Neeson), le braqueur de haute précision, a une tâche sur son CV personnel.

Les deux frères Manning (l’acteur Bryan Tyree Henry et Daniel Kaluuya à nouveau remarquable après Get Out et le premier Sicario) en ont assez du ghetto et veulent en être.

On peut trouver ce film de McQueen plus « mainstream » que les précédents. Son fond est pourtant plusieurs fois aussi lourd qu’un sac de frappe que l’on reçoit de face.

Plusieurs scènes sont virtuoses. Citons-en quelques unes :

Une séance de coaching conjugo-politique avec Colin Firth et sa femme en hors champ.

Une dispute/réconciliation entre Viola Davis et Elizabeth Debicki.

Michelle Rodriguez et un autre veuf.

Le personnage de Daniel Kaluuya donne son avis sur l’Art et le Rap.

Quand un politicien noir en campagne rend visite à une veuve noire.

Un prêche sur la nécessité de faire entrer l’Amour dans l’équation.

 

Comment ne pas aimer ce film ?

 

 

Franck Unimon, ce lundi 17 décembre 2018.

 

 

 

 

 

 

 

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Croisements/ Interviews

Le Fait Eric

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mère normande, père malgache, il est d’abord parti de Caen. J’ai rencontré l’ami Eric Moscardo-Rabenja il y’a environ dix ans à l’université de Saint-Denis en banlieue parisienne.

Nous étions tous les deux acteurs dans un court-métrage réalisé par des étudiantes en cinéma. Nous avons fait connaissance pendant que l’équipe technique procédait aux réglages ou que d’autres de nos partenaires tournaient. De contact facile, l’esprit à la tête, la conversation avec Eric s’est aisément faite.

Je suis souvent resté perplexe devant la superficialité et l’infirmité des rapports entre les humains du milieu du théâtre, du cinéma mais aussi du journalisme cinéma qui peuvent pourtant se dévouer à bien des œuvres « généreuses » et « humaines ».

Tout semble perpétué par une prise d’intérêt immédiate. A moins qu’il ne s’agisse de ces embarras communs, embruns qui nous dominent, lorsque l’on ne sait quoi dire à un autre nous-même. Ou de cette angoisse qui oblige. A faire du rendement et du recel de présence plutôt que des rencontres. Pour se prouver que l’on a bien travaillé ; que l’on a bien produit ; que l’on a été efficace ; que l’on a fait quelque chose de soi et de son temps.

On peut être décisif en déposant que lorsqu’il est difficile de gagner sa vie- dans un milieu ultra-compétitif- pour se nourrir et être reconnu à la hauteur de son énergie, on n’a pas le temps pour jouer à la balle au prisonnier, conter fleurette et faire du tricot.

Il est étonnant comme certaines personnes- même décédées- donnent encore l’impression de manquer de temps.

Le pire est que ce sous-développement relationnel touche même des univers professionnels supposés habilités à le traiter. Exemple : les techniques et décisions gouvernementales et managériales dans les hôpitaux et les lieux de soins.

Mais on peut aussi, bien-sûr, préférer évoquer pudiquement- et sincèrement- le charme des       « affinités ».

 

Le sens de la droiture. Le fait d’avoir longtemps été un « artiste caché ».

 

Je crois avoir décelé quelques affinités entre Eric et moi. Pourtant, j’éviterai de trop le déshabiller. Car, même si l’artiste, au moins, s’expose devant les autres, c’est souvent à titre provisoire et partiel. Lors de certains moments précis et identifiés par lui (ou elle) où il ou elle est raccord pour se présenter autrement qu’à l’accoutumée.

Cela peut peut-être se comparer, jusqu’à un certain point, à une forme d’envoutement, où l’on fait refluer vers soi et en soi, toutes ces vies dénombrées, retenues, saisies, claquemurées, ignorées, confiées et aperçues dont on hérite et que l’on restitue – par parcelles- sur la scène. Vies qu’on oublie ou que l’on oubliera une fois la scène ou le plateau de tournage éteints alors qu’elles auront entretemps étreint d’autres mémoires avant que l’on s’en retourne à notre ordinaire.

 

Je suis peut-être sous l’influence de mes élucubrations, éléments variables de mes bizarreries et autres dérangements.

 

Eric est né le 3 octobre. Je suis né le 2. On peut donc dire que l’on se suit.

Lors de notre dernière rencontre, il était très amusant de voir comme, à tour de rôle, chacun voyait dans le parcours de l’autre, une inspiration possible pour écrire une histoire ou un scénario de court-métrage.

Après avoir travaillé une vingtaine d’années dans les Aéroports de Paris, depuis trois ou quatre ans, Eric est devenu un artiste à temps complet. Il a écrit un premier One Man Show qu’il a joué à Paris et à Madagascar. Il continue de se former au jeu d’acteur et à l’écriture de projet. Il participe à des tournages. Il joue au théâtre. Il a un agent.

 

Lorsque j’avais reçu le dvd du court-métrage où nous avions joué ensemble, je l’avais trouvé meilleur acteur que moi. Je me souviens encore du passage où, face caméra, il balance :

« J’t’ai toujours dit que je voulais pas d’une bande de chiards ! ».

 

 

Franck, ce vendredi 14 décembre 2018.

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Cinéma

Millenium : Ce qui ne me tue pas

Millenium : Ce qui ne me tue pas, réalisé par Fede Alvarez.

 

Sortie en salles le 14 novembre 2018.

 

Mes articles sont longs. Celui-ci sera court. J’avais aimé les précédents avec Noomi Rapace et Rooney Mara. Avec une préférence pour Noomi Rapace qui a confirmé son envergure d’actrice dans le Promotheus (2012) de Ridley Scott.

J’ai beaucoup aimé l’affiche de Millenium : Ce qui ne me tue pas. Elle est très photogénique.

J’avais bien remarqué que peu de critiques s’épanchaient sur ce film. Mais j’avais envie de revoir Lisbeth Salander. Dans ce film, Lisbeth Salander est James Bond, le Néo de Matrix et Robin des Bois tout à la fois. Une femme peut être plus forte et plus intelligente qu’un homme. Mais, ici, elle reste faible devant quelques puissants clichés du scénario.

Grâce à ce film, j’ai néanmoins reçu deux ou trois enseignements. Il faut toujours avoir quelques amphétamines à portée de main. Au cas où on nous injecterait une forte dose de sédatifs sur la scène d’un crime qui vient d’être commis.

Le monde se répartit en deux sphères : celle des surdoués qui voient tout et peuvent tout en agissant seuls. Et celle des idiots d’Etat qui ne voient pas qu’une caméra miniature a tout filmé du crime qui vient d’avoir lieu malgré la garde rapprochée présente.

Il faut toujours se méfier de sa sœur surtout si on l’a battue aux échecs, enfant. Car, plus tard, elle voudra prendre sa revanche et portera une longue robe rouge.

Certains hommes sont fréquentables : Les hackers solitaires sans libido. Les journalistes qui risquent leur vie pour une enquête. Et les hackers. Surtout si ces derniers ont pour spécialité d’être des tireurs émérites suffisamment habiles pour transporter des armes au doigt et à l’oeil.

La maitrise de l’informatique permet de prendre le pouvoir à peu près n’importe où, n’importe quand. Le bug informatique n’existe pas.

Une baignoire protège des explosifs. Lors du prochain attentat, si possible, se précipiter dans la baignoire la plus proche.

Un homme rendu aveugle se déplace plus vite dans la neige jusqu’à la route qu’une voiture de course.

 

Dans les premières minutes du film, nous assistons pourtant à une scène de violence conjugale particulièrement bien réalisée. Ensuite, Millenium ou non, le film rejoint l’incurie de ces grosses productions folles de la règle selon laquelle à partir d’un certain nombre de scènes d’actions et de revirements, mécaniquement, le public va se mettre à « aimer » un film et affluer dans les salles quelque soit le contenu….

 

Je viens de recevoir un sms de Lisbeth Salander. Celle-ci m’affirme qu’en persistant à écrire pour mon blog, je poursuis le même but que ce film. Pour l’instant, elle ne me menace pas m’écrit-elle. Mais elle me met en demeure de fournir un peu plus de contenu que ce que j’ai pu voir dans ce film. Je vais me rapprocher de la baignoire.

Franck, ce mercredi 12 décembre 2018.

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Cinéma

Kabullywood ( sortie en salles le 6 février 2019).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après sept années, j’ai recomposé le trajet des projections de presse. Pour aller voir le film Kabullywood réalisé par Louis Meunier en Afghanistan où il a vécu…dix années.

Je suis parti avec un peu d’avance. Le film sortira en salles le 6 février 2019.

Alors, je me suis attardé. J’avais du temps. A la gare, je me suis laissé descendre par l’escalator. A mesure que je déclinais, j’ai commencé à regarder cette publicité qui passe et repasse depuis des journées, peut-être depuis plusieurs semaines, peut-être depuis des années, à l’intérieur de ce magasin de vêtements pour jeunes beautés. Ordinairement, cette publicité et tant d’autres réclames de toutes sortes s’accumulent sur mes trajets depuis mon réveil. Et je les passe comme s’il s’agit de simples tentacules, de simples tables de calculs et de conjugaisons, que j’écarte en croyant qu’elles ne me laissent aucune trace.

Ce matin-là, j’ai regardé cette publicité jusqu’au bout, planté devant la vitrine du magasin alors que d’autres personnes continuaient plus loin.

Quatre ou cinq jeunes femmes, on dirait des adolescentes, aussi jolies que des mannequins, sont ensemble dans une pièce. Elles ont l’ennui et l’oisiveté pour seuls projets. Elles souffrent beaucoup de leur inactivité. Elles finiraient presque par se haïr. Elles ne se parlent pas. Elles se regardent du coin de l’œil d’une manière pesante en attendant que l’une d’entre elles trouve ce qu’elles pourraient bien faire.

Puis, le déclic arrive je ne sais comment. Le groupe de filles s’anime. On casse le sapin de Noël. Car on est des rebelles. On se retrouve toutes belles à une station de ski, sur la neige et dans un téléphérique où l’on rigole comme des folles en buvant du champagne à volonté. L’argent n’est pas un problème. Et la vie non plus dès lors que l’on s’amuse et que l’on peut dépenser un argent qui nous vient d’on ne sait où.

Cette pub doit durer à peine une minute. Elle passe en boucle là où je l’ai vue et sur d’autres écrans. Un certain nombre d’adolescents, de pré-adolescents et d’enfants, étrangers et du pays gobent cette pub – et d’autres- de façon illimitée, seuls ou tandis que les adultes qui sont avec eux regardent ailleurs. En repartant, je me suis demandé le montant du budget alloué à la réalisation de cette pub. Il est sûrement facile à connaître.

De manière arbitraire, je me suis très vite convaincu que le budget obtenu pour la réalisation de cette pub est sûrement plus élevé que celui dont a bénéficié Louis Meunier pour « faire » Kabullywood mais aussi pour le distribuer.

Cette pub, et quelques autres, compteront bien plus de spectateurs et de visiteurs que le film de Louis Meunier. Pour une question de moyens financiers et aussi parce-que le rêve proposé par cette pub est plus facilement accessible, davantage grand public, que celui défendu par ce film qui sortira dans bien moins de salles que cette pub ne compte d’écrans dans toute la France.

 

 

 

 

A Kaboul, en Afghanistan, Sikandar, Shab et leurs amis décident de restaurer le cinéma Aryub pour en faire un centre culturel. C’est leur façon de résister à la refonte de l’intégrisme religieux après le départ des armées occidentales. L’Afghanistan fait partie de ces pays davantage connus en occident pour la guerre et ses « fous » de Dieu. Louis Meunier s’attache aussi à nous montrer ce qu’il peut de la culture et de l’histoire de ce pays avant cette folie. Il le fait selon moi avec respect. Même si la caméra est un regard et que chaque culture peut vivre différemment le fait d’être vue ou emportée par l’œil d’un étranger.

«  La liberté n’est jamais acquise », constate Sikandar (l’acteur Omid Rawendah) vers la fin du film. Pour si éloignée de la nôtre que puisse nous paraître la vie en Afghanistan, nous pouvons peut-être trouver ici le conte un peu prémonitoire de ce qui pourrait nous advenir en occident. Si la liberté n’est jamais acquise et que la religion, l’argent et une certaine publicité devenaient l’unique vérité.

Le dossier de presse nous le rappelle :

« (….) Dans les années 70, le pays faisait figure de havre de liberté et se trouvait dans une ébullition culturelle faite de concerts, de défilés de mode, de projections de films ! ».

Kabullywood a des maladresses pour certaines de ses interprétations et pour ce qui est du déroulement de l’histoire. On pourra lui trouver des vertus comiques involontaires à voir la présentation caricaturale de certains protagonistes (mention spéciale au frère de Shab). Evidemment, le principal est ailleurs. Car au travers de ce film, la vie nous arrête à plusieurs reprises. Nettement. Sans artifices. Ce peut-être par une certaine lumière du pays. Un visage ou un regard (ceux par exemple du projectionniste Naser Nahimi qui joue son propre rôle).

Certains moments de musique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sous couvert de fiction, Kabullywood a des qualités documentaires. Et biographiques.

Le tournage du film a connu plusieurs attentats et menaces.

Si plusieurs des comédiens se sont depuis exilés et ont intégré le Théâtre du Soleil, l’actrice principale, Roya Heydari (Shab) a choisi de rester en Afghanistan pour continuer de s’engager.

 

Franck, ce mercredi 12 décembre 2018.

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Cinéma

Girl

 

Girl film de Lukas Dhont sorti en salles le 10 octobre 2018

«  Il y’a des choses que l’on ne peut pas changer » affirme à Victor une de ses professeures de danse, dans une des meilleures écoles de danse classique du pays.

A l’âge où dans l’univers des comics, certains jeunes découvrent leurs super pouvoirs de mutants, Victor, lui, ploie sous l’encombrement de son corps de garçon.

Il lui faut forcer pour obtenir ce que la majorité des jeunes femmes a de naissance ou acquis plus tôt que lui en travaillant «  doucement ».

La stricte discipline de la chirurgie et de la danse classique de haut niveau sert de justaucorps au film de Lukas Dhont. Et l’on souffre avec Lara-Victor, côté pile et côté face.

Lorsqu’une consultation avec la chirurgienne nous apprend que le corps de Lara-Victor est une cartouche dont il faut vider le pénis et sur laquelle il convient de pratiquer une colostomie qu’il gardera jusqu’à la – « très lente »- cicatrisation.

Lorsque ses répétitions de danse, en groupe ou en individuel, exigent qu’il transforme en profondeur son rapport à la gravité terrestre. Car son corps est déja raide de son expérience de vie de garçon pourtant gracile. Or «  Le poids doit participer à l’action ».

D’un côté comme de l’autre, Lara-Victor se porte volontaire pour se confronter à certains canons de perfection. Il lui faut en tout point être un modèle. Les hésitations de son corps et de son âge ne sont plus de mise :

« Si tu retiens ton mouvement, tu tombes. Danse en profondeur. Tu dois travailler plus dur ».

Cependant, la chorégraphie des contradictions demeure un exercice imposé :

« Toi, tu veux tout de suite devenir une femme. Il faut vivre ton adolescence ».

Lara doit tenir. Elle peut à la fois compter sur l’affection – idéalisée ?- de son entourage proche. Elle doit aussi raviver son père lorsque celui perd pied. Et se heurter à son petit frère qu’elle materne quand celui-ci se révolte et la rejette.

Jeune homme insuffisamment sûr de sa féminité, Lara évite les douches collectives après ses répétitions de danse. Elle évite aussi les bouches des garçons. Mais elle boit les paroles des jeunes rivales de son école de danse qui la guettent et médisent alors que l’instance de leur corps est un supplice pour elle :

« Les gens parlent beaucoup ».

Devenir femme, prendre la place de quelqu’un d’autre dans un monde de compétition, et pourtant se jeter en pâture pour se faire accepter par la norme du groupe qu’elle s’est choisie- celui des apprenties danseuses de son école – cela a un prix.

Un prix d’autant plus élevé que Lara n’est pas une leader pour s’imposer face à la dictature du groupe de filles et de leurs hormones. Plus que d’autres, elle doit suivre cette consigne :

«  Vérifiez votre espace ». Autrement, l’humiliation infligée par le groupe précèdera la mutilation chirurgicale.

Sauf que Lara est celle qui, les pieds en sang, prend parfois une échelle pour s’étirer dans le mensonge. Et pour croire que devenir adulte, c’est tout affronter toute seule. Son sourire d’élite et sa voix douce saupoudrent des semi-remorques de peine.

«  Je sais que tu souffres. Je ne céderai pas ». «  Tu ne te facilites pas la tâche, hein ? ».

Si Lara expose volontiers son corps aux jugements des autres, elle reste close sur ses émois. Ce sont donc les autres qui doivent déduire ce qu’elle pense et ressent même lorsqu’avec eux le courant ne passe pas. Et ce sont les autres filles qui s’accomplissent devant elle. Ce faisant, L’identité de Lara, reste floue. Au contraire de cette détermination, assez proche de celle du Samouraï, finalement, pour changer de sexe. La cisaille contre la grisaille.

 

 

A la fin de la séance, je me suis tourné vers une spectatrice pour l’interroger. Elle m’a répondu avoir été «  prise jusqu’aux ¾ du film » puis avoir ressenti une « fatigue du film ».

Girl a en effet peut-être été un peu trop appuyé. Selon Wikipédia, le film a été très bien reçu par la critique même si l’unanimité est incomplète :

 

« Caméra d’or, le Prix FIPRESCI et la Queer Palm, alors que Victor Polster remporte le Prix d’interprétation de la section Un certain regard. L’accueil des professionnels du cinéma est unanimement très positif, mais le film est cependant critiqué par des militants de la cause trans».

(Source Wikipédia)

 

Girl justifie à mon sens bien plus d’attention que le Black Swan (2010-2011) de Daren Aronofsky qui avait donné l’Oscar à Natalie Portman pour son interprétation. Bien-sûr, dans le film d’Aronofsky, le trouble identitaire était d’un autre genre et l’on était davantage dans le fantastique. Mais pour ce qu’il suggère et sa profondeur, Girl est selon moi supérieur.

Sur un thème assez proche, j’avais aussi bien aimé les films Transamerica (2004) de Duncan Tucker et Man on High Heels ( 2015) de Jin Jang.

 

 

Franck, ce mardi 11 décembre 2018.

 

 

 

 

 

 

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Les Pompiers pour qui ?!

Dès que l’on a un emploi- et même un peu avant- et quelques responsabilités, il existe au moins deux sortes de courses, deux sortes de cultures, auxquelles beaucoup de citoyens ont bien du mal à se soustraire. La première consiste à se presser afin d’arriver sur le lieu de travail à peu près à l’heure. Pour la version “single” et sans enfant. Pour la version ” familiale” ou parent seul avec enfant(s) en bas âge, cela peut donner : Se réveiller, se préparer, puis réveiller, préparer, maintenir une bonne humeur,  emmener-déposer sa progéniture à l’heure à la crèche, chez l’assistante maternelle, à l’école. Et, ensuite ” se presser afin d’arriver sur le lieu de travail à peu près à l’heure”. Personne ne s’en plaint car tout le monde le sait : ” Ce n’est que du bonheur !”.

La seconde course très courante se résume à se dépêcher de rentrer chez soi comme si la planète allait exploser et qu’il n’ y’a que chez soi que l’on pourra échapper au néant.

A moins que ce ne soit pour mourir dans l’harmonie en couple, en famille, avec sa maitresse, son amant, son selfie ou en regardant sur écran, avant de trépasser, les images de l’Apocalypse.

 

Avant, je vivais et travaillais en banlieue parisienne. J’allais à Paris principalement pour mon plaisir.

Depuis que je travaille dans Paris intra-muros, moi, le lent supersonique, je fais partie de ces chevaux de trait qui concourent à chaque fois dans cette épreuve de compétition- pour bourrins- où la moindre seconde, la moindre inclinaison du corps dans les escalators, le moindre placement de pied dans les escaliers, le train, le métro, sur les quais, sur l’accélérateur ou la pédale de vélo, semble de nature tantôt à nous inclure dans un sentiment de félicité, tantôt dans un vécu de contrarié. Selon que l’on a pu accéder à l’intérieur du transport en commun ou à la bretelle de sortie convoités, obtenir une place assise, éviter le feu rouge, les embouteillages ou cet insupportable piétinement derrière tant d’autres en attendant de passer à notre tour la machine à composter ou porte de validation. Laquelle sera ensuite supplantée par la machine à café, la pause cigarette, la pause déjeuner, la pause canapé, la pause potin, la pause popotin, la pause portable ou internet afin de trouver de quoi nous injecter comme récompense, stimulant ou consolation.

 

J’ai encore un peu de patine humaine et j’évite donc, pour le moment, de donner des coups de sabots, des coups de postérieur ou autres, afin de me frayer un passage dans les entrailles de cette chair qui fait partie de notre vie active. Pourtant, chacune de mes nouvelles participations à cet engouement contribue un peu plus à mon démembrement. Et, un jour peut-être, alors que je mettrai un pied sur le quai, on entendra résonner dans toute la gare mes hennissements. Ceux de celui qui appartiendra désormais à l’espèce vaillante et chevaline.

 

Il existe des moyens très simples de sonner le tocsin contre nos propres toxines. Pour bien ensemencer le début de nos journées, de nos après-midis ou de nos nuits de travail de façon plus écologique et humaine : partir en avance. Marcher lentement. Prendre le temps et apprendre à respirer. Notre prof de chant au conservatoire de théâtre d’Argenteuil nous répétait quelques fois :

«  Je suis sûre qu’il n’y’aurait pas de guerres si les gens savaient respirer ! ».

Méditation, relaxation, yoga, art martial, pratique sportive, pratique socialisante, pacifiste et créative, désormais, même des applications nous les enseignent afin de nous permettre de trouver des issues à notre stress chronique. Mais lorsqu’arrive le départ pour le travail, nous restons nombreux à avoir de bonnes raisons de détaler sous le coup de rasoir de la dernière minute ou de la dernière seconde.

En rentrant du travail, cependant, je suis généralement beaucoup plus relâché. Et, je laisse aux autres les premières places du tiercé alors qu’ils filent au travail, à un rendez-vous ou chez eux.

 

Ce dimanche matin, je me laisse donc facilement distancer par les quelques juments et canassons descendus comme moi à la gare. Et, je prise mon temps pour rentrer chez moi. Je suis aussi assez fatigué. Mes sabots clochent lentement contre les pavés.

Les rues sont désertes. Lui, je le trouve allongé sur le trottoir, le haut du corps adossé contre le muret d’un Moneygram. Il faudra peut-être un jour effectuer une étude à propos de cette intersection. Car à peu près au même endroit, il y’a bientôt un an maintenant, j’y avais trouvé un homme âgé, à peu près confus, perdu, le visage un peu ensanglanté après un rasage maladroit. Et, un peu plus haut, quelques mois plus tard, alors que j’emmenais ma fille à l’école maternelle, un jeune étudiant du Garac m’avait sollicité pour joindre sa mère après qu’une bande l’ait repéré dans le train puis menacé en vue d’obtenir son téléphone portable.

J’avais pu contacter une des filles de l’homme âgé. Celle-ci était venue le chercher en voiture quelques minutes plus tard.

J’avais écouté le jeune étudiant. Je l’avais interrogé afin de m’assurer de sa crédibilité. Puis, j’avais joint sa mère avant de laisser le fils parler à sa mère avec mon téléphone portable.

Sa mère m’avait ensuite remercié par sms. Quelques semaines plus tard, j’avais recroisé notre jeune homme à la gare St Lazare. Nous nous étions un peu parlés. Il m’avait semblé avoir récupéré de sa mésaventure. Lors de notre première rencontre, j’avais insisté quant au fait que seul face à plusieurs, dès lors que ses agresseurs étaient parvenus à l’encercler dans un endroit isolé, il avait bien fait de leur céder son téléphone portable et de ne pas essayer de résister.

Ma fille, âgée alors de quatre ans et quelques mois, m’avait reparlé de cette rencontre survenue sur le trajet de son école. Je lui avais bien-sûr expliqué les faits en m’appliquant à une certaine sobriété.

 

Ce dimanche matin, lorsque je passe devant notre homme du jour, je pense d’abord qu’il cuve. Nous sommes au lendemain du troisième samedi de manifestation des «  Gilets jaunes » à Paris et dans toute la France mais aussi à l’île de La Réunion (pour les endroits où ce mouvement de contestation sociale au départ spontané et sans leader officiel a pour l’instant le plus fait parler de lui).

J’envisage notre homme comme un manifestant ayant pris part à la manifestation de la veille. Mais ça, c’est d’abord ce que j’ai envie de croire bien qu’il ne porte aucun gilet jaune.

En effet, une semaine plus tôt, je me suis senti coupable d’être resté, comme souvent, extérieur à ce mouvement de contestation et de manifestation sociale. J’approuve ce mouvement de contestation sociale tel qu’il a été initié. Je comprends les raisons originelles de ce mouvement. Je désapprouve les tentatives de récupération politiques et syndicales. Ainsi que la stratégie du gouvernement Macron (et de celles et ceux qui suivront) pour discréditer ce mouvement et ceux qui lui ressemblent et lui ressembleront.

Je désapprouve aussi le fait que certaines personnes ou organisations en profitent pour casser pour des raisons extérieures à la colère de départ. Mais je crois qu’il est très difficile voire impossible de faire exactement le tri entre la colère compréhensible de certains citoyens qui cassent ou bloquent certains endroits du pays pour exister car c’est tout ce qu’il leur reste comme moyen. Et la jouissance de certains qui cassent pour casser et/ou qui se servent du mouvement spontané des « gilets jaunes » pour leur propre intérêt.

 

Je participe rarement à des manifestations. Je me méfie beaucoup des effets de groupe. J’ai l’impression de disposer de plus de clairvoyance- même si je me trompe- en pensant seul qu’en me contentant de suivre aveuglement, sans réfléchir, un groupe de personnes. Je sais que mon raisonnement, poussé à l’extrême, est une absurdité. Car, être seul, c’est aussi être isolé, vulnérable, incomplet, incompétent et impuissant. Je sais aussi que l’on a besoin des autres et qu’il est nécessaire d’avoir des alliés. Alors, disons que je suis très attaché au fait de pouvoir choisir mes alliés plutôt que de me les voir imposés un peu à la roulette russe. Mais que trouver de bons alliés, cela peut nécessiter du temps.

 

Pendant toutes ces considérations, notre homme «  du dimanche » reste inerte devant moi. Et, je suis bien-sûr seul face à lui. Quelques minutes plus tôt, avant de le trouver, un autre homme m’avait accosté alors que je marchais devant lui. Dans un Français approximatif, cet homme de « derrière » (il était derrière moi) m’avait interpellé poliment pour me demander si j’avais une feuille de papier cigarette à rouler. Non. Il était reparti dans le sens opposé.

 

Et moi, après m’être éloigné de cet homme, maintenant je rebrousse chemin.

 

Notre homme inerte cuve peut-être son alcool. Il a une respiration régulière, ample et apaisée. C’est bien-sûr très bien. Mais il n’a pas répondu lorsque je lui ai parlé. Il n’a pas réagi. Je ne sais rien de ce qu’il a pris. Je me mets à penser à Basquiat, qui, lors de son overdose fatale, avait donné, aussi, à sa petite amie de l’époque, l’impression de dormir paisiblement.

Alors, j’appelle le 15. Tout en me disant que du fait de la manifestation des « gilets jaunes » et des affrontements avec les «  forces de l’ordre », les services sanitaires d’urgence ont dû être particulièrement sollicités la veille.

Le samedi 1er décembre : « 263 » personnes «  ont été blessées au cour des violences  dont 133 dans la capitale » selon le journal gratuit 20 Minutes de ce lundi 3 décembre. Toujours selon ce même journal gratuit « (…) «  Gilets jaunes. Le mouvement durera si le gouvernement ne recule pas, estiment deux experts ».

La dame du SAMU me demande des renseignements. Je lui réponds. Lieu. Age approximatif de l’homme. Caractéristiques de la respiration. Pas de trace de sang apparente. Pas de réaction.

Elle me demande de le stimuler en le touchant. Je le fais parce qu’elle me le dit de le faire parce-que, seul, je me dispenserais d’une pareille initiative : il m’est impossible de prévoir la réaction de cet homme lorsque je vais le toucher. Je suis pour lui un inconnu. Il aurait pu avoir une réaction, instinctive, de défense ou de protection telle que mordre ma main par exemple lorsque, dans un premier temps, j’avais entrepris de la passer devant ses narines afin de m’assurer qu’il respirait. Avant d’appeler le SAMU.

Je suis au téléphone avec cette dame du SAMU lorsque notre homme bouge la tête, puis se gratte le nez. J’en informe la dame du SAMU. La dame du SAMU me demande si je peux rester avec lui le temps que les pompiers arrivent. Et elle me sollicite afin que je continue les stimulations. J’accepte. Elle me remercie et raccroche.

Quelques secondes plus loin, notre homme commence à ouvrir les yeux. Il me regarde. Je lui parle :

« Bonjour Monsieur. J’ai appelé le SAMU. Les pompiers vont venir s’occuper de vous ».

Assez vite, il se met sur pied, devant moi :

« Les pompiers pour qui ?! ».

« Pour s’occuper de vous car vous n’allez pas bien. Vous ne pouvez pas rester là ».

« Moi, je vais pas bien ?! ». Devant moi, cet homme m’explique maintenant :

« Il ne faut pas appeler les pompiers ! Ils vont croire que c’est grave ! ».

Je comprends sa logique. Mais moi, j’étais face à ce dilemme que je lui traduis :

«  Et moi, comment je fais pour savoir que ce n’est pas grave ? ».

Lui : « Hein ?! ». Il me regarde, son visage près du mien comme si je suis presque la moitié d’un idiot. L’esprit peut-être encore assombri par les reflets de l’alcool bien que son haleine soit « neutre ». Mais aussi parce-que le Français n’est pas sa langue maternelle. Ou peut-être pour mieux discerner si je tiens plus de l’homme ou du cheval. Il mesure entre cinq à dix centimètres de plus que moi et tangue un peu.

Il reprend :

« (….) Comment tu fais pour …savoir que ce n’est pas grave ?! Tu parles aux gens…. ».

Moi : «  Mais je t’ai parlé ! ». (Vu qu’il m’a tutoyé et au vu de l’aspect un peu sec et sans glaçons de l’échange, je le tutoie aussi).

Lui : «  A moi, tu m’as parlé ?! »

Moi : « Mais est-ce que tu te rends compte que je me suis inquiété pour toi ?! ».

Lui : « Quand on s’inquiète pour quelqu’un, on fait pas ça ! …On lui parle ! ».

A ce moment de notre discussion, je me demande s’il envisage de me frapper vu qu’il est près de moi, visiblement plus remonté que reconnaissant, et qu’il m’attribue de mauvaises intentions à son encontre. La situation me paraît bien-sûr prendre une tournure quelque peu ironique bien que, je le sais, probable : le secouriste agressé.

Il a un peu reculé lorsqu’il me dit, assez agressif, voire un peu menaçant :

«  Reste attendre…tes pompiers, tes policiers…. ».

Moi : «  Ne reste pas sur la route ! » ( Il se trouve alors sur la route, sur le passage piétons). J’ajoute : «  Il y’a des voitures qui passent ! ». Il quitte aussitôt la route et se remet sur le trottoir face à moi. Quelques mètres et quelques secondes nous séparent.

Puis, il se retourne et sans ajouter un mot, me tourne le dos, traverse l’avenue en restant bien en rythme sur le passage piéton. Aucune voiture ne passe. Très vite, il s’échappe de ma vue. Il marche à une allure plutôt rapide pour un mourant s’il est mourant ou pour un homme en train de faire une overdose s’il fait une overdose. Il me semble que j’aurais été incapable de me déplacer aussi vite :

 

Je suis évidemment rassuré pour sa santé.

 

Je rappelle le SAMU. Une collègue de la dame que j’ai eue me répond. Je lui explique. Je lui dis aussi que notre homme était un «  peu » tendu et que je me suis demandé s’il allait me frapper. (S’il l’avait fait, j’aurais été obligé de changer de registre : je serais devenu victime ou agresseur de « mon » patient. Où cela se serait-il terminé ? Au commissariat ?).

Au téléphone avec le SAMU, je hasarde que notre homme devait avoir des problèmes de papier.

(Mais peut-être avait-il déja un casier judiciaire pour ébriété ou pour trouble de l’ordre public ?).

La dame du SAMU prend ça avec humour. Elle me demande quelques informations complémentaires concernant la tenue vestimentaire de notre homme. Oh, oui, je m’en souviens bien.

Cette dame du SAMU me dit :

« C’est bien, monsieur, vous avez eu les bons réflexes ». Je la sais sincère. Je considère qu’elle parle de mon premier appel pour prévenir le SAMU. Pour moi, les bons réflexes ont aussi été de laisser partir notre homme. Lorsqu’il aura dégrisé, je me demande de quoi et de qui il se souviendra. D’être tombé sur un baltringue (moi) qui a failli le mettre dans la merde ?!

En rentrant, je raconte l’histoire à ma compagne. Amusée, elle me dit :

« Cela aurait été drôle que, finalement, ce soit pour toi que les pompiers viennent ».

Franck, ce lundi 3 décembre 2018.

 

PS : Cet article a d’abord été écrit avant l’article https://balistiqueduquotidien.com/privilegie/Je l’ai corrigé et complété ce dimanche 9 décembre 2018.

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Privilégié

« (….) La réalité, c’est que, pour être un bon entrepreneur, il ne faut pas aimer l’argent, mais miser sur l’audace et savoir se mettre en danger » a « assuré » lors d’une interview de cinq pages un milliardaire à la retraite. Les photos de l’interview étaient quant à elle assurées par une photographe de renom.

L’interview datait déjà de près de six mois lorsque je suis tombé dessus cette semaine. Dans le magazine d’un quotidien prestigieux : Le Monde. Après une page de pub pour le téléphone portable Huawei P20 Pro que je sais depuis cette semaine également être « Le » téléphone portable du moment, devant l’Iphone et le Samsung Galaxy qui sont au téléphone portable depuis des années ce que sont Messi et Ronaldo au Ballon d’or.

 

Il y’a un ou deux jours, sur ce réseau social, une connaissance a entre-autres écrit qu’elle comprenait la colère des « gilets jaunes » même si elle ne «  la partage pas ».

 

Nous sommes le mercredi 5 décembre 2018 et dans trois jours, le mouvement de manifestation des « gilets jaunes » va à nouveau faire parler de lui pour le troisième ( quatrième ) samedi de suite si mes comptes sont bons. Sur les Champs-Elysées, une des vitrines de la réussite économique et culturelle de la France, l’expression de cette manifestation au départ spontanée, populaire, bien que virulente, est désormais dépeinte comme celle par laquelle le « chaos » peut défiler en France. Soit du fait de l’Etat qui a d’emblée haussé le ton et menacé à l’annonce de la toute première manifestation des « gilets jaunes ». Soit du fait du caractère quelque peu incontrôlable et aveugle de certaines manifestations de violence lors de ce mouvement des « gilets jaunes ». Soit du fait, aussi, de la récupération de ce mouvement. On ne sait plus. On ne sait plus si la violence, lors des manifestations des « gilets jaunes » vient d’abord de l’Etat, ou des casseurs qui en profitent, ou de personnes réellement en colère, ou d’organisations d’extrême droite, anarchistes ou d’extrême gauche. L’organigramme de ces expressions de violence est difficile à établir ou à lire pour le quidam que je suis. Et, bien-sûr, comme souvent, lors d’une période de trouble, les principaux acteurs directs ou indirects de cette situation sont peu disposés à se faire tirer le portrait lors d’une photo de classe permettant de clairement les identifier.

 

Depuis deux ou trois semaines, donc, discuter du mouvement «  des gilets jaunes » peut susciter divers avis contraires au sein d’une même famille, d’un même groupe d’amis, de connaissances ou de collègues. Et cela peut déboucher vraisemblablement sur des désaccords profonds pour ne pas mentionner des différends à caractère définitif. Car chacune et chacun se sent « expert » sur le sujet. Chacun et chacune est à vif sur le sujet.

 

Je vais donc m’attacher à parler de celui que je connais le mieux pour parler du mouvement des « gilets jaunes ». C’est à dire, que je vais parler de moi. Le travers à parler de soi, c’est de faire étalage de son nombrilisme et de son narcissisme plutôt que de sa conscience et de sa réelle connaissance d’un sujet donné. L’avantage, c’est que je suis prévenu dès le début du piège à éviter en parlant de moi.

En soi, le narcissisme et le nombrilisme peuvent être socialement tolérés. Car si le narcissisme et le nombrilisme étaient rédhibitoires, les réseaux sociaux auraient périclité depuis longtemps. Et si le narcissisme et le nombrilisme donnaient des gages d’éternité, des personnalités populaires et admirées comme François Mitterand, Jean d’Ormesson, Jacques-Yves Cousteau et bien d’autres seraient encore en vie. Mitterand et Cousteau sont deux “personnalités” que j’ai pu admirer à divers moments de ma vie. Cousteau, alors que j’étais enfant, pour ses découvertes extraordinaires dans la mer. Mitterand, alors que j’étais adolescent puis adulte. Mitterand, D’Ormesson et Cousteau ont au moins en commun d’avoir bénéficié d’une certaine longévité ainsi que de campagnes de communication profilées habilement de manière à façonner d’eux une “belle” image.

En matière de narcissisme et de nombrilisme, tout est affaire de dosage pour que cela reste supportable et convivial. Je ne dispose pas des moyens de ces défunts en termes de com’ et de relations.  J’espère donc réussir à bien doser ma mixture afin qu’elle puisse facilement être avalée cul-sec. Kampaï ! Tchin ! Tchin !

 

Si j’ai bien retenu, le mouvement des « gilets jaunes » provient des exclus. De celles et ceux qui sont pris à la gorge financièrement et socialement depuis des années. Et qui n’en peuvent plus. S’il regroupe des personnes de différents horizons sociaux, culturels et économiques, il est fait, aussi, de personnes qui touchent le SMIC ou qui sont sous le seuil de pauvreté. Je pourrais maintenant filer sur internet afin de me renseigner précisément sur le montant du SMIC (le salaire minimum afin d’avoir une vie à peu près décente) et me faire beau en me présentant comme celui qui sait exactement quel est son montant. Je vais plutôt me fier à ma mémoire et tant pis si je me ridiculise :

La dernière fois que j’ai vérifié, le SMIC était à 1100 euros ( 1184 euros après vérification ) et je crois que l’on parle d’un seuil de pauvreté lorsque l’on touche un salaire égal ou inférieur à 900 euros par mois.

En France, en 2018, on est considéré comme pauvre lorsque l’on touche un salaire égal ou inférieur à 900 euros par mois.

Au vu de ces deux chiffres, je suis un privilégié. Je le savais déjà selon mes propres critères mais ces deux chiffres me contraignent à l’admettre que je le veuille ou non.

Je suis un privilégié parce-que je touche un peu plus de deux fois le SMIC chaque mois.

Mais aussi, parce qu’il y’a 11 ans maintenant, j’ai pu m’acheter un F2 sur le marché de l’ancien en m’endettant sur 25 ans. Dans une ville de banlieue proche de Paris si «  bien » réputée qu’alors que les prix de l’immobilier dans Paris et dans des villes voisines de Paris nécessitent presque une formation de cosmonaute pour les atteindre, les prix de l’immobilier pratiqués dans ma ville stagnent voire baissent depuis plusieurs années. A Argenteuil, j’ai parfois l’impression qu’il faudrait presque donner une prime spéciale aux futurs acquéreurs éventuels.

 

J’ai une voiture. Cette information a son importance puisque l’augmentation du coût de l’essence a été le déclencheur du mouvement «  des gilets jaunes ». Depuis plusieurs années, je vois la voiture comme ce qui me donne une certaine indépendance de déplacement. Mais je la vois aussi comme un objet de luxe malgré son caractère éminemment utile. Le coût d’entretien d’une voiture est assez élevé, entre l’assurance, les révisions, le carburant et les éventuelles réparations. Bien des personnes n’ont pas les moyens de s’offrir une voiture. J’ai obtenu mon permis il y’a 23 ans. En 23 ans, j’ai eu deux voitures. Ma première avait plus de 100 00 kilomètres au compteur lorsque je l’ai achetée. J’ai été obligé de m’en séparer au bout de six ans après que sa colonne de direction ait été cassée. On avait essayé de me la voler. Parce qu’elle faisait partie des voitures faciles à voler ai-je appris par la suite : C’était une Opel Corsa.

Pour acheter ma voiture actuelle, j’ai d’abord dû faire un crédit que j’ai remboursé pendant trois à quatre ans. Cela fait dix sept ans que j’ai la même voiture. Depuis que je me suis marié et ai eu une fille, ma voiture est parfois un petit peu petite.

Néanmoins, je suis un privilégié. Lorsque j’ai besoin d’un véhicule, ma voiture est là. Même si je lui préfère largement les transports en commun et la marche, je sais pouvoir en disposer lorsque j’en ai besoin. C’est un luxe.

Un autre de mes luxes est de pouvoir rembourser mes crédits lorsque j’en contracte même si je suis constamment à découvert du fait de mauvaises habitudes prises il y’a des années. Mauvaises habitudes ( de célibataire sans enfant peut-être) dont j’ai du mal à me débarrasser même si je suis aujourd’hui plus raisonnable.

 

Je suis aussi un privilégié parce-que j’ai un emploi de fonctionnaire. Même si le statut de fonctionnaire est menacé et que je suis un exécutant parmi d’autres, je dispose encore de la sécurité de l’emploi. Et d’un salaire qui arrive tous les mois à une date régulière.

 

Je peux encore partir en vacances avec femme et enfant. Généralement en été. En France. Un peu moins en Guadeloupe ou à la Réunion. Car il faut un budget plus élevé pour ces deux destinations.

 

Je peux m’inscrire dans un club de sport. Et pratiquer ma discipline sportive à peu près régulièrement. Je ne pousse pas la vice jusqu’à me contenter de m’inscrire juste pour le plaisir de contempler ma licence en me disant avec gourmandise : « Je peux le faire ».

 

Mon casier judiciaire est vierge. Je réussis à payer mes impôts dans les délais. Après avoir été détenteur d’une carte orange, j’ai finalement opté pour un Pass Navigo. Je n’aurais de toute façon pas eu le choix vu que tout a été fait pour nous obliger à adopter le Pass Navigo.

A Noël, et pour certains anniversaires, je peux acheter quelques cadeaux à mes proches : sœur, frère, neveux, nièces, compagne, ma fille, amis. Là, encore, du fait de mes mauvaises habitudes prises il y’a plusieurs années, j’ai recours au découvert bancaire. Je n’ai, à ce jour, pas connu le statut d’interdit bancaire. Je suis un privilégié.

 

Je suis aussi un privilégié parce-que, en grande partie grâce à mes parents, j’ai pu être un « bon  élève”. Un « bon » citoyen. Une personne qui fait ses devoirs. Qui a pu obtenir un diplôme professionnel à même de lui assurer un emploi stable. Qui se tient à carreaux et qui se défoule là où la société l’y autorise : en employant un langage respectueux et policé; en fréquentant les clubs de sport; en consommant dans les magasins de grande distribution aux heures autorisées; en partant faire des voyages quand c’est permis et là où c’est permis; en recourant à des moyens légaux, actions et comportements dont il est possible d’effectuer une traçabilité satisfaisante et constante.

 

Lorsqu’à la gare de Cergy St-Christophe – ville où j’ai habité pendant une quinzaine d’années à partir de 1985- la SNCF avait décidé d’installer des composteurs ( ou plutôt des portes de validation ) ayant pour effet immédiat de restreindre notre liberté de mouvement et de déplacement, je m’y étais adapté. Je me souviens avoir entendu un jeune, sans doute encore mineur, qui, apprenant cette nouveauté avait dit à un de ses copains :

” T’inquiète, on va tout défoncer !”. Sa remarque m’avait surpris et un peu inquiété. La ville de Cergy St-Christophe a bénéficié, aussi, d’une assez mauvaise réputation. En quinze ans, je n’y ai connu aucun problème. Et, lorsque les portes de validation avaient finalement été installées, rien n’avait été défoncé. Ou alors je dormais pendant ce temps-là et la SNCF s’était empressée de tout réparer avant mon réveil.

Lorsqu’à la gare d’Argenteuil, il y’a environ cinq années, la SNCF a décidé d’installer des portes de validation ayant les mêmes effets qu’à la gare de Cergy St-Christophe, comme la majorité des usagers, je m’y suis là aussi adapté.

Depuis quelques semaines, la gare St Lazare par laquelle j’accède à Paris, est en train de se doter de plus de deux cents composteurs ( 140 exactement : au delà du chiffre 130, je ne réponds plus de rien en matière de calcul). Officiellement, c’est pour :

« Améliorer notre confort ». Je ne vois pas de quel confort il est question lorsqu’aux heures de pointe, déjà, nous sommes tel du bétail qui piétine vers ses diverses correspondances.

 

 

J’ai oublié les chiffres, mais, en semaine, la gare de Paris St Lazare ( crééé en 1837 ), voit passer des milliers de personnes ( 300 000 personnes par jour/ 100 millions de voyageurs par an d’après les chiffres trouvés ce jeudi 6 décembre sur le net ). Elle est la gare ferroviaire recevant le plus grand nombre d’usagers dans Paris. Il est vrai qu’une fois que je suis dans le train, j’évite les embouteillages.Et qu’en période de grève des trains, Argenteuil étant proche de Paris, j’en pâtis moins que celles et ceux qui vivent dans des villes de banlieue plus éloignées. Je suis là aussi un privilégié.

 

Avec l’arrivée de ces portes de validation, bientôt, l’usager qui échouera à les franchir pour “défaut” de présentation du titre de transport adéquat, ou parce-qu’il ne remplira pas certaines critères, sera peut-être déclaré….invalide. Et ces portes de validation aujourd’hui présentées de manière ludique et inoffensives par la SNCF se révéleront peut-être plus tard comme des “outils” de refoulement s’appliquant aux individus indésirables. On pensera en priorité aux terroristes et aux délinquants identifiés. Mais ces profils pourront être élargis aux mendiants, personnes en recherche d’emploi, femmes et hommes d’un certain âge etc….

 

Ma vision, peu originale, force peut-être le trait. Néanmoins, en pratique, il m’est difficile de percevoir ces portes de validation comme des atouts en termes de confort. Si leur fonction est de lutter par exemple contre la fraude, la majorité des usagers va devoir subir la contrainte de ces portes “juste” pour réduire un comportement qui est le fait d’une minorité.  Et afin que cette  “mission” puisse être réalisée dans les meilleures conditions, nous voilà encore un peu plus mis à contribution, un peu plus infantilisés et davantage séquestrés en pleine jour en toute légalité sans que nous soyons auteurs du moindre délit.

 

 

Depuis deux ou trois ans, le projet du ” Grand Paris” nous a été présenté comme une belle avancée dans bien des domaines. J’y ai cru. Et ce sera sans doute le cas pour certains aspects. Mais, là, est-ce le résultat de près de dix années de trajet par le train pour me rendre au travail à Paris cumulées avec cette arrivée proche de ces ” portes de validations” ? Mais le projet du             ” Grand Paris” même devancé par l’organisation des Jeux Olympiques en 2024 qui nous promet une créative campagne de communication, bien plus séduisante que celle de la SNCF pour les dites- portes de validation, pour nous en expliquer les formidables retombées, me rend de plus en plus circonspect. Peut-être parce-que je vieillis.

C’est peut-être parce-que je vieillis que, depuis plusieurs années, j’ai parfois l’impression que nous vivons dans un pays qui se renferme de plus en plus. Tandis que l’on y ouvre plus de centres commerciaux, que l’on y crée plus de nouveaux projets immobiliers que l’on ne crée d’hôpitaux ou que l’on n’ouvre de services et de centres de soins mais aussi d’écoles ou de classes. Pourtant, il y’a un hôpital dans ma ville et contrairement à bien des parents, pour le moment, nous pouvons emmener notre fille à l’école en une dizaine de minutes à pied. Même si le personnel de l’école publique a de moins en moins de moyens pour mener à bien ses diverses missions et que celle-ci inspire de plus en plus un certain sentiment de suspicion, je suis un privilégié. Même si plusieurs parents que nous avons côtoyés ont pu, après plusieurs candidatures, faire admettre leur enfant (certains de l’âge de notre fille encore en maternelle) dans l’école privée voisine à raison de 300 euros par mois.

Bien que vieilli et peut-être aigri, je suis encore plutôt en bonne santé. Lorsque j’ai besoin de soins, j’ai encore la possibilité de les payer. S’il le faut. Et, lorsque je l’estime nécessaire, je peux encore choisir un spécialiste considéré comme particulièrement compétent.

Pour l’instant, je n’ai pas encore à choisir entre faire un plein d’essence, faire des courses ou acheter des vêtements pour ma fille.

Mon téléphone portable est un Iphone 5S. Je l’ai depuis plus de deux ans. L’Iphone actuel doit être un numéro 7 ou 8. J’ai oublié. Avant lui, je changeais de téléphone portable environ tous les deux ou trois ans. Depuis que je sais que la fabrication des téléphones portables est un désastre écologique, j’essaie de voir comment je peux éviter de contribuer à la dérive écologique générale. Ce qui est un exercice difficile car l’obsolescence programmée de mon téléphone portable va peut-être me forcer à en changer.

Notre ordinateur portable a sept ou huit ans. Je n’ai aucune intention d’en changer. Il marche de manière satisfaisante. Je suis un privilégié.

J’ai écrit et répété un certain nombre de fois dans cet article comme je suis un privilégié. Je le suis. J’ai pourtant parfois besoin de m’en convaincre. J’ai quelques fois un peu de mal à m’en convaincre.  « De l’audace, se mettre en danger », il me semble que chacun et chacune, de par les choix qui lui incombent, de par les responsabilités qui le concernent à un moment ou plusieurs moments de sa vie, fait preuve ou a fait preuve d’audace et s’est mis ou se met en danger. Pourtant, il est bien des fois où cela n’a pas suffi.

Les migrants qui se noient dans la mer méditerranée parce qu’ils fuient la guerre, la peur, la misère, font montre d’une audace dont je suis incapable. Et ils se mettent en danger à un point tel que le privilégié que je suis ignore. Pourtant, pour un certain nombre d’entre eux, ça n’a pas suffi et ça ne suffira pas.

Bien des « gilets jaunes » qui manifestent font preuve d’une audace équivalente. Et ils se mettent aussi en danger. Il n’y’a aucun milliardaire parmi eux. Du moins, pour l’instant. Et, moi, le privilégié, je reste abrité. J’observe. Je me culpabilise. Je pèse le pour et le contre. Je me dis qu’aller manifester est trop risqué. Mais aussi qu’il est très difficile de s’y retrouver entre les casseurs, celles et ceux qui récupèrent le mouvement, les forces de l’ordre qui, lorsqu’elles chargeront, ne feront pas de détail entre les gentils manifestants et les autres.

Les « gilets jaunes » manifestent-ils uniquement pour une question d’argent ? A mon avis, non.

Bien-sûr, je désapprouve les actes de violence aveugles qui touchent, heurtent, celles et ceux qui se trouvent au mauvais endroit, au mauvais moment, alors que certains cassent, frappent, détruisent. Mais l’origine d’une bonne partie ces violences est néanmoins bien présente depuis des années dans cette société dont nous sommes les citoyens. Les citoyens….privilégiés.

 

Franck, ce mercredi 5 décembre 2018.

PS : j’étais en colère en écrivant cet article hier. Et, plusieurs heures après l’avoir écrit, je m’étonnais de ressentir autant de colère. Je me demandais d’où elle provenait. Pourtant, je n’ai rien cassé sur mon passage en allant prendre le train pour me rendre sur Paris. Et, je n’ai bousculé personne dans le métro, dans les escalators ou ailleurs. Ce matin, ce jeudi 6 décembre, j’attribue la colère que j’ai ressenti hier à un retour de flamme de mon sentiment de culpabilité. Je me suis senti coupable lors du premier ou du deuxième samedi de manifestation des “gilets jaunes” à Paris. Si j’étais resté chez moi ce jour-là, je me serais mieux porté. Mais ce samedi-là, j’avais décidé de me faire plaisir. Et, j’étais parti acheter- consommer- du thé dans un magasin où j’ai mes habitudes. En sortant du métro, je m’étais retrouvé en plein marché. Les commerces de bouche étaient bondés. Pour toutes ces personnes présentes sur le marché et dans ces commerces, la vie continuait sans une fêlure. Tandis que sur les Champs Elysées et ailleurs en France, des personnes manifestaient car au bout du rouleau. Lors du trajet, j’avais pourtant entendu l’annonce répétant que telles stations de métro n’étaient pas desservies. Mais je n’avais pas tout de suite fait le rapprochement avec les “gilets jaunes”. Dans le magasin de thé, où se trouvait un couple d’un certain âge, je m’étais même interrogé à voix haute sur la raison pour laquelle ces stations de métro n’étaient pas desservies. La femme du couple m’avait alors regardé en souriant sans un mot. Savait-elle ?

Je manifeste rarement. Je me méfie beaucoup des effets de groupe. Je sais que la vie est faite de nuances. Je continue d’apprendre à essayer de les saisir. Mais ce samedi-là, à me voir faire partie de celles et ceux qui, dans cet arrondissement de Paris plutôt privilégié, faisaient apparemment leurs courses sans se préoccuper des lendemains tandis que d’autres…..je me suis senti coupable. Pourtant, je suis un privilégié. Je crois….

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Cinéma

Rafiki

 

« Il semblerait que ce soit un film généreux et mièvre ».

 

Il y’a plusieurs semaines, au sortir d’une séance dans un complexe de cinéma à Paris, je l’ai reconnu. Sans doute un souvenir de séances de presse partagées, chacun dans son coin, du temps où j’écrivais pour Brazil. C’était étonnant de tomber sur lui dans cet endroit.

Durant quelques mètres, j’ai marché derrière lui.

 

Je me suis décidé à l’accoster. Accessible et sympathique, il m’a alors appris avoir été mis à la retraite de l’hebdomadaire dans lequel j’avais pu lire un certain nombre de ses critiques de cinéma pendant des années. Il intervient encore dans l’émission Le Masque et la plume que je connais de nom.

J’ai défendu Rafiki. Il m’a écouté. Il a alors répondu que, comme le lui a recommandé un jour Jacques Lourcelles – qu’il m’a présenté comme un « historien du cinéma »- il est impératif de toujours se faire soi-même sa propre opinion d’un film en allant le voir.

Je l’ai écouté à mon tour : j’ignorais qui était Jacques Lourcelles.

Deux mois sont passés depuis que ce critique de cinéma et moi nous sommes croisés.

Et, c’est seulement aujourd’hui que je viens de faire quelques recherches sur le net pour découvrir l’identité de Jacques Lourcelles. Ce qui fera sourire ou grimacer celles et ceux qui sont au fait de ses engagements et d’une certaine histoire du métier de critique et d’historien du cinéma.

Alors que nous allions nous séparer, notre critique cinéma de Le Masque et la Plume et moi, j’ai pensé à dire mon nom et à évoquer mon projet de créer un blog : trop souvent, de par le passé, lorsqu’il m’est arrivé de croiser des personnes « médiatisées », j’ai oublié cette règle élémentaire, en usage pourtant lors de toute rencontre comme lors de tout cérémonial social, qui consiste….à se présenter. Peu importe que notre interlocutrice ou notre interlocuteur «  médiatisé », choisisse ensuite de classer sans suite ces « faibles » moments que nous avons passés avec lui. On acquiert davantage de présence et de consistance en donnant son nom et son prénom plutôt qu’en se confinant soi-même à double tour avec précaution dans l’effacement et l’autodénigrement. Comme l’a à peu près dit récemment l’artiste Kheiron dans une interview à propos de certains acteurs-renommés- de son dernier film (Mauvaises herbes, sorti ce 21 novembre 2018) :

« Si tu traites les gens comme des stars, ils vont réagir comme des stars ». J’ai envié à Kheiron l’évidence d’une telle assurance mais aussi d’une si grande clairvoyance que je vois comme ce qui lui a permis, avec le travail et certaines aptitudes, à « réussir » sa carrière comme il a entrepris de le faire.

Les deux héroïnes du film Rafiki de Wanuri Kahiu (sorti en salles ce 26 septembre 2018) envieraient davantage la belle assurance de Kheiron. Même si je crois aussi au fait que l’on peut faire une force de ses faiblesses. Je repense par exemple à l’actrice Yolande Moreau à qui un de ses profs, avant qu’elle ne devienne la comédienne Yolande Moreau que l’on « connaît », avait pu dire afin qu’elle croie en ses capacités au moins de comédienne : «  Vends tes faiblesses ! ».

Il y’a du Ken Loach dans cette phrase : «  Vends tes faiblesses ! ». Et, cela me rappelle cette scène dans Raining Stones où le prêtre envoie bouler Dieu et la Loi, devant la détresse et la culpabilité du héros, père croyant et de condition modeste, qui a « fauté » pour offrir un peu de rêve à sa fille.

 

« Vends tes faiblesses ! ».

 

Au début de Rafiki, Kena et Ziki sont chacune à leur façon des jeunes femmes prometteuses, bien éduquées, raisonnables et respectables. En conformité avec ce que l’on attend d’elles. Aucune faiblesse à vendre a priori.

Kena (l’actrice Samantha Mugatsia) avec son physique de garçon manqué à la Syd Tha Kid (une des artistes du groupe californien The Internet) est plutôt de classe moyenne. Elle fait la navette entre ses parents divorcés, les études, le petit commerce de son père et le foot avec les copains.

Ziki, elle (l’actrice Sheila Munyva) est la jeune bourgeoise insouciante qui émet une sorte d’excentricité capillaire ostentatoire. Tout se passe bien pour les deux jeunes femmes tant que chacune vit dans sa jarre.

Nous sommes dans le Kénya d’aujourd’hui, à Nairobi, pays plutôt prospère économiquement et assez stable politiquement malgré certains événements récents particulièrement violents.

 

Rafiki se déroule dans un écrin à l’écart des menaces terroristes et des actes de délinquance.

 

Mais Kena et Ziki ont la faiblesse de s’attirer l’une et l’autre. Les jarres se brisent. Et, à mesure qu’elles se découvrent et commencent à s’émanciper, elles découvrent les limites de leur liberté comme celles de la compréhension de leurs proches. Lesquels sont autant voire plus corsetés qu’elles ne le sont par certains stéréotypes sociaux. Péril périphérique, la solitude de Kena et Ziki ne fond pas alors qu’elles sont perçues…comme de mauvaises herbes.

On peut vendre ses faiblesses ou chanter Come Smoke My Herb comme l’artiste Me’Shell Ndégéocello dans une société qui l’accepte. Kena et Ziki vivent dans une autre société. Leur amour (comme tout amour ?) est révolutionnaire ou un luxe que leur entourage perçoit comme un mauvais sort jeté au visage de toute la communauté et de toutes les générations précédentes.

Ça fait penser à Roméo et Juliette version LGBTI ? Oui. Rafiki est un film révolutionnaire au moins pour son sujet ; parce qu’il a été interdit au Kenya ; parce- qu’il s’agit du premier film kenyan sélectionné au festival de Cannes ; parce qu’il nous montre une autre couleur que celle des safaris, des splendides paysages africains, et de ces femmes et hommes africains, « c’est formidable ! » qui ont toujours la banane et nous redonnent le sourire pour la journée.

 

Franck, ce mardi 27 novembre 2018.